Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Réunion du 9 mai 2016 à 14h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 14 heures.

Présidence de M. Georges Fenech.

Audition, à huis clos, du colonel Bruno Arviset, secrétaire général du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale, du chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou, du chef d'escadron Y, du major Emmanuel Franchet, de l'adjudant-chef Frédéric Guaignier, de l'adjudant Raoul Burdet, de l'adjudant Vincent Delaval, de l'adjudant Sébastien Perrier et de la gendarme Annaïk Kerneis.

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Nous poursuivons nos travaux en recevant les représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie (CFMG), instance nationale de concertation créée en 1990 et qui constitue le véritable instrument du dialogue social interne à la Gendarmerie nationale. Nous accueillons le colonel Bruno Arviset, secrétaire général du Conseil, le chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou, le chef d'escadron Y, le major Emmanuel Franchet, l'adjudant-chef Frédéric Guaignier, l'adjudant Raoul Burdet, l'adjudant Vincent Delaval, l'adjudant Sébastien Perrier et la gendarme Annaïk Kerneis.

Vous allez pouvoir, madame et messieurs, faire part à notre commission de vos observations et de vos critiques éventuelles quant aux moyens et aux missions de la gendarmerie, de vos attentes en matière de formation des personnels et de votre appréciation quant à la coopération entre les forces de sécurité intérieure.

Le cabinet du directeur général de la Gendarmerie nationale nous a demandé ce matin même que votre audition ait lieu à huis clos, alors que nous avions envisagé une audition ouverte à la presse, comme nous l'avions fait avec les syndicats de la police nationale. Nous avons souhaité faire droit à cette requête. L'audition n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée nationale. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions ayant lieu à huis clos sont transmis aux personnes entendues afin de recueillir les observations de ces dernières. Ces observations sont ensuite soumises à la commission qui peut décider d'en faire état dans son rapport. Conformément aux dispositions du même article, sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans, divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information.

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Le colonel Bruno Arviset, le chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou, le chef d'escadron Y, le major Emmanuel Franchet, l'adjudant-chef Frédéric Guaignier, l'adjudant Raoul Burdet, l'adjudant Vincent Delaval, l'adjudant Sébastien Perrier et la gendarme Annaïk Kerneis prêtent successivement serment.

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Nous allons vous céder la parole afin que vous nous fassiez part de votre analyse de l'état des moyens et des effectifs du corps de la gendarmerie. Quels sont les principaux besoins en matériel identifiés dans les brigades territoriales ? Selon quelle périodicité les militaires de la gendarmerie nationale bénéficient-ils d'un entraînement au tir ? Cette périodicité a-t-elle évolué depuis les attentats de janvier 2015 ? Avez-vous des propositions à formuler en la matière ?

Le matériel des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) doit évoluer conformément au plan BAC-PSIG 2016. Que pensez-vous de ce nouveau matériel ? Est-il réservé aux « PSIG-Sabre » ? Est-il déjà disponible sur l'ensemble du territoire ? Les 150 PSIG-Sabre sont-ils répartis de façon optimale sur le territoire ?

Un nouveau schéma national d'intervention des forces de sécurité a été présenté par le ministre de l'intérieur le 19 avril dernier. Quelles sont les actions mises en oeuvre par la direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN) pour préparer les PSIG-Sabre à remplir leur mission d'unités primo-intervenantes en cas d'attaques terroristes ? Avez-vous le sentiment que la nouvelle doctrine d'emploi est parfaitement intégrée par les unités concernées ?

Colonel Bruno Arviset. Je suis ici entouré de gendarmes couvrant à peu près l'ensemble du spectre de la lutte contre le terrorisme – notamment de militaires de la force d'intervention, en particulier du chef d'escadron Y. La présence de ce dernier explique en partie la demande de huis clos de la DGGN puisque, en tant que membre du Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), le chef d'escadron Y est protégé par l'anonymat. Sont également présents des militaires couvrant les domaines du renseignement et de la police judiciaire, ainsi que des militaires représentant les unités territoriales, tant à l'échelon de la compagnie de gendarmerie que du PSIG-Sabre lui-même.

La gendarmerie s'est bien évidemment mise en ordre de marche, sans attendre les attentats du mois de novembre, pour apporter une réponse globale au terrorisme. Qu'un événement ait eu lieu en zone de police ou en zone de gendarmerie, nous restons dans tous les cas au moins une force concourante, et avons des missions de contrôle de flux à assurer, quand bien même un événement serait projeté ou aurait déjà eu lieu en zone de police. J'ajoute que, sur la « plaque » parisienne – qui focalise le maximum de risques –, travaillent de nombreuses unités de gendarmerie, à commencer par la Garde républicaine, ici représentée par un adjudant et chargée de la protection de tous les palais nationaux. Tous les escadrons de gendarmerie mobile de France passent également en région parisienne et sont à ce titre intégrés à cette mission.

Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions. En fonction de la nature de ces dernières, chacun prendra la parole dans son domaine de compétence privilégié, la parole étant naturellement libre.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Je précise à titre liminaire que je commande 200 gendarmes dans la compagnie de Nantes.

Dès la publication de la note relative à la gestion des tueries planifiées par la gendarmerie, les unités se sont attachées à prendre en compte le changement de doctrine, et notamment le passage d'une posture de bouclage et de recours aux unités spécialisées à une posture de contact avec l'adversaire, sans négociation possible. Ont ainsi été mis en place les PSIG-Sabre, et je commande d'ailleurs l'un des premiers PSIG à avoir été transformé en PSIG-Sabre. Les moyens nouveaux devraient nous arriver d'ici au 1er septembre – nous en avons reçu confirmation de la direction générale tout à l'heure.

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N'était-il pas initialement prévu qu'ils arrivent au début du mois de juillet ?

Colonel Bruno Arviset. Les livraisons de matériel sont prévues d'ici à la fin du mois du juin, mais pourraient être anticipées au profit des quelques PSIG-Sabre les plus exposés du fait de l'Euro 2016. Ainsi tous les PSIG-Sabre de la première phase seront-ils dotés de moyens entre juin et août.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. La formation a cependant déjà commencé, qu'il s'agisse d'entraînements, d'alertes, ou de la détermination des tâches de chacun – l'objectif étant, comme on dit au centre national d'entraînement des forces de gendarmerie à Saint-Astier, la « guerre du temps ». Notre doctrine, qui vous a déjà été exposée, est celle du « primo-engagé primo-intervenant ». Je pense sincèrement que les gendarmes de terrain ont pris conscience, depuis les attentats, que les gens en armes sont, tout un chacun, en mesure d'intervenir n'importe où, que ce soit dans un supermarché, dans un théâtre ou dans un autre lieu. J'ai donc, au niveau de ma compagnie, de nombreux contacts avec les élus locaux, qui n'hésitent pas à mettre à notre disposition qui des théâtres, qui des supermarchés, qui des écoles, pour y faire de l'instruction et de l'entraînement.

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À quelle fréquence vous entraînez-vous au tir ?

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. L'entraînement, au-delà du tir, consiste déjà à déterminer qui fait quoi. En effet, dans les circonstances qui nous intéressent, tout comme lorsqu'est commise une infraction de droit commun de gravité assez élevée, par exemple un homejacking, toutes les forces, de police comme de gendarmerie, sont concentrées sur la recherche des malfaiteurs. Cette concentration des forces existe donc déjà : c'est la coordination opérationnelle qu'il nous faut mettre en place. Nous y travaillons, à notre niveau, avec les élus.

L'entraînement des gendarmes des brigades territoriales, c'est-à-dire des primo-engagés, englobe le tir, mais aussi la capacité à intervenir sur des sites ouverts au public : ce type d'entraînement a lieu au moins une fois par mois au niveau des compagnies. Il ne peut évidemment concerner tous les personnels simultanément, puisque certains d'entre eux restent à la brigade et que d'autres sont en permission.

Quant au PSIG-Sabre, il a obligatoirement une journée mensuelle d'entraînement, tous gendarmes réunis, mais aussi des alertes au quotidien. Son entraînement au tir s'effectue une fois tous les quinze jours – sachant que nous avons la chance, à Nantes, d'avoir une antenne du GIGN pour nous entraîner – mais ne regroupe tous les personnels qu'une fois par mois. Ces personnels s'entraînent alors spécifiquement au tir, ce qu'ils ne faisaient pas forcément auparavant.

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Combien tirez-vous de cartouches par an en moyenne, sachant qu'un policier en tire quatre-vingt-dix ?

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Il convient ici de distinguer les gendarmes en unité territoriale, qui en tirent entre cinquante et soixante par an, – des gendarmes des PSIG. Au titre de nos nouvelles dotations, j'ai reçu 4 500 cartouches pour un PSIG de 38 gendarmes. Je ne puis vous dire combien de cartouches tirera chacun d'eux, d'autant que j'exclus pour l'instant de cette instruction-entraînement les gendarmes adjoints volontaires. Je ne connais pas le nombre exact de cartouches tirées par gendarme du PSIG – qu'il s'agisse de tir aux armes longues ou à l'arme de poing.

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Afin de préciser les choses,pourriez-vous me confirmer qu'un gendarme de brigade ne tire que cinquante à soixante cartouches par an ?

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Tout à fait. C'est une moyenne, encore une fois, mais j'insiste sur le contenu de ces séances de tir qui combinent mise en situation opérationnelle, maniement de sécurité, rappels juridiques.

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Major Emmanuel Franchet

C'est une moyenne, mais encore faut-il distinguer entre les armes. Nous parlons ici du tir au Sig Sauer, qui est l'arme de poing du gendarme. Vous pouvez ajouter à cela les cartouches qu'ils tirent au pistolet mitrailleur HK ainsi qu'au fusil à pompe. Les gendarmes tirent environ soixante-dix cartouches par an au Sig Sauer, mais aussi une cinquantaine de cartouches par arme supplémentaire.

Colonel Bruno Arviset. Il ne faut pas non plus limiter la préparation à la lutte contre le terrorisme à l'entraînement au tir : elle comporte aussi un entraînement à la manoeuvre, permettant d'acquérir ou de réacquérir les actes individuels du combattant. Ceux de nos gendarmes qui entrent en école nationale de sous-officiers reçoivent une formation militaire assez poussée, que beaucoup complètent en participant à des opérations extérieures en cours de carrière. La préparation à la lutte contre le terrorisme comporte un entraînement à la manoeuvre opérationnelle, à la progression en binôme et à la progression en groupe, formation qui vient s'ajouter à l'entraînement au tir lui-même – le tir étant l'acte ultime que nous essayons d'ailleurs d'éviter. Avant de tirer, il faut déjà savoir se protéger, protéger son camarade et progresser.

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J'entends bien ce que vous dites, mais tant les attentats du mois de janvier que de ceux du mois de novembre ont montré l'importance du tir : au mois de janvier, il n'a pas été simple pour la police de neutraliser les frères Kouachi à la sortie de Charlie Hebdo, et, au mois de novembre, c'est grâce au tir de précision d'un commissaire de la brigade anti-criminalité (BAC) que nous avons pu neutraliser un terroriste. Avec le changement de doctrine d'emploi, qui fait des primo-arrivants les primo-intervenants, les gendarmes, où qu'ils soient sur le territoire, peuvent être amenés à en faire autant. Si un gendarme ne sait pas bien tirer, cela peut avoir des conséquences dramatiques, d'où l'importance de la formation au tir, et d'où cette question sous-jacente : considérez-vous votre entraînement au tir comme suffisant ? Faut-il le renforcer ? J'entends bien qu'il y ait une distinction entre les PSIG-Sabre, dont le ministre de l'intérieur a rappelé l'importance de même que celle des BAC, et les brigades de gendarmerie. Mais, encore une fois, ces dernières, où qu'elles soient, sont potentiellement susceptibles d'intervenir. Les PSIG et les brigades seront-ils suffisamment formés pour faire face à la menace ? J'ai bien entendu vos propos, mon colonel, quant aux autres volets de cette formation, mais je vous interroge spécifiquement sur le tir.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. À Dammartin-en-Goële, c'est tout de même un brigadier qui a blessé les frères Kouachi et permis de les fixer dans l'imprimerie, mettant un terme à leur cavale. Ensuite, je tiens à souligner que les unités s'efforcent d'organiser des séances de tir, malgré les contraintes. Les unités territoriales exercent énormément de missions, et sont d'ailleurs les unités les plus polyvalentes, de sorte que leur commandement est assez difficile. Il est donc très compliqué de parvenir à regrouper l'ensemble des militaires, ce qui n'est pas le cas d'un PSIG-Sabre, que l'on peut neutraliser et qui est toujours prêt à intervenir. Les unités territoriales sont en permanence sollicitées, que ce soit pour des plaintes ou pour autre chose. C'est déjà bien lorsqu'on arrive à faire tirer cinquante à soixante cartouches par militaire car, encore une fois, cela se passe dans le cadre de scénarios et non dans celui d'un strict entraînement au tir. Nous essayons d'éprouver le militaire et de le mettre en état de stress.

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Cela vous paraît-il suffisant ?

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Au niveau auquel se trouvent les gendarmes territoriaux, oui. Mais, encore une fois, si nous pouvions augmenter cet entraînement continu, nous le ferions. Car, pour l'instant, nous en avons les moyens.

Colonel Bruno Arviset. Se posent aussi des problèmes d'infrastructures : il faut non seulement des cartouches pour s'entraîner, mais aussi des champs de tir. Nous n'en avons pas dans chaque brigade. Dans le cadre de la feuille de route, la DGGN a permis de faciliter l'accès des gendarmes aux infrastructures civiles notamment.

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Il faut aussi des formateurs…

Colonel Bruno Arviset. Nous pouvons encore en trouver en interne. Le plus difficile, à l'échelon d'un groupement, reste de trouver des stands de tir qui ne soient pas trop éloignés des brigades et qui nous permettent de nous entraîner au tir en situation crédible et non pas simplement debout derrière une cible.

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Existe-t-il des stands de tir communs avec la police ?

Colonel Bruno Arviset. Lorsqu'il existe un stand de tir, qu'il appartienne à la gendarmerie, à la police ou aux armées, des conventions conclues au niveau départemental nous permettent d'en mutualiser l'utilisation.

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Major Emmanuel Franchet

C'est pourquoi mon camarade a souligné la difficulté de trouver des créneaux horaires. Dès lors qu'on mutualise un stand de tir, on doit y faire tirer les policiers, les gendarmes et les policiers municipaux.

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Peut-il y avoir des formateurs communs à la police nationale, à la gendarmerie et à la police municipale ?

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Major Emmanuel Franchet

Les moniteurs d'intervention professionnelle forment les gendarmes ainsi que les policiers municipaux. La police nationale a ses propres techniciens.

Adjudant-chef Frédéric Guaignier. Il nous arrive, à la section de recherche de Paris, d'aller nous entraîner au tir dans les commissariats de police des 12e et 20e arrondissements, lorsque nous avons des créneaux disponibles, ou bien d'aller tirer le dimanche sur des stands de la gendarmerie. Nous profitons de nos permanences pour tirer, toutes les cinq à six semaines, vingt cartouches par séance.

Adjudant Raoul Burdet. Je confirme les propos de mes camarades. Le même problème se pose pour la Garde républicaine : il lui faut trouver des stands parisiens. Nous mutualisons notamment à Vincennes un stand assez réduit, puisqu'il n'a que deux places de tir. Cela nécessite donc une organisation assez précise.

Adjudant-chef Frédéric Guaignier. Nous avons nos propres moniteurs maisil nous est déjà arrivé de tirer au stand de tir du commissariat du 12e arrondissement, en étant encadrés par un moniteur de la police car il était disponible ce jour-là. Cela nous a permis de nous familiariser avec d'autres méthodes.

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Pour en terminer sur ce volet des interventions et des primo-intervenants, je résumerai ainsi votre point de vue : il vous arrive du matériel adapté, et vous êtes également en train de recevoir des formations adéquates. Mais les militaires de l'arme ont-ils vraiment intégré cette nouvelle doctrine de combat ? Le changement de doctrine se fait-il naturellement, ou y a-t-il encore des interrogations ?

