Intervention de Philip Cordery

Réunion du 21 février 2017 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery :

La mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations, présidée et rapportée par le président Claude Bartolone, a adopté mercredi dernier son rapport, intitulé « Brexit, un défi pour l'Union européenne ». En tant que Vice-président de cette mission de la conférence des présidents, mandaté par notre commission, je souhaitais vous rendre compte de ses travaux et vous présenter ses recommandations.

De septembre à janvier, nous avons auditionné trente personnes à Paris, dont quatre membres du Gouvernement, et nous avons effectué quatre déplacements à l'étranger, à Londres, à Bruxelles, à Berlin et à Francfort. Tout au long de ces travaux, nous avons pu observer l'évolution progressive de la position du gouvernement britannique. Dès l'automne, nous avons pu constater que la polarisation entre « Brexiteers » et « Remainers » avait laissé place à l'opposition entre partisans d'un « hard » ou d'un « soft » Brexit.

Mi-janvier, la Première ministre est finalement sortie de sa réserve pour tracer les grandes lignes des positions de négociations du Royaume-Uni, confirmant cette hypothèse d'un Brexit « dur », orientations réaffirmées par le Livre Blanc transmis au Parlement le 2 février dernier. Le gouvernement britannique doit désormais déclencher la procédure de retrait au mois de mars. Que se passera-t-il une fois cette étape décisive franchie ?

Le Conseil européen devra d'abord, par consensus et à Vingt-Sept, fixer des orientations de négociation. Chaque État membre aura donc de fait un droit de veto. Sur la base d'une recommandation de la Commission européenne, le Conseil adoptera ensuite, à la majorité qualifiée, le mandat de négociation qui sera confié à Michel Barnier. Son équipe, chargée de la conduite des négociations, travaillera sous le contrôle étroit du Conseil européen. La négociation doit se dérouler dans un délai maximum de deux ans à compter de la notification. À l'issue de ce délai, trois hypothèses sont envisageables : soit un accord de retrait est conclu, soit le Conseil européen décide, à l'unanimité, de proroger ce délai, soit le retrait du Royaume-Uni se fait automatiquement, sans accord.

Le rapport que nous avons adopté insiste sur la distinction que nous devons faire entre l'accord de retrait lui-même et l'accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union. La négociation qui se déroule selon la procédure et les modalités prévues à l'article 50 devra porter uniquement sur les modalités du retrait sur les plans institutionnels, budgétaire et administratif. La question de la « facture » du Brexit sera sans doute le point le plus sensible de ces négociations. Cette facture est estimée à environ soixante milliards d'euros. Ce n'est pas un divorce à l'amiable, mais un départ unilatéral : les engagements financiers pris par les Britanniques devront donc être respectés. Nous aurions pu rajouter à ces soixante milliards des dommages et intérêts, au vu du temps qu'occupera la gestion du Brexit, et pendant lequel on ne fera pas autre chose !

L'accord de retrait devra également régler les questions de frontière. Outre la question de Gibraltar, il y a celles des bases militaires britanniques situées sur territoire souverain britannique à Chypre et, surtout, de l'Irlande. Le retour sur l'île d'une frontière dont le franchissement serait contrôlé constitue un enjeu majeur dans un territoire où une « Common travel area » existe depuis 1922, et pourrait menacer la paix. Nous devrons être très vigilants sur ce dernier point. L'Union européenne représente un fort symbole de paix, et l'on sait le poids qu'elle a joué dans l'accord de paix irlandais.

Mais cet accord sur le « divorce » n'a pas vocation à régler la question des relations futures, même si le traité prévoit qu'il est conclu avec l'État concerné « en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union ». Politiquement, la négociation concomitante des deux accords ouvrirait la porte à un « chantage » britannique, en permettant au Royaume-Uni de soumettre son accord sur les modalités du retrait à l'obtention de conditions avantageuses sur la relation future. Techniquement, il paraît impossible de conclure ces deux accords en deux ans, au vu de la durée nécessaire pour conclure à Vingt-Huit des accords de libre-échange pourtant beaucoup moins complexes. Nous devrons donc nous efforcer d'aller le plus vite possible pour mettre fin aux incertitudes dont souffrent les citoyens et les agents économiques.

Évidemment, les discussions sur les deux sujets ne peuvent pas non plus être complètement dissociées. Il nous faudra savoir vers où nous allons pour bâtir certains éléments de l'accord de retrait et prévoir, si nécessaire, des dispositions transitoires. Les deux accords ont également des conséquences différentes sur l'association des parlements nationaux.

En effet, contrairement à l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union, le retrait d'un État ne nécessite pas la ratification des autres États membres. Si un accord de retrait est conclu, il devra être approuvé par le Royaume-Uni, par le Parlement européen, à la majorité simple, et par le Conseil, à la majorité qualifiée. L'approbation des parlements nationaux ne sera pas nécessaire.

En revanche, les parlements nationaux voteront sur l'accord définissant le nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, car il s'agira très probablement d'un accord mixte. Une association insuffisante des parlements nationaux en amont ferait courir un risque inutile sur l'issue du vote final.

