Intervention de Jean-Jacques Colombi

Réunion du 9 mai 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ :

Monsieur le président, après une rapide présentation de la division des relations internationales, je me consacrerai au rôle qu'elle a joué après les attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 ainsi que lors des attentats ayant touché des ressortissants français à l'étranger – Ouagadougou, Grand-Bassam, Bamako. Pour compléter mon propos, je vous transmettrai un document relatif aux divers outils de coopération que mettent à la disposition des enquêteurs Interpol, Europol et les instances relevant de Schengen et du traité de Prüm en matière de lutte contre le terrorisme.

La DRI dépend du directeur central de la police judiciaire et de son adjoint ; elle est en quelque sorte une « sous-direction à l'international » sans en avoir le nom. Dirigée par un commissaire divisionnaire – ce qui est mon cas – ou par un contrôleur général – ce qui était le cas de mon prédécesseur –, elle gère les canaux de coopération avec Interpol, Europol et le Système d'information Schengen (SIS) pour l'ensemble des forces de sécurité nationales – police, gendarmerie, services douaniers – et la magistrature française. Elle est immédiatement mobilisée en cas de survenance d'un attentat majeur pour traiter les échanges avec nos partenaires étrangers.

Son organisation repose sur deux entités principales.

Il s'agit tout d'abord de la section centrale de la coopération opérationnelle de police, qui est sa salle des machines. Cette plateforme interministérielle est dirigée par un commissaire de police assisté d'un officier supérieur de la gendarmerie nationale. Elle mobilise actuellement soixante-treize personnes : quarante-six policiers, vingt-cinq gendarmes et deux douaniers. La SCCOPOL fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et constitue le point d'entrée unique des demandes émises par les enquêteurs français auprès des services étrangers comme des sollicitations en provenance de l'étranger. Vous noterez que je n'ai pas parlé des services de renseignement. Nous travaillons, le cas échéant, pour la division judiciaire de la DGSI.

Il s'agit, par ailleurs, du service chargé des actions de coopération européenne et internationale (SCACEI), composé d'une dizaine d'éléments, tous policiers, placé sous la direction d'un commissaire. Il est chargé des aspects institutionnels et stratégiques du fonctionnement d'Europol et d'Interpol. Autrement dit, ce service participe à l'élaboration des orientations que nous souhaitons voir imprimer à ces deux organismes.

Depuis l'année dernière, la DRI a été chargée de la gouvernance du Système d'information Schengen de deuxième génération (SIS 2) pour notre pays.

Enfin, nous participons à l'élaboration des positions françaises relatives à l'avenir de l'échange d'informations en Europe.

En cas d'attentats, la mobilisation de la DRI se fait toujours selon le même schéma. Notre service ne procède pas à des enquêtes, il fournit un appui et une aide aux enquêteurs et aux magistrats. Je précise que l'organisation de notre plateforme nationale est marquée par une particularité : au sein de la DRI est installée une unité du bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice. Des greffiers et des greffiers en chef y sont présents en permanence pour faciliter les échanges avec les magistrats du BEPI joignables vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur les dossiers qui nécessitent une avalisation judiciaire – mandats d'arrêt européens, observations transfrontières. Cela nous apporte un avantage notable par rapport à nos partenaires européens en termes de réactivité et de traitement des dossiers, car la prise de décision est immédiate.

Lorsque survient un attentat majeur, la DRI renforce les capacités de sa plateforme SCCOPOL, qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous affectons deux équipes permanentes : l'une au poste de commandement (PC) de crise de la direction centrale de la police judiciaire, l'autre au PC de crise de la SDAT. Nous prenons, à notre initiative ou en lien avec les services enquêteurs, toutes les mesures à même de faciliter les échanges bilatéraux avec nos partenaires étrangers directement concernés par les investigations ainsi qu'avec les grandes organisations internationales que sont Interpol et Europol.

Le 7 janvier 2015, conformément aux dispositions du plan attentat de la DCPJ et de la note de service de la DRI du 15 septembre 2014, un commissaire de police de la DRI a rejoint le PC de la SDAT pour faciliter la prise en compte des demandes de coopération internationale. Il a ensuite été relayé par le chef d'état-major de la SCCOPOL. Pour ma part, j'ai rejoint le PC de la direction centrale, place Beauvau. Durant les jours qui ont suivi, mon adjoint ou le chef de la SCACEI ont assuré une présence permanente auprès du directeur central ou de ses adjoints. L'officier de permanence de la SCCOPOL a quant à lui rejoint le service.