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Major Emmanuel Franchet

Le changement s'est fait très naturellement, car nous sommes des militaires. Aujourd'hui, le gendarme – primo-engagé ou primo-intervenant – travaille en mode d'intervention professionnelle. Et je m'exprime là en tant que militaire de PSIG-Sabre : lorsque nous intervenons au cours d'une tuerie planifiée ou d'un attentat, nous passons tout naturellement en mode de combat.

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Dès lors, pourquoi ne pas avoir adopté cette doctrine plus tôt, compte tenu du contexte apparu en France voici une bonne dizaine d'années ?

Colonel Bruno Arviset. On a toujours considéré, depuis vingt ou trente ans, que, dans une prise d'otages, le temps jouait en faveur des forces de l'ordre. À ce titre, il était parfaitement logique de partir du principe qu'en cas de début de prise d'otages ou de tir, mieux valait que les unités non spécialisées bouclent la zone concernée pour éviter que la situation empire, en attendant l'arrivée d'unités spécialisées. Je pense que cette doctrine n'a pas lieu d'être remise en cause pour un certain nombre de faits, mais que, face à des tueries planifiées par des gens qui veulent faire un massacre et non prendre des otages, puis mourir en martyrs dans un ultime affrontement avec les forces de l'ordre, nous sommes obligés d'adapter notre mode opératoire et de revoir la doctrine. Je parle sous le contrôle d'un chef d'escadron, qui ajoutera ce qu'il souhaite.

Chef d'escadron Y. Il y a quatre ans déjà, le général Thierry Orosco, qui commandait le GIGN à l'époque, avait précisé le concept de tuerie planifiée dans un contexte de terrorisme low cost et, dès cette époque, nous avions commencé à travailler à l'échelle du GIGN, petite unité en termes d'effectifs, sur la guerre du temps et l'intervention la plus rapide sur site. Est alors apparu le concept de plan d'assaut immédiat, qui nous permet d'intervenir très rapidement sur tout point de la grande couronne parisienne. Désormais, ce concept est décliné à tous les échelons de la gendarmerie jusqu'au niveau de la brigade ou du PSIG-Sabre, pour les unités plus spécialisées.

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Il s'agit donc d'une adaptation aux nouvelles menaces.

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Major Emmanuel Franchet

Quant à savoir si les PSIG-Sabre sont implantés de façon optimale, je vous répondrai que oui : notre maillage territorial fait notre force. La direction générale de la gendarmerie a décidé d'implanter 150 PSIG-Sabre au niveau national pour pouvoir intervenir dans un délai très rapide, en y intégrant également les six antennes du GIGN.

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Ce que vous dites en matière d'implantation des PSIG-Sabre vaut non seulement pour le territoire métropolitain mais également outre-mer, me semble-t-il.

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Major Emmanuel Franchet

Nous avons effectivement des groupes de pelotons d'intervention (GPI) outre-mer et une antenne du GIGN à Mayotte, dont la création a été décidée cette année.

Colonel Bruno Arviset. Nous avons des GPI dans chaque territoire d'outre-mer. Nous avions donc déjà des spécialistes sur ces territoires. En métropole, nous étions en revanche plus éloignés en certains lieux de nos anciens pelotons d'intervention, d'où l'idée des PSIG-Sabre. Je pense que la répartition de ces derniers s'est faite selon une approche pragmatique, mais je parle sous votre contrôle : on a créé 150 PSIG Sabre, à raison d'au moins un par département, étant entendu qu'ils ne sont pas nécessairement implantés dans le chef-lieu de département, mais plutôt là où peut résider la principale menace. Le major est modeste, lui qui commande le PSIG-Sabre d'Avranches… Cette ville ne dit peut-être pas grand-chose à tout le monde, et l'on pourrait se demander pourquoi Avranches plutôt que Saint-Lô. C'est parce que le PSIG-Sabre d'Avranches est précisément chargé d'intervenir le cas échéant au Mont Saint-Michel, deuxième site touristique de France.

Chef d'escadron Y. Aux Antilles, comme dans tous les départements et collectivités d'outre-mer, les GPI sont bâtis selon la même structure et remplissent les mêmes missions que les antennes du GIGN en métropole.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Pour en revenir à votre question initiale, l'existence d'un tronc commun facilite la réversibilité de doctrine dans l'esprit de chaque militaire, mais je tiens quand même à préciser trois points. Tout d'abord, lors d'une conférence à laquelle j'ai assisté en 2009, l'ancien commandant du GIGN parlait déjà du phénomène « Amok », qui était donc connu à cette époque de tous les chefs présents. Ensuite, pour ceux qui ont participé à des opérations extérieures, comme moi qui suis allé en Afghanistan en 2011, ce phénomène de tueries de masse ou d'attaques dites « complexes » était hebdomadaire. De nombreux militaires ont donc déjà pris conscience de l'existence de ces phénomènes, mais doivent encore se rendre compte qu'ils ont lieu sur le territoire français. Enfin, je tiens à préciser, s'agissant des gendarmes d'unités territoriales, qu'une information relative à cette menace de tuerie planifiée est diffusée sur notre intranet et dispensée à chaque instruction collective.

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Je vous remercie. Nous allons maintenant passer à une deuxième série de questions, relatives aux missions de garde statique et dynamique qui sont affectées à la Gendarmerie nationale. Ces missions ont-elles évolué depuis janvier 2015 ? Ces gardes vous paraissent-elles efficaces ? Les gardes dynamiques, évoquées par le ministre de l'intérieur devant notre commission d'enquête le 7 mars dernier, sont-elles suffisamment efficaces pour remplacer les gardes statiques ?

Adjudant Raoul Burdet. La surveillance des palais nationaux constitue l'un des piliers missionnés de la Garde Républicaine. C'est clairement en termes d'effectifs que l'impact des attentats s'est fait sentir sur la Garde républicaine : par endroits, ses effectifs ont doublé, tant en nombre qu'en termes de difficulté d'emploi, puisqu'ils ont notamment été équipés de gilets pare-éclats et d'armes de dotation collective. Mes camarades, qui montaient auparavant six gardes mensuelles au maximum, en montent désormais huit, voire davantage. Les conséquences sur l'emploi sont donc réelles. Peut-être sommes-nous aujourd'hui confrontés à des logiques croisées : il faut à la fois augmenter les effectifs sur le terrain, compte tenu du contexte, et revoir leur doctrine d'emploi, mais également augmenter leur niveau d'instruction. Accroître nos moyens en matériel technique de surveillance – je pense notamment à la vidéosurveillance des quartiers et casernes et non seulement à celle des palais – permettrait de résoudre une des données de l'équation. La Garde républicaine est clairement en attente de moyens techniques supplémentaires, ce qui permettrait de mettre davantage d'effectifs sur le terrain, car, actuellement, les gardes républicains sont quotidiennement déployés en mission, qu'il s'agisse de la cavalerie ou des pelotons d'intervention des régiments d'infanterie.

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La vidéosurveillance, qui pourrait résoudre certains problèmes d'effectifs, reste encore sous-dimensionnée. Une réflexion est-elle menée à ce sujet ?

Colonel Bruno Arviset. Sur la plaque parisienne, ou sur le territoire national de manière générale ?

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Sur le territoire national.

Colonel Bruno Arviset. De manière générale, de gros efforts ont été accomplis ces dix dernières années en matière de vidéoprotection, mais par endroits, il reste des marges de progrès. Ces efforts reposent encore beaucoup sur la volonté des collectivités territoriales, qui, certes, y sont incitées par l'État par le biais de financements et de participations, mais il est bien des endroits où l'on pourrait aller bien au-delà de ce qui a été fait. Si la vidéoprotection n'est pas l'alpha et l'oméga de la protection, il n'empêche qu'elle permet de réduire les gardes statiques et d'améliorer l'élucidation des infractions commises.

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Le rapporteur me fait remarquer à juste titre que le Premier ministre a annoncé ce matin une montée en puissance de la vidéoprotection.

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En dehors de la Garde républicaine, qui est très spécifique, êtes-vous beaucoup sollicités pour assurer, de façon statique ou dynamique, la surveillance de lieux situés sur les territoires relevant de votre compétence ? Quelle est votre appréciation à cet égard ? D'autre part, comment travaillez-vous avec Sentinelle ? Comment jugez-vous cette opération ?

Adjudant Vincent Delaval. Je suis adjudant du peloton spécialisé de protection de la gendarmerie (PSPG) de Nogent-sur-Seine. Les PSPG, qui protègent les centrales nucléaires, connaissent une montée en puissance depuis les attentats. Nous agissons en partenariat avec l'opérateur, qui, de son côté, consacre aussi des moyens à la vidéoprotection. Nous augmentons quant à nous nos effectifs pour faire face aux évolutions de la menace.

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Peut-être pourrons-nous revenir par la suite sur le cas très spécifique de la surveillance des centrales, qui relève effectivement de la compétence de la gendarmerie. Mais, en dehors des cas précis des palais nationaux et des centrales nucléaires, êtes-vous sollicités pour la surveillance de lieux de culte ou d'établissements particuliers ?

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Une compagnie de province telle que celle de Nantes est sollicitée de manière ponctuelle lors de fêtes religieuses ou des marchés de Noël. Mais, pour des raisons tactiques, nous n'assurerons jamais, du moins en ce qui concerne ma compagnie, de missions dites statiques. Nous attribuons aux militaires des missions dynamiques de contrôle de zone, en lien avec la mission Sentinelle qui est en contact hebdomadaire avec les gendarmes territoriaux chargés de surveiller des points sensibles. L'uniforme étant devenu une cible depuis quelques temps, si nous restons statiques devant un monument ou autre, il est certain que la cible sera attaquée.

Colonel Bruno Arviset. La gendarmerie départementale a effectué très peu de gardes statiques dans sa zone de compétence, y compris dans la période ayant immédiatement suivi les attentats. De toute façon, les effectifs des brigades ne permettent pas de surveiller vingt-quatre heures sur vingt-quatre des points sensibles situés en zone de gendarmerie. Nous avons donc plutôt opté pour des patrouilles dynamiques visibles, dissuasives et destinées à entraver la liberté d'action de terroristes potentiels. Ce n'est qu'en cas de menace particulière ou de rassemblement que nous recourons éventuellement aux gardes statiques.

Ce sont sans doute nos gendarmes mobiles, venus en renfort à Paris en particulier, qui ont été le plus affectés par les gardes statiques. Après les attentats de janvier 2015, ces gendarmes mobiles ont effectivement beaucoup été mis à contribution en vue d'assurer la protection des organes de presse, mais nous avons rapidement évolué vers des missions plus dynamiques, car chacun s'accorde à dire, chez nous, que les gardes statiques sont extrêmement coûteuses en personnel sans toujours être aussi efficaces que les gardes dynamiques, et qu'elles sont même parfois un « remède pire que le mal », en ce sens qu'elles reviennent à faire de la publicité pour des lieux jusqu'alors méconnus du public.

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Travaillez-vous avec des militaires de l'opération Sentinelle ? Que pensez-vous de cette dernière ?

Gendarme Annaïk Kerneis. La gendarmerie des transports aériens, que je représente, a connu, en matière de gardes statiques, des changements dans sa façon de travailler. Depuis les attentats, elle a dû renforcer sa présence auprès de certains aéronefs en provenance du Sénégal, du Mali et des pays du Maghreb, et effectue aussi sur les pistes, c'est-à-dire dans la zone réservée des aéroports, des contrôles approfondis des véhicules et personnes travaillant dans cette zone – les passagers étant quant à eux soumis à l'inspection-filtrage de la police aux frontières (PAF). C'est une mission nouvelle pour nous.

Adjudant Sébastien Perrier. Il a aussi été mis en place au sein de chaque département un pôle de lutte contre l'islam radical, animé par le préfet et coordonné avec les services de douane, de police, de gendarmerie, de l'URSSAF et de tout autre service de l'État susceptible d'intervenir – comme l'administration pénitentiaire ou l'éducation nationale. Ce pôle a pour but de lutter contre la montée en puissance de ce phénomène sur le territoire national, ainsi que contre l'économie souterraine qui peut se développer en parallèle. Nous n'effectuons pas de gardes statiques. Nous allons sur place visiter des lieux culturels et d'activité commerciale, une fois les cibles de nos contrôles prédéfinies mensuellement au niveau de la préfecture.

Gendarme Annaïk Kerneis. J'ai oublié de vous préciser que, avant les attentats, nous patrouillions avec Sentinelle dans la zone des pistes des aéroports. Depuis ces événements, nos effectifs ne le permettent plus, car nous sommes appelés pour d'autres missions. Sentinelle patrouille donc souvent seule, de même qu'elle le fait dans les aérogares, avec ou sans la PAF dont elle est indépendante.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Les unités territoriales sont effectivement en contact avec Sentinelle. Comme je vous le disais, les brigades connaissent le territoire. En tant qu'ancien militaire de l'armée de terre, j'incite donc les militaires des armées à prendre ces contacts. Je pense néanmoins que l'échange d'information pourrait effectivement être amélioré.

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Sentinelle vous paraît-elle utile ?

Colonel Bruno Arviset. Le renfort des armées sur le territoire national est utile sinon indispensable à mon sens, qu'il s'appelle Sentinelle ou qu'il revête d'autres formes. Peut-être faut-il encore réfléchir à de nouveaux types de renfort. Je sais par exemple que le mois dernier, dans l'Isère, la gendarmerie a conduit une expérimentation assez intéressante de contrôle de flux conjoint avec des militaires de l'armée de terre. Cette dernière nous apporte un savoir-faire et un renfort de moyens ; nous lui apportons une capacité juridique. Ce type d'opérations de contrôle des flux coordonné mérite selon moi d'être reconduit, même s'il reste encore à en tirer toutes les conclusions. Il est peut-être des territoires en France où le renfort de militaires en zone de gendarmerie serait le bienvenu. Je pense par exemple à la frontière sud-est, au-dessus de Nice, qui se trouve en zone montagneuse. Les gendarmes du groupement de Nice ne peuvent contrôler seuls tous les points de passage en même temps : les unités alpines pourraient tout à fait travailler en synergie avec les gendarmes pour effectuer des contrôles aux frontières sur les cols qui sont des points de passage connus. À mon sens, le renfort de militaires des armées sur le territoire national est très profitable, mais encore faut-il qu'il s'articule correctement avec les missions de la gendarmerie.

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Notre troisième série de questions concerne le renseignement territorial. La remontée de l'information depuis vos brigades fonctionne-t-elle bien selon vous ? A-t-elle évolué depuis les attentats de janvier 2015 ?

Adjudant Sébastien Perrier. Actuellement, la gendarmerie occupe toute sa place dans le deuxième cercle du renseignement. Nous travaillons de concert avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et les services départementaux du renseignement territorial (SDRT), dont le renseignement est la mission régalienne.

La gendarmerie travaille de l'échelon central vers ses unités élémentaires et n'a pas de problème de remontée d'informations. Nous avons, au niveau de chaque département, une cellule de renseignement, commandée par un officier adjoint de renseignement et dont la mission est d'animer et de coordonner le suivi du renseignement dans le département. Cet officier a pour ce faire, au niveau des unités élémentaires, des gendarmes plus particulièrement chargés du suivi, notamment sur l'islam radical, qui lui font remonter les informations. Des signalements peuvent lui être apportés. Il anime la recherche et la remontée de l'information.

Les fichiers de la gendarmerie sont, eux aussi, une mine nous permettant de faire remonter l'information. Je pense notamment à la base de données de sécurité publique (BDSP) : le brigadier peut y faire remonter, sans formalisme particulier, une fiche de renseignement au niveau supérieur, qui est celui du groupement. Là, l'information sera travaillée par la cellule de renseignement pour devenir véritablement un renseignement et s'inscrire dans un cadre de suivi si nécessaire. Il existe également des fichiers plus particuliers, comme le fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), que l'on trouve au niveau du groupement. Ce fichier est une mine importante, permettant d'avoir accès à différents renseignements relatifs à des personnes fichées ou suivies en raison d'une radicalisation à caractère terroriste, ou qui sont encore en cours d'évaluation. Les agents qui ont à en connaître peuvent également savoir si cette personne est suivie par d'autres services. La gendarmerie dispose de nombreux autres moyens, tels que le fichier des personnes recherchées, le système d'information Schengen ou le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ).

