Cette mission d'information, consacrée à la situation migratoire en Europe, porte sur un sujet complexe et compliqué, mais aussi parfois un peu caricaturé. Nous avons en effet connu au cours de l'année 2015 une crise aiguë qui a provoqué un peu plus qu'une émotion au sein de l'Union européenne. Le sujet est également un peu caricaturé par rapport à ce que les chiffres montrent : le problème migratoire est un peu moins important que ce que l'on imagine parfois. Néanmoins, notre rapport insiste aussi sur le fait que le problème est largement devant nous, plutôt que derrière nous. Les difficultés dans notre voisinage immédiat ou dans des pays plus lointains, notamment en Afrique, sont telles que la situation migratoire pourrait se détériorer dans les prochaines années.
Selon les derniers chiffres d'Eurostat, il y avait 3,8 millions de migrants dans l'Union européenne en 2014, dont 1,9 million de ressortissants de pays tiers, hors Union européenne, et 1,8 million de citoyens européens ayant migré d'un Etat membre à un autre, ce qui n'entre pas dans la réflexion de cette mission d'information. Il y a des doubles comptes car cela inclut les migrations d'un Etat membre à un autre à l'intérieur de l'Union européenne. Par ailleurs, il y avait 2,8 millions de départs la même année. En « stock », on comptait au 1erjanvier 2015 19,8 millions de citoyens de pays tiers, soit 3,9 % de la population de l'Union européenne. Ce sont des chiffres importants, qu'il faut prendre comme des ordres de grandeur compte tenu des imprécisions, plutôt que comme des réalités absolues, mais ils ne sont pas nécessairement considérables au regard de ce qui pourrait se passer à l'avenir.
Il faut aussi tenir compte du fait que l'Europe, politiquement et psychologiquement, ne s'est jamais vraiment considérée comme une terre d'immigration. Elle a été une terre d'émigration, en particulier au XIXe siècle et au début du XXe siècle, mais elle n'a pas connu de grandes migrations depuis le Xe siècle et l'arrivée des Hongrois. Lorsque les Ottomans sont arrivés dans les Balkans, la population turque qui s'est installée était très limitée. Les musulmans, en particulier les Bosniaques, que nous évoquions tout à l'heure, sont généralement des populations locales converties à l'islam. Il y avait très peu de minorités turques dans les Balkans, même à l'époque de l'empire ottoman.
Nous avons adopté une démarche qui ne pouvait évidemment pas être exhaustive, mais nous nous sommes efforcés qu'elle soit aussi complète que possible. Cela nous a conduits à suivre le chemin des migrants et des réfugiés, en nous intéressant d'abord aux principaux pays d'origine. En 2016, 10 pays représentaient 75 % des arrivées irrégulières en Europe : la Syrie (23 % des arrivées), l'Afghanistan (12 %) – même si les ressortissants de ce pays sont moins présents dans les esprits, on en a compté beaucoup à Calais et à la frontière entre l'Italie et la France – le Nigéria (10 %), l'Irak (8 %), l'Erythrée (6 %), la Guinée (4 %), la Côte d'Ivoire (4 %) – alors qu'il s'agit aussi d'un pays d'accueil –, la Gambie (4 %), le Pakistan (3 %) et le Sénégal (3 %).
Notre rapport examine ensuite la situation dans les principaux pays de premier accueil des réfugiés syriens, hors Union européenne. La Turquie abrite aujourd'hui 2,7 millions de réfugiés, soit davantage que tout autre pays au monde. Le Liban en accueille encore plus en proportion, puisque le million de réfugiés syriens enregistrés par le HCR représente environ 20 % de la population. Selon les chiffres publiés par le HCR, il y aurait 655 000 réfugiés syriens en Jordanie, soit environ 9 % de la population, mais les autorités jordaniennes estiment que les Syriens sont en réalité deux fois plus nombreux, car tous ne sont pas enregistrés comme réfugiés. Il faut aussi rappeler que l'Irak abrite environ 230 000 réfugiés syriens et l'Egypte environ 115 000.