Aucun personnel n'a été rappelé, mais les congés et absences ont été réduits au strict minimum, sauf nécessités personnelles impérieuses.

La SCCOPOL fonctionne déjà vingt-quatre heures sur vingt-quatre et il n'a pas été nécessaire de renforcer davantage ses équipes car la dimension internationale de l'enquête était limitée.

Le 13 novembre 2015, dès que nous avons eu connaissance des attentats, les commissaires de la DRI ont rejoint les différents PC. Un dispositif de rotation « H247 » a été mis en place au PC de la DCPJ et au PC de la SDAT, tandis que mon adjoint et d'autres responsables de l'état-major de la SCCOPOL sont restés au service pour assurer le fonctionnement de l'ensemble de la machinerie. Comme après le 7 janvier, les congés et absences ont été réduits au strict minimum.

Les attentats du 13 novembre avaient une dimension internationale nettement plus marquée que ceux du 7 janvier et cela a eu une incidence directe sur le nombre et la diversité des demandes de coopération internationale émanant des services enquêteurs co-saisis – SDAT, DGSI, préfecture de police.

Une cellule de suivi spéciale a en conséquence été mise en place à la SCCOPOL, composée du chef d'état-major et d'un officier de l'unité nationale d'Europol. Outre un « chrono » général des demandes et réponses, cette cellule a constitué des tableaux spécifiques pour des demandes particulières : identifications biométriques via Prüm ou Interpol, demandes d'identification d'armes à feu, demandes particulières telles celles portant sur les migrants de l'île grecque de Leros.

La DRI a par ailleurs rapidement proposé aux services enquêteurs de demander l'appui d'Europol et d'Interpol. Les deux organisations n'ont pas été sollicitées pour les mêmes services, chacune offrant des outils spécifiques.

Europol a été mobilisée principalement pour ses capacités en matière d'analyse criminelle et d'échanges d'informations. Le bureau de liaison français d'Europol – qui relève fonctionnellement de mon autorité – a mis en place dès le 13 novembre un dispositif de rotation H247 et a pris part aux briefings quotidiens organisés avec les autres bureaux de liaison nationaux et les représentants de l'agence.

Dès le 15 novembre, l'agence a dépêché au PC de la SDAT, à la demande de la DRI, un bureau mobile composé d'analystes ayant un accès distant aux bases de données de l'agence. J'ai insisté pour que cette équipe soit dirigée par un fonctionnaire de police français, que nous connaissons personnellement, issu lui-même de la police judiciaire.

Le choix a rapidement été fait de transmettre de très nombreuses données recueillies dans le cadre de l'enquête à Europol, en vue de leur exploitation par ses analystes. Je me suis rendu à La Haye le 23 novembre pour m'assurer du plein soutien du directeur d'Europol, Rob Wainwright, et pour mieux définir les modalités de ce soutien apporté à l'enquête.

Compte tenu du volume des données fournies et de l'importance du dossier, l'agence a mis en place le 1er décembre une task force dédiée composée d'une quinzaine d'analystes baptisée « Fraternité ». Comprenant plusieurs Français, elle est co-dirigée par un commissaire de police français ayant le statut d'expert national détaché auprès de l'agence, conformément à une revendication que nous avions formulée auprès du directeur d'Europol qui y a très rapidement accédé. Cette task force avait besoin de compter dans ses rangs des francophones et des spécialistes connaissant la procédure pénale française et belge, et nécessitait des effectifs resserrés au plus près de l'enquête.

Le 16 décembre 2015, l'agence a été formellement associée à l'équipe commune d'enquête franco-belge mise en place le 16 novembre. Pourquoi ce délai d'un mois ? Parce que, comme vous le savez, l'équipe commune d'enquête est un dispositif de coopération judiciaire, et il a fallu que les magistrats français et belges saisis du dossier s'accordent sur les modalités de sa participation. Un avenant a permis qu'elle jouisse d'un accès total à l'ensemble des données. Eurojust a été également associé à cette équipe.

Au 12 mars 2016, 2,7 tétraoctets de données issues des enquêtes française et belge ont été communiquées dans ce cadre, parmi lesquelles 9 millions de communications téléphoniques et 614 000 fichiers informatiques, dont 330 000 fichiers média comprenant des photos ou des vidéos. À cette même date, l'agence avait organisé dans le cadre de l'enquête cinq réunions opérationnelles et produit trente et un rapports, dont quatorze rapports d'analyse opérationnelle.