Il existe, outre les cellules de renseignement, des brigades départementales de renseignement et d'investigation judiciaire, qui, elles-mêmes, peuvent inscrire des personnes ou des véhicules dans des fichiers – sur autorisation du commandant de groupement de gendarmerie. Il y a donc, de l'unité élémentaire jusqu'à l'échelon central, une remontée d'informations permanente.

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Confirmez-vous que le FSPRT est très utile aux gendarmes ?

Adjudant Sébastien Perrier. L'autorisation d'accès au fichier est très réglementée au sein de la gendarmerie. Dans le département de Vaucluse, par exemple, seuls l'officier adjoint au renseignement et le chef du centre opérationnel de renseignement de la gendarmerie y ont accès. Ils sont là en permanence et assurent le suivi de toutes les personnes figurant sur ce fichier. Ils peuvent également savoir si ces personnes sont suivies par d'autres services.

Colonel Bruno Arviset. Ce fichier est à mon sens indispensable à nos unités. Si vous me permettez d'être un peu critique, nous y avons peut-être encore un accès trop restreint. Quand, dans un département comme le Vaucluse, qui a une population importante en zone de gendarmerie et une population à risque également importante, on n'autorise que deux officiers supérieurs de gendarmerie à consulter ce fichier, il y a, me semble-t-il, une marge de progrès – surtout lorsqu'on sait que le nombre d'inscrits au FSPRT en France est évalué à 14 000.

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Quelle est, d'après vous, cette marge de progression, entre la nécessité d'être opérationnel et le souci majeur de la confidentialité ?

Colonel Bruno Arviset. Nous avons 400 compagnies de gendarmerie sur le territoire national, donc 400 commandants de compagnie et leurs adjoints – à l'échelon administratif de l'arrondissement. Il me semble que l'on pourrait leur ouvrir l'accès à ce fichier. Ne voir les choses qu'à l'échelon du département, c'est oublier qu'il y a dans le ressort de bien des compagnies des dizaines d'individus radicalisés.

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L'une des idées actuellement à l'étude consisterait à repositionner le service central du renseignement territorial (SCRT) pour qu'il puisse intégrer la gendarmerie : qu'en pensez-vous ?

Colonel Bruno Arviset. En principe, le SCRT est un service commun à la police et à la gendarmerie. Il a cependant encore un trop grand tropisme policier. Étant donné qu'il travaille, y compris au niveau de ses antennes départementales, au profit des deux zones et que 50 % de la population se trouve dans notre zone de responsabilité, il me semble que la codirection devrait être instaurée et que l'équilibre devrait se retrouver à tous les niveaux de la chaîne de ce service.

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Si ma mémoire est bonne,tant à Lille qu'à Marseille, où nous nous sommes déplacés pour voir comment les choses fonctionnaient, les gendarmes sont intégrés à l'antenne départementale du SCRT. La gendarmerie est-elle représentée dans toutes les antennes départementales ? D'après ce que vous nous dites, n'est-ce pas tant un problème de positionnement que de culture ?

Colonel Bruno Arviset. Les gendarmes sont certes intégrés dans le SCRT, mais encore faut-il prendre en compte les volumes concernés. En règle générale, on trouve dans chaque service départemental un à deux gendarmes, tous grades confondus – étant entendu que les effectifs des services départementaux varient. Ce n'est pas gênant en soi, puisque nous avons nous-mêmes une cellule de renseignement qui alimente le SDRT. Pour autant, nous n'avons que trois (à l'origine aucune), directions de SDRT, alors qu'il est des départements où les trois quarts de la population sont en zone de gendarmerie. Bref, le renseignement territorial est une mission que nous partageons avec la police, mais la direction n'est pas toujours suffisamment partagée. Il n'est pas question ici de guerre des polices mais d'équilibre dans la représentation, tant à l'échelon national que départemental.

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Je souhaiterais revenir sur la question des fichiers. Rencontrez-vous des problèmes de compatibilité entre logiciels ? Selon quelle procédure interne ces fichiers sont-ils nourris de tel ou tel signalement ? Pendant quelle durée et de quelle manière les informations y sont-elles stockées ? Sont-elles consultables facilement ? Sont-elles intégrées à d'autres fichiers, ce qui pourrait, encore une fois, poser des problèmes de compatibilité ? Avez-vous directement accès à ces informations quand vous en avez besoin ?

Adjudant Sébastien Perrier. Il existe une protection de l'information au sein de la gendarmerie. Toute personne n'a pas à connaître du même degré d'information. L'officier adjoint au renseignement qui est à la tête de la cellule de renseignement n'aura pas le même renseignement que le brigadier qui se trouve en unité élémentaire.

L'enregistrement d'informations sur les fichiers est une décision soumise à l'autorité du commandant de groupement au niveau du département, dans un premier temps. Et, comme je vous le disais, un groupe d'évaluation départemental (GED) associant les différents services de l'État se réunit chaque semaine. C'est le préfet qui décide d'enregistrer ou non dans les fichiers ad hoc les personnes ciblées, en fonction du niveau de radicalisation dont elles font preuve.

La durée d'enregistrement d'une information dans le FSPRT est de cinq ans. Le suivi s'articule en deux niveaux : un premier niveau, dont le suivi est mensuel, pour les cibles du bas du spectre ; et un second, dont le suivi est renforcé, pour les cibles présentant une sensibilité plus marquée. Ce suivi peut notamment conduire à engager des services tels que nos sections de recherche, qui utilisent des techniques de recueil du renseignement spécifiques.

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Vous dites que les informations sont conservées cinq ans. Une fois sorties du fichier, ces informations sont-elles perdues ou au contraire re-stockées ailleurs ? Le renseignement soulève en effet la question majeure de sa durée de conservation. Il faut pouvoir retrouver des parcours, même au-delà de cinq ans.

Adjudant Sébastien Perrier. Les informations ne sont pas perdues. Nous évoquions aussi le fichier FSPRT, outil de l'état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) qui permet, comme ce fut le cas de l'événement de Saint-Quentin-Fallavier, d'assurer un meilleur suivi des personnes ciblées.

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Le FSPRT est le fichier géré par l'EMOPT. Il s'agit donc de la même chose.

Colonel Bruno Arviset. Tout à fait. Mais l'adjudant Perrier aura du mal à vous parler de ce fichier puisque personne autour de cette table n'y a accès. Très peu de personnes au sein de la gendarmerie y accèdent.

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Ce fichier est effectivement géré à la fois par l'EMOPT et par l'unité de coordination de la lutte anti-terroriste (UCLAT), que nous auditionnerons. Lorsque vous dites qu'il fait l'objet d'un suivi hebdomadaire ou mensuel selon les cas, cela veut-il dire que vous devez, à cette fréquence, adresser à l'EMOPT une actualisation des fiches ?

Colonel Bruno Arviset. Oui, tout à fait.

Adjudant Sébastien Perrier. Exactement. Il s'agit d'une actualisation assortie d'un contrôle des différentes inscriptions au fichier des personnes recherchées, l'objectif étant de vérifier si une personne est un individu dangereux ou instable. Lorsque la DGSI est saisie d'une cible, la gendarmerie n'est généralement pas chef de file. Lorsque la DGSI ne l'est pas, le GED décide si c'est le SDRT ou la gendarmerie qui le sera. Lorsque nous assurons le suivi d'une cible, nous actualisons sa fiche au fil de l'eau.

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Disposez-vous du système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation (LAPI) ? Nous en avons eu, à Lille, une petite démonstration que nous avons trouvée très convaincante.

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Major Emmanuel Franchet

Dans la Manche, seuls deux de nos véhicules sont dotés de ce système. Au départ, ce type de véhicule était réservé au peloton d'autoroute. Puis, nous étant aperçus qu'ils ne permettaient pas de saisir suffisamment de véhicules, nous les avons confiés aux PSIG. Ce système fonctionne très bien. Malheureusement, nous manquons de véhicules de ce type. Si tous les véhicules d'intervention de la gendarmerie nationale ou de la police nationale étaient dotés d'un tel système, nous obtiendrions bien davantage de résultats positifs.

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Nous avons également été séduits par le nouvel outil connecté NéOGEND. On nous a expliqué que l'ensemble des gendarmes devraient en être équipés d'ici à 2017 : est-ce le cas ?

Colonel Bruno Arviset. Le déploiement du dispositif est effectivement en cours. Il est déjà achevé dans le nord de la France – ce qui tombe bien, d'ailleurs. Ce déploiement est en cours en Bourgogne, et toutes les zones du territoire devraient en être dotées d'ici à un an. C'est un atout efficace et convivial, permettant de démultiplier le nombre de contrôles et d'alléger la tâche de chacun lors de ces opérations de contrôle. C'est vraiment l'outil de l'avenir.

Adjudant Sébastien Perrier. Pour avoir été administrateur fonctionnel lorsque je servais en PSIG, j'ajouterai que le système LAPI est une base précieuse, permettant à la fois d'enregistrer et de stocker les données, ce qui permet ensuite de faire des recherches très précises de personnes ou de véhicules, par le biais de la réquisition. Il regorge de précieux renseignements pour nous.

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Le soir du 13 novembre 2015 et dans les jours qui ont suivi, les véhicules dotés de systèmes de LAPI ont-ils été déployés ? Des dispositifs particuliers sont-ils utilisés les soirs d'attentats pour démultiplier partout sur le territoire les moyens de récupérer des informations ?

Adjudant-chef Frédéric Guaignier. En unité judiciaire, nous nous servons du système LAPI pour effectuer des contrôles de zone ou d'itinéraire dans toutes les affaires importantes d'atteinte aux biens ainsi que dans certaines affaires d'atteinte aux personnes.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Le soir des attentats du 13 novembre 2015, bien que nous ayons été assez éloignés des événements en Loire-Atlantique, ordre a été donné au niveau national de procéder à une manoeuvre de contrôle de flux. Les échelons territoriaux ont donc automatiquement sorti leurs véhicules LAPI en plus de leurs compléments d'effectifs.

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Le Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie n'étant pas un syndicat au sens où on l'entend habituellement, êtes-vous quand même soumis à une obligation de réserve ?

Colonel Bruno Arviset. Oui, en partie. Le code de la défense prévoit que les membres des conseils de la fonction militaire peuvent s'exprimer librement – même si, par ailleurs, un devoir de réserve incombe à chaque militaire.

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Compte tenu de votre liberté de parole, je vais vous interroger et vous me répondrez comme vous le souhaiterez.

J'ai fait partie de la mission d'information sur la lutte contre l'insécurité sur tout le territoire, présidée par Jean-Pierre Blazy, qui avait auditionné le général Soubelet. Vous avez suivi, comme tous les Français d'ailleurs, les propos tenus par ce dernier, puis son affectation nouvelle et sa mise hors cadre récente, à la suite de la publication de son ouvrage. Chacun pensera ce qu'il voudra de la manière dont il s'est exprimé. Toujours est-il qu'il l'a fait dans le cadre d'une mission d'information parlementaire et non d'une commission d'enquête. Le corps de la gendarmerie a-t-il vraiment le sentiment d'une insuffisance de la réponse judiciaire et pénale à la délinquance « habituelle » – qui peut aussi être liée au basculement dans l'islam radical ? Vous jouissez dans l'ensemble d'une excellente réputation, d'une véritable reconnaissance et d'un grand respect – tout à fait justifiés – dans le pays, même si quelques extrémistes utilisent des méthodes tout à fait condamnables pour critiquer l'action des forces de sécurité dans des circonstances telles que les manifestations. Cela étant, avez-vous le sentiment, exprimé par le général Soubelet, de devoir fournir davantage d'efforts dans vos missions d'identification et d'interpellation des auteurs d'actes de délinquance sans que ce travail très prenant sur le terrain soit toujours suivi d'effets – tant en termes d'exécution des peines que de lutte contre la récidive ? Vous n'êtes pas obligés de me répondre, mais vous pouvez le faire si vous le souhaitez.

Adjudant-chef Frédéric Guaignier. Ce sentiment existe effectivement.Lorsque vous travaillez pendant des jours, des semaines, des mois, voire des années, sur des individus, avec de bonnes équipes, mais que ce travail n'est pas suivi d'une véritable réponse pénale, cela engendre un certain découragement des personnels. Je pense notamment à tous les brigadiers qui arrêtent dix fois la même personne pour devoir ensuite dix fois la relâcher – et quand je dis dix fois, c'est un euphémisme. Peut-être, il est vrai, nous manque-t-il certains éléments lorsque nous présentons un dossier aux magistrats.

Cela étant dit, lorsque nous présentons une personne à la justice, nous sommes, la plupart du temps, à peu près sûrs de notre résultat et il s'ensuit obligatoirement une réponse pénale. Le problème se pose davantage pour la délinquance de masse, la petite et moyenne délinquance, en territoire périurbain et même dans les campagnes. Parfois, la personne est effectivement dehors avant le gendarme. Le temps que vous vous expliquiez avec le magistrat – procureur ou juge –, la personne sera déjà quasiment relâchée alors que vous serez encore en train de rédiger des documents…

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La logique judiciaire n'est pas tout à fait identique à la logique d'enquête, d'identification et d'interpellation : dans le cadre judiciaire, on étudie le dossier de l'individu, ses antécédents et la possibilité de le mettre sous contrôle judiciaire. Cela apparaît souvent aux enquêteurs comme une non-réponse, alors qu'il y a bien réponse judiciaire. Simplement, ce n'est peut-être pas celle qu'on aurait pu attendre, d'un certain point de vue. C'est peut-être aussi ce qui crée un malaise.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. C'est justement – et fort heureusement – ce qui fait la richesse de notre République. Nous avons ainsi un double travail à faire. Nous devons, en tant que commandants d'unité, accomplir un gros travail de communication envers les enquêteurs – qui, pris qu'ils sont depuis des jours ou des mois par leur dossier, ont souvent peu dormi lorsqu'arrivent les phases d'interpellation et de fin de garde à vue. Il nous faut aussi fournir un travail d'information auprès des magistrats et maintenir avec eux une relation de confiance. Cela étant, on ne peut mélanger l'action et la décision.

Colonel Bruno Arviset. Je précise qu'à aucun moment ce ne sont les magistrats qui sont en cause dans les propos qui sont tenus ici. Notre Conseil rencontre d'ailleurs le garde des sceaux à peu près une fois par an. L'adaptation de la réponse pénale à la délinquance des mineurs est un sujet que nous avons abordé tout à fait librement avec l'ancienne garde des sceaux et son cabinet. Nous évoquons ce sujet sans langue de bois, tout en étant conscients des contraintes de chacun.

Chef d'escadron Philippe-Alexandre Assou. Et, in fine, la frustration est logique.

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Chef d'escadron, que pensez-vous de la nouvelle doctrine d'emploi des forces d'intervention annoncée par le ministre de l'intérieur ? Nous avons certes identifié, à la suite de nos différentes auditions, les difficultés que posait la règle de compétence territoriale. Néanmoins, cette nouvelle doctrine du « primo-arrivant primo-intervenant » ne risque-t-elle pas d'exacerber une sorte de concurrence entre le GIGN, le RAID et la Brigade de recherche et d'intervention (BRI) ?

Chef d'escadron Y. Le schéma national d'intervention qui a été présenté par le ministre de l'intérieur était très attendu, notamment au GIGN, pour la raison précise qu'il vient mettre un terme au principe de territorialité – dans le seul cadre du contre-terrorisme – en mettant en avant la réactivité des unités et le secours aux personnes.

Il y a toujours une saine concurrence entre les unités, mais le GIGN, le RAID et la BRI ne jouent pas à essayer d'être les premiers sur place, dans la mesure où les règles du jeu sont clairement définies. Les antennes du RAID et du GIGN sont réparties le plus harmonieusement possible afin que les unités d'intervention maillent le territoire de manière assez uniforme.

En ce qui concerne la région parisienne, point le plus sensible, le dispositif actuellement en place est fondé sur la primauté de la BRI dans Paris intra-muros, celle du RAID dans la petite couronne et celle du GIGN dans la grande couronne, quelle que soit la zone. La petite couronne est une zone exclusivement confiée à la police, tout comme Paris, mais dans la grande couronne, qui est une zone mixte associant police et gendarmerie, primauté est donnée, dans le cadre du contre-terrorisme, au GIGN. Cela nous ouvre donc l'accès à des zones de police qui nous étaient fermées auparavant.