Le Parlement, et en premier lieu notre commission, devront donc être informés au plus près de l'évolution des négociations pendant toute leur durée. Notre mission recommande aussi que le Parlement puisse s'exprimer sur l'accord de retrait avant son adoption par le Conseil, au moyen d'un débat avec vote, comme le permet l'article 50-1 de la Constitution.

Sur le fond, face à cette situation sans précédent, tout doit être fait pour que la sortie britannique soit aussi peu douloureuse que possible, pour notre pays mais aussi pour l'Union. Notre rapport définit donc des « lignes rouges » pour la conduite des négociations.

Pour mémoire, trois principes fondamentaux ont été affirmés par les Vingt-Sept depuis le mois de juin : pas de négociations sans notification ; l'acceptation de chacune des quatre libertés est une condition de l'accès au marché unique ; les négociations ne sauraient aboutir à ce qu'un État tiers bénéficie d'un régime aussi avantageux qu'un État membre.

Notre rapport soutient fermement ces principes, et appelle l'attention sur deux points. Tout d'abord, l'Union est un ensemble issu d'une multitude de points d'équilibre, les négociations ne doivent pas remettre en cause ni sa cohérence, ni sa solidité. Ensuite, la cohésion des Vingt-Sept sera une condition absolument déterminante de la réussite de ces négociations pour l'Union.

Pour des deux raisons, il nous semble notamment primordial de promouvoir une approche globale des négociations, et d'éviter autant que possible de conduire des négociations « secteur par secteur ». Pour préserver la construction européenne, il faudra en outre éviter de jeter toutes nos forces dans ces négociations, car l'Union européenne a beaucoup à faire par ailleurs. Au-delà du souci de faire progresser la construction européenne dès à présent, nous devrons également, tout au long de ces négociations, conserver à l'esprit les perspectives d'évolution future de l'Union : il faudra veiller très attentivement à ce que le résultat des négociations n'affaiblisse pas notre capacité à faire progresser le projet européen.

Au-delà de ces « lignes rouges », nous devrons chercher à obtenir les meilleurs accords possibles. Bien sûr, nous avons intérêt à trouver un accord avec le Royaume-Uni pour favoriser le plus possible nos relations commerciales. Aujourd'hui, aucun pays tiers ne bénéficie d'un statut tel que le statut très spécial et très avantageux souhaité par le Royaume-Uni. Mais aucun de ces pays ne dispose d'un poids équivalent à celui du Royaume-Uni dans l'économie européenne et mondiale ! Il va donc de soi qu'un accord final sera nécessairement sur mesure. Mais l'erreur serait d'entrer dans la négociation en proposant une solution essayant directement de répondre aux demandes du Royaume-Uni : rappelons tout de même que 44 % des exportations britanniques sont aujourd'hui dirigées vers le marché intérieur. Les Britanniques auront évidemment besoin de l'accès à ce marché. En revanche, notre rapport identifie deux sujets sur lesquels les négociations avec le Royaume-Uni doivent absolument aboutir à une situation qui ne fasse aucun perdant.

La priorité absolue sera de trouver le plus tôt possible un accord protégeant les citoyens expatriés des deux côtés de la Manche, parfois depuis très longtemps, pour éviter des situations humaines qui pourraient être très douloureuses. Plus de quatre millions de citoyens sont ainsi directement concernés par le « Brexit », et vivent aujourd'hui dans l'incertitude la plus totale. Nous proposons dans le rapport que la continuité du droit au séjour soit garantie sans conditions aux expatriés résidant depuis plus de cinq ans dans leur pays d'accueil. Par ailleurs, des droits spécifiques devront être octroyés aux citoyens ne répondant pas à cette condition mais s'étant installés dans un autre État de l'Union européenne avant que les Britanniques ne choisissent de quitter l'Union. Il faudra être très vigilants quant à la continuité de leurs droits sociaux.

Enfin, dans un contexte où des menaces graves pèsent sur notre sécurité, il est dans l'intérêt de tous que les Britanniques restent un partenaire privilégié de l'Union mais aussi de la France dans ce domaine.

N'oublions pas que c'est, avec la France, le seul État membre de l'Union disposant d'un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, le seul doté de l'arme nucléaire et le seul à fournir un effort de défense supérieur à 2 % de PIB. Nous devrons donc trouver les moyens d'une coopération intense sur les sujets de sécurité intérieure et extérieure, à la fois entre le Royaume-Uni et l'Union et dans nos relations bilatérales.

Voilà, mes chers collègues, la synthèse des conclusions de ce rapport très intense que je vous invite à lire. J'ai également proposé lors de la réunion conclusive de la mission d'information que nous continuions à suivre, lors des semaines qui viennent, les évolutions du dossier au sein de notre commission, puisque, même si la séance est suspendue à partir de demain, les commissions peuvent se réunir dans cette période. Il faudra pouvoir réunir notre commission pour suivre de près l'évolution des négociations entre maintenant et le mois de juin.

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