Nous abordons ensuite la question des principaux pays de transit. Il s'agit d'abord de la Libye, sur ce qu'il est convenu d'appeler la « route de la Méditerranée centrale », qui débouche en Italie. Sur cette même route migratoire, l'Egypte représentait 7 % des arrivées sur les côtes italiennes en 2016. C'est un pays de transit, mais aussi de départ, pour une faible partie de la population. Nous avons aussi travaillé sur la situation en Turquie, qui se trouve en revanche sur la route de la « Méditerranée orientale », avec un débouché en Grèce et un prolongement sur la route des Balkans occidentaux. La troisième route principale, la « Méditerranée occidentale », constituait une importante voie d'accès au milieu des années 2000, mais l'Espagne a mis en place une politique bilatérale avec le Maroc, la Mauritanie ou encore le Sénégal, qui a porté ses fruits et le flot s'est progressivement tari. Cela tient à la réponse espagnole que nous présentons dans le rapport. Il y a eu environ 7 000 arrivées en 2006 par la voie maritime, essentiellement dans les Canaries et en Andalousie, et environ 3 000 entrées maritimes. Les événements qui ont eu lieu ces derniers temps à Ceuta sont en quelque sorte un épiphénomène. Il est d'ailleurs possible que le Maroc ait un peu laissé entrer ces migrants de manière à peser sur l'Union européenne dans les discussions sur le Sahara occidental.
Nous consacrons par ailleurs des développements à la question du trafic de migrants. Selon tous les éléments disponibles, ce trafic a pris une ampleur croissante et il a joué un rôle important dans l'accélération des flux vers l'Europe sur la période récente. Europol estime que 90 % des arrivées irrégulières de l'année 2015 ont fait appel à des passeurs. Le chiffre d'affaires lié au trafic de migrants était alors estimé entre 3 et 6 milliards d'euros. C'est un trafic à la fois plus sûr et plus lucratif que celui de la drogue ou celui des armes, bien qu'ils soient parfois liés. C'est particulièrement vrai dans le cas libyen, que le rapport aborde de manière précise.
Au-delà des passeurs et de leurs complices, une véritable « économie de la migration » se met en place dans certains territoires. Lorsque nous sommes allés à Agadez, au Niger, nous avons d'ailleurs été accueillis à l'aéroport par ce qu'on peut appeler le « syndicat des transporteurs ». Ils venaient protester car on leur interdit désormais de faire passer les migrants, la législation nigérienne étant devenue assez coercitive. Il faut souligner que les mêmes acteurs faisaient il y a dix ans du transport de touristes.
Enfin, nous avons examiné les répercussions des récents flux migratoires sur la situation au sein de l'Union européenne, en procédant Etat membre par Etat membre, ainsi que les réponses qui se mettent en place au plan communautaire avec plus ou moins de bonheur. La réaction européenne a été extrêmement lente et peu préparée, avec en outre un certain manque de coopération entre les services concernés à Bruxelles. Les réponses sont désormais plus structurelles et le problème a été davantage contenu à partir du moment où l'Union européenne a réagi réellement. Je crois que mon collègue Jean-Marc Germain reviendra sur cette question.
Voilà pour la démarche que nous avons suivie afin de dresser l'état des lieux. S'agissant de nos travaux, nous avons pu nous rendre successivement en Turquie et en Jordanie au mois de décembre dernier, puis à Bruxelles et au Niger au cours du mois de janvier. Nous avons auditionné de très nombreux responsables, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, mais aussi Pierre Vimont, qui a notamment été chargé d'organiser la conférence de la Valette entre l'UE et les pays africains en novembre 2015, qui est un succès, même s'il est encore relatif, ainsi que des représentants d'ONG, des chercheurs et des universitaires.
Quel est aujourd'hui l'état de la situation ? Nous sommes entrés dans une phase moins aiguë de ce que l'on appelle généralement la « crise migratoire ».
L'agence européenne Frontex avait détecté 1,8 million de franchissements irréguliers des frontières extérieures en 2015, représentant environ 1 million de personnes, compte tenu des doubles comptes. On peut être enregistré une première fois quand on entre en Grèce et une seconde fois quand on repasse la frontière hongroise. L'accélération des flux migratoires était alors très nette par rapport à 2014, qui avait été marquée par environ 283 000 passages, et par rapport à 2013 et 2012, avec respectivement 107 000 et 72 000 passages. En 2015, les arrivées s'étaient maintenues à un niveau à peu près comparable à celui de l'année 2014 en Méditerranée centrale, mais elles avaient pour ainsi dire « explosé » en Méditerranée orientale à compter de l'été.
