COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 21 février 2017
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 17 heures
I. Communication de la présidente Danielle Auroi, au titre du contrôle de subsidiarité, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'application de la directive 2006123CE relative aux services dans le marché intérieur, établissant une procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services (COM(2016) 821 final), et sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions (COM(2016) 822 final)
Nous sommes à ce stade saisis au titre du contrôle de subsidiarité –dit de l' » alerte précoce »– sur ces deux textes. Compte tenu du délai strict de huit semaines suivant la transmission auquel, selon les termes du traité de Lisbonne, est soumis le contrôle de subsidiarité, il m'est apparu important que nous ayons un échange à ce propos, avant la fin de la session.
Pour ce qui est du premier texte, il s'agit de moderniser et de pallier les dysfonctionnements actuels du système de notification par les États à la Commission européenne, des réglementations pouvant avoir un impact sur le marché intérieur des services, préalablement à l'adoption de ces réglementations. Le système proposé est comparable à la procédure de notification qui existe actuellement pour les biens et pour les services de la société de l'information. Cette proposition de directive intervient dans un cadre plus large : celui du « paquet services », communiqué en janvier dernier.
Les textes proposés contiennent de nombreux éléments sur lesquels il me semble que de fortes réserves devront être exprimées, sur le fond.
En effet, le premier texte, introduisant un nouveau système de notification, pourrait notamment comporter des conséquences négatives pour le bon exercice de la procédure législative nationale. En particulier, l'exigence d'un délai de trois mois de pause pour les mesures notifiées poserait clairement un problème pour le législateur. Par ailleurs, l'extension du champ de la directive services qu'autorise ce « paquet » semble exorbitante et mériterait d'être revue.
Le second texte, porte, quant à lui, sur un processus d'évaluation de la proportionnalité des réglementations relatives aux services lorsque les Etats membres en adoptent de nouvelles ou modifient les textes existants dans ce domaine. Il s'agit de la codification d'une jurisprudence constante de la CJUE quant à l'examen des règles nationales par rapport aux libertés d'établissement et de circulation des services. Ce test de proportionnalité paraît là-aussi faire peser des contraintes excessives dans l'exercice de la fabrique de la loi.
En revanche, ces textes ne me semblent pas poser de difficulté quant à la question de la subsidiarité proprement dite, que nous devons examiner aujourd'hui. Ces deux propositions de directive visent en effet l'approfondissement du marché intérieur, en l'occurrence des services, par des dispositifs qui ne peuvent être mis en oeuvre qu'à l'échelle européenne.
L'objectif poursuivi par la procédure de notification est de s'assurer que les mesures édictées par les États membres n'entraînent aucune forme de discrimination ou de contrainte disproportionnée, s'agissant du marché intérieur, et en particulier des libertés d'établissement et de circulation des services. Le but du second texte est de s'assurer en amont que les mesures de règlementation envisagées par les Etats membres ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre leurs objectifs, et ce afin d'éviter la fragmentation du marché unique. Or, une action isolée de la part des seuls États membres ne suffira clairement pas pour mettre en place un cadre juridique cohérent à l'échelle de l'Union européenne en ce qui concerne l'évaluation du caractère proportionné des réglementations nationales envisagées.
Je vous rappelle que le traité prévoit, en son article 5, qu' » en vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres ».
Dans le cas des textes dont nous sommes saisis, il est difficile d'estimer que les Etats membres pourraient, mieux que l'Union, de façon indépendante les uns des autres, mettre en oeuvre ces procédures ou, plus largement, atteindre les objectifs de l'action envisagée d'une manière satisfaisante.
C'est pourquoi je ne vous propose pas, en l'occurrence, de reprendre la position du Sénat, qui a émis, pour sa part, jeudi dernier, un avis motivé de subsidiarité sur ces deux textes.
Il me semble en effet sage de respecter les termes du traité et ne pas détourner le contrôle de subsidiarité de son objectif, en en faisant un moyen de s'opposer au fond des textes.
C'est la ligne qu'a toujours suivie notre commission en la matière, depuis l'entrée en vigueur du contrôle de subsidiarité en 2009. S'agissant des autres parlements de l'Union, en l'état des informations dont nous disposons aujourd'hui, il n'y a pas d'autre avis de subsidiarité qui ait été engagé sur ce texte. Le Bundestag seul envisagerait d'en adopter à l'heure actuelle.
Je ne vous propose donc pas d'adopter des avis de subsidiarité sur ces propositions de directives.
Sur le fond, au-delà du contrôle de subsidiarité, il faudra toutefois, bien sûr, que notre assemblée soit très vigilante dans le cadre de la négociation qui va s'ouvrir sur ces textes avec nos partenaires, au Conseil, et avec le Parlement européen.
C'est pourquoi, alors même que nous sommes dans les phases préliminaires des négociations sur cet ensemble de propositions législatives, il me semble qu'une mission d'information de notre commission serait nécessaire dès le début de la prochaine législature. L'impact en termes de calendrier législatif, comme la définition de la proportionnalité et le champ des directives envisagées, constituent autant de points auxquels de futurs travaux devront consacrer une attention soutenue.
Merci Madame la Présidente. Je voulais vous remercier d'avoir saisi cette opportunité pour donner une présentation sage, juste mais aussi inquiétante.
Ces deux directives ne sont pas anodines. Lorsqu'on regarde ces deux textes qui relèvent du « paquet services » qui a été présenté par la Commission européenne en janvier, on voit bien qu'ils s'inscrivent dans la volonté de libérer la croissance dans le secteur des services, via un approfondissement, justement, du marché intérieur. Cette ligne est traduite dans la stratégie pour le marché unique qui a été annoncée. Les deux propositions de directive sont les derniers éléments en date puisqu'elles datent de Janvier.
Sur le premier texte, vous l'avez dit, Madame la Présidente, il s'agit d'une modernisation du système de notification en matière de services. Cependant, vous l'avez aussi signalé, il demeure des inquiétudes sur le fond. Ce sont des points qui motivent un avis d'infraction au principe de subsidiarité. D'un côté, l'extension démesurée du champ de la directive est un motif d'inquiétude, puisqu'elle pourrait limiter d'autant le champ d'intervention des États membres. Mais il y a aussi des contraintes qui pèsent sur la procédure parlementaire, qui pourraient s'avérer délétères. Pour ce qui est du droit d'amendement, par exemple, le délai proposé de trois mois implique que les parlementaires qui voudront exercer cette prérogative entraîneront une nouvelle notification. L'impossibilité, aussi, pour un État membre, d'appliquer une réglementation, lorsque la Commission Européenne l'alerte, pendant trois mois, peut aussi entrer en contradiction avec le calendrier parlementaire.
Au niveau de l'Allemagne, il y a aussi des inquiétudes et le Bundestag a été saisi ; d'autres États seront saisis. On peut donc craindre des risques quant à la bonne application de la loi. Juridiquement parlant, ce n'est peut-être pas suffisant mais politiquement, sur le fond, c'est très inquiétant. D'une part, nous souhaitons émettre un avis négatif et je partage votre proposition de faire en sorte qu'une mission d'information soit mise en place dès la nouvelle mandature.
Sur le second texte, c'est un peu différent. Il y a des éléments sur le plan juridique qui peuvent poser encore plus de questions. Dans le domaine des professions réglementées, pourrait être menacé aussi le bon exercice des règles, pourtant parfois mieux mis en oeuvre à l'échelle nationale, en conformité avec l'article 5 du TUE. En matière de santé comme en matière de tourisme ou d'enseignement, les États conservent une pleine compétence, là où l'Union n'intervient qu'à titre d'appui. Un contrôle de proportionnalité ex ante pourrait donc contraindre l'exécution d'objectifs nationaux tels que la protection la plus haute possible de la santé humaine. Il y a là des questions inquiétantes.