Ce très fort investissement de l'agence a coïncidé avec la création en janvier 2016 du Centre européen de lutte contre le terrorisme – European Counter-Terrorism Centre –, nouvelle structure unissant les divers outilsd'Europol dédiés à cette thématique. Ce centre accueille notamment l'équipe de liaison conjointe anti-terroriste – Counter-Terrorism Joint Liaison Team –, au sein de laquelle la France, avec l'aide de la DRI, a délégué un policier spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, qui a été affecté en urgence dès le 4 janvier 2016 au bureau de liaison français à La Haye.

Interpol a de son côté été sollicité pour ses compétences en matière d'identification des victimes de catastrophes.

Le secrétariat général de l'organisation, basé à Lyon, a dépêché du 16 au 22 novembre à Paris une cellule de crise de cinq experts au sein de la cellule « ante mortem » de l'unité nationale d'identification des victimes de catastrophes – UNIVC – mise en place par la sous-direction de la police technique et scientifique de la DCPJ. Ces experts se sont chargés du recueil de renseignements auprès des pays membres, concernant une trentaine de dossiers de victimes décédées de nationalité étrangère ou de double nationalité et une quinzaine de personnes disparues. Un officier de la DRI était présent auprès d'eux afin de faciliter leur action.

Indépendamment de ces services spécifiques, les messageries sécurisées des deux organisations ont été mises à contribution pour des demandes de coopération avec nos partenaires. Par réseau d'échange sécurisé d'informations d'Europol – dit SIENA pour Secure Information Exchange Net Application –, 996 messages ont été échangés dans le cadre de l'enquête, ce qui est considérable par rapport aux flux habituels – pour un important dossier relevant du droit commun, on parvient à une dizaine voire une centaine d'échanges – ; ils ont concerné des demandes de coopération, des vérifications, des informations financières TFTPICE, des demandes d'identification biométriques. Par le canal 1-247 d'Interpol ont été échangés 1641 messages portant sur des émissions de notices, des demandes de coopération ou d'identification biométrique.

De nombreux échanges ont par ailleurs eu lieu par le canal SIRENE afin de traiter les « hits » liés aux signalements d'individus ou d'objets par les services anti-terroristes français et européens.

Enfin, avec l'aval du directeur central et dans le respect du secret de l'enquête, mon adjoint et moi-même avons diffusé des messages d'information relatifs aux faits et aux principales évolutions de l'enquête à nos partenaires étrangers –les vingt-huit pays membres de l'Union et les treize États ou organisations internationales associés à Europol et les cent quatre-vingt-dix États membres d'Interpol.

Nous avons par ailleurs réuni à plusieurs reprises les attachés de sécurité intérieure étrangers des pays les plus concernés – Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Espagne – afin de les tenir informés et de solliciter leur appui sur des points particuliers.

Divers contacts téléphoniques informels ont également eu lieu avec des chefs de police étrangers ainsi qu'avec le directeur d'Europol et le secrétaire général d'Interpol.

À ma demande, une réunion d'information plus formelle a été organisée le 23 novembre au siège d'Europol en présence des chefs de bureau de liaison et des représentants de l'agence afin de faire un point de situation et d'expliquer l'importance de certaines demandes. L'une d'elles portait sur les migrants de Leros : l'enquête ayant montré que deux des terroristes du Stade de France avaient sans doute gagné l'Union européenne en transitant par cette île grecque, il était nécessaire de localiser les cent-quatre-vingt-seize autres passagers de l'embarcation qu'ils avaient empruntée et de déterminer si d'autres terroristes avaient gagné l'Europe par le même moyen.

En outre, le 1er décembre 2015, j'ai fait un point de situation devant le conseil d'administration d'Europol et plus récemment, lors de la dernière conférence des chefs des bureaux centraux nationaux d'Interpol qui s'est tenue à Lyon du 26 au 28 avril, j'ai effectué une présentation.

Cette communication, plus rapide, plus régulière et plus complète qu'après les attentats de janvier, a été appréciée par nos partenaires.

La DRI est également mobilisée après la commission d'attentats à l'étranger, lorsque la présence de victimes françaises donne lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire nationale. Le déplacement des enquêteurs de la SDAT ou de la police technique scientifique fait l'objet de messages Interpol adressés au pays concerné. Lorsque la situation l'exige, comme ce fut le cas après les attentats de Ouagadougou le 15 janvier dernier, un responsable de la DRI conduit une mission sur place.

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