En 2016, on a observé une réduction globale des flux, avec environ 510 000 passages détectés par Frontex. Cette évolution résulte néanmoins de situations très différentes selon les routes migratoires. Il y a eu un tarissement sur la route de la Méditerranée orientale, puisqu'on a détecté 180 000 entrées dont environ 150 000 avant l'entrée en application de la déclaration UE-Turquie du mois de mars 2016, qui est globalement une réussite. De façon générale, la Turquie joue le jeu. Les flux restent très dynamiques en Méditerranée centrale, avec 182 000 arrivées maritimes. C'est évidemment là que le problème est le plus difficile à régler. En Méditerranée orientale, les entrées sont passées en dessous de 100 par jour en moyenne, alors que l'on a connu des pics de 3 000 arrivées quotidiennes.
Ces arrivées en Europe sont très significatives et elles ont eu des répercussions importantes sur les politiques d'asile et d'immigration. On peut penser, par exemple, à l'adoption de la « loi sur les bijoux » au Danemark en janvier 2016 : elle autorise la confiscation de tout objet de valeur ou argent liquide appartenant aux demandeurs d'asile au-delà d'environ 1 340 euros, officiellement pour financer leur accueil. Dans un certain nombre d'Etats membres, la législation sur l'asile a globalement évolué dans un sens plus restrictif, mais il faut souligner que ce n'est pas le cas en France. Nous sommes beaucoup plus « libéraux » sur cette question, avec tous les guillemets nécessaires, que la plupart des autres pays européens.
Il faut bien voir aussi que les flux vers l'Europe ne représentent qu'une fraction limitée des mouvements de population dans le monde. A la fin de l'année 2015, le nombre de « déplacés forcés », c'est-à-dire les réfugiés et les déplacés internes, s'élevait à 65,3 millions de personnes. Contrairement à ce que l'on peut penser, parfois, la très grande majorité des réfugiés ne se dirigent pas vers les pays développés. Fin 2015, les dix premiers pays d'accueil, représentant 60 % de la population sous le mandat du HCR, étaient tous des pays en développement, dont 5 situés en Afrique : la Turquie, le Pakistan, le Liban, l'Iran, l'Ethiopie, la Jordanie, le Kenya, l'Ouganda, la République démocratique du Congo et le Tchad. Si l'on considère maintenant, de manière plus globale, les migrations internationales, on comptait en 2015 un « stock » de 244 millions de migrants internationaux, au sens où l'entendent les Nations Unies. La majorité d'entre eux, soit 140 millions de personnes, se trouve au Nord, mais les déplacements Sud-Sud sont désormais supérieurs aux mouvements Sud-Nord. Depuis 2010, le nombre de migrants internationaux augmente plus vite au Sud.
J'en viens à la question des perspectives pour les flux migratoires vers l'Union européenne.
A court terme, une grande partie des évolutions dépendra de la situation en Turquie, notamment la pérennité de la déclaration de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie. Le scénario d'une rupture de l'accord ne doit pas être exclu, par principe, mais cela ne nous paraît pas le plus probable dans l'immédiat. Il est vrai que les clauses de l'accord sont mises en oeuvre de manière très inégales. Les entrées en Grèce se sont significativement réduites, comme je l'ai indiqué, mais le nombre de retours vers la Turquie reste très faible, de même que celui des réinstallations dans l'Union européenne de réfugiés syriens depuis la Turquie. Elle a parfois une attitude un peu ambiguë, préférant garder chez elle les réfugiés appartenant aux CSP+, pour schématiser. La perspective est plutôt de les intégrer à la société turque. La mise en oeuvre de la facilité financière pour la Turquie, de 6 milliards d'euros au total, avance à bon rythme même si nous avons pu constater que les autorités turques s'en plaignent. Cela tient d'ailleurs en partie aux mécanismes de l'Union européenne. Mais c'est surtout le blocage de la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs qui constitue « l'irritant » le plus fort.