De plus, est mentionné dans la directive que « les objectifs de la présente directive, à savoir la suppression des restrictions disproportionnées à l'accès aux professions réglementées ou à leur exercice, ne peuvent pas être atteints d'une manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison des dimensions de l'action, être mieux réalisés au niveau de l'Union ». Rien ne le prouve. La Commission européenne fait appel à des études indépendantes mais lesquelles ? Le lobbying demeure très présent au niveau européen, on l'a évoqué dernièrement dans la commission. Il y a plusieurs aspects dans cette directive qui motivent notre démarche et qui nous font dire aujourd'hui qu'il serait mieux de porter un avis négatif motivé sur ces deux textes.
Nous avons travaillé ensemble sur deux propositions d'avis subsidiarité qui sont présentées ici. La première sur la directive relative à la notification et l'autre sur le contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions. On a rappelé, dans le premier avis le fait que la procédure de notification proposée entrave l'exercice du pouvoir législatif de telle sorte qu'une règle nationale qui pourrait mieux atteindre les objectifs de réglementation des activités de service pourrait être privée d'opposabilité. On a aussi rappelé que la mise en place d'une action préventive interdisant la mise en oeuvre d'une mesure notifiée contraignait excessivement les capacités d'intervention des États membres. La position de la Commission Européenne ne justifie également pas suffisamment en quoi la modernisation de la procédure de notification permettrait de mieux satisfaire l'objectif d'approfondissement du marché intérieur des services à l'échelle de l'Union. C'est pour cette raison-là qu'on estime que la proposition de directive précitée n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Telle est la proposition de l'avis pour le premier texte.
En ce qui concerne le second texte, on a relevé que la Commission européenne estimait que la réglementation par voie d'activité réservée ne devait être utilisée que si les mesures visent à prévenir le risque d'une atteinte grave aux objectifs d'intérêt général. On a rappelé que la Commission Européenne estime que la suppression des restrictions proportionnées à l'accès aux professions réglementées, ou à leur exercice, ne peut être une mise en oeuvre d'une manière suffisante par les États membres. Considérant que la proposition de directive étend le champ du contrôle de proportionnalité aux professions réglementées qui relèvent du champ d'application de la directive de 2005 ; et considérant aussi que le contrôle de proportionnalité proposé pourrait atteindre la capacité des États membres de mettre en oeuvre des réglementations en matière de santé, de tourisme, d'enseignement et, enfin, que l'action de l'Union dans les domaines de la protection de l'amélioration de la santé humaine et le tourisme ne doit que compléter celle des États membres, il apparaît que la proposition de directive précitée n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Cela nous permet, à la fois sur le plan juridique pour le deuxième texte et sur le plan politique sur les deux textes, de donner un signal. On est en fin de mandature. Je pense que c'était important et sage de notre part de rappeler ces sujets fortement politiques. Ce n'est pas le moment de se diviser entre États membres.
Nous avons donc les mêmes inquiétudes sur le fond. J'étais sur la démarche, c'est là notre différence. C'est un choix politique que vous faites, avec cette démarche qui porte plutôt sur le fond et qui est tout à fait respectable. Je m'abstiendrais sur ces deux propositions d'avis subsidiarité présentées par Marietta Karamanli.
Il était tout de même important d'avoir cet échange. Je propose de mettre aux voix ces propositions d'avis subsidiarité.
Puis la commission a adopté les deux propositions de résolution, portant avis de subsidiarité, suivantes :
– Sur la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'application de la directive 2006123CE relative aux services dans le marché intérieur, établissant une procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services (COM(2016) 821 final)
« L'Assemblée nationale,
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Vu l'article 151-9 du règlement de l'Assemblée nationale,
Vu les articles 5 et 7 du Traité sur l'Union européenne,
Vu l'article 3 du protocole no 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu le protocole no 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur l'application de la directive 2006123CE relative aux services dans le marché intérieur, établissant une procédure de notification des régimes d'autorisation et des exigences en matière de services, et modifiant la directive 2006123CE et le règlement (UE) nº 10242012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur COM(2016) 821 final,
Considérant que la procédure de notification proposée entrave l'exercice du pouvoir législatif de telle sorte qu'une règle nationale qui pourrait permettre de mieux atteindre des objectifs de réglementation des activités de service pourrait être privée d'opposabilité,
Considérant, en particulier, que la mise en place d'une action préventive interdisant la mise en oeuvre d'une mesure notifiée contraint excessivement les capacités d'intervention des États membres,
Considérant que la proposition de la Commission européenne ne justifie pas suffisamment en quoi la modernisation de la procédure de notification permettrait de mieux satisfaire l'objectif d'approfondissement du marché intérieur des services à l'échelle de l'Union,
Estime ainsi que la proposition de directive précitée n'est pas conforme au principe de subsidiarité. »
– Sur la proposition de résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions (COM(2016) 822 final)
« L'Assemblée nationale,
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Vu l'article 151-9 du règlement de l'Assemblée nationale,
Vu les articles 5 et 7 du traité sur l'Union européenne,
Vu les articles 6 et 168 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu l'article 3 du protocole no 1 sur le rôle des parlements nationaux annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu le protocole no 2 sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité annexé au traité sur l'Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
Vu la directive 200536CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles,
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un contrôle de proportionnalité avant l'adoption d'une nouvelle réglementation de professions, COM(2016) 822 final,
Considérant que la Commission européenne estime que la réglementation par voie d'activités réservées ne devrait être utilisée que si les mesures visent à prévenir le risque d'une atteinte grave à des objectifs d'intérêt général,
Considérant, également, que la Commission estime que la suppression des restrictions disproportionnées à l'accès aux professions réglementées ou à leur exercice ne peut pas être mise en oeuvre d'une manière suffisante par les États membres,
Considérant que la proposition de directive étend le champ du contrôle de proportionnalité aux professions réglementées qui relèvent du champ d'application de la directive 200536CE,
Considérant que le contrôle de proportionnalité proposé pourrait atteindre la capacité des États membres de mettre en oeuvre des réglementations en matière de santé ou de tourisme,
Considérant que l'action de l'Union, dans les domaines de la protection et l'amélioration de la santé humaine et le tourisme, ne doit que compléter celle des États membres,
Estime ainsi que la proposition de directive précitée n'est pas conforme au principe de subsidiarité. »
II. Communication de M. Philip Cordery sur les travaux de la mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations
La mission d'information sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations, présidée et rapportée par le président Claude Bartolone, a adopté mercredi dernier son rapport, intitulé « Brexit, un défi pour l'Union européenne ». En tant que Vice-président de cette mission de la conférence des présidents, mandaté par notre commission, je souhaitais vous rendre compte de ses travaux et vous présenter ses recommandations.
De septembre à janvier, nous avons auditionné trente personnes à Paris, dont quatre membres du Gouvernement, et nous avons effectué quatre déplacements à l'étranger, à Londres, à Bruxelles, à Berlin et à Francfort. Tout au long de ces travaux, nous avons pu observer l'évolution progressive de la position du gouvernement britannique. Dès l'automne, nous avons pu constater que la polarisation entre « Brexiteers » et « Remainers » avait laissé place à l'opposition entre partisans d'un « hard » ou d'un « soft » Brexit.
Mi-janvier, la Première ministre est finalement sortie de sa réserve pour tracer les grandes lignes des positions de négociations du Royaume-Uni, confirmant cette hypothèse d'un Brexit « dur », orientations réaffirmées par le Livre Blanc transmis au Parlement le 2 février dernier. Le gouvernement britannique doit désormais déclencher la procédure de retrait au mois de mars. Que se passera-t-il une fois cette étape décisive franchie ?
Le Conseil européen devra d'abord, par consensus et à Vingt-Sept, fixer des orientations de négociation. Chaque État membre aura donc de fait un droit de veto. Sur la base d'une recommandation de la Commission européenne, le Conseil adoptera ensuite, à la majorité qualifiée, le mandat de négociation qui sera confié à Michel Barnier. Son équipe, chargée de la conduite des négociations, travaillera sous le contrôle étroit du Conseil européen. La négociation doit se dérouler dans un délai maximum de deux ans à compter de la notification. À l'issue de ce délai, trois hypothèses sont envisageables : soit un accord de retrait est conclu, soit le Conseil européen décide, à l'unanimité, de proroger ce délai, soit le retrait du Royaume-Uni se fait automatiquement, sans accord.