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La concurrence entre forces est une vraie difficulté, que nous avons identifiée au cours de nos auditions. Dans des situations de crise comme celles que nous avons connues en janvier et en novembre 2015, de nombreux exemples ont montré que cette concurrence n'était pas forcément des plus saines. Remettre en cause la compétence territoriale me paraît une bonne chose, compte tenu de ce qui a été vécu, mais je crains que, par effet boomerang, le premier arrivé devienne le leader et que cela engendre des difficultés importantes.

Chef d'escadron Y. Ce ne sont pas les ordres que nous recevons actuellement, ni le message que nous faisons passer au sein de notre unité.

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J'entends bien. J'ai un profond respect pour les trois forces. Pour avoir passé une journée au GIGN il y a deux ans, je mesure le travail qui est le vôtre et les risques que vous prenez. Mais je sais aussi qu'il existe une concurrence entre forces. Peut-être est-elle saine, mais on a vu, aussi bien lors de la traque des frères Kouachi que lors de la tuerie du Bataclan, que les uns et des autres avaient la volonté d'exister et d'intervenir. La répartition des rôles semble bien calibrée en région parisienne, mais j'ai peur que, sur un territoire à cheval entre zone de police et zone de gendarmerie, chacun veuille y aller le premier pour être « leader ».

Chef d'escadron Y. Peut-être, en effet ; d'où l'intérêt de répartir les unités d'intervention de manière harmonieuse sur le territoire. Si une tuerie de masse se déclenche dans la grande zone commerciale de Vezin-le-Coquet, près de Rennes, qui se trouve en zone de gendarmerie, il me paraît normal que ce soit l'antenne RAID de Rennes qui s'y rende en premier car elle est à côté, et qu'a contrario, s'il se passe la même chose au Zénith de Nantes, qui est en zone de police, ce soit l'antenne GIGN de Nantes qui intervienne.

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Vous pensez donc que la répartition des antennes du RAID et du GIGN permet ce maillage territorial et évitera cette concurrence.

Chef d'escadron Y. Tel est bien le but de cette répartition. En outre, nous avons fait au sein de la gendarmerie un gros effort d'intégration des antennes GIGN, qui étaient auparavant des pelotons d'intervention interrégionaux de gendarmerie (PI2G), vis-à-vis du GIGN central. Je pense que cet effort sera poursuivi et qu'il faut aller dans le sens d'une plus grande intégration de ces unités régionales pour les amener à un niveau supérieur à celui qu'elles ont actuellement.

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Ma question est provocatrice, mais je m'en voudrais de ne pas vous la poser : une fusion des trois forces d'intervention serait-elle pour vous une hérésie ?

Chef d'escadron Y. Oui. Non seulement notre nature et nos statuts sont différents – les uns sont des civils, les autres des militaires –, mais nous n'avons en outre ni la même culture ni la même manière de travailler. En l'état actuel des choses, il me paraît donc difficile, et peu souhaitable, de mélanger les unités et de les faire travailler de manière intégrée. En revanche, une coopération entre unités est tout à fait envisageable et se pratique déjà dans certains domaines : par exemple, le GIGN est engagé aux côtés du RAID, dans le cadre de la cellule interministérielle de négociation, concernant certains enlèvements à l'étranger.

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En cas de concurrence entre les deux services, je n'imagine pas du tout que l'un ou l'autre puisse chercher à arriver le premier sur les lieux pour prendre en charge une opération. Je suppose que la décision ne peut être prise que par le préfet ou le ministre.

Colonel Bruno Arviset. Nous déterminons celle des unités implantées dans le bassin qui est la plus proche du lieu des faits, qu'elle soit en zone de police ou en zone de gendarmerie. Puis intervient a minima une décision du préfet, ou, plus souvent, du ministre.

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Certes, mais tant lors des attentats de janvier que de ceux de novembre, le GIGN, le RAID et la BRI sont tous intervenus de leur propre initiative. Le GIGN s'est positionné aux Célestins à l'initiative – heureuse – du directeur général de la gendarmerie, le RAID est intervenu de sa propre initiative et la BRI, compétente sur le plan territorial, s'est également mobilisée. Il est vrai que ces initiatives ont été régularisées par le préfet de police ou par le ministre mais seulement après coup.

Chef d'escadron Y. Le GIGN s'est effectivement prépositionné aux Célestins, puis s'est annoncé comme étant en mesure d'intervenir si jamais une crise se déclenchait sur un autre point.

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Lorsque nous nous sommes rendus à Lille, nous avons pu constater que la protection des centrales nucléaires était une préoccupation majeure pour la gendarmerie. Pourriez-vous nous confirmer que, le 13 novembre au soir et dans les jours qui ont suivi, la sécurité a été renforcée dans l'ensemble de celles-ci ? Depuis cette date, a-t-on renforcé les effectifs chargés de cette mission ? Des contrôles supplémentaires ont-ils été effectués ? Les informations que nous avons recueillies après ce qui s'est produit à Bruxelles – que ce soit dans le cadre de notre commission d'enquête ou dans la presse – montrent bien que la potentialité d'attaques visant des centrales nucléaires ou leurs personnels n'est pas purement théorique.

Adjudant Vincent Delaval. Dès le lendemain matin des attentats de janvier 2015, nous avons établi avec l'opérateur un état des lieux des effectifs présents. Ensuite, la DGGN a tout de suite pris des mesures. À l'échelon local, les militaires des PSPG se sont eux aussi proposés au niveau du commandement pour grossir ces effectifs. En novembre, il a fallu refaire cette manoeuvre. Nous sommes depuis en posture de vigilance, le temps de l'état d'urgence – qui devrait être prorogé.

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Quelles sont les conséquences concrètes de cet état ?

Adjudant Vincent Delaval. Avant les attentats de janvier 2015, nos patrouilles étaient un peu plus à l'extérieur des centrales. Désormais, elles ont été recentrées sur leur mission principale de protection des installations nucléaires. Ensuite, l'opérateur a déployé de nouveaux moyens tels que la mise en place de nouveaux badgeurs à Nogent-sur-Seine. Nos effectifs ont été accrus de six à sept militaires supplémentaires par centrale, sachant qu'il existe des PSPG de 38 gendarmes et d'autres de 56. Celui de Nogent-sur-Seine est ainsi passé de 38 à 44 ou 45 gendarmes. Cette décision, établie en parfaite harmonie avec l'opérateur, devrait être effective au 1er juillet. Nous sensibilisons également les personnels des centrales concernant les signaux faibles.

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La gendarmerie s'occupe-t-elle du criblage du personnel des centrales ?

Adjudant Vincent Delaval. Les personnes susceptibles de travailler dans des centrales font l'objet de vérification sur fichiers.

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Certes, mais cela relève de la responsabilité de la DGSI. Contribuez-vous aux enquêtes sur le personnel des centrales ?

Adjudant Vincent Delaval. Dans les centrales nos militaires sont impliqués à cet effet, notamment celle de Nogent où nous vérifions si ces personnes figurent ou non dans différents fichiers mis à disposition par la gendarmerie. La police effectue elle aussi le même travail. Un avis est ensuite émis à l'échelon préfectoral, qui détermine en dernière instance si une personne peut rentrer dans une centrale ou pas.

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Si je ne m'abuse, parallèlement aux vérifications que vous effectuez, la DGSI examine l'environnement et les fréquentations de ces individus.

Adjudant Vincent Delaval. Tout à fait. Je voulais simplement préciser que toute personne susceptible de pénétrer dans une centrale fait aussi l'objet de vérifications sur la base des fichiers de la gendarmerie et de la police.

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Je vous remercie d'avoir contribué utilement aux travaux de notre commission d'enquête.

Audition, à huis clos, de M. Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), et de M. Alexandre Pichon, son adjoint.

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Mes chers collègues, nous accueillons maintenant M. Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et son adjoint, M. Alexandre Pichon.

Messieurs, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Nous allons nous intéresser avec vous aux aspects internationaux de la lutte menée par les services de police contre le terrorisme. Vous allez notamment pouvoir informer la commission d'enquête sur les actions de coopération entre la division que vous dirigez et ses homologues à l'échelon européen.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptibles de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n'est donc pas diffusée sur le site Internet de l'Assemblée. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions qui auront eu lieu à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la commission, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport.

Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information ».

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

M. Jean-Jacques Colombi et M. Alexandre Pichon prêtent serment.

Nous allons aborder avec vous le rôle précis de la division des relations internationales (DRI). Nous aimerions savoir quels sont ses effectifs et comment ils ont évolué au cours des dernières années.

La DRI dispose d'une section centrale de coopération opérationnelle de police (SCCOPOL) en charge de l'échange d'informations. Quels sont les principaux interlocuteurs de la DRI ? Quelle est la nature des informations échangées ? Quels sont les pays avec lesquels l'échange d'informations se fait de manière satisfaisante ou, au contraire, insatisfaisante ? Pour quelles raisons ?

Nous serions également intéressés par le fonctionnement du bureau SIRENE – acronyme de « supplément d'informations requis à l'entrée nationale des étrangers ».

Quel regard portez-vous sur le Système d'information Schengen (SIS) ? En France, qui alimente cette base de données ? Est-elle alimentée de manière satisfaisante par les autres États membres de l'Union européenne ? Faudrait-il ajouter d'autres catégories de personnes, d'objets ou encore des informations complémentaires sur les personnes et objets qui y figurent ?

Pouvez-vous présenter le traité de Prüm qui instaure un système automatisé de comparaison des profils ADN présents dans les fichiers nationaux des États membres de l'Union européenne ? En France, qui alimente cette base de données ? Quelles sont les autorités qui y ont accès ? Quel regard portez-vous sur son efficacité ?

Quel regard portez-vous sur l'efficacité d'Europol ? La coopération policière donne-t-elle des résultats satisfaisants en matière de lutte contre la criminalité organisée et contre le terrorisme ?

Quelles sont les conséquences du déclenchement du dispositif « alerte attentat » sur l'organisation de la DRI ?

À la suite de l'attaque du 7 janvier 2015, la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) a été chargée des actes d'enquête relatifs aux frères Kouachi. Quel rôle la DRI a-t-elle été amenée à jouer ?

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, la direction de l'enquête a été confiée à la sous-direction anti-terroriste (SDAT) de la DCPJ. Cette décision a-t-elle eu des conséquences particulières pour l'organisation et le rôle de la DRI ?

Le 14 novembre au matin, une équipe d'Europol a rejoint les locaux de la SDAT. Êtes-vous son principal interlocuteur ? Quelle est la nature de la coopération entre la SDAT et Europol ? Quelle est la plus-value d'Europol dans la recherche des terroristes alors en fuite ?

Le 16 novembre, une équipe commune d'enquête franco-belge a été mise en place. Quel rôle la DRI joue-t-elle dans ce dispositif ? Quels résultats cette équipe commune d'enquête a-t-elle obtenus ?

Quelle est la nature des échanges entre la DRI et ses homologues européens à partir du 13 novembre au soir et dans les semaines qui suivent ? Ces échanges ont-ils permis d'obtenir des résultats concrets dans la recherche des auteurs des attentats et de leurs complices ?

La DRI a-t-elle eu des échanges avec les services de renseignement français – direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) – à la suite des attentats du 13 novembre ? Le cas échéant, quelle en a été la nature ?

Je vais maintenant vous laisser la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et de réponses.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Monsieur le président, après une rapide présentation de la division des relations internationales, je me consacrerai au rôle qu'elle a joué après les attentats du 7 janvier et du 13 novembre 2015 ainsi que lors des attentats ayant touché des ressortissants français à l'étranger – Ouagadougou, Grand-Bassam, Bamako. Pour compléter mon propos, je vous transmettrai un document relatif aux divers outils de coopération que mettent à la disposition des enquêteurs Interpol, Europol et les instances relevant de Schengen et du traité de Prüm en matière de lutte contre le terrorisme.

La DRI dépend du directeur central de la police judiciaire et de son adjoint ; elle est en quelque sorte une « sous-direction à l'international » sans en avoir le nom. Dirigée par un commissaire divisionnaire – ce qui est mon cas – ou par un contrôleur général – ce qui était le cas de mon prédécesseur –, elle gère les canaux de coopération avec Interpol, Europol et le Système d'information Schengen (SIS) pour l'ensemble des forces de sécurité nationales – police, gendarmerie, services douaniers – et la magistrature française. Elle est immédiatement mobilisée en cas de survenance d'un attentat majeur pour traiter les échanges avec nos partenaires étrangers.

Son organisation repose sur deux entités principales.

Il s'agit tout d'abord de la section centrale de la coopération opérationnelle de police, qui est sa salle des machines. Cette plateforme interministérielle est dirigée par un commissaire de police assisté d'un officier supérieur de la gendarmerie nationale. Elle mobilise actuellement soixante-treize personnes : quarante-six policiers, vingt-cinq gendarmes et deux douaniers. La SCCOPOL fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et constitue le point d'entrée unique des demandes émises par les enquêteurs français auprès des services étrangers comme des sollicitations en provenance de l'étranger. Vous noterez que je n'ai pas parlé des services de renseignement. Nous travaillons, le cas échéant, pour la division judiciaire de la DGSI.

Il s'agit, par ailleurs, du service chargé des actions de coopération européenne et internationale (SCACEI), composé d'une dizaine d'éléments, tous policiers, placé sous la direction d'un commissaire. Il est chargé des aspects institutionnels et stratégiques du fonctionnement d'Europol et d'Interpol. Autrement dit, ce service participe à l'élaboration des orientations que nous souhaitons voir imprimer à ces deux organismes.

Depuis l'année dernière, la DRI a été chargée de la gouvernance du Système d'information Schengen de deuxième génération (SIS 2) pour notre pays.

Enfin, nous participons à l'élaboration des positions françaises relatives à l'avenir de l'échange d'informations en Europe.

En cas d'attentats, la mobilisation de la DRI se fait toujours selon le même schéma. Notre service ne procède pas à des enquêtes, il fournit un appui et une aide aux enquêteurs et aux magistrats. Je précise que l'organisation de notre plateforme nationale est marquée par une particularité : au sein de la DRI est installée une unité du bureau de l'entraide pénale internationale (BEPI) de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) du ministère de la justice. Des greffiers et des greffiers en chef y sont présents en permanence pour faciliter les échanges avec les magistrats du BEPI joignables vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur les dossiers qui nécessitent une avalisation judiciaire – mandats d'arrêt européens, observations transfrontières. Cela nous apporte un avantage notable par rapport à nos partenaires européens en termes de réactivité et de traitement des dossiers, car la prise de décision est immédiate.

Lorsque survient un attentat majeur, la DRI renforce les capacités de sa plateforme SCCOPOL, qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous affectons deux équipes permanentes : l'une au poste de commandement (PC) de crise de la direction centrale de la police judiciaire, l'autre au PC de crise de la SDAT. Nous prenons, à notre initiative ou en lien avec les services enquêteurs, toutes les mesures à même de faciliter les échanges bilatéraux avec nos partenaires étrangers directement concernés par les investigations ainsi qu'avec les grandes organisations internationales que sont Interpol et Europol.

Le 7 janvier 2015, conformément aux dispositions du plan attentat de la DCPJ et de la note de service de la DRI du 15 septembre 2014, un commissaire de police de la DRI a rejoint le PC de la SDAT pour faciliter la prise en compte des demandes de coopération internationale. Il a ensuite été relayé par le chef d'état-major de la SCCOPOL. Pour ma part, j'ai rejoint le PC de la direction centrale, place Beauvau. Durant les jours qui ont suivi, mon adjoint ou le chef de la SCACEI ont assuré une présence permanente auprès du directeur central ou de ses adjoints. L'officier de permanence de la SCCOPOL a quant à lui rejoint le service.

Aucun personnel n'a été rappelé, mais les congés et absences ont été réduits au strict minimum, sauf nécessités personnelles impérieuses.

La SCCOPOL fonctionne déjà vingt-quatre heures sur vingt-quatre et il n'a pas été nécessaire de renforcer davantage ses équipes car la dimension internationale de l'enquête était limitée.