Sur ce dernier point, on est en partie dans le domaine de la posture du côté turc, car il y a en circulation de très nombreux passeports de service ou « passeports verts », dont les détenteurs sont exemptés de visas de court séjour. Il y en aurait certes moins depuis le coup d'État de l'été dernier, mais ils étaient jusque-là attribués très libéralement, par exemple à des instituteurs au bout de 20 ans de service. En revanche, le nombre de passeports ordinaires est assez limité, puisqu'il y en aurait environ 10 millions pour une population de 80 millions d'habitants, et ils coûtent très chers, jusqu'à 200 euros.
Malgré des déclarations publiques assez virulentes du côté turc et des relations assez compliquées entre l'Union européenne et la Turquie, de manière générale, il nous semble que ces deux acteurs veulent que l'accord fonctionne, au moins a minima. C'est une évidence pour l'Union européenne, mais les Turcs ont aussi des raisons d'oeuvrer pour que l'accord tienne bon. L'UE s'est engagée à mobiliser une assistance financière conséquente pour la prise en charge des réfugiés syriens sur le territoire turc et, avec cet accord, Ankara dispose aussi d'un levier permanent sur l'UE, qu'elle souhaite évidemment conserver. Enfin, les autorités turques n'ont probablement pas intérêt à ce qu'un appel d'air se reconstitue sur leur territoire avec la reprise de départs massifs vers les côtes européennes. Il faut signaler que les Turcs ont largement bloqué la frontière avec la Syrie. Il n'y a pas eu d'arrivées de réfugiés syriens à la chute d'Alep et on ne pense pas qu'il y aura d'Irakiens venant de Mossoul sur le territoire turc dans les prochaines semaines.
L'évolution de la Libye constitue évidemment un second facteur déterminant pour l'évolution des flux vers l'Europe à court et moyen terme.L'absence de gouvernement exerçant une autorité réelle sur le pays est la principale cause des difficultés constatées en Libye : des frontières poreuses au Sud ; des réseaux puissants qui font du trafic de migrants et d'êtres humains à grande échelle et même de manière « industrielle » selon certains de nos interlocuteurs ; des migrants exposés à des situations épouvantables, dont nous avons eu le récit au Niger en rencontrant des migrants sur le chemin du retour ; des arrivées irrégulières massives sur les côtes italiennes, avec bien souvent des complicités entre les garde-côtes libyens et les trafiquants ; des possibilités de coopération et d'action très limitées pour l'Union européenne, faute d'interlocuteurs efficaces sur le terrain. Le « verrou libyen » a en quelque sorte sauté à la chute de Kadhafi, avec la déliquescence de ce qui tenait lieu d'Etat jusqu'alors et le pays n'absorbe plus les flux comme c'était le cas auparavant.
On estime qu'il y a environ un million de migrants présents sur le sol libyen, pour une population de six millions d'habitants. Beaucoup venaient en Libye pour travailler, mais ils souhaitent maintenant en partir. Certains sont arrivés plus récemment, eux aussi pour travailler, parce qu'ils ne se rendaient pas forcément compte de la situation. Nous avons rencontré au Niger des Africains qui se rendaient en Libye pensant que la Méditerranée est un fleuve. En 2016, les arrivées sur les côtes italiennes venaient à 89 % de Libye. Il s'agissait à 93 % de migrants africains, venant principalement de pays d'Afrique subsaharienne, en particulier le Nigéria, la Guinée, la Côte d'Ivoire, le Sénégal, le Mali et le Ghana, mais aussi de la Corne de l'Afrique, notamment l'Erythrée, la Somalie et l'Ethiopie. Le Premier ministre libyen, M. Fayez el-Sarraj, serait très conscient des enjeux posés par les migrations. Cela ferait partie de ses priorités, mais il n'a aucune autorité pour régler la question.