Le rapport que nous avons adopté insiste sur la distinction que nous devons faire entre l'accord de retrait lui-même et l'accord sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union. La négociation qui se déroule selon la procédure et les modalités prévues à l'article 50 devra porter uniquement sur les modalités du retrait sur les plans institutionnels, budgétaire et administratif. La question de la « facture » du Brexit sera sans doute le point le plus sensible de ces négociations. Cette facture est estimée à environ soixante milliards d'euros. Ce n'est pas un divorce à l'amiable, mais un départ unilatéral : les engagements financiers pris par les Britanniques devront donc être respectés. Nous aurions pu rajouter à ces soixante milliards des dommages et intérêts, au vu du temps qu'occupera la gestion du Brexit, et pendant lequel on ne fera pas autre chose !
L'accord de retrait devra également régler les questions de frontière. Outre la question de Gibraltar, il y a celles des bases militaires britanniques situées sur territoire souverain britannique à Chypre et, surtout, de l'Irlande. Le retour sur l'île d'une frontière dont le franchissement serait contrôlé constitue un enjeu majeur dans un territoire où une « Common travel area » existe depuis 1922, et pourrait menacer la paix. Nous devrons être très vigilants sur ce dernier point. L'Union européenne représente un fort symbole de paix, et l'on sait le poids qu'elle a joué dans l'accord de paix irlandais.
Mais cet accord sur le « divorce » n'a pas vocation à régler la question des relations futures, même si le traité prévoit qu'il est conclu avec l'État concerné « en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l'Union ». Politiquement, la négociation concomitante des deux accords ouvrirait la porte à un « chantage » britannique, en permettant au Royaume-Uni de soumettre son accord sur les modalités du retrait à l'obtention de conditions avantageuses sur la relation future. Techniquement, il paraît impossible de conclure ces deux accords en deux ans, au vu de la durée nécessaire pour conclure à Vingt-Huit des accords de libre-échange pourtant beaucoup moins complexes. Nous devrons donc nous efforcer d'aller le plus vite possible pour mettre fin aux incertitudes dont souffrent les citoyens et les agents économiques.
Évidemment, les discussions sur les deux sujets ne peuvent pas non plus être complètement dissociées. Il nous faudra savoir vers où nous allons pour bâtir certains éléments de l'accord de retrait et prévoir, si nécessaire, des dispositions transitoires. Les deux accords ont également des conséquences différentes sur l'association des parlements nationaux.
En effet, contrairement à l'adhésion de nouveaux États membres à l'Union, le retrait d'un État ne nécessite pas la ratification des autres États membres. Si un accord de retrait est conclu, il devra être approuvé par le Royaume-Uni, par le Parlement européen, à la majorité simple, et par le Conseil, à la majorité qualifiée. L'approbation des parlements nationaux ne sera pas nécessaire.
En revanche, les parlements nationaux voteront sur l'accord définissant le nouveau partenariat entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, car il s'agira très probablement d'un accord mixte. Une association insuffisante des parlements nationaux en amont ferait courir un risque inutile sur l'issue du vote final.
Le Parlement, et en premier lieu notre commission, devront donc être informés au plus près de l'évolution des négociations pendant toute leur durée. Notre mission recommande aussi que le Parlement puisse s'exprimer sur l'accord de retrait avant son adoption par le Conseil, au moyen d'un débat avec vote, comme le permet l'article 50-1 de la Constitution.
Sur le fond, face à cette situation sans précédent, tout doit être fait pour que la sortie britannique soit aussi peu douloureuse que possible, pour notre pays mais aussi pour l'Union. Notre rapport définit donc des « lignes rouges » pour la conduite des négociations.
Pour mémoire, trois principes fondamentaux ont été affirmés par les Vingt-Sept depuis le mois de juin : pas de négociations sans notification ; l'acceptation de chacune des quatre libertés est une condition de l'accès au marché unique ; les négociations ne sauraient aboutir à ce qu'un État tiers bénéficie d'un régime aussi avantageux qu'un État membre.
Notre rapport soutient fermement ces principes, et appelle l'attention sur deux points. Tout d'abord, l'Union est un ensemble issu d'une multitude de points d'équilibre, les négociations ne doivent pas remettre en cause ni sa cohérence, ni sa solidité. Ensuite, la cohésion des Vingt-Sept sera une condition absolument déterminante de la réussite de ces négociations pour l'Union.
Pour des deux raisons, il nous semble notamment primordial de promouvoir une approche globale des négociations, et d'éviter autant que possible de conduire des négociations « secteur par secteur ». Pour préserver la construction européenne, il faudra en outre éviter de jeter toutes nos forces dans ces négociations, car l'Union européenne a beaucoup à faire par ailleurs. Au-delà du souci de faire progresser la construction européenne dès à présent, nous devrons également, tout au long de ces négociations, conserver à l'esprit les perspectives d'évolution future de l'Union : il faudra veiller très attentivement à ce que le résultat des négociations n'affaiblisse pas notre capacité à faire progresser le projet européen.
Au-delà de ces « lignes rouges », nous devrons chercher à obtenir les meilleurs accords possibles. Bien sûr, nous avons intérêt à trouver un accord avec le Royaume-Uni pour favoriser le plus possible nos relations commerciales. Aujourd'hui, aucun pays tiers ne bénéficie d'un statut tel que le statut très spécial et très avantageux souhaité par le Royaume-Uni. Mais aucun de ces pays ne dispose d'un poids équivalent à celui du Royaume-Uni dans l'économie européenne et mondiale ! Il va donc de soi qu'un accord final sera nécessairement sur mesure. Mais l'erreur serait d'entrer dans la négociation en proposant une solution essayant directement de répondre aux demandes du Royaume-Uni : rappelons tout de même que 44 % des exportations britanniques sont aujourd'hui dirigées vers le marché intérieur. Les Britanniques auront évidemment besoin de l'accès à ce marché. En revanche, notre rapport identifie deux sujets sur lesquels les négociations avec le Royaume-Uni doivent absolument aboutir à une situation qui ne fasse aucun perdant.
La priorité absolue sera de trouver le plus tôt possible un accord protégeant les citoyens expatriés des deux côtés de la Manche, parfois depuis très longtemps, pour éviter des situations humaines qui pourraient être très douloureuses. Plus de quatre millions de citoyens sont ainsi directement concernés par le « Brexit », et vivent aujourd'hui dans l'incertitude la plus totale. Nous proposons dans le rapport que la continuité du droit au séjour soit garantie sans conditions aux expatriés résidant depuis plus de cinq ans dans leur pays d'accueil. Par ailleurs, des droits spécifiques devront être octroyés aux citoyens ne répondant pas à cette condition mais s'étant installés dans un autre État de l'Union européenne avant que les Britanniques ne choisissent de quitter l'Union. Il faudra être très vigilants quant à la continuité de leurs droits sociaux.
Enfin, dans un contexte où des menaces graves pèsent sur notre sécurité, il est dans l'intérêt de tous que les Britanniques restent un partenaire privilégié de l'Union mais aussi de la France dans ce domaine.
N'oublions pas que c'est, avec la France, le seul État membre de l'Union disposant d'un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, le seul doté de l'arme nucléaire et le seul à fournir un effort de défense supérieur à 2 % de PIB. Nous devrons donc trouver les moyens d'une coopération intense sur les sujets de sécurité intérieure et extérieure, à la fois entre le Royaume-Uni et l'Union et dans nos relations bilatérales.
Voilà, mes chers collègues, la synthèse des conclusions de ce rapport très intense que je vous invite à lire. J'ai également proposé lors de la réunion conclusive de la mission d'information que nous continuions à suivre, lors des semaines qui viennent, les évolutions du dossier au sein de notre commission, puisque, même si la séance est suspendue à partir de demain, les commissions peuvent se réunir dans cette période. Il faudra pouvoir réunir notre commission pour suivre de près l'évolution des négociations entre maintenant et le mois de juin.