Le 13 novembre 2015, dès que nous avons eu connaissance des attentats, les commissaires de la DRI ont rejoint les différents PC. Un dispositif de rotation « H247 » a été mis en place au PC de la DCPJ et au PC de la SDAT, tandis que mon adjoint et d'autres responsables de l'état-major de la SCCOPOL sont restés au service pour assurer le fonctionnement de l'ensemble de la machinerie. Comme après le 7 janvier, les congés et absences ont été réduits au strict minimum.

Les attentats du 13 novembre avaient une dimension internationale nettement plus marquée que ceux du 7 janvier et cela a eu une incidence directe sur le nombre et la diversité des demandes de coopération internationale émanant des services enquêteurs co-saisis – SDAT, DGSI, préfecture de police.

Une cellule de suivi spéciale a en conséquence été mise en place à la SCCOPOL, composée du chef d'état-major et d'un officier de l'unité nationale d'Europol. Outre un « chrono » général des demandes et réponses, cette cellule a constitué des tableaux spécifiques pour des demandes particulières : identifications biométriques via Prüm ou Interpol, demandes d'identification d'armes à feu, demandes particulières telles celles portant sur les migrants de l'île grecque de Leros.

La DRI a par ailleurs rapidement proposé aux services enquêteurs de demander l'appui d'Europol et d'Interpol. Les deux organisations n'ont pas été sollicitées pour les mêmes services, chacune offrant des outils spécifiques.

Europol a été mobilisée principalement pour ses capacités en matière d'analyse criminelle et d'échanges d'informations. Le bureau de liaison français d'Europol – qui relève fonctionnellement de mon autorité – a mis en place dès le 13 novembre un dispositif de rotation H247 et a pris part aux briefings quotidiens organisés avec les autres bureaux de liaison nationaux et les représentants de l'agence.

Dès le 15 novembre, l'agence a dépêché au PC de la SDAT, à la demande de la DRI, un bureau mobile composé d'analystes ayant un accès distant aux bases de données de l'agence. J'ai insisté pour que cette équipe soit dirigée par un fonctionnaire de police français, que nous connaissons personnellement, issu lui-même de la police judiciaire.

Le choix a rapidement été fait de transmettre de très nombreuses données recueillies dans le cadre de l'enquête à Europol, en vue de leur exploitation par ses analystes. Je me suis rendu à La Haye le 23 novembre pour m'assurer du plein soutien du directeur d'Europol, Rob Wainwright, et pour mieux définir les modalités de ce soutien apporté à l'enquête.

Compte tenu du volume des données fournies et de l'importance du dossier, l'agence a mis en place le 1er décembre une task force dédiée composée d'une quinzaine d'analystes baptisée « Fraternité ». Comprenant plusieurs Français, elle est co-dirigée par un commissaire de police français ayant le statut d'expert national détaché auprès de l'agence, conformément à une revendication que nous avions formulée auprès du directeur d'Europol qui y a très rapidement accédé. Cette task force avait besoin de compter dans ses rangs des francophones et des spécialistes connaissant la procédure pénale française et belge, et nécessitait des effectifs resserrés au plus près de l'enquête.

Le 16 décembre 2015, l'agence a été formellement associée à l'équipe commune d'enquête franco-belge mise en place le 16 novembre. Pourquoi ce délai d'un mois ? Parce que, comme vous le savez, l'équipe commune d'enquête est un dispositif de coopération judiciaire, et il a fallu que les magistrats français et belges saisis du dossier s'accordent sur les modalités de sa participation. Un avenant a permis qu'elle jouisse d'un accès total à l'ensemble des données. Eurojust a été également associé à cette équipe.

Au 12 mars 2016, 2,7 tétraoctets de données issues des enquêtes française et belge ont été communiquées dans ce cadre, parmi lesquelles 9 millions de communications téléphoniques et 614 000 fichiers informatiques, dont 330 000 fichiers média comprenant des photos ou des vidéos. À cette même date, l'agence avait organisé dans le cadre de l'enquête cinq réunions opérationnelles et produit trente et un rapports, dont quatorze rapports d'analyse opérationnelle.

Ce très fort investissement de l'agence a coïncidé avec la création en janvier 2016 du Centre européen de lutte contre le terrorisme – European Counter-Terrorism Centre –, nouvelle structure unissant les divers outilsd'Europol dédiés à cette thématique. Ce centre accueille notamment l'équipe de liaison conjointe anti-terroriste – Counter-Terrorism Joint Liaison Team –, au sein de laquelle la France, avec l'aide de la DRI, a délégué un policier spécialisé dans la lutte contre le terrorisme, qui a été affecté en urgence dès le 4 janvier 2016 au bureau de liaison français à La Haye.

Interpol a de son côté été sollicité pour ses compétences en matière d'identification des victimes de catastrophes.

Le secrétariat général de l'organisation, basé à Lyon, a dépêché du 16 au 22 novembre à Paris une cellule de crise de cinq experts au sein de la cellule « ante mortem » de l'unité nationale d'identification des victimes de catastrophes – UNIVC – mise en place par la sous-direction de la police technique et scientifique de la DCPJ. Ces experts se sont chargés du recueil de renseignements auprès des pays membres, concernant une trentaine de dossiers de victimes décédées de nationalité étrangère ou de double nationalité et une quinzaine de personnes disparues. Un officier de la DRI était présent auprès d'eux afin de faciliter leur action.

Indépendamment de ces services spécifiques, les messageries sécurisées des deux organisations ont été mises à contribution pour des demandes de coopération avec nos partenaires. Par réseau d'échange sécurisé d'informations d'Europol – dit SIENA pour Secure Information Exchange Net Application –, 996 messages ont été échangés dans le cadre de l'enquête, ce qui est considérable par rapport aux flux habituels – pour un important dossier relevant du droit commun, on parvient à une dizaine voire une centaine d'échanges – ; ils ont concerné des demandes de coopération, des vérifications, des informations financières TFTPICE, des demandes d'identification biométriques. Par le canal 1-247 d'Interpol ont été échangés 1641 messages portant sur des émissions de notices, des demandes de coopération ou d'identification biométrique.

De nombreux échanges ont par ailleurs eu lieu par le canal SIRENE afin de traiter les « hits » liés aux signalements d'individus ou d'objets par les services anti-terroristes français et européens.

Enfin, avec l'aval du directeur central et dans le respect du secret de l'enquête, mon adjoint et moi-même avons diffusé des messages d'information relatifs aux faits et aux principales évolutions de l'enquête à nos partenaires étrangers –les vingt-huit pays membres de l'Union et les treize États ou organisations internationales associés à Europol et les cent quatre-vingt-dix États membres d'Interpol.

Nous avons par ailleurs réuni à plusieurs reprises les attachés de sécurité intérieure étrangers des pays les plus concernés – Royaume-Uni, Pays-Bas, Italie, Espagne – afin de les tenir informés et de solliciter leur appui sur des points particuliers.

Divers contacts téléphoniques informels ont également eu lieu avec des chefs de police étrangers ainsi qu'avec le directeur d'Europol et le secrétaire général d'Interpol.

À ma demande, une réunion d'information plus formelle a été organisée le 23 novembre au siège d'Europol en présence des chefs de bureau de liaison et des représentants de l'agence afin de faire un point de situation et d'expliquer l'importance de certaines demandes. L'une d'elles portait sur les migrants de Leros : l'enquête ayant montré que deux des terroristes du Stade de France avaient sans doute gagné l'Union européenne en transitant par cette île grecque, il était nécessaire de localiser les cent-quatre-vingt-seize autres passagers de l'embarcation qu'ils avaient empruntée et de déterminer si d'autres terroristes avaient gagné l'Europe par le même moyen.

En outre, le 1er décembre 2015, j'ai fait un point de situation devant le conseil d'administration d'Europol et plus récemment, lors de la dernière conférence des chefs des bureaux centraux nationaux d'Interpol qui s'est tenue à Lyon du 26 au 28 avril, j'ai effectué une présentation.

Cette communication, plus rapide, plus régulière et plus complète qu'après les attentats de janvier, a été appréciée par nos partenaires.

La DRI est également mobilisée après la commission d'attentats à l'étranger, lorsque la présence de victimes françaises donne lieu à l'ouverture d'une enquête judiciaire nationale. Le déplacement des enquêteurs de la SDAT ou de la police technique scientifique fait l'objet de messages Interpol adressés au pays concerné. Lorsque la situation l'exige, comme ce fut le cas après les attentats de Ouagadougou le 15 janvier dernier, un responsable de la DRI conduit une mission sur place.

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Je vous remercie pour votre présentation, qui montre bien comment fonctionne la coopération à l'échelon européen et international. Nous voyons que la DRI est en mesure d'avoir un oeil sur tout cela.

Notre commission aimerait avoir des précisions sur le Système d'information Schengen, parfois décrié, dont le bureau SIRENE gère les données.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Le bureau SIRENE gère ce que nous appelons les « post-hits ». Le SIS repose sur une diffusion internationale d'informations relatives à des individus ou des objets. Celles-ci sont d'abord diffusées au plan national puis reprises sous certaines conditions dans le SIS. Lorsqu'un individu signalé pour être localisé, surveillé ou interpellé, ou lorsqu'un objet signalé pour être saisi fait l'objet d'un contrôle positif – ce que nous appelons un « hit » –, l'information est transmise dans chacun des États au bureau SIRENE.

Le Système d'information Schengen est en effet largement décrié. C'est pourtant l'outil de la coopération internationale qui fonctionne le mieux, c'est même la Rolls Royce de la coopération internationale. Il est utilisé quotidiennement par tous les policiers et tous les gendarmes d'Europe, parfois sans qu'ils le sachent. Lorsque, à Châteauroux ou à Potsdam, un policier contrôle un individu ou un véhicule et lance une recherche dans la base de données nationale pour savoir si l'individu ou le véhicule est signalé pour être localisé ou surveillé, il utilise le SIS sans le savoir. Si cet individu ou ce véhicule fait l'objet d'une signalisation de la part de l'un des pays partenaires, le policier répond alors aux prescriptions qui apparaissent sur son téléscripteur informatique et qui consistent à contacter le bureau SIRENE de son pays. Le bureau SIRENE, une fois contacté, lui indique alors une conduite à tenir, toujours très simple : « interpeller », si l'individu fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen, « conduire devant la magistrature », « saisir », « surveiller discrètement », « effectuer un contrôle spécifique ».

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Nous aimerions avoir des précisions sur le fonctionnement du bureau SIRENE.

Le 14 novembre 2015, les gendarmes contrôlent Salah Abdeslam à 9 heures 30. Ils interrogent alors le bureau SIRENE qui répond qu'aucune information ne le concerne et qu'il peut repartir. Quelques dizaines de minutes après – on ne connaît pas le délai exact –, le bureau SIRENE les rappelle pour leur demander de l'interpeller mais il est déjà reparti. Les gendarmes nourrissaient pourtant des suspicions fortes à son égard car, en dehors de toute procédure habituelle, ils ont tenté de le garder le plus longtemps possible.

Quel était le degré d'information du bureau SIRENE ? Qu'est-ce qui aurait pu permettre d'interpeller Salah Abdeslam ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

En l'occurrence, le Système d'information Schengen a bien fonctionné, même très bien. Comme tout le monde, je ne peux que regretter que Salah Abdeslam ait pu rejoindre le territoire belge alors qu'il a été contrôlé en France. La question que vous me posez, vous l'imaginez bien, m'a déjà été adressée. Nous disposons d'une note spécifiquement consacrée au contrôle d'Hordain.

Le 14 novembre, un peu après 9 heures du matin, le peloton de gendarmerie de Cambrai contrôle dans le sens France-Belgique au péage autoroutier d'Hordain une Volkswagen Golf immatriculée en Belgique à bord de laquelle se trouvent Hamza Attou, Mohamed Amri et Salah Abdeslam. La consultation du fichier des personnes recherchées en France par le peloton autoroutier fait apparaître que Salah Abdeslam fait l'objet d'un signalement dans le SIS et que la conduite à tenir est de « recueillir discrètement toutes informations utiles et contacter le bureau SIRENE ». L'un des gendarmes contacte donc le bureau pour obtenir davantage de précisions. Nous lui confirmons l'existence d'un signalement valide dans le SIS émis par la Belgique le 9 février 2015 au titre de l'article 36-2 de la décision 2007533 du Conseil, lequel autorise le signalement « pour la répression d'infractions pénales et pour la prévention de menaces pour la sécurité publique », donc pour des infractions de droit commun, l'article 36-3 autorisant, lui, les signalements quand la sûreté de l'État est menacée.

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Cette précision est intéressante. Quand, en février 2015, la Belgique a procédé à l'inscription dans le SIS de Salah Abdeslam, c'est donc pour des raisons liées au droit commun et non à sa radicalisation. Or, d'après ce que j'ai compris lorsque je me suis rendu en Belgique et en lisant la presse – car il y a eu beaucoup de fuites, malheureusement –, Salah Abdeslam avait déjà été repéré comme radical.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

L'article 36-2 ne couvre pas spécifiquement les infractions de droit commun. Les articles 36-2 et 36-3 peuvent concerner des faits relevant du terrorisme comme des faits n'en relevant pas. Ce qui distingue les deux articles, c'est la nature de l'autorité qui procède au signalement. Les signalements effectués dans le cadre de l'article 36-2 étant liés à la répression des infractions pénales, ils sont généralement issus des services d'enquête criminelle, donc de la police judiciaire. Ceux qui sont effectués dans le cadre de l'article 36-3, en cas de menace de la sûreté de l'État sont généralement issus des services de renseignement, de la DGSI par exemple.

Je ne sais quel service a émis le signalement en Belgique mais quand nous avons demandé le motif, nos homologues belges nous ont précisé qu'il s'agissait de l'islam radical et non d'un motif de droit commun. Le service à l'origine de l'information doit sans doute être un service de police judiciaire.

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Comment avoir la certitude que le motif du signalement n'a pas été modifié ? Il est facile de réécrire l'histoire après-coup.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je reprends la chronologie. Nous précisons au gendarme que les Belges demandant un contrôle discret, le peloton doit poursuivre le contrôle, rappeler pour nous donner une description du véhicule, sa plaque d'immatriculation, l'identité des occupants – si possible, une copie des documents d'identité –, la provenance et la destination des passagers et le motif de leur déplacement.

À 9 heures 40, l'un des gendarmes rappelle le bureau SIRENE et communique les informations demandées, à l'exception des copies des pièces d'identité qui ne nous parviendront que plus tard dans la matinée en raison de difficultés liées à la transmission des images par voie électronique.

À 9 heures 44, l'opérateur du bureau SIRENE de Paris transmet au bureau SIRENE de Belgique le formulaire habituel de découverte, dit « formule G », accompagné d'une demande de précision quant au motif du signalement, en précisant que les copies des documents d'identité seraient transmises dès réception.

Vers 10 heures 45, le bureau SIRENE de Belgique rappelle le bureau SIRENE de France et l'informe que Salah Abdeslam était d'après leurs services un individu radicalisé, candidat au djihad en Syrie.

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Voici des informations extrêmement importantes. Il a fallu attendre une heure pour que le bureau SIRENE de Belgique opère un rapprochement entre les attentats du 13 novembre et un individu se rendant en Belgique identifié comme islamiste radical dans le SIS. Ce délai vous paraît-il raisonnable ? Je cherche à comprendre et non à accabler, je tiens à le préciser.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Les bureaux SIRENE fonctionnent par envoi de formulaires. C'est après avoir reçu le formulaire transmis par le bureau SIRENE de France que le bureau SIRENE de Belgique a pris les dispositions qu'il avait à prendre. J'imagine qu'il est entré en contact avec le service d'enquêteurs belge à l'origine du signalement. Mais je n'ai aucune assurance à cet égard : je ne dirige pas le bureau SIRENE de Belgique et je ne sais pas du tout quelles vérifications ont été opérées en Belgique. Ce qui est certain, c'est que le nombre d'individus surveillés dans le SIS est très élevé et que les contrôles discrets ou spécifiques font l'objet d'une remontée qui prend un certain laps de temps.

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Dans la nuit du 13 au 14 novembre, combien d'informations issues du SIS vous ont été transmises ? Combien ont concerné des signalements pour islam radical ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je ne sais pas.Je pourrai vous fournir ces données ultérieurement.