Outre la Turquie et la Libye, il faudra bien sûr porter la plus grande attention à l'évolution d'autres pays situés dans notre voisinage, en particulier l'Egypte.C'est un important pays d'accueil dans la région, mais aussi désormais le deuxième pays de départ vers l'Europe par la Méditerranée centrale, derrière la Libye. C'est un phénomène assez nouveau. On estime que 9,8 % des migrants interceptés sur cette route migratoire avaient embarqué en Egypte en 2014, 6,5 % en 2015 et 7 % en 2016. L'Egypte est aussi devenue un pays d'origine. On l'a bien vu en septembre 2016 avec le naufrage, au large de Rosette, d'une embarcation qui transportait des centaines de candidats à l'émigration illégale vers les côtes italiennes, dont de très nombreux Egyptiens, ce qui a d'ailleurs suscité une vive émotion et un débat dans le pays. Les autorités égyptiennes ont réagi, car il y a un Etat qui fonctionne. Un certain nombre de mesures ont été adoptées pour mieux contrôler les flux, mais il est important de consolider le dialogue et la coopération avec l'Egypte sur ces questions migratoires.
Je n'insiste pas sur la situation dans les pays du Maghreb, qui a fait l'objet d'un rapport récent de nos collègues Guy Teissier et Jean Glavany. Il y a évidemment une question à suivre sur le plan migratoire, notamment en Algérie. Elle devient petit à petit un pays de départ et la situation politique peut évoluer dans les années qui viennent. Il faudra aussi continuer à regarder de très près ce qui se passe en Tunisie, en particulier lors du retour des djihadistes, qui peut déstabiliser ce pays situé à proximité de la Libye et qui en subit la situation.
A moyen et long termes, il y a surtout la question du développement et de la démographie sur le continent africain. La population d'Afrique subsaharienne est passée d'environ 180 millions de personnes en 1950 à près d'un milliard aujourd'hui. La transition démographique a commencé, mais elle reste lente. Le nombre d'enfants par femme a été ramené de 6,5 à environ 5 aujourd'hui. Au Niger, le taux de fécondité s'élève à 7,6 enfants par femme et il augmentait encore récemment. Malgré les efforts du gouvernement nigérien, il reste compliqué de résoudre ce problème compte tenu des freins culturels qui existent. Selon les dernières prévisions des Nations Unies, en date de 2015, le scénario moyen est d'1,4 milliard d'habitants en Afrique subsaharienne en 2030 et de 2,1 milliards en 2050.
Autre facteur à prendre en compte, les études empiriques montrent que le développement tend à stimuler la migration dans un premier temps, en augmentant les attentes des populations et en améliorant la capacité des individus à migrer. Ce n'est qu'au-delà de 7 000 ou 8000 dollars par habitant que l'on observe une nette relation négative entre le revenu et l'émigration.
A l'heure actuelle, les flux migratoires africains ne se dirigent pas en priorité vers l'Europe. En Afrique subsaharienne, on estime que 75 % des migrations internationales sont internes au continent africain. De manière générale, on se dirige surtout vers d'autres pays économiquement attractifs de la même région, en particulier ceux du Golfe de Guinée pour l'Afrique de l'Ouest – c'est vrai notamment du Nigéria, de la Côte-d'Ivoire et du Ghana, bien qu'ils soient eux-mêmes des pays de départ – ou bien les pays du Maghreb. C'est par exemple le cas de Nigériens qui s'arrêtent en Algérie quand ils ne sont pas refoulés par les autorités de ce pays.
Se pose aussi la question de l'impact du changement climatique sur les phénomènes migratoires. Il est évident qu'il jouera un rôle amplificateur, mais je n'insiste pas sur ce point. Dans le voisinage de l'Europe, on peut penser que c'est principalement du Sahel que les déplacés environnementaux partiraient. L'instabilité climatique pourrait s'accentuer rapidement, avec des conséquences négatives pour l'agriculture, alors que la population continue à augmenter en parallèle à un rythme soutenu. A ce stade, l'Europe n'est pas la principale destination des Sahéliens, mais tout dépendra de l'ampleur des évolutions à venir et des capacités d'absorption des territoires intermédiaires sur les routes migratoires vers l'Europe. Plus loin de nous, des pays d'Asie du Sud-Est seront probablement très affectés par la montée des eaux, notamment le Bangladesh. Ce pays est depuis longtemps une importante terre d'émigration, où les projections démographiques sont par ailleurs préoccupantes. L'immigration économique irrégulière vers l'UE est déjà en forte croissance.
Pour conclure, nous sommes certes entrés dans une phase moins aiguë de la crise migratoire en Europe, mais j'y insiste : le défi est plutôt devant nous que derrière nous, compte tenu des quelques éléments de prospective que je viens d'évoquer.