Bien entendu, s'il y a des éléments nouveaux, nous pourrons nous réunir. J'ai d'ailleurs échangé personnellement avec Michel Barnier récemment qui est prêt également à discuter avec nous dans cette période si nécessaire.
III. Examen du rapport d'information de MM. Jean-Louis Roumégas et Rudy Salles sur le développement durable de la Méditerranée
Je voudrais rappeler d'ores et déjà ce qui était notre démarche pour cette mission d'information. M. Rudy Salles et moi-même voulions faire un état des lieux de l'environnement en Méditerranée, évaluer les politiques publiques menées par l'Union européenne et, faire des propositions, car le travail est encore immense pour la protection de l'environnement du Bassin Méditerranéen. En effet, d'aucuns parlent à raison de « burn out » de la Méditerranée ou pour parler français d'épuisement.
Le Bassin méditerranéen est remarquable par son climat et la mer commune qui relie trois continents, pour son patrimoine et ses paysages culturels et par le sentiment d'appartenances partagées des populations des trois rives au monde méditerranéen.
La Méditerranée ou « mer au milieu des terres » est une mer semi-fermée entourée de vingt-deux pays riverains. Elle représentait en 2015 : 5,7 % des surfaces émergées de la planète ; 8 % de la population mondiale avec 466 millions d'habitants ; 33 % du tourisme international avec 250 millions de visiteurs ; 13 % du PIB mondial ; 60 % des pays pauvres en eau ; 8 % des émissions de CO2.
L'état des lieux de la Méditerranée est alarmant, que ce soit pour les écosystèmes marins qui subissent des pressions toujours plus fortes, ou que ce soit pour les zones humides et lagunes qui font l'interface entre le milieu marin et la terre. Selon le Global Footprint Network, le capital environnemental de la région méditerranéenne est dépensé plus vite qu'il ne se renouvelle. La mer Méditerranée apparaît donc beaucoup plus fragile que l'océan, puisqu'elle constitue un espace clos dont les eaux se renouvellent en un siècle.
La pression démographique et la course à l'urbanisation littorale font que la Méditerranée est victime de pressions convergentes, dont nous avons essayé de faire l'inventaire dans le rapport. Je rappelle que les activités terrestres sont responsables de 80 % de la pollution marine. Ces pressions sont les suivantes :
- les eaux usées, même si l'assainissement s'est notablement amélioré depuis une quinzaine d'années ;
- les pollutions dites « historiques » (pesticides, nickel, mercure, polluants organiques persistants). Il est probable que la pollution des métaux lourds s'accentue en mer, surtout sur la rive nord, pour ce qui est du mercure et du plomb.
- les pollutions émergentes, c'est-à-dire les produits cosmétiques et pharmaceutiques ;
- les déchets, tels que les plastiques notamment, qui font courir un risque de polymérisation du bassin.
- la poussée des phytotoxines dans les lagunes du Bassin.
Voilà pour les menaces terrestres, à quoi s'ajoutent les pressions exercées directement dans le milieu marin.
Premièrement, la pêche professionnelle, et aussi la pêche de loisir, qui est une activité en plein essor. Des études récentes ont montré que les prélèvements de la pêche récréative étaient d'un ordre de grandeur comparable à ceux de la pêche professionnelle aux petits métiers. L'état des stocks halieutiques dans l'ensemble du Bassin est calamiteux : 96 % des stocks de poissons benthiques et 71 % des stocks vivant en pleine eau (sardine et anchois) sont surexploités.
Deuxièmement, l'explosion du trafic maritime et de la plaisance. La Méditerranée est l'une des principales routes maritimes du commerce international par laquelle transite près du tiers des échanges mondiaux.
Troisièmement, le transport maritime est responsable de nombreuses pollutions et perturbations, nuisant gravement aux espèces et aux habitats marins et littoraux : les accidents, un facteur aggravant étant le gigantisme des navires ; les pollutions chroniques que sont les dégazages d'hydrocarbures ; les pollutions aérologiques imputables à la propulsion des navires et les eaux de ballast ; les collisions avec les grands cétacés ; les déchets marins ; enfin le bruit sous-marin qui est omniprésent dans certaines zones de trafic dense.
Quatrièmement, le développement des espèces invasives, dont l'apparition en Méditerranée date de l'ouverture du canal de Suez en 1869, mais dont l'accélération est due en grande partie à l'accroissement du trafic maritime sur une trentaine d'années et aux déballastages.
L'Union européenne a mis en place un arsenal juridique complet pour lutter contre ces pollutions : les directives sur la qualité des eaux – directive « nitrates », directive « eaux résiduaires » –, les directives sur la protection des espèces – oiseaux sauvages, directive Natura 2000 – et récemment les deux directives maritimes : la directive-cadre « stratégie pour le milieu marin » et la directive-cadre « pour la planification de l'espace maritime ».
Les normes de protection instaurées par la politique européenne de l'environnement sont parmi les plus élevées au monde. C'est une référence et un modèle pour irriguer les nombreuses politiques nationales de l'environnement.
Pourtant, l'Agence européenne de l'environnement a constaté dans de nombreux rapports lors des dix dernières années les résultats mitigés de la politique de l'environnement et notamment dans quatre secteurs : la protection de la biodiversité, la qualité du sol, la qualité des eaux et la préservation du milieu côtier et marin.
En outre, le secteur de l'environnement est celui qui suscite le plus grand nombre de cas d'infractions examinées par la Commission : 20 % des infractions, pour transposition tardive ou mauvaise application du droit communautaire. Les difficultés d'application du droit communautaire de l'environnement s'expliquent pour une partie par le caractère transversal de l'enjeu environnemental. En effet La transposition des textes doit faire intervenir au niveau national de nombreux acteurs – ministères, collectivités locales – dont la coordination peut être difficile. Deuxièmement, certaines directives comme les directives « nitrates » et « eaux résiduaires urbaines » alimentent un contentieux important et récurrent car elles impliquent une remise en cause des pratiques agricoles et des investissements importants des collectivités locales. Troisièmement, certaines directives rencontrent encore une opposition de certains, comme la directive « oiseaux sauvages ».
Selon nous, la politique européenne de l'environnement doit passer à une étape supérieure en s'appuyant sur des approches territoriales, croisant protection de l'environnement et protection du littoral, sur des mesures fiscales qui nécessitent cependant l'unanimité au Conseil.
À cet arsenal juridique européen, s'ajoute la politique européenne de la pêche. Le commissaire Vella – chargé de l'environnement, des affaires maritimes et de la pêche – a fait du développement de la pêche durable en Méditerranée la priorité de son mandat. La Présidence maltaise du Conseil a déclaré tout récemment sa priorité, dans le domaine de la pêche, à la surveillance des stocks de poissons, les plans de gestion de certaines espèces très menacées ainsi que les mesures techniques. Le modèle est le plan de gestion adopté pour le thon rouge. En six ans, les stocks de thon rouge ont pu se reconstituer et pourtant les réticences étaient considérables lors de l'adoption de ce plan par l'Europe. Un plan de gestion du stock de l'espadon vient d'être adopté par la Commission pour 2017.
Le bilan esquissé par Jean-Louis Roumégas et moi-même des pressions supportées par la mer Méditerranée et des moyens politiques, juridiques et financiers mis en place par l'Union pour lutter contre ces pollutions, n'incite pas à l'optimisme. Aujourd'hui le risque est grand de ne pas parvenir au « bon état écologique en mer Méditerranée » d'ici 2020 pour sept des onze descripteurs de la Directive-cadre Stratégie pour le milieu marin.
Et pourtant, pour l'avenir, les défis sont considérables. Nous en avons identifié au moins quatre, que je vais rapidement évoqués devant notre commission :
- une gouvernance en matière environnementale dispersée, voire éparpillée. Les enceintes diplomatiques sont multiples et dessinent un schéma complexe, sans cohérence d'ensemble. Pour ce qui est des projets portés par l'Union européenne, nous en avons dénombré pas moins de 84 et seulement pour la Méditerranée occidentale. - Au total, 149 initiatives et projets de coopération liés à la croissance bleue ont été identifiés par nous et là encore pour la Méditerranée occidentale ;
- des efforts de conservation insuffisants, qui font que la biodiversité marine est véritablement menacée ;
- une « Mare nostrum » des scientifiques inexistante et le retard considérable des centres de recherche de la rive Sud ;
- et enfin le défi immense du changement climatique ; la Méditerranée est un « hotspot » du changement climatique. Trois conséquences s'installent sous nos yeux : l'augmentation de la température de l'eau, l'élévation du niveau de la mer et l'acidification de la mer.
