Intervention de Sébastien Leloup

Réunion du 21 février 2017 à 16h30
Commission des affaires sociales

Sébastien Leloup :

Je m'efforcerai de répondre le plus précisément possible à vos questions, dans la limite de la connaissance que j'ai, aujourd'hui, de la situation de l'ONIAM et de ses activités.

Monsieur Bapt, l'actuel directeur général de l'Office, Érik Rance, a pris ses fonctions dans un contexte de crise, puisque l'ONIAM était alors saisi d'un nombre considérable de dossiers de victimes du Mediator. Il a néanmoins su mettre en place, avec les acteurs-clés, un dispositif qui, s'il a connu différentes configurations, est aujourd'hui arrivé à maturité et permet d'instruire ces dossiers de manière équitable et juste. Il est compréhensible que ce dispositif n'ait pas été immédiatement satisfaisant, mais Érik Rance n'a pas ménagé ses efforts pour procéder aux ajustements nécessaires, de sorte qu'il fonctionne désormais correctement. Je tiens, du reste, à préciser qu'il ne sera pas désarmé. Les chiffres du rapport d'activité de 2015 reflètent bien l'évolution tendancielle du nombre des dossiers mais, tant que le dispositif ne sera pas arrivé à son terme et considéré comme tel par les acteurs-clés du dossier, les moyens qui lui sont consacrés ne seront pas redéployés. C'est un point très important sur lequel je me suis engagé.

Les délais d'instruction des dossiers sont une préoccupation majeure. Aujourd'hui, les tribunaux de grande instance et les tribunaux administratifs jugent plus rapidement, si bien qu'une victime peut obtenir une décision judiciaire en moins de deux ans. Dès lors, si les délais moyens d'instruction de l'ONIAM demeurent de deux ans et neuf mois, le système d'indemnisation amiable et transactionnel ne présente pas d'avantage pour la victime. C'est un problème de fond dont l'ONIAM n'est pas responsable, mais le fait est que les juridictions ont progressé dans ce domaine. Il est vrai qu'elles peuvent engager une expertise médicale dans des conditions financières qui ne sont pas tout à fait celles de l'ONIAM. En tout état de cause, celui-ci doit définir des indicateurs afin de surveiller l'évolution de ses délais d'instruction. Je suis moi-même très attentif aux écarts à la moyenne car, si le délai moyen est de deux ans et neuf mois, cela signifie que l'écart à la moyenne peut atteindre trois ans, voire quatre ans, ce qui n'est pas acceptable pour un dispositif de solidarité nationale.

En ce qui concerne le barème d'indemnisation, Claire Compagnon, présidente du conseil d'administration de l'ONIAM, a établi, en accord avec les membres du conseil d'administration, un nouveau barème qui est entré en vigueur le 1er janvier 2016. L'assistance par tierce personne a ainsi été significativement revalorisée pour les aides spécialisées notamment, de même que l'indemnisation de deux préjudices patrimoniaux.

S'agissant des accidents liés à la Dépakine, une première étude de l'ANSM et de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), réalisée sur la base des données du Système national d'information inter-régimes de l'Assurance maladie (SNIIRAM), évalue à plus de 14 000 le nombre des femmes enceintes ayant pris cet antiépileptique. Le conseil d'administration de l'ONIAM a donc d'ores et déjà décidé de renforcer ses moyens : deux emplois dits de préfiguration permettront de préparer la mise en place du dispositif afin que les éléments de cadrage de cette mission puissent respecter le calendrier, avec un rendez-vous fixé au mois de juillet 2017, au plus tard.

M. Viala m'a interrogé sur la mission d'appui dirigée par Laurent Gratieux. Une concertation approfondie est en cours avec les présidents des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation. C'est un point important, car nous devons susciter l'adhésion des magistrats présidant ces commissions si nous voulons retrouver la dynamique qui doit être celle du dispositif ONIAM-CCI. Il est, du reste, naturel qu'un suivi parlementaire s'exerce, compte tenu de la gravité de la situation actuelle.

Le montant moyen des indemnisations, évoqué par M. Richard, a peu évolué depuis 2008 ; il s'établit aujourd'hui aux alentours de 85 000 euros et correspond à la nomenclature que le groupe de travail de M. Dintilhac a définie, en référence, m'a-t-on expliqué, à la jurisprudence des juridictions judiciaires et administratives. Nous devons être vigilants à cet égard, car l'indemnisation des pathologies liées à des malformations congénitales susceptibles de provoquer d'importants troubles du développement peut atteindre des montants considérables. Je pense à un arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a accordé, suite à une faute médicale ayant causé un accident obstétrical, une indemnisation de 11 millions d'euros aux parents d'un enfant né handicapé.