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Quelle est la proportion de ces « hits » ? Quelques dizaines ? Quelques centaines ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Non, je pense que le chiffre est peu élevé.

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Je ne veux pas faire de politique-fiction, mais je voudrais comprendre le déroulement des événements.

Au lendemain du 13 novembre, si la situation avait été inversée et que le bureau SIRENE de Belgique avait contacté le bureau SIRENE de France, combien de temps auriez-vous mis pour obtenir l'information auprès du service à l'origine du signalement ? Quel est le délai normal ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Cela dépend.

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Qu'en est-il en situation de crise ?

J'imagine que, dans la nuit du 13 au 14 novembre, vous-même, monsieur Colombi, et vos personnels avez eu à contacter les services prescripteurs. Combien de temps cela a-t-il pris pour avoir un retour ?

J'aimerais savoir s'il y a eu un dysfonctionnement du côté belge ou s'il s'agit d'un fonctionnement habituel.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Honnêtement, monsieur le rapporteur, je suis incapable de dire s'il y a eu ou non dysfonctionnement du côté belge. Et je ne suis pas là pour exonérer qui que ce soit.

Les délais sont variables selon les cas. Lorsque vous contactez un service d'enquête pour obtenir des précisions sur une fiche qu'il a émise, la réponse peut être très rapide. Cela peut supposer, quelquefois, de se rapprocher du chef d'unité ou du chef de service en charge du dossier.

Sur le moment, ce délai d'une heure ne m'a pas semblé exagéré, même si j'aurais préféré, bien sûr, qu'ils répondent dans les cinq minutes.

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Au niveau du bureau SIRENE de France, pouvez-vous avoir connaissance en consultant le fichier SIS des catégories qui ont motivé le signalement : droit commun, terrorisme, etc. ? Pouviez-vous savoir, en consultant son signalement, que Salah Abdeslam était lié à l'islam radical ? Si ce n'est pas le cas, ne serait-il pas nécessaire de créer une catégorie spécifique pour l'islam radical ou le terrorisme ?

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

La présidence néerlandaise de l'Union travaille à cette idée avec les autres États. En France, nous n'y sommes pas trop favorables.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Créer une nouvelle catégorie n'a de sens que si elle est associée à une conduite particulière à tenir. Or, pour le terrorisme, trois conduites différentes sont possibles : interpeller si l'on dispose d'un mandat d'arrêt, effectuer un contrôle discret, ou opérer un contrôle plus approfondi, comprenant par exemple des fouilles de bagages. C'est ce à quoi aboutissent les divers signalements : dans le cadre de l'article 26 pour le mandat d'arrêt européen ; dans le cadre de l'article 36 pour le contrôle discret ou le contrôle spécifique. Il me semble plus pertinent d'introduire la catégorie d'infraction par signalement, ce qui est envisagé. Elle sera visible au moins pour les bureaux SIRENE. Il sera alors possible de dire qu'il s'agit d'un signalement pour terrorisme relevant de l'article 36.

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Ne peut-on imaginer, dans les heures suivant un attentat, lorsque l'on traque leurs auteurs, un mécanisme de dérogation autorisant une autre conduite à tenir, comme la retenue ou l'interpellation, même si la loi relative à la lutte contre le crime organisé permettra déjà une retenue de quatre heures ?

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Il faudrait revoir chacun des fichiers de personnes recherchées des vingt-neuf États raccordés au SIS pour déclencher un nouveau mode de conduite à tenir. Cela concernerait 66 000 personnes inscrites au SIS II au titre de l'article 36-2 et un peu plus de 8 000 personnes au titre de l'article 36-3. Beaucoup de personnes seraient donc susceptibles d'être retenues, dans des conditions qui restent à définir. Il n'existe aucune base légale européenne qui permettrait de retenir une personne de la sorte. Aujourd'hui, les seules bases de coercition sont le mandat d'arrêt européen et les mesures de protection des mineurs ou des majeurs protégés.

Pour revenir au contrôle du 14 novembre, même si nous avions su que le signalement de Salah Abdeslam était lié au terrorisme ou à l'islam radical, nous n'aurions pas pu l'interpeller car il aurait fallu un mandat d'arrêt européen, lequel n'a été émis que le 15 novembre. La seule conduite à tenir possible aurait été de faire durer le contrôle.

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La France aurait-elle pu disposer de l'information concernant la radicalisation de Salah Abdeslam ?

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Nous aurions pu l'obtenir si le signalement avait été effectué dans le cadre de l'article 36-3 car au moment de l'inscription, les États doivent envoyer aux autres bureaux SIRENE un formulaire M. En ce cas, l'accès à l'information aurait été plus rapide.

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Il n'y avait donc pas d'autre moyen d'avoir connaissance de cette information que de passer par le bureau SIRENE de Belgique ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je pense même que l'opérateur du bureau SIRENE de France a rappelé le bureau SIRENE de Belgique pour lui demander des précisions, compte tenu du contexte. Il faut quand même avoir à l'esprit que toutes ces fiches de signalement intégrées dans le SIS par les services de police judiciaire ou les services de renseignement visent à relocaliser des individus dont il n'est pas possible de surveiller les allées et venues quotidiennement. Tout ceci doit se faire, bien évidemment, dans un souci de confidentialité. L'échange d'informations n'est pas total.

Comme le soulignait Alexandre Pichon, si le signalement avait été fait dans le cadre non de l'article 36-2 mais de l'article 36-3, l'opérateur du bureau français aurait peut-être pu avancer.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Les Belges nous ont indiqué qu'il s'agissait d'un individu radicalisé, puis, nous n'avons plus eu d'informations jusqu'au lendemain, 15 novembre, date à laquelle la Belgique a délivré un mandat d'arrêt contre Salah Abdeslam.

Cela étant, monsieur le président, il faut tout de même garder à l'esprit que c'est le contrôle d'Hordain qui a permis l'identification des deux individus venus récupérer Abdeslam et qui a conduit à établir avec certitude qu'il revenait de Paris.

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Voyons le verre à moitié vide, maintenant : si Salah Abdeslam avait été interpellé, la fusillade de Forest n'aurait pas eu lieu, non plus que les attentats de Bruxelles qui ont fait plus de trente morts.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je suis d'accord avec vous.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je ne la connais pas, monsieur le président.

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Il n'y a pas eu de retour d'expérience entre vous et les Belges ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Dans le cadre de l'équipe commune d'enquête, beaucoup d'éléments sont traités au niveau judiciaire. Des relations bilatérales très étroites lient les magistrats d'abord et les services d'enquête qui travaillent pour leur compte. La DRI transmet ce qu'elle a à transmettre mais ces questions sont traitées par d'autres que nous. Certains de mes collègues que vous allez entendre ultérieurement seront peut-être davantage en mesure de vous apporter cette réponse.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Il faut préciser que le signalement de Salah Abdeslam est intervenu juste avant l'introduction dans le SIS, en mars 2015, d'une nouveauté qui consiste à associer aux signalements effectués dans le cadre de l'article 36-2 ou de l'article 36-3 une conduite supplémentaire à tenir, dite « action immédiate » – immediate reporting –, lorsqu'il s'agit de combattants étrangers. C'est l'aboutissement d'une réflexion destinée à améliorer la prise en compte spécifique des combattants étrangers partant pour la Syrie ou l'Irak. La conduite à tenir « action immédiate » est désormais interprétée par les différents bureaux SIRENE comme un code lié aux combattants étrangers. Il est probable que, si le signalement d'Abdeslam avait été effectué un mois plus tard, il aurait comporté cette mention.

Nous savons qu'après les attentats de novembre 2015, la Belgique a été incitée à procéder à davantage de signalements, notamment des signalements de combattants étrangers, et à recourir à l'article 36-3 plutôt qu'à l'article 36-2. La France, pour sa part, promeut depuis longtemps le recours à l'article 36, que nous avons toujours davantage utilisé que les autres pays européens.

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Où se situe l'unité de coopération policière internationale Schengen, l'UCCPI ?

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Elle n'existe plus que sous forme de mention dans l'article D8-2 du code de procédure pénale, qui va bientôt être modifié. Les échanges d'informations entre États membres ne s'effectuent plus sur la base des accords de Schengen mais sur celle de la décision-cadre de 2006, dite « initiative suédoise », qui en a repris les dispositions. L'UCCPI a donc laissé place à un point de contact national qui est la SCCOPOL pour la France. Ce sont l'unité nationale d'Europol et le bureau central national d'Interpol qui assurent les échanges bilatéraux avec les autres États membres de l'Union européenne. Cela revient au même, simplement la base légale a changé.

Pour ce qui est du SIS, il existe deux organes de gouvernance en France : l'Office national SIS 2, dont la responsabilité nous a été confiée en 2015, s'occupe de la partie nationale du SIS – la partie informatique qui concerne l'alimentation et la consultation automatisée ; d'autre part, le bureau SIRENE gère les échanges d'informations liés aux « hits » à travers une application dédiée. Toute la gouvernance des applications informatiques concernant le SIS est donc concentrée depuis février 2015 à la DCPJ. Pour ce qui concerne l'office national SIS 2, elle travaille avec une myriade de services et d'administrations du ministère de l'intérieur, du ministère des affaires étrangères car elle doit être en contact avec tous les services qui alimentent ou interrogent le SIS.

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Le profil ADN d'Abdelhamid Abaaoud a-t-il figuré dans les outils liés au traité Prüm ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Vous voulez savoir si l'empreinte ADN d'Abaaoud était répertoriée dans l'un des fichiers nationaux des États signataires du traité de Prüm, c'est bien cela ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je ne me le rappelle pas, mais c'est une information facile à vérifier.

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Lors de l'assaut de Verviers, Abaaoud était localisé en Grèce. Il était entendu que les services belges devaient agir en coordination avec les services grecs. Or l'intervention à Verviers a été lancée sans que les Grecs en soient informés, et Abaaoud a pu s'échapper.

Cela m'amène à vous demander votre sentiment sur la coordination européenne en matière de lutte contre le terrorisme.

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Lors de notre récent voyage en Grèce, nous avons pu constater le mécontentement des Grecs après cet épisode.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je ne dispose pas d'éléments particuliers sur l'épisode de Verviers. Visiblement, la commission en sait plus que moi.

Il est difficile de mettre en place une véritable coopération européenne. En ce domaine, la coopération est plus facile au plan bilatéral, même si elle n'est pas toujours simple. Pour qu'elle fonctionne, il faut que chaque pays accepte de sortir de sa culture propre, de définir des objectifs communs clairs, de déterminer le niveau décisionnel adapté et de se tenir ensuite à ce qui a été décidé.

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Comment se fait-il qu'Abaaoud ait pu circuler avec une facilité déconcertante à plusieurs reprises dans l'espace Schengen, alors qu'il faisait l'objet de multiples signalements ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je vais être prudent, monsieur le président, car, demain, les voyages d'Abaaoud au sein de l'Union européenne seront peut-être reconstitués et je suis donc susceptible d'être démenti.

L'espace Schengen, c'est une évidence, a été constitué par un renforcement des frontières extérieures. Le principal outil compensatoire qui a été envisagé, c'est le SIS. Aujourd'hui, le système souffre d'une faiblesse principale : le report des contrôles sur les frontières extérieures a écarté l'attention de la nécessité de mettre en place des contrôles à l'intérieur de l'espace Schengen. Cette même problématique se rencontre lorsqu'il est question de mise en place de l'outil PNR – Passenger Name Record : l'ensemble de la DCPJ et la DRI en particulier ont beaucoup insisté pour que les vols intracommunautaires soient intégrés. Une fois dans l'Union, il est très facile pour une personne de s'y déplacer – c'est une faculté dont nous profitons tous. Il faudra réfléchir aux manières d'exercer des contrôles à l'intérieur des États de l'Union.

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Les chiffres sont impressionnants. La frontière électronique dématérialisée est mise en oeuvre à partir de 500 000 terminaux d'interrogation dans les vingt-huit États. Le SIS représente 36,5 millions de signalements, dont 1,204 million porte sur des personnes recherchées.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Nous n'avons pas les mêmes données. Aujourd'hui, le SIS compte près de 65 millions de signalements : le système atteint donc presque ses limites, puisque sa capacité maximale est de 70 millions. Elle sera portée à 100 millions à la fin de l'année. Ces fiches concernent 800 000 personnes signalées, recherchées ou à surveiller. Elles concernent en très grande majorité des documents perdus ou volés (49,1 millions) et dans une moindre mesure d'autres objets, dont 3,5 millions de véhicules et près de 500 000 armes à feu.

En 2015, le nombre de consultations se sont élevées à près de 3 milliards sur l'ensemble des vingt-neuf pays connectés au système, l'augmentation étant liée au raccordement du Royaume-Uni. Il s'agit de consultations manuelles, opérées dans les aubettes des aéroports ou effectuées à l'occasion de contrôles de police, ou bien automatiques, par interrogation d'un fichier à l'autre. Je citerai le réseau mondial Visas qui interroge une catégorie particulière de données – les décisions d'interdiction du territoire Schengen – pour l'examen des demandes de visa, les préfectures qui lancent des recherches à propos des véhicules ou les interdictions d'entrée sur le territoire, ou encore les lecteurs automatisés de plaques d'immatriculation (LAPI), qui vérifient si tel ou tel véhicule est signalé comme volé dans le SIS. Pour la France, le total des consultations a atteint 555 millions en 2015, ce qui fait de notre pays le premier en matière de consultations.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Ajoutons qu'Abaaoud a peut-être été contrôlé sans que nous le sachions, ou sous une autre identité. L'une des limites du système actuel, c'est qu'il n'intègre pas de données biométriques.

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Pourriez-vous nous indiquer le nombre de personnes interpellées grâce au fichier SIS en 2015 ?

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Je ne dispose pas de chiffres pour l'ensemble des pays connectés mais pour la France, les mandats d'arrêt européens, seuls à pouvoir justifier une interpellation, permettent chaque année d'interpeller à l'étranger 750 personnes signalées par la France, et en France, 450 personnes faisant l'objet d'un signalement étranger.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Je ne peux pas vous le dire, car les statistiques sont établies par type de signalement et non par catégorie d'infraction.

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Alexandre Pichon, adjoint au chef de la division des relations internationales

Cet article concerne les contrôles et non pas les interpellations.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je peux également vous fournir les chiffres concernant les « hits » positifs en France.

S'agissant des signalements étrangers effectués par la France dans le SIS 2, les chiffres s'élèvent à 7 546 en 2014, dont 5 389 personnes, et à 11 412 en 2015, dont 8 228 personnes.

S'agissant de l'ensemble des pays connectés au système, le nombre de « hits » positifs » était de 129 136 en 2014, dont 88 961 personnes, et de 156 447 en 2015, dont 116 994 personnes.

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Lorsque l'on vous écoute, on est frappé par l'étroite coopération qui lie les pays européens : qu'il s'agisse de la SCCOPOL, de la task force « Fraternité », des équipes communes d'enquête ou des analyses d'Europol. Malgré cela, l'idée répandue selon laquelle l'Europe est une passoire continue de prévaloir.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Les attentats du 13 novembre ont créé un choc et un bouleversement, y compris dans l'appréhension de la coopération internationale.

J'ai exercé tout au long de ma carrière dans des services de police judiciaire et centraux comportant une dimension internationale. Pendant longtemps, la coopération internationale, sans être accessoire, était optionnelle. Aujourd'hui, un changement de paradigme s'est produit : un enquêteur ne peut envisager son travail autrement que dans un espace européen.

Il existe un certain nombre d'outils que les enquêteurs doivent s'approprier. C'est un processus qui a débuté il n'y a pas très longtemps et qui avance à grands pas. La survenance de faits gravissimes comme ceux que nous avons vécus a accéléré cette évolution.

L'équipe commune d'enquête constitue le nec plus ultra de la coopération internationale. L'utilisation des outils d'Europol progresse beaucoup, mais elle n'a pas été sans mal, en particulier dans notre pays. La coopération internationale repose purement et simplement sur l'échange d'informations, et les enquêteurs, dans presque tous les pays européens – davantage dans les pays méditerranéens que dans les pays nordiques, il faut le dire –, ont une culture très ancrée de la possession d'informations. C'est un travail de tous les jours que nous menons avec mes camarades pour leur faire comprendre qu'utiliser les services d'Europol ne leur retire rien, bien au contraire, et que le concept de propriété de l'information n'est pas remis en cause dans ce cadre.