La mer Méditerranée est donc en danger. C'est pour cela que nous avons fait dans ce rapport des propositions ambitieuses et fortes qui ont pour but affirmé le bon état écologique de la Méditerranée. Jean- Louis Roumégas et moi-même – malgré nos différences politiques- nous nous sommes entendus sur des propositions communes qui sont au nombre de huit.
Première proposition : rationaliser la gouvernance politique de la protection de l'environnement en Méditerranée. Le manque de cohérence des politiques et l'éparpillement des structures et des financements est ce qui caractérise la gouvernance politique de la protection de l'environnement en Méditerranée. Rationaliser cette gouvernance pourrait passer par l'utilisation d'un outil assez agile sur le plan diplomatique selon de nombreux observateurs : le dialogue 5+5, une enceinte née en 1990 et qui rassemble les Etats membres de l'Ouest méditerranéen (France, Italie, Malte, Espagne et Portugal) et l'Union du Maghreb (Algérie, Libye, Mauritanie, Maroc et Tunisie).
Deuxième proposition : renforcer les coopérations de recherche sur les milieux méditerranéens et amplifier l'effort de recherche dans des domaines-clés.
Il faut :
- renforcer la coopération entre les principaux instituts de recherche des pays de la rive nord ;
- parrainer les centres de recherche publics des États des rives sud et est ;
- systématiser les recherches sur l'effet des polluants sur les milieux marins et en particulier l'effet des polluants émergents ;
- étudier les risques de polymérisation de la mer ;
- lancer un programme de recherches d'ensemble sur les lagunes méditerranéennes qui sont nombreuses dans le bassin (626). Ce sont des milieux fragiles et porteurs de biodiversité ;
- renforcer la recherche sur la biodiversité marine.
Nous proposons également de donner une nouvelle impulsion à la politique des aires marines protégées (AMP).
Les AMP représentent 7,4 % de la Méditerranée, la presque totalité de cette surface étant située dans les eaux européennes. Ce dispositif a rencontré un réel succès : il y maintenant 1231 AMP qui recouvrent une grande variété de désignations.
Les limites de ce dispositif sont importantes : la plupart des AMP connaissent du flou dans la règlementation, les plans de gestion ne sont pas systématiques, un manque de personnel permanent est à regretter, les soutiens financiers sont insuffisants et instables et surtout une surveillance sur le terrain avec des agents ayant des pouvoirs de police est absente dans la majorité des aires.
Pour réactiver cette politique des aires marines protégées, nous proposons d'augmenter les zones de protection renforcée au sein des AMP. Ces zones permettent une protection pleine et optimale. Nous proposons de créer des AMP, d'une part, dans des zones méditerranéennes identifiées comme prioritaires au plan de la préservation de la biodiversité et, d'autre part, en haute mer et en eaux profondes.
-Quatrième proposition : développer les énergies renouvelables et refuser tout nouveau projet pétrolier et gazier offshore.
Cinquième proposition : mettre en place pour la pêche professionnelle une gestion écosystémique des stocks.
En résumé, il faut que l'Union européenne fasse en Méditerranée ce qu'elle a réussi à faire en Atlantique, c'est-à-dire mettre un terme à la surpêche.
Pour vos rapporteurs, l'objectif le plus immédiat doit être d'éviter l'épuisement des stocks qui se trouvent d'ores et déjà dans un état critique, comme le merlu et l'espadon, en adoptant une méthode socio-économique fondée sur les sciences environnementales, et en garantissant le respect de la législation existante.
À moyen terme, l'objectif est de développer et de mettre en oeuvre des mesures efficaces qui garantiront la rentabilité et la stabilité des pêcheries dans une Méditerranée saine et durable :
– la protection de la pêche artisanale dite « aux petits métiers », dont les pratiques sont les plus compatibles avec une exploitation durable des ressources halieutiques ;
– la mise en oeuvre de la réforme de la Politique Commune des Pêches (PCP) au travers de plans de gestions à long terme ;
– la contribution de la France à la meilleure gestion des stocks partagés avec les pays du Maghreb et aux plans de gestion régionaux soutenus par la Commission Générale des Pêches pour la Méditerranée (CGPM) ;
– une gestion des stocks d'espèces particulièrement menacées, basée sur les suivis scientifiques par la Commission Internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique (CICTA) comme c'est le cas pour le thon rouge et l'espadon.
Sixième proposition : réguler la pêche récréative et la plaisance :
– un suivi effectif de la pêche récréative, de ses pratiques et de ses prélèvements afin de mieux évaluer son impact sur la ressource halieutique ;
– la mise en place d'un permis de pêche ;
– la mise en oeuvre de réglementations visant à limiter le volume des captures par pêcheur, à garantir des tailles minimales de captures, à encadrer l'usage d'engins sophistiqués trop performants – moulinets électriques, dispositifs électroniques ;
– l'intégration de la pêche plaisancière dans les plans de gestion nationaux et européens de la ressource halieutique ;
– l'obligation d'intégrer dans les cartes marines à bord, les zones de fonds fragiles et protégées afin d'éviter des mouillages destructeurs de ces habitats – herbier de posidonie, collarigène.
Septième proposition : améliorer la régulation et la sécurité du trafic maritime
Il existe indéniablement dans le bassin méditerranéen des zones de trafic dangereuses que nous avons identifiées comme telles : le triangle Toscane-Marseille-Corse, le détroit de Messine, le détroit du Bosphore. De la même façon, la mer Egée est connue pour les nombreux accidents de navires qui s'y produisent. Le trafic pétrolier étant censé s'intensifier, la zone devra bénéficier d'une attention particulière.
Il faut privilégier :
– une meilleure prévention des accidents par l'amélioration du contrôle des navires par l'État du port et de la responsabilité de l'État du pavillon, et par une meilleure anticipation de l'augmentation du trafic – notamment celui des substances nocives et potentiellement dangereuses ;
– la lutte contre les espèces invasives par l'application de la Convention sur les eaux de ballast et l'application des directives de l'OMI ;
– l'adhésion des États méditerranéens aux directives de l'OMI concernant le bruit sous-marin avec pour objectif de définir un règlement spécifique pour la Méditerranée ;
– la désignation de la mer Méditerranée comme une zone de contrôle des émissions de soufre (zone SECA) avec un contrôle effectif de la mise oeuvre de cette réduction.
– l'organisation et l'accueil du trafic maritime et le transport des marchandises par la coopération régionale et internationale, plutôt que par la compétition économique entre les ports ;
– la mise en place en Méditerranée d'un réseau de ports refuges disposant des moyens nécessaires pour accueillir les navires en détresse dans des bonnes conditions de sécurité environnementale.
La croissance du trafic maritime génère également des enjeux à terre. Le deuxième point est de réguler la croissance portuaire et d'aménager les ports. Pour s'en assurer, nous proposons les recommandations suivantes :
– éviter l'extension ou la création de nouvelles infrastructures portuaires de commerce en portant les efforts sur l'optimisation de l'existant ;
– améliorer et faciliter l'accueil et le traitement des rejets des navires – déchets et « sludges », en anticipant la croissance attendue du trafic, afin de réduire les rejets en mer ;
– développer des filières de recyclage des boues de dragage pour supprimer progressivement le clapage des boues portuaires contaminées ;
– développer les dispositifs d'alimentation électrique des navires à quai, afin de limiter les émissions.
Et enfin notre huitième proposition qui me tient particulièrement à coeur : mettre en place une gestion intégrée de la zone côtière
Les zones côtières contiennent des écosystèmes-clés qui sont souvent les oubliés de la politique du Littoral. Ce sont les estuaires, les zones humides et les lagunes.