Pour en revenir à la mission d'appui de l'IGAS, j'ai rencontré Laurent Gratieux et je puis vous dire que j'ai été marqué par la qualité du travail approfondi mené avec les parties prenantes depuis le mois de janvier. Il appartiendra au ministre de tutelle de communiquer sur les éléments qui seront retenus ; il serait prématuré de les évoquer aujourd'hui.

Est-il aventureux de confier à l'ONIAM le soin d'assurer le suivi des victimes de la Dépakine ? Cette tâche sera difficile, compte tenu des circonstances. Je n'ai pas encore rencontré les chefs de service de l'ONIAM et je ne connais donc pas l'état d'esprit des salariés ni le moral des troupes. Mais, pour avoir eu quelques échanges avec Dominique Martin, qui a été le directeur de l'Office pendant neuf ans, et avec Érik Rance, qui l'a dirigé pendant six ans, je crois pouvoir dire que nous pourrons compter sur les valeurs professionnelles de ses salariés, et je sais pouvoir compter également, en tant que directeur de l'ONIAM, sur les pouvoirs publics pour disposer des moyens nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Médicalement, le dossier de la Dépakine est complexe, peut-être davantage encore que celui du Mediator. Le nombre de dossiers annoncé est préoccupant. Le dispositif devra donc être ajusté et monter en puissance en fonction des besoins. Mais sachez qu'en tant que directeur, je serai mobilisé, avec l'équipe de direction, pour être au rendez-vous et remplir la mission que le législateur nous a confiée dans le cadre de la loi de finances.

Mme Bouziane-Laroussi m'a interrogé sur le nombre des dossiers rejetés. Entre 2011 et 2015, on constate que l'ONIAM a pris en compte un peu plus de 21 000 dossiers d'accidents médicaux, mais que près des trois quarts d'entre eux ont été rejetés par les commissions régionales de conciliation et d'indemnisation. Je rappelle que la loi de 2002 dispose que la victime ne peut être indemnisée par l'ONIAM que si l'atteinte à son intégrité physique et psychique est d'au moins 25 %. Je précise que ce critère de gravité s'applique aux seuls accidents médicaux et qu'en sont donc exclues les victimes du Mediator, par exemple.

Cette règle peut expliquer le rejet d'un certain nombre de dossiers.

Elle est, du reste, certainement à l'origine de l'incompréhension et des protestations des associations de victimes. Il faut, en effet, se mettre à la place d'une personne – je reprends là l'exemple cité par la Cour des comptes – dont l'intestin a été accidentellement perforé au cours d'une intervention chirurgicale et que l'ONIAM refuse d'indemniser au motif que le taux de gravité de l'atteinte fonctionnelle est évalué à 20 % par la commission régionale. Lorsque, qui plus est, cette décision peut être rendue dans un délai qui excède deux ans, comment ne pas comprendre la colère de la victime ? Celle-ci, si elle n'est pas découragée, devra prendre le chemin des prétoires et recommencer la procédure à zéro alors qu'elle avait l'espoir que le dispositif de solidarité nationale répondrait à ses besoins – sachant, en outre, qu'il s'agit de personnes particulièrement vulnérables, qui se trouvent parfois dans une situation sociale extrêmement précaire.

M. Perrut s'est étonné que la révélation des dysfonctionnements de l'ONIAM ait été si tardive. Ce sentiment est partagé par nombre des interlocuteurs que j'ai rencontrés depuis que je me prépare à assumer la responsabilité de la direction de l'Office. Manifestement, de précédentes investigations n'avaient pas permis à la Cour des comptes de mesurer la gravité de la situation. Plus récemment, certains dysfonctionnements ont été soulignés par l'IGAS. En tout état de cause, la diffusion de la partie publique du rapport de la Cour des comptes a provoqué un effet de sidération qui participe de la difficulté de la tâche de la future équipe de direction.

Je compte beaucoup sur la présidence du conseil d'administration pour prendre toute la mesure de la situation et conduire le changement avec le souci de susciter l'adhésion de l'ensemble des personnes engagées dans ce dispositif depuis le départ. Je pense en particulier aux experts médicaux, dont le nombre s'est effondré, puisqu'il est passé de 250 en 2011 à 200 aujourd'hui, alors que, selon Érik Rance, il devrait être de 800. Il est difficile de mobiliser des experts médicaux dans le contexte actuel ; les pressions s'exerçant dans les établissements de santé et le champ médical sont telles qu'il n'est pas évident pour un médecin de consacrer une partie de son temps à une activité d'expertise médicale. Le Comité français d'accréditation (COFRAC) rencontre les mêmes difficultés pour recruter des biologistes dans le cadre de l'accréditation des laboratoires de biologie. Quant à la Haute Autorité de santé, elle mène de nombreuses actions pour intégrer des médecins dans le corps des experts visiteurs ; ces médecins sont actuellement au nombre de 170, mais il manque un certain nombre de spécialités nécessaires pour continuer à évaluer dans de bonnes conditions la qualité et la sécurité des prises en charge. La question du vivier des experts médicaux est fondamentale et vitale pour l'avenir du dispositif. Je compte donc apporter tout mon soutien au président de la Commission nationale des accidents médicaux pour renforcer l'attractivité de l'expertise médicale au service du dispositif d'indemnisation amiable.