Je vous ai indiqué dans ma présentation que nous avions confié l'ensemble de nos données à Europol, qui a créé la task force « Fraternité ». Il faut souligner que c'est la première fois en Europe qu'un État membre confronté à un tel drame décide de se défaire du pan de l'enquête relevant de l'analyse criminelle pour le confier à Europol. C'est naturellement Mireille Ballestrazzi, la directrice centrale de la police judiciaire, qui a pris cette décision, en suivant immédiatement la voie que nous avions choisie. C'est moi qui ai contacté le directeur de la police judiciaire belge pour le convaincre que la coopération entre nos deux États n'aurait de sens que si lui aussi confiait ses données. Et c'est ce qu'il a fait immédiatement. Pour Europol, la task force « Fraternité » constitue un test, car elle a toujours demandé que les États lui confient les analyses criminelles en cas d'affaires importantes, comme ses responsables l'ont fait savoir au sein du conseil d'administration, où je conduis la délégation française depuis que j'occupe ces fonctions. La justice et la police françaises viennent de lui donner la possibilité de démontrer le bien-fondé de sa création et la plus-value qu'elle peut apporter aux enquêtes. Et je suis certain que tout cela va fonctionner.

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Peut-on imaginer une pérennisation de la task force en matière de terrorisme européen et international ? Vous savez que la question d'un parquet européen a déjà été soulevée : certains y sont favorables mais cela soulève un problème de souveraineté nationale. Pourrait-on s'orienter vers une compétence supplémentaire sans défaire le parquet de Paris de ses compétences s'agissant des attentats commis à Paris ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Je suis trop vieux pour voir un jour cette évolution se concrétiser, mais je pense que c'est le sens de l'histoire.

Lorsque j'ai commencé ma carrière à l'international il y a près de quarante ans, personne n'imaginait que nous pourrions confier nos données à un organisme international. Europol est un outil, un outil qui nous appartient. Cette agence a la possibilité de mener des actions que nous ne sommes pas en mesure d'effectuer parce qu'elle dispose de moyens que nous n'avons pas. Elle est par exemple la seule organisation en charge de police criminelle capable d'analyser du big data – je ne parle pas des services de renseignement.

Je suis certain qu'un parquet européen remplissant des fonctions de coordination verra le jour. Sans doute des personnels d'Europol participeront-ils à des enquêtes sur les sols nationaux au-delà du simple envoi d'analystes. Mais vous avez raison de souligner que ce sera un processus long parce que les capacités en matière de police criminelle dans les différents États membres ne sont pas les mêmes pour des raisons historiques : tous n'ont pas l'expérience du terrorisme. Il sera difficile dans un délai bref de voir le parquet de Paris se défaire de sa compétence au profit d'un parquet supranational qui aurait à sa tête un responsable venant d'un pays ayant eu la chance de ne pas avoir été touché au cours du siècle dernier.

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Lors de notre voyage en Grèce la semaine dernière, nous avons constaté qu'Europol n'est intervenu en matière de flux de migrants qu'en décembre 2015, très tardivement donc. Qu'en pensez-vous ?

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Et, aujourd'hui, une personne seulement au sein de l'agence en est chargée.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Ce sujet sera traité au conseil d'administration d'Europol la semaine prochaine. L'agence sollicite les États membres pour définir un nouveau modèle de fonctionnaires de police mis à disposition : le guest officer. Cela consisterait pour les États membres à « prêter » des spécialistes du trafic de migrants pour permettre à Europol de remédier aux difficultés qu'elle éprouve à prendre en compte ce phénomène. Il faut savoir que l'intromission de l'agence dans la crise des migrants s'est faite à partir d'une incitation politique des États, dont la France. Rob Wainwright, son directeur, a eu quelques doutes, dont il s'est ouvert à moi, car il considérait que cette action relevait davantage du mandat de Frontex. En réalité, il y a un trou dans le dispositif : Frontex a compétence pour traiter du problème migratoire aux frontières extérieures, mais ne couvre pas les mouvements de migrants à l'intérieur de l'Union. Souvenons-nous de la controverse germano-danoise : les Danois avaient fortement reproché aux Allemands de ne pas les avoir avisés de l'arrivée massive de plusieurs milliers de migrants par le Schleswig-Holstein, arrivée qui les avait contraints à fermer les autoroutes et à couper les lignes ferroviaires durant un week-end.

Née d'une unité de lutte contre le trafic de stupéfiants, Europol a vu son mandat s'élargir jusqu'à embrasser tous les champs de la criminalité. Elle est dotée de moyens importants – 100 millions d'euros de budget – car l'Union européenne n'est pas avare : chaque fois qu'elle se voit confier une nouvelle mission, son budget est abondé. Toutefois, elle se heurte à une difficulté : elle doit en quelque sorte être spécialiste de tous les domaines. À l'origine, l'agence était composée avant tout d'analystes criminels, car les États membres voulaient qu'elle s'attache essentiellement à l'analyse criminelle, pour des raisons de propriété de l'information que j'évoquais tout à l'heure. Maintenant, elle a besoin de spécialistes dans tous les champs thématiques. Elle fait appel aux États membres qui, confrontés à une pression criminelle forte, ont des difficultés à se défaire de leurs meilleurs éléments – pour travailler à Europol, non seulement il faut maîtriser la matière qui est votre spécialité, mais aussi être linguiste et être doté de diverses autres compétences. En outre, le statut des guest officers pose le problème des responsabilités de l'État qui met à disposition des personnels soit au bureau de liaison soit au sein de l'agence. Ce type de collaboration représente toutefois une voie d'avenir.

Pour finir, j'aimerais préciser la volumétrie des échanges annuels au sein de la SCCOPOL : en 2015, plus de 450 000 messages entrants ou sortants ont été enregistrés sur l'ensemble des flux, contre 350 000 l'année précédente. Le développement du terrorisme, la crise des migrants, l'explosion de la cybercriminalité font craindre une augmentation encore marquée. Les ajustements des systèmes d'information au niveau européen et au niveau national devront être accompagnés d'une montée en puissance de la SCCOPOL, outil envié par nos partenaires, mais structure contrainte en termes de personnels, lesquels sont obligés de traiter un très fort ratio de messages.

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

La SCCOPOL est dirigée par un commissaire de police qui relève de mon autorité.

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En dehors des administrations régaliennes – douanes, économie, sécurité intérieure, justice –, avez-vous des liens avec les collectivités territoriales ?

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Jean-Jacques Colombi, chef de la division des relations internationales à la direction centrale de la police judiciaire, DCPJ

Non, nos interlocuteurs sont la justice, la police, la gendarmerie et les douanes.

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Nous vous remercions, messieurs, pour cette importante contribution.

Audition, à huis clos, du général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.

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Chers collègues, nous avons l'honneur et le plaisir de recevoir le général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées.

Mon général, nous vous remercions d'avoir répondu à la demande d'audition de notre commission d'enquête relative aux moyens mis en oeuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015.

Vous savez que nous avons déjà tenu plusieurs auditions de membres des forces armées et que nous avons reçu, la semaine dernière, le directeur général des relations internationales et de la stratégie du ministère de la défense.

Avec le chef d'état-major des armées que vous êtes, la commission d'enquête va pouvoir s'intéresser aux aspects militaires de la lutte contre le terrorisme aussi bien en France, avec l'opération Sentinelle, que sur les théâtres d'opérations extérieurs.

Cette audition, en raison de la confidentialité des informations que vous êtes susceptible de nous délivrer, se déroule à huis clos. Elle n'est donc pas diffusée sur le site internet de l'Assemblée. Néanmoins, et conformément à l'article 6 de l'ordonnance de 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, son compte rendu pourra être publié en tout ou partie, si nous en décidons ainsi à l'issue de nos travaux. Je précise que les comptes rendus des auditions à huis clos seront au préalable transmis aux personnes entendues afin de recueillir leurs observations. Ces observations seront soumises à la commission, qui pourra décider d'en faire état dans son rapport. Je rappelle que, conformément aux dispositions du même article, « sera punie des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal – un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende – toute personne qui, dans un délai de vingt-cinq ans divulguera ou publiera une information relative aux travaux non publics d'une commission d'enquête, sauf si le rapport publié à la fin des travaux de la commission a fait état de cette information. »

Conformément aux dispositions de l'article 6 précité, je vais maintenant vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

Le général Pierre de Villiers prête serment.

Mon général, je vais vous laisser la parole pour un exposé liminaire qui sera suivi par un échange de questions et réponses. Je vous propose d'intervenir tout d'abord sur l'opération Chammal puis sur l'opération Sentinelle.

L'opération Chammal suscite certaines questions qui intéressent directement nos travaux. Nous aimerions avoir un point de situation sur le théâtre du Levant : évolution de la menace, situation territoriale, forces en présence.

Pouvez-vous nous présenter la coalition contre l'État islamique : pays contributeurs et participants, commandement opérationnel, stratégie poursuivie, évolutions du dispositif ?

En ce qui concerne l'opération Chammal, nous souhaiterions connaître son cadre d'intervention, les buts poursuivis, sa chaîne de commandement et la coordination avec la coalition, les moyens humains et techniques mis en oeuvre et leur évolution. Pourriez-vous nous informer notamment sur les changements effectués après les attentats de janvier et novembre 2015 ? Pourriez-vous nous donner le nombre de militaires actuellement engagés dans l'opération en détaillant les données par type de missions, armées et services ?

Nous aimerions aussi connaître le nombre de sorties aériennes effectuées depuis le déclenchement de l'opération. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur l'évolution de ces sorties au fil des mois, sur le type de missions effectuées – renseignement, frappe –, sur les objectifs visés et les zones géographiques ciblées ?

Pourriez-vous nous présenter un premier bilan de l'opération : nombre de frappes effectuées, de cibles détruites, de combattants neutralisés ? Nous souhaiterions notamment nous faire une idée des résultats obtenus par l'intensification des frappes aériennes décidée par le Président de la République à la suite des attentats de novembre 2015. Combien de cibles francophones ont été identifiées comme devant être frappées ? Combien l'ont été ? À combien peut-on estimer le nombre de décès de Français résultant de ces frappes ?

Pourriez-vous nous présenter l'état de la coopération militaire avec l'Irak et les modalités de coordination de l'action de la coalition mondiale avec celle de la Russie ?

Compte tenu des engagements actuels des forces armées, quel effort supplémentaire seriez-vous capable de fournir au Levant sans dégarnir vos autres opérations ?

Enfin, je vous soumets cette question récurrente : un engagement au sol est-il totalement irréaliste dans les mois qui viennent ?

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais en tout premier lieu vous remercier sincèrement pour avoir pris l'initiative de cette audition. Vous le savez, j'attache la plus grande importance à la continuité et à la qualité des échanges que les armées entretiennent avec la représentation nationale, quel qu'en soit le cadre.

Les terribles attentats du 13 novembre dernier à Paris et ceux du 22 mars à Bruxelles ont marqué le franchissement d'un nouveau seuil de la menace terroriste qui pèse sur les pays européens. Conscient de cette réalité, le Président de la République a décidé de mener une lutte résolue contre les groupes terroristes et de renforcer l'effort de défense.

Il en résulte un engagement massif de nos armées, parfois d'ailleurs au-delà de leurs contrats opérationnels tels qu'arrêtés dans le Livre blanc de 2013. Chacune des composantes de notre outil de défense est impliquée dans cette lutte.

La question sur laquelle votre commission travaille est absolument fondamentale, parce que l'essentiel est en jeu : les moyens consentis à la lutte contre le terrorisme sont-ils tout à la fois adaptés et suffisants pour assurer la protection de la France et des Français ? Cet impératif de protection est la raison d'être et la mission première des armées. Voilà pourquoi vous pouvez compter sur moi pour m'exprimer cet après-midi sans langue de bois.

Tous les moyens militaires qui pouvaient être engagés dans cette lutte l'ont été et le restent, avec la volonté d'apporter une réponse immédiate à l'extrême gravité des coups portés à notre pays. Le très haut degré d'engagement de nos armées, depuis plus d'un an, en porte témoignage. Cet engagement ne se dément pas et je crois pouvoir dire qu'il apporte un concours essentiel au combat mené courageusement par notre pays. Pour autant, nous devons continuellement adapter nos moyens à l'évolution – et à l'accroissement – de cette menace terroriste.

En effet, l'engagement massif de nos armées a révélé certains effets de seuil qui nécessitent une adaptation permanente de l'outil et la révision de certains de nos modèles. Par ailleurs, j'ai la conviction que l'action des armées doit toujours être envisagée comme le concours apporté à la mise en oeuvre d'une stratégie plus large, impliquant l'ensemble des acteurs institutionnels de notre pays, la population française ainsi que les pays alliés et amis.

Avant de répondre plus directement à vos questions sur l'opération Chammal, je vais illustrer ce que je viens de dire sous l'angle de l'adéquation des moyens à la mission. J'articulerai mon propos en trois parties. Je vais d'abord vous donner une analyse militaire de la singularité de la menace terroriste actuelle, de ce qui la distingue de ce que nous avons pu connaître par le passé. Pour un militaire, la question centrale est toujours la même : qui est l'ennemi ? Je ferai ensuite l'état des lieux de la lutte contre le terrorisme, une lutte qui n'est pas nouvelle mais qui a dû changer brusquement de dimension. Enfin, je vous donnerai mes points d'attention, en toute transparence.

Pour commencer donc, il m'apparaît intéressant de définir la menace terroriste telle que je la perçois. Pensée et utilisée au service d'une idéologie destructrice, la terreur, autrefois localisée, est devenue terrorisme mondialisé. Elle s'est répandue dans des zones jusque-là préservées, frappant quatre des cinq continents au cours des douze derniers mois.

Certes, le terrorisme n'est pas nouveau en soi – le monde et la France ont déjà été confrontés à plusieurs reprises à ce fléau – mais nous sentons bien que l'ampleur et les ressorts du terrorisme de l'islam radical sont singuliers. La différence se fonde avant tout sur l'ambition hégémonique et la logique destructrice de ce terrorisme. La surenchère de la violence est érigée par les organisations terroristes comme le moyen privilégié d'asseoir leur pouvoir. Elle a été théorisée par Abu Bakr Naji dès 2004, dans un texte traduit en français en 2007, que j'ai ici, sous un titre parfaitement clair : Gestion de la barbarie. Ce qui est singulier ici, c'est que la violence est envisagée au-delà du simple moyen ; elle devient une fin. Cette idéologie de mort emporte toute rationalité. Elle n'a, en réalité, d'autre finalité que l'avènement d'un terrorisme nihiliste érigé en système qui se revendique comme État islamique ou califat.

Deux traits supplémentaires complètent la physionomie hideuse de ce terrorisme : il est mouvant et fait vaciller les repères ; il est opportuniste. Nous sommes confrontés à une menace en mutation permanente et les visages changent : hier al Qaïda, aujourd'hui Daech, Jabhat al-Nosra ou Boko Haram. En réalité, la menace perdure sous les traits d'un mutant qui se transforme et se démultiplie pour se répandre. Le terrorisme islamiste fait aussi vaciller les repères en ce sens qu'il revendique un enracinement territorial tout en ignorant totalement les frontières des États et en venant frapper jusque sur notre sol. Il revendique la pureté quand il n'est en réalité que crime. On le croit éradiqué ici mais il renaît là-bas sous une forme nouvelle. La menace est protéiforme et nébuleuse ; elle n'en est que plus difficile à contrer.

Ce terrorisme est aussi opportuniste. Il prolifère partout où les institutions sont fragiles, faibles ou inexistantes et où la pauvreté incline à la désespérance. Il se sert des facilités qu'offrent internet et les réseaux sociaux, qui ouvrent l'accès au coeur même des sociétés, pour embrigader la part de la population la plus exposée et la plus influençable, en particulier au sein de la jeunesse.

De ces observations je crois que nous pouvons tirer une certitude : les dynamiques de la violence et de la peur sont enclenchées, mettant au défi la réponse de la force légitime. Un nouveau cycle guerrier s'est ouvert ; il nous oppose à un ennemi qui cherche à imposer son idéologie. Nous ne faisons pas la guerre à un terrorisme désincarné ; nous faisons la guerre à des groupes djihadistes.