Pour rappel, je dirai que les zones humides constituent l'écosystème qui contribue le plus à la subsistance et au développement humain. Pourtant, paradoxalement, c'est l'écosystème le plus menacé par l'action de l'homme. Les services procurés à l'humanité par les zones humides sont évalués à 15 000 milliards de dollars par an. Ils représentent 45 % des services évalués à ce jour, pour une couverture de seulement 6 % des continents par les zones humides (source CDB).
Les zones humides, représentant environ 15 % du pool de carbone de la biosphère terrestre, sont fortement impliquées dans les changements climatiques et peuvent contribuer à l'adaptation à ces changements.
Malgré les engagements des pays, en particulier dans le cadre de la Convention sur les zones humides d'importance internationale – Ramsar 1971 – et de l'action des ONG, ces milieux continuent à disparaître à un rythme élevé. Les espèces d'eau douce sont extrêmement menacées, probablement davantage que celles des écosystèmes marins et terrestres.
En ce qui concerne les lagunes qui sont très nombreuses en Méditerranée : 626 lagunes, nous n'avons pu que constater leur mauvais état écologique.
Pourtant, leurs bénéfices écologiques sont considérables :
– stabilisation du littoral : les milieux lagunaires atténuent l'érosion d'eau ;
– rôle d'amortisseur climatique : la montée de la mer, rendue inéluctable par le réchauffement climatique, pourrait être amortie par la résilience du littoral laissé à l'état naturel ;
– rôle d'épuration : les lagunes permettent d'épurer une partie des polluants qui proviennent des eaux du bassin-versant ;
– réservoir de biodiversité : zones uniques de ponte pour certaines espèces de poissons et d'oiseaux migrateurs ; par exemple les daurades dans l'Étang de l'Or ;
– rôle clé dans le maintien des stocks halieutiques et pour la pérennité de l'activité de pêche ;
– milieux bénéfiques à certains types d'utilisation agricole, en raison de la richesse en nutriments des lagunes, point d'arrivée des bassins-versants ;
– écosystème mettant à disposition un certain nombre de ressources, les lagunes sont souvent des zones productives : pêche, saliculture, conchyliculture, élevage extensif, exploitation du roseau, viticulture ;
– aspect paysager de qualité.
Quelles sont nos recommandations pour ces écosystèmes ? Nous préconisons principalement de :
- rappeler le rôle des lagunes et de leurs zones humides périphériques et le lien avec la Mer Méditerranée ;
- soutenir le montage de projets de recherche appliquée, en fonction des besoins des gestionnaires sur les zones lagunaires, problématiques sur lesquelles la connaissance est encore trop faible : migrations des poissons à travers les lagunes et leurs zones humides périphériques, flux de pollution notamment agricoles, zones d'alimentation des oiseaux en mer, impact du développement des activités de loisirs etc…Des études sont en cours sur ces sujets autour des étangs palavasiens et nécessiteraient d'être étendues à d'autres territoires.
- encourager les ponts de gouvernance pour les continuités écologiques et hydrologiques et en particulier entre terre et mer
- soutenir les acteurs de l'Éducation à l'Environnement et au Développement Durable.
- conserver des zones vierges et ne pas forcément « remplir » avec de l'activité économique Les réflexions et les décisions doivent là aussi se faire à l'échelle de l'ensemble du littoral et non pas commune par commune.
- mettre en place en contrepartie d'obligations en matière environnementale pour les agriculteurs une indemnité spécifique zones humides inspirée de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) en zone de montagne. Notre collègue le sénateur Bignon propose également ce dispositif.
- consolider les moyens d'action des gestionnaires et la reconnaissance des animateurs Natura 2000.
Enfin et je finirai par ceci, chers collègues, nous devons essayer de limiter au maximum l'artificialisation côtière.
Le protocole relatif à la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) de la Convention de Barcelone doit faire l'objet d'une mise en oeuvre effective dans le bassin méditerranéen.
En France, l'application de la loi « Littoral », et des autres réglementations relatives à la protection des petits fonds côtiers doit être maintenue, voire renforcée dans certains cas, tout comme les acquisitions du Conservatoire du Littoral pour la protection du « tiers sauvage ».
À titre personnel, je m'inquiète de la révision de la loi Littoral découlant de la proposition de loi socialiste pour adapter les territoires littoraux au changement climatique récemment adoptée.
Il est à présent possible, pour les exploitants agricoles, forestiers et de culture marine ayant des difficultés notamment pour relocaliser les installations nécessaires à leur activité, de demander au préfet l'autorisation de s'implanter en discontinuité des agglomérations et villages. Selon moi, cette disposition introduite dans la proposition de loi a brisé un tabou en revenant sur les contraintes de la loi littoral vieille de trente ans.
Je remercie beaucoup les deux rapporteurs pour cet excellent rapport, très dense. C'est un rapport nécessaire et qu'il faudra faire vivre lors de la prochaine législature. Faire vivre ces recommandations, car la mer Méditerranée est en danger. Vos recommandations seront je l'espère portées par nos successeurs au sein de cette commission lors de la prochaine législature. J'espère bien d'ailleurs que certains d'entre nous seront encore au sein de cette commission, pour suivre notamment ces sujets.
Les rapporteurs ont évoqué le burn-out de la Méditerranée, mais on peut aussi parler de burn-out de la terre, en raison d'une monoculture avec des méthodes intensives et une pollution de l'air très inquiétante. Cela pose bien évidemment question quant à notre modèle de développement, qui passe par l'épuisement et la destruction des ressources naturelles. En Méditerranée, le développement de la plaisance crée des pressions sur le milieu côtier et marin comme l'ont indiqué les rapporteurs. Pour éviter cela, il faudrait promouvoir un tourisme vert et écologique.
En juin prochain, aura lieu une grande conférence de l'ONU sur l'avenir des océans. Existe-t-il un objectif de développement durable pour les mers ?
Le sommet mondial de l'ONU pour le développement durable de 2015 a reconnu le rôle central de la conservation marine et a réaffirmé, à travers l'Objectif de Développement Durable (ODD) 14, la nécessité de « conserver et exploiter durablement les océans, les mers et les ressources marines pour un développement durable ». La Convention sur la Diversité Biologique (CDB) a donné un objectif de protection marine de 10 % d'ici 2020, « l'objectif 11 d'Aichi ». Mais il faut donner un contenu à ces aires marines protégées. L'appellation d'AMP recouvre des degrés de protection très disparates.
Notre rapport peut en effet inciter au pessimisme. Mais, il y a des lueurs d'espoir. Et les politiques volontaristes de préservation des ressources naturelles sont parfois menées par les pays de la rive Sud. Ainsi, la politique de pêche durable du Maroc fondée sur une gestion écosystémique des stocks depuis presque dix ans avec des plans de gestion stricts et surveillés est tout à fait remarquable. Elle a permis de mettre fin à la surexploitation des ressources halieutiques tout en développant le secteur de la pêche, qui est très important pour l'économie marocaine. L'Union européenne pourrait s'en inspirer pour la politique commune de la pêche en Méditerranée. En effet, je rappelle que, jusqu'à présent, seul le thon rouge a fait l'objet de mesures de quotas européens.
Pour ce qui est de la pêche récréative, l'enjeu est de taille car, comme le rappelle notre rapport, la pêche de loisir est en plein essor et représente en termes de prélèvements le même poids que la pêche professionnelle. Il faut informer les plaisanciers, les sensibiliser à la problématique de la préservation de la biodiversité. Dans ce domaine, beaucoup reste à faire. C'est pourquoi nous proposons de réguler davantage et de contrôler plus fortement ce secteur, notamment en instituant un permis ou au moins une déclaration de pêche.
La mer reste un extraordinaire espace de liberté. Il n'y a pas encore de réelle prise de conscience de la nécessité de protéger le milieu marin. Le grand public ne semble pas réaliser à quel point ce milieu est fragile. Dans ce rapport, nous avons constaté tout de même des progrès en termes de développement durable, notamment dans l'assainissement des eaux usées. Le développement considérable du tourisme a aussi amené à mettre en place des stratégies de préservation des ressources naturelles. Pour les années à venir, il faudra faire oeuvre de pédagogie auprès des populations locales et des touristes. Notre rapport veut contribuer à la prise de conscience. Il est un peu une « bouteille à la mer » .