Il a été fait référence à une créance de 4,3 millions d'euros abandonnée à tort dans le cadre d'une discussion avec l'AP-HP portant sur des problèmes de transfusion. C'est un point sur lequel j'ai prévu de lancer des investigations, de manière à reprendre les éléments de traçabilité de ce sujet.

M. Sebaoun m'a interrogé sur la manière dont le nombre des incidents qui se produisent dans les établissements de santé pouvait être réduit. Il est certain que les événements indésirables graves sont inévitables, car il s'agit d'activités à risque. On estime leur nombre à environ 900 par jour, mais il est très difficile d'obtenir des données fiables dans ce domaine. Quoi qu'il en soit, beaucoup sont sans conséquences pour les patients, car les équipes font souvent preuve d'une extraordinaire capacité de récupération. Tel n'est pas toujours le cas. Hélas ! nous n'avons pas suffisamment, en France, la culture du signalement de ces événements. Toutefois, les mesures qui ont été prises récemment sont de nature à améliorer la situation. Certains médecins, en particulier dans les spécialités à risque, accomplissent, dans le cadre d'un dispositif d'accréditation de leurs spécialités, un travail collégial extrêmement intéressant sur les événements porteurs de risques. Ces expériences et ces pratiques sont à encourager afin que le signalement ne soit pas fautif et ne pâtisse pas de la crainte de son impact sur la responsabilité civile des professionnels.

À ce propos, je suis convaincu qu'en France comme dans beaucoup d'autres pays, il faut faire de manière déterminée la chasse aux soins inutiles et dangereux. Un certain nombre de personnes saisissent l'ONIAM parce qu'elles ont été victimes de tels soins. Il y va de la responsabilité médicale. Il appartient donc aux médecins de s'approprier et de contribuer à l'élaboration et à l'actualisation des bonnes pratiques professionnelles ; la HAS y prend sa part avec l'ensemble des intervenants.

M. Morange m'a interrogé sur l'articulation de l'ONIAM avec l'ANSM, qui a une mission de police sanitaire. Les deux organismes entretiennent des liens étroits. Le dossier de la Dépakine conduira l'ONIAM à intervenir dans des champs de responsabilité, puisque le législateur a prévu qu'il examine, le cas échéant, les situations dans lesquelles des carences ont été constatées dans l'exercice de la police sanitaire et la responsabilité de l'État est engagée. Je mesure la sensibilité de ces sujets et leurs conséquences. J'ai prévu, dans l'exercice de mes futures fonctions, d'entretenir des relations avec l'ANSM de manière à prendre toute la mesure des actions menées dans ces domaines. Nous ne pouvons pas, en effet, nous limiter à un rôle de payeur. Mais je suis certain qu'avec Dominique Martin, nous aurons une relation de travail institutionnel à la hauteur des enjeux que vous avez évoqués.

M. Dord me demande quelle sera la première mesure que je prendrai une fois que j'aurai pris mes fonctions. La réponse est assez simple : je commencerai par rencontrer les chefs de service et les 105 salariés de l'ONIAM, puis les présidents des commissions régionales de conciliation et d'indemnisation, à qui je demanderai quelles actions ils envisagent de mener pour que nous puissions collectivement redynamiser l'ensemble du dispositif ONIAM-CCI-CNAMED.

Madame la présidente, l'ONIAM est actuellement saisi de peu de dossiers – une cinquantaine environ – concernant la vaccination obligatoire, mais un avocat m'a d'ores et déjà fait savoir qu'il en avait plus entre les mains, dont il allait saisir l'Office. Il s'agit d'un sujet majeur. La manière dont l'ONIAM sera, ou non, en mesure de prendre soin des victimes d'accidents résultant de la vaccination obligatoire sera déterminante pour le positionnement des professionnels de santé en la matière. Les victimes sont très rares, mais il faut être très performant dans leur accompagnement et leur indemnisation, celle-ci devant se faire dans des conditions parfaitement équitables. En France, la vaccination est actuellement en situation d'échec par rapport aux autres pays de l'OCDE. Il est donc important que chacun exerce sa mission pour que le taux de couverture vaccinale de la population, à commencer par celui des professionnels de santé, soit à la hauteur des besoins. Je ne suis pas en mesure, à l'heure actuelle, de vous répondre plus précisément, mais je ne manquerai pas de le faire prochainement.

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