C'est bien un ennemi que nous avons à combattre. Il a des objectifs, des ressources et des besoins. Pour autant, l'ennemi a aussi des faiblesses qu'il faut savoir exploiter pour mettre un terme à son projet. J'en citerai deux : le défi de la régénération ; la division.

Le défi de la régénération s'appuie nécessairement sur la conservation de zones refuges. La capacité à durer des groupes terroristes repose sur l'existence de sanctuaires qui leur sont indispensables pour s'entraîner, se réarticuler et s'approvisionner. La perte de ces sanctuaires porte à chaque fois un coup très sérieux à l'ennemi, comme ce fut le cas des opérations conduites par nos armées dans l'Adrar des Ifoghas au Nord-Mali. C'est d'ailleurs encore le cas. Sur ce sujet, il faut souligner que notre stratégie de régionalisation et de partenariat élargi dans la bande sahélo-saharienne (BSS) est une réussite. Elle est en cohérence avec la réalité de la menace et les besoins critiques de l'ennemi. Elle privilégie des modes d'action basés sur la surprise, facteur clé qui permet de contrer les groupes armés terroristes, et sur des opérations transfrontalières conduites en partenariat avec les armées du G5 Sahel, c'est-à-dire le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Finalement, Barkhane rend les espaces du Nord-Mali et du Niger de plus en plus hostiles aux terroristes et de plus en plus difficiles aux trafiquants. Cette même stratégie est également mise en oeuvre par la coalition au Levant. Mossoul en Irak et Raqqah en Syrie sont des objectifs qui, une fois repris, contribueront indéniablement à affaiblir sérieusement le pseudo-État islamique.

Deuxième faiblesse : la division, la compétition entre groupes djihadistes. La revendication de Daech d'établir un pseudo-État territorial, de part et d'autre de la frontière séparant l'Irak de la Syrie, peine à masquer l'absence d'une véritable vision partagée par l'ensemble de la mouvance djihadiste. Les groupes terroristes, dans leur diversité, ne s'accordent guère sur la voie à suivre. Leurs ambitions restent diverses et concurrentes, ce qui constitue une nouvelle preuve de leur logique nihiliste. Sur ce plan, les luttes fratricides entre al-Qaïda et Daech représentent un atout pour nous.

Lors des réunions avec les chefs d'état-major des pays de la coalition, je partage souvent avec mes homologues la conviction qu'une des clés de notre succès sera l'exploitation de ces oppositions, notamment au moyen d'opérations ciblées dans le domaine de la cyberdéfense et de la contre-information. Il s'agit d'un domaine sensible et très consommateur en moyens, d'où l'effort que nous devons poursuivre pour étoffer nos capacités en cyberdéfense.

Cette stratégie ne sera pleinement efficace que si elle ne se limite pas aux seuls effets militaires. L'action des armées doit en effet s'intégrer dans une approche globale. C'est la condition du succès. Seule l'action globale peut permettre d'étouffer cette menace en s'attaquant simultanément à toutes les dimensions de cette dernière pour révéler l'incohérence entre le discours et les crimes de Daech.

Soyez certains que cette vision est partagée par l'ensemble des chefs d'états-majors des armées engagées dans la coalition. Tous insistent sur le fait que la résolution du conflit passe nécessairement par une telle approche globale. Elle doit permettre de redynamiser l'engagement des pays de la région dans la lutte contre Daech et la reconstruction de ce qui aura été endommagé ou détruit. Gagner la guerre ne suffit pas pour gagner la paix. Je le dis à temps et à contretemps, car je pense que c'est essentiel dans ce combat. Les armées concourent à cette impérieuse nécessité d'approche globale en apportant l'expertise et les capacités, dont je vais maintenant dresser l'état des lieux.

Au moment des attentats de janvier 2015, nos armées étaient déjà en action. Pour démultiplier leur effort, elles ont pu s'appuyer sur deux socles essentiels : l'expérience opérationnelle ; la posture de nos armées.

Premier socle : l'expérience opérationnelle. Depuis 2001, nos armées sont engagées dans la lutte contre des groupes armés terroristes, d'abord en Afghanistan contre les talibans ou le réseau Haqqani, puis dans la BSS contre al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar al-din ou le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). Nos soldats se trouvent fréquemment, les yeux dans les yeux, à moins de quinze mètres d'un ennemi fanatisé qui ne recule pas. Telle est la réalité des combats que nous menons, loin de toute exposition médiatique. Nos soldats ont prouvé leur capacité à conduire des actions militaires dans des situations opérationnelles et climatiques extrêmement exigeantes. Ils y ont remporté des succès déterminants. C'est sur cette somme d'expériences que des réponses ont pu se construire dès le premier jour. C'est grâce à cette expérience que nous avons neutralisé environ 200 terroristes au Sahel, dans le cadre de l'opération Barkhane, pendant la seule année 2015.

Deuxième socle : la posture de nos armées qui possèdent deux atouts principaux. Notre premier atout réside dans le caractère complet de notre modèle d'armée qui possède la gamme la plus large possible de capacités et nous permet d'adapter la posture à la menace terroriste où qu'elle se manifeste. Notre deuxième atout consiste en notre capacité autonome d'appréciation, grâce à nos capteurs de renseignement, nos satellites, nos capacités de cyberdéfense. Avec ces atouts, nos armées peuvent apporter une réponse à la continuité de la menace terroriste au plus loin comme sur le territoire national. Et c'est ce qu'elles font.

Nous avons actuellement plus de 30 000 militaires en posture opérationnelle, toutes armées et tous services inclus. Au plus loin, ce sont les opérations extérieures : c'est la défense de l'avant. Nous sommes d'abord présents au Sahel où nous agissons en leader au sein de l'opération Barkhane, à dominante aéroterrestre. Ce que nous faisons là-bas est un modèle et une matrice pour beaucoup de nos opérations futures, avec une force modulable dont les actions conjuguent toujours plus de mobilité, de souplesse et de capacité à créer l'effet de surprise. Nous remportons au Sahel d'indéniables succès, aux côtés de nos frères d'armes africains. Cette réussite est le fruit de l'engagement total de nos soldats déployés là-bas. Ils connaissent les risques et les acceptent avec courage et dignité. La mort de nos trois camarades sur la piste de Tessalit, il y a moins d'un mois, en porte témoignage. Je tenais à leur rendre hommage devant vous car il ne faut pas les oublier.

Au Levant, nos armées agissent au sein d'une coalition anti-Daech. En détruisant leurs postes de commandement et d'entraînement, en appuyant de nos bombes l'action des forces locales au sol, nos armées aident à contenir les terroristes et elles permettent de réduire l'emprise territoriale de Daech. Je tiens à souligner ici combien les frappes conduites à partir des bases aériennes, renforcées pendant plusieurs semaines par celles des avions du groupe aéronaval, ont joué un rôle déterminant dans les revers récents des groupes armés terroristes en Irak et en Syrie.

Je profite aussi de ce constat pour insister sur la nécessité de conserver, sur le sujet des effets de nos actions, une approche équilibrée. Pendant des mois, certains observateurs expliquaient que les frappes de la coalition ne servaient à rien. Depuis quelques semaines, d'autres observateurs – à moins que ce ne soient les mêmes – croient pouvoir affirmer que la situation évolue vite et qu'une résolution est en vue. En réalité, nous savons d'expérience que la combinaison des actions exige du temps pour produire ses effets. Qui plus est, le temps des forces locales, qui agissent au sol en complément de nos actions, n'est pas le nôtre. Surtout, une approche globale, agissant sur les champs de la gouvernance et de l'économie, est indispensable pour permettre l'émergence d'une solution durable. Il nous faut conjuguer l'action politique et l'action militaire, ce qui demande du temps. Voilà pour la défense de l'avant.

En périphérie de notre territoire, il s'agit de protéger les approches de notre pays, avec des postures permanentes de sûreté et de sauvegarde dans leurs composantes aérienne et maritime et une veille opérée par nos forces prépositionnées. Là encore, nos armées protègent notre pays, notamment contre les infiltrations terroristes dans le contexte méditerranéen.

Au plus près, sur le territoire national, la menace terroriste s'installe dans la durée. La contribution des armées – en complément des forces de sécurité intérieures et bien sûr sous la responsabilité du ministre de l'intérieur – est naturelle. La finalité des armées réside tout entière dans la protection des ressortissants français, quel que soit l'endroit où ils se trouvent. On peut discuter de la doctrine – et il le faut – mais on ne peut pas discuter du principe ou alors il faut écrire un autre code de la défense.

La contribution des armées dépasse de beaucoup la dimension dissuasive et rassurante de la présence visible de soldats sur notre sol. Les capacités de planification, d'intervention et de gestion de crise, l'autonomie logistique et la maîtrise de certains moyens spécialisés rares sont autant d'atouts utiles à la lutte déterminée que nous avons à mener contre le terrorisme. Ceux d'entre vous qui appartiennent à la commission de la défense nationale et des forces armées m'ont déjà entendu sur ce thème.

La prise en compte de l'ensemble de ces dimensions débouche sur une posture nouvelle que nous devons parfaire et intégrer au sein d'un ensemble plus large qui nous oblige : la mission de protection de la France et des Français. Je suis bien sûr à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous aurez à me poser sur le sujet. Concrètement, nous avons l'obligation d'adapter les moyens de nos armées aux menaces immédiates. Nous le faisons à l'extérieur ; il faudra aussi le faire sur le territoire national. Nous devons préparer l'avenir dans un monde de multiplication et de superposition des crises. L'une de mes préoccupations quotidienne est d'ailleurs de garder à l'esprit que les menaces qui pèsent sur le pays ne se résument pas aux seules menaces terroristes. C'est en rappelant cette réalité que j'en viens à aborder la troisième partie de mon intervention liminaire : mes points d'attention relatifs aux moyens nécessaires pour soutenir la lutte contre le terrorisme.

Ces points d'attention sont concentrés autour d'une seule idée simple : assurer notre efficacité et notre endurance opérationnelle dans une situation où toutes les composantes de nos forces armées sont à un niveau d'engagement qui va parfois au-delà de leurs contrats opérationnels. Le dimensionnement des moyens militaires ne saurait être envisagé sans considération pour le temps long dans lequel s'inscrit nécessairement l'action des armées. Choisir une voie différente, c'est prendre le risque de voir les moyens s'éroder plus vite qu'ils ne se régénèrent, c'est hypothéquer l'avenir en pariant sur l'utopie d'un retour rapide à une situation ante.

Notre capacité à vaincre dépend de la stricte cohérence entre la menace, les missions confiées et les moyens octroyés. L'équipe que je forme avec les chefs d'état-major d'armée, derrière notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, est particulièrement attentive à ce besoin de cohérence qui s'articule autour de trois volets : les ressources humaines, les capacités opérationnelles, le modèle d'armée.

En ce qui concerne le volet des ressources humaines, l'effort de mise en cohérence a trouvé sa traduction dans la décision du Président de la République d'annuler plus de 10 000 déflations d'effectifs sur les années 2017 à 2019, qui viennent s'ajouter aux 18 750 annulations de la précédente actualisation de la LPM. Deux tiers de ces postes préservés seront redéployés en faveur du renforcement direct des unités opérationnelles et de la chaîne de cyberdéfense et de renseignement.

Les chaînes recrutement, formation et protection de nos armées, directions et services sont totalement mobilisées pour réussir cette manoeuvre d'envergure. Mais pour être effective, elle doit être soutenue par un effort budgétaire cohérent qui prenne en compte la masse salariale et le surcoût financier associé à ces effectifs en soutien, en entraînement, en fonctionnement, en équipements et en infrastructure. Actuellement, le soutien et la préparation au combat de nos soldats sont des domaines sous extrême tension. Tout renoncement budgétaire supplémentaire, dès la gestion 2016, affecterait gravement l'endurance opérationnelle de nos armées dans la lutte contre le terrorisme.

Au-delà de la nécessaire traduction budgétaire des décisions prises, j'estime qu'il est juste que la nation reconnaisse le haut degré d'engagement et l'excellent état d'esprit avec lesquels nos soldats, marins et aviateurs s'acquittent de leurs missions respectives et en supportent les contraintes. C'est pour cette raison que, lors du dernier Conseil de défense du 6 avril, le Président de la République a décidé l'adoption d'un plan d'amélioration de la condition du personnel. Il y a derrière ces mesures un véritable enjeu d'attractivité, de fidélisation et de maintien du moral. C'est la légitime compensation face à des sujétions croissantes en matière d'absence et de suractivité. Beaucoup de nos soldats dépassent 100 jours d'absence de leur domicile en 2015.

Venons-en aux capacités opérationnelles qu'il s'agit de renforcer suivant trois axes : optimiser l'emploi des armées sur le territoire national ; appuyer l'effort en renseignement et en cyberdéfense ; soutenir l'intensité de nos engagements en opérations extérieures.

Pour optimiser l'emploi des armées sur le territoire national, nous avons fait le choix d'adopter une posture plus dynamique, qui privilégie les patrouilles mobiles plutôt que les gardes fixes. Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, cette volonté doit s'accompagner d'une augmentation du parc des véhicules. Actuellement, nous avons 700 véhicules de tous types en Île-de-France, dans le cadre de l'opération Sentinelle. Avec le ministre de la défense, nous travaillons à l'achat de nouveaux véhicules tactiques adaptés, au cours des mois à venir. D'autres capacités doivent également être renforcées, notamment les moyens de transmissions et les moyens d'échange d'information nécessaires au développement de l'interopérabilité entre les armées et les forces de sécurité intérieures.

Notre deuxième axe consiste à appuyer l'effort en renseignement et en cyberdéfense. Le spectre des besoins identifiés est large : il va de la cyber-protection de la force aux capacités de sauvegarde et de veille sur internet, en passant par les moyens de traitement de l'image ou d'interception. L'ambition est bien de rehausser rapidement les moyens en renseignement et cyberdéfense à la hauteur des nouvelles menaces qui, dans ce domaine, évoluent très rapidement au point d'atteindre un niveau que je qualifierais de préoccupant. La guerre se mène aussi dans ce domaine.

Le troisième axe consiste à soutenir l'intensité de nos engagements en opérations extérieures, qu'il s'agisse des opérations que nous menons dans la BSS ou celles auxquelles nous participons au Levant, car toutes se traduisent mécaniquement par une surconsommation du potentiel et une usure des matériels. Certains de nos matériels – avions, bateaux et véhicules – sont actuellement sur-employés et leurs taux de disponibilité sont difficiles à maintenir à un niveau satisfaisant, compte tenu de leur âge pour la plupart d'entre eux. Certaines de nos réserves, comme nos stocks de pièces de rechange et de munitions, pourraient s'épuiser malgré le recomplètement. C'est bien l'ensemble de l'outil qu'il nous faut régénérer en permanence pour pouvoir répondre à l'intensité et à la durée de nos opérations.

Venons-en au troisième et dernier volet, le modèle d'armée, auquel j'attache une importance toute particulière. Il ne faudrait pas que les nécessaires adaptations, que je viens de brosser rapidement, se traduisent par la rupture de l'équilibre des fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention, connaissance et anticipation. Affaiblir une fonction, c'est prendre le risque d'un effet d'entraînement, dont on ne maîtrise pas les conséquences induites sur les autres fonctions et sur leurs capacités. Par exemple, c'est bien la capacité expéditionnaire qui nous permet de nous porter au plus près des foyers du terrorisme ; c'est notre dispositif de prévention, constitué notamment de nos forces prépositionnées, qui nous permet d'assurer une veille et nous offre, au besoin, une capacité de réaction. Je le vis au quotidien. Je le répète, la pérennité de ce modèle d'armée passe par un respect scrupuleux des engagements budgétaires pris dans la LPM actualisée. Sinon, il faudra réviser nos ambitions. Nous n'avons pas le choix, quel que soit le contexte budgétaire étatique que je ne méconnais pas.

Avant de conclure, je voudrais aborder un sujet qui me tient à coeur, au plus profond de moi-même : l'état d'esprit de nos armées. La victoire sur la barbarie se joue aussi sur le terrain de l'exemple. Il nous