IV. Communication de la présidente Danielle Auroi sur l'avenir de l'Union européenne
En juillet 2013, la commission des affaires européennes avait adopté un rapport intitulé « L'avenir de l'Europe : l'audace de la démocratie ».
Ce rapport était fondé sur la conviction que le débat sur l'avenir de l'Europe ne pouvait plus être différé. Il plaidait pour la mise en oeuvre d'un véritable gouvernement économique européen, préférable au fétichisme des chiffres, et pour la création de services publics européens, en premier lieu un service public de la transition énergétique et de l'environnement. Il dressait, enfin, des pistes pour l'approfondissement démocratique de l'Union, grâce notamment à la création d'une Assemblée des peuples européens, constituée de représentants des parlements nationaux.
Plus de trois ans après, le constat et les recommandations formulés par ce rapport sont, pour moi, toujours autant d'actualité.
Pourquoi, alors, un nouveau rapport sur l'avenir de l'Union ?
Au cours de ces trois dernières années, l'Europe a changé, et le monde a changé.
Le rapport de 2013 était en grande partie une réponse à la crise économique, financière et des dettes souveraines que traversait l'Union. Aujourd'hui, cette crise n'est toujours pas derrière nous. Elle a laissé son empreinte : l'augmentation de la pauvreté, des inégalités, du chômage des jeunes. Cette empreinte peine à s'effacer.
Par ailleurs, nous ne sommes pas à l'abri que l'Histoire se répète, car les progrès qui ont été faits pour renforcer l'Union économique et monétaire restent largement insuffisants.
Mais c'est désormais une autre crise européenne, la crise migratoire, qui divise l'Union et fait la Une des journaux.
Pendant que des centaines de milliers de personnes cherchent désespérément à rejoindre l'Union européenne, un État membre a, pour la première fois, décidé d'en sortir. Le vote britannique du 23 juin 2016 constitue une rupture historique absolument majeure. Après des décennies d'élargissement continu, l'Union vit, pour la première fois, l'expérience du rétrécissement, et va s'engager dans les mois à venir dans un processus absolument inédit tant politiquement que juridiquement.
En trois ans, le visage de l'Europe a donc profondément changé. Mais c'est aussi son environnement géopolitique qui s'est transformé, marqué par la montée d'un nationalisme mortifère dans tout le monde occidental. L'élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis constitue le plus récent de ces bouleversements.
Dans ce contexte de grande instabilité et de succession de crises, il est donc difficile de penser l'avenir de la construction européenne de manière optimiste, malgré les succès qui ont jalonné ces dernières années –je pense notamment à l'accord de Paris sur le climat ou le Plan Juncker, même si les efforts d'investissement de l'Union doivent encore aller beaucoup plus loin.
Pourtant, l'Union est plus que jamais nécessaire. Comment faire entendre notre voix dans le monde sans elle, alors que l'Europe est condamnée à devenir un nain démographique ? Face à la déstabilisation sociale engendrée par une mondialisation insuffisamment régulée, face à l'épuisement de notre modèle économique et énergétique, face au rejet par un allié historique de nos valeurs les plus fondamentales, il est aujourd'hui clair que, désunis, nos États seront condamnés à rester impuissants.
Mais il ne suffit pas de dire que l'Union européenne est nécessaire. Il faut réfléchir à ce que pourrait être cette Union dès demain, et, surtout, à ce que nous voulons qu'elle soit. Or, l'Union manque aujourd'hui de souffle, d'idées, de visions, et les institutions européennes et les États membres, prisonniers de la gestion de crise et du court terme, peinent à imaginer ce que pourrait être l'Europe même dans dix ans.
Pour nous permettre de prendre du recul, j'ai souhaité que nous organisions entre octobre 2016 et janvier 2017 un cycle d'auditions sur l'avenir de l'Union. L'objectif de ce cycle n'était pas de répondre, mais d'écouter, de revisiter, parfois de bousculer et de déconstruire, pour ouvrir sur de nouveaux horizons. Nous avons ainsi entendu des intellectuels et des chercheurs, représentant une pluralité de points de vue, souvent insuffisamment entendus dans le débat public européen classique.
Le rapport que je vous propose, enrichi par les comptes rendus de nos différentes auditions qui y seront annexés, complète les précédents travaux de la commission des affaires européennes sur l'avenir de l'Union, et notamment les conclusions adoptées en septembre 2016. Il dresse des perspectives pour l'Union, à la fin de cette législature nationale et quelques semaines avant l'anniversaire du traité de Rome le 25 mars prochain, sommet au cours duquel de nouvelles propositions pourraient émerger.
De ce cycle d'auditions, il ressort une priorité qui aura mis d'accord tous les intervenants : l'urgence de renouer avec un récit européen. Avec la construction du marché unique et de l'Union économique et monétaire, l'économie est devenue le coeur du projet européen. Ces deux projets incroyablement ambitieux ont réussi, mais le récit d'une Union porteuse de prospérité économique s'est brisé sur les récifs de la crise économique et financière.
M. Thierry Chopin, lors de son audition, a également souligné l'usure des récits européens plus spécifiquement nationaux qui ont, eux aussi, légitimé la construction européenne auprès de leurs opinions publiques : recherche d'une grandeur passée pour la France, d'une forme de « rédemption » pour l'Allemagne, « utilitarisme » pour les pays du Nord, « sublimation » permettant le passage rapide d'un système politique à un autre et d'un système économique à un autre pour les pays du Sud…
Face à la crise financière puis à la crise migratoire, ces récits européens nationaux ont, pour beaucoup, laissé la place à des récits « euro défiants », chaque fois articulés autour du manque de solidarité, ou au contraire, du refus de cette solidarité.
Pour renouer avec ce récit européen, nous devons nous mettre d'accord, à nouveau, sur ce que nous attendons de l'Union.
Notre premier objectif doit être de réaffirmer les valeurs de l'Union : la paix, la démocratie, le respect des droits fondamentaux, alors que ces valeurs sont aujourd'hui bafouées dans d'autres démocraties occidentales. Nous devrons trouver les conditions d'un dialogue politique apaisé sur la question du respect des droits fondamentaux : un « semestre européen des droits de l'homme », mécanisme d'évaluation annuel du respect de la démocratie, de l'État de droit, et des droits fondamentaux, pourrait par exemple être mis en place, mais cela ne se fera pas sans heurts.
En deuxième lieu, notre priorité doit être de réaffirmer la vocation protectrice de l'Union, dans un monde déstabilisé et déstabilisant. Ce nouvel équilibre entre les libertés offertes par l'Union et la protection qu'elle devrait créer est pourtant loin d'être évident car elle a depuis toujours mis l'accent sur le premier volet, au détriment, parfois, des plus fragiles.
Alors que la paix garantie par la construction européenne semblait acquise, les dangers qui menacent aujourd'hui l'Union à l'extérieur comme à l'intérieur de ses frontières sont à la fois graves et concomitants. Comme l'a souligné Jean-François Jamet lors de son audition, « l'Europe doit pouvoir porter un discours régalien (…) à un moment où les enjeux internationaux mettent en jeu la capacité collective des Européens à répondre à des transformations géopolitiques mondiales qui les affectent tous ».
C'est d'autant plus le cas que l'Alliance Atlantique apparaît aujourd'hui très fragilisée. Le Brexit et l'évolution de la politique étrangère américaine doivent nous conduire à relancer l'Europe de la défense en priorité. Alors que, depuis trois ans, l'Allemagne conduit une réflexion stratégique poussée sur sa politique étrangère et de défense, le couple franco-allemand devra être au coeur de cette réflexion.
