Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 22 février 2017 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Je tiens à vous féliciter pour l'excellence de votre analyse. Vos conclusions, en revanche, sont assez convenues, un peu « Quai d'Orsay ». Elles ne sont pas à la hauteur du diagnostic, très sévère et réaliste, que vous posez. C'est une région que je connais un peu, pour avoir commencé à beaucoup l'explorer et à travailler dessus dès 1991, au moment de l'explosion de l'ex-Yougoslavie.

Cet État avait été inventé de toutes pièces par la diplomatie britannique lors des accords de Versailles et de Sèvres. La Yougoslavie, l'Etat des Slaves du Nord, a explosé sur des bases ethniques et religieuses, comme aujourd'hui le Moyen-Orient, les mêmes diplomates ayant agi de même à l'époque. Sur les sept Etats qui en sont issus, deux s'en sortent : la Croatie et la Slovénie, que l'Allemagne avait pris sous son aile dès 1991 et qui sont religieusement et ethniquement homogènes. Ce sont des Etats chrétiens. Avec les autres, on entre dans un autre monde, celui de la macédoine religieuse et ethnique des Balkans, un monde qui est encore ouvert.

Comme d'habitude, la France a brillé par l'excellence de ses soldats. Je suis allé me recueillir sur place, moi aussi, et j'ai beaucoup pensé à ceux qui y sont morts, notamment sur la piste de l'aéroport de Sarajevo, où ils étaient tirés comme des lapins alors qu'ils essayaient d'approvisionner une population qui mourait de faim. Nous avons eu 86 morts et plusieurs centaines de blessés. Au final, on a fait le travail sur le plan militaire, mais nous n'avons suivi ni au niveau diplomatique ni au niveau économique. C'est malheureusement une constante ces dernières années. Il faut se poser la question : voulons-nous qu'il y ait une politique française dans les Balkans ? Ce n'est pas avec 10 millions d'euros divisés en six pays que l'on fera quoi que ce soit de sérieux.

L'Europe mène une non-politique, à grand renfort d'argent et de consultants. C'est même une politique du mensonge. On n'intégrera pas ces pays, contrairement à ce qu'on leur dit, pas plus qu'on n'intégrera la Turquie. Le peuple français, qu'il faudra interroger conformément à l'article 88.5 de la Constitution, ne laissera jamais entrer la Bosnie ou le Kosovo dans l'Union européenne. Alors qu'elle est dans un moment de crise absolue, on continue des politiques de pré-adhésion qui coûtent des milliards d'euros et ne marchent pas. Elles maintiennent au pouvoir des classes politiques parfaitement corrompues. La Bosnie en est un magnifique exemple avec ses trois Premiers ministres et ses 400 ministres – et je ne vous parle même pas de la Republika Srpska… Tout ça, excusez le mot, est totalement foireux et c'est potentiellement la source de beaucoup de déconvenues, de nationalisme et de trafics en tout genre.

Ce que nous faisons est à la fois une non politique en France, parce qu'on ne sait pas ce qu'on veut, et en Europe. C'est pourquoi les conclusions de votre rapport auraient pu être beaucoup plus percutantes. Au lieu de s'inscrire dans la continuité, il faudrait essayer d'ouvrir le débat.

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