J'ajoute un mot à propos de l'épargne salariale : ce sont quand même 938 millions d'euros qui sont sur des comptes oubliés au gré des parcours de vie et des déménagements des salariés !
La seconde partie du rapport est consacrée au bilan de la mise en oeuvre pratique de la loi Eckert, à l'échelle des établissements.
Dès les travaux de la Cour des comptes et les travaux préparatoires de la loi du 13 juin 2014, les établissements financiers et, notamment, les assureurs se sont progressivement mobilisés pour améliorer leurs procédures.
Une première étape fut celle de l'identification, tout au long de l'année 2016, des comptes inactifs, en fonction des critères fixés par la loi.
Cette première étape a représenté un très gros travail de recherche et d'analyse de l'ensemble des comptes ouverts dans les livres des banques. Du point de vue volumétrique, cela a par exemple représenté, pour La Banque postale, distributeur historique du livret A, le « balayage » de 26 millions de clients et 37 millions de comptes. Le budget dédié par le groupe à la mise en oeuvre du dispositif « Eckert » est important, avec des investissements informatiques de plusieurs millions d'euros et des coûts récurrents évalués entre 0,5 et 1 million d'euros. En plus, La Poste est concernée par certaines situations particulières, notamment les parcours de service militaire des hommes à travers tout le territoire. Des comptes étaient ouverts, et parfois laissés ouverts avec un encours dérisoire – 1 franc, par exemple…
Contrairement aux établissements bancaires, les assureurs ne partaient pas de rien en matière de traitement des sommes en déshérence. Depuis une loi du 17 décembre 2007, ils avaient en effet l'obligation formelle d'identifier leurs assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats d'assurance vie. Les assureurs ont ainsi lancé en 2015 221 millions d'interrogations sur le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP) contre 115 millions en 2014. On voit quand même que la loi a secoué quelques habitudes… Cette consultation plus fréquente du RNIPP s'est accompagnée d'une nécessaire fiabilisation et actualisation des fichiers clients. Par ailleurs, les établissements se sont engagés à améliorer la précision de la rédaction de la clause bénéficiaire lorsque le bénéficiaire est nommément désigné, notamment en actualisant le guide déontologique de la Fédération française des assurances. En plus de l'investissement matériel et humain, nous avons été sensibilisés aux très nombreux partenariats qui ont été noués avec des entreprises privées – généalogistes ou enquêteurs civils, que nous avons auditionnés ou rencontrés– afin de rechercher des bénéficiaires. Cela témoigne de la volonté des établissements de remplir effectivement leurs obligations en la matière. Ainsi, plus de 150 000 dossiers ont été confiés à des prestataires externes en 2015, contre 8 000 en 2013.
Faut-il aller plus loin dans l'obligation de recherche des bénéficiaires en imposant dans tous les cas, aux assureurs mais surtout aux banques, de faire appel à un prestataire extérieur ? Il est en effet tentant de mettre en place une obligation de recherche active pour les banques – cela dit, ayons en tête que les sommes sur ces comptes sont la plupart du temps dérisoires, inférieures à 345 euros, et ne justifient pas forcément d'engager des frais importants. Il conviendrait de laisser au dispositif le temps de produire ses effets vertueux à plus long terme, c'est-à-dire sur le flux des nouveaux contrats et non plus seulement sur le stock des contrats inactifs, lequel est en voie de résorption. Lorsque l'ACPR aura pu mener à bien sa campagne de contrôle sur les établissements bancaires en 2017, et que les chiffres globaux auront été communiqués par tous les établissements, il sera alors temps d'envisager ou non un renforcement des obligations actuellement prévues par le code monétaire et financier.
Au-delà du travail accompli au sein des établissements, nous souhaitons insister sur le rôle essentiel qu'ont joué, et que continueront de jouer, l'ACPR et la CDC et sur la part qu'elles ont prise à la réussite du dispositif.
Par le maintien d'une pression constante sur les établissements financiers, par la diffusion de notes, de questionnaires et de guides d'application aux acteurs de la place, l'ACPR s'est pleinement investie dans sa nouvelle mission, comme en témoignent les lourdes sanctions infligées à certains assureurs en 2014 et 2015. L'ACPR poursuivra ce travail de mise en conformité des pratiques en 2017, avec le contrôle des établissements bancaires.
Enfin, je tiens tout spécialement à saluer l'investissement de la Caisse des dépôts, qui est le véritable pivot du dispositif – Marc Goua, membre de la commission de surveillance de la Caisse, sera enchanté de constater que la Caisse travaille très bien. Depuis le début du mois de janvier, un site internet, ciclade.caissedesdepots.fr, est accessible au grand public. Incrémenté régulièrement en fonction des données transmises par les établissements, il permet à chacun, de savoir si oui ou non il est le potentiel bénéficiaire d'une somme qui aurait été déposée à la Caisse. Après un bref rodage, ce site pédagogique, didactique et convivial est désormais pleinement opérationnel.
Chacun peut y faire des recherches, à partir de quelques renseignements personnels – le nom, la date de naissance… Vous n'aurez pas de réponse très détaillée, mais vous pourrez savoir si un compte demeure ouvert au nom d'une personne décédée et, le cas échéant, entamer des démarches auprès d'un organisme bancaire, si vous savez à peu près auquel vous adressez, ou de la CDC. La procédure qui s'ouvre alors n'est pas très compliquée. Je vous invite, chers collègues, à communiquer sur ce sujet, qui n'est pas politique, et pas non plus polémique.
À l'agence bancaire dont je suis client, j'ai moi-même entendu une dame s'indigner, après avoir reçu une lettre faisant état d'un compte inactif, du risque que « ce gouvernement » lui prenne son argent. La personne qui l'accueillait, ne connaissant pas forcément le dispositif, lui a répondu qu'elle avait bien fait de venir, car « ils sont bien obligés de regarder tout ce qui peut être récupéré » ! J'ai vraiment senti qu'il était nécessaire de communiquer au plus vite… Communiquez, chers collègues, dites que l'État n'a aucune intention de s'approprier des sommes qui ne lui appartiennent pas, et qu'il avait en revanche le devoir de faire en sorte que ceux à qui elles reviennent puissent les récupérer – lui-même ne les récupérant que s'il n'y a personne pour les récupérer.
L'entrée en vigueur de la loi du 13 juin 2014 a donc entraîné une mobilisation massive tant des autorités publiques que des établissements financiers, en raison du stock très important de contrats non réglés ou inactifs qui n'avaient jusqu'alors fait l'objet que de peu d'attention. Le traitement de ce passif a nécessité l'élaboration de procédures, le développement de systèmes informatiques et la mobilisation de moyens humains conséquents, qui permettront désormais d'améliorer et de fluidifier le traitement des nouveaux dossiers. De ce point de vue, la loi Eckert a enclenché un mécanisme vertueux de prise en compte et de traitement rapide des situations de déshérences passées, présentes et à venir. Nous pouvons donc nous féliciter d'avoir adopté cette loi à l'unanimité.