L'heure est aussi au renforcement de la sécurité intérieure de l'Union, qui doit être unie face à la lutte contre le terrorisme. Pour cela, nous devons améliorer le fonctionnement de l'espace de sécurité et de justice, et mettre en place dès que possible un parquet européen, dont la compétence serait étendue au terrorisme et à la lutte contre la criminalité transfrontière. Un tel renforcement de l'Union dans le domaine de la coopération judiciaire et policière ne sera possible qu'avec un très haut niveau de confiance mutuelle, notamment en matière de droits fondamentaux. Nous devons travailler à forger une vision européenne de l'équilibre nécessaire entre sécurité et liberté.
L'Europe qui protège ne peut pas et ne doit pas se réduire à la défense et à la lutte contre le terrorisme : permettre à l'Union de porter un discours régalien, c'est aussi réaffirmer le rôle et le pouvoir régulateur et protecteur de la puissance publique. L'Union doit porter, dans le monde comme chez elle, une certaine vision de la mondialisation, d'une mondialisation juste, redistributive, respectueuse de l'Humain et de l'environnement. Elle doit être pionnière dans la lutte contre l'évasion fiscale.
L'Europe qui protège, c'est aussi - et surtout -l'Europe sociale et l'Europe de l'environnement. Notre commission plaide depuis longtemps pour le développement de la dimension sociale de l'Union, à travers notamment l'adoption d'un socle minimal des droits sociaux, la coordination des systèmes de sécurité sociale, un renforcement de la garantie pour l'emploi des jeunes, la mise en place d'une assurance chômage européenne, complémentaire des systèmes nationaux, la généralisation de salaires minimaux nationaux et leur convergence progressive. Nous devons réfléchir à la mise en place d'un « serpent » de convergence fiscale et sociale, inspiré du serpent monétaire européen.
L'Europe peut, à nouveau, améliorer le quotidien de ses habitants. Elle se doit de protéger l'environnement dans lequel ils vivent : renforçons l'action de l'Union en matière de santé environnementale et de protection de la biodiversité. Mettons en place une taxation carbone aux frontières de l'Union.
S'interroger sur le « pourquoi » de la construction européenne est absolument fondamental. Mais nous devons aussi nous pencher sur le « comment ».
Pour gagner toutes ces batailles, l'Union aura besoin d'armes à la hauteur, et en premier lieu de véritables capacités budgétaires. Pour cela, elle devra disposer de véritables ressources propres. Le rapport du groupe de Haut niveau présidé par Mario Monti publié en décembre 2016 évoque plusieurs pistes relatives à la création de telles ressources propres, parmi lesquelles une taxe carbone.
L'Europe qui protège que j'appelle de mes voeux sera plus forte à Vingt-Sept. Elle aurait été encore plus forte à Vingt-Huit. Mais sur certains sujets, sur lesquels l'Union peine aujourd'hui à avancer, il semble aujourd'hui inéluctable de former un noyau-dur d'Etats voulant aller plus loin – l'Europe des avant-gardes. Ces choix auront des implications très fortes sur nos institutions communes, qui fonctionnent actuellement sur le principe de la représentation de tous les membres de l'Union.
Le débat sur « l'intégration différenciée » a été évoqué à de multiples reprises lors de ce cycle d'auditions.
Le Brexit a rendu plus urgente encore cette réflexion fondamentale sur l'intégration différenciée : que répondre aux États ne souhaitant pas d'une « Union sans cesse plus étroite » ? La sortie de l'Union est-elle leur seule issue ?
Nous pouvions craindre que les négociations extrêmement difficiles qui s'annoncent avec le Royaume-Uni rendent ce sujet de l'intégration tabou, alors que l'unité des Vingt-Sept sera une clé de la réussite de ces négociations pour l'Union. L'Europe des « cercles concentriques » n'est pas exempte de risques de fragmentation et de division. Christian Lequesne, lors de son audition, a rappelé à juste titre que toute la difficulté de parler de « cercles concentriques » sera de faire comprendre aux pays d'Europe centrale qu'ils ont vocation à faire partie de ce premier cercle. La peur de ne pas faire partie de ce « noyau dur » existe également dans certains pays du Sud, et il faudra être très vigilant pour ne pas créer de sentiment d'exclusion – je pense à nos amis grecs entre autres.
L'intégration différenciée sera certainement au coeur des débats lors du sommet de Rome le 25 mars prochain.
Dans leur contribution commune à ces débats, les États du Benelux ont clairement indiqué que « différentes voies d'intégration et de coopération renforcée pourraient fournir des réponses efficaces aux défis qui touchent les États membres de façon différente. Ces arrangements devraient être inclusifs et transparents, avec l'investissement le plus important possible des autres États membres et des institutions européennes ». La chancelière allemande a également acté l'inéluctabilité de cette intégration différenciée, en déclarant « qu'il y aura une Union européenne avec différentes vitesses et que tout le monde ne prendra pas part à chaque fois à toutes les étapes d'intégration ».
Le format le plus évident de cette intégration différenciée est évidemment la zone euro. Le rapport de MM. Cordery et Richard adopté par notre commission en novembre dernier le soulignait très clairement : afin d'éviter de nouvelles crises économiques et d'augmenter la résilience de l'espace économique européen, il est nécessaire et urgent d'aller plus loin dans la consolidation de la zone euro. Pour cela, il faudra accepter une forme d'intégration différenciée, au moins à court terme, et doter la zone euro d'un gouvernement économique. Le dialogue franco-allemand sur cette question doit être poursuivi : même si l'Allemagne a longtemps été réticente à ce renforcement de la gouvernance de l'UEM, il existe aujourd'hui outre-Rhin un consensus plus important sur la nécessité d'un cadre institutionnel spécifique à la zone euro.
Enfin, le saut qualitatif que nous souhaitons impose de renouveler en profondeur le fonctionnement démocratique de l'Union. L'Union politique ne peut se penser sans les citoyens et leurs représentants. C'est pourquoi cette réflexion sur l'avenir de l'Union ne peut faire l'impasse sur la réforme des institutions.
La temporalité dans laquelle nous nous inscrivons aujourd'hui est très loin d'être favorable à une réforme en profondeur des institutions européennes. Tous les intervenants auditionnés ont d'ailleurs exclus l'idée d'une révision des traités dans les trois ans à venir.
Cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir, pour la suite, aux modalités de l'approfondissement démocratique de l'Union. La multiplication des référendums sur l'Union - référendum britannique évidemment, mais aussi référendum danois sur l'opt-out en matière de justice et de sécurité, référendum néerlandais, l'accord d'adhésion avec l'Ukraine, référendum hongrois sur la relocalisation des réfugiés – est un symptôme sans appel. En l'absence d'amélioration du processus de légitimation démocratique, ce sont directement les peuples qui s'approprieront cette fonction.
Prenons soin de ne pas nous focaliser sur le serpent de mer qu'est le déficit démocratique européen, et de le replacer dans un contexte plus global. Malheureusement, la démocratie représentative se porte également mal au niveau national, et pas seulement en Europe.
La réponse à cet échec démocratique ne peut pas résider dans une théorie des « vases communicants », comme l'a souligné M. Etienne Balibar lors de son audition. Le renforcement de la démocratie européenne ne peut pas se faire au détriment du renforcement de la démocratie nationale, et inversement : les deux sont indispensables. La pleine implication des parlements nationaux dans le processus décisionnel européen sera l'une des clés du passage démocratique de l'Union.
L'Union doit donc puiser ses forces dans une démocratie parlementaire renforcée, et dans une Commission européenne rénovée.
En effet, nous devons nous battre pour améliorer et défendre la méthode communautaire. Les enceintes intergouvernementales, au premier rang desquelles le Conseil européen, ont été considérablement renforcées au fil des crises. Or, ces organes intergouvernementaux ne peuvent, par essence, définir et défendre l'intérêt général européen. Par ailleurs, leur fonctionnement échappe en grande partie au regard des citoyens.
L'Europe est aujourd'hui suspendue aux élections françaises et allemandes. Il sera évidemment difficile d'amorcer des tournants majeurs avant l'automne 2017. Ce serait toutefois une erreur de le voir comme un obstacle, et ces élections à venir sont aussi une opportunité : celle de mettre l'avenir de l'Union au coeur des débats politiques nationaux.
La séance est levée à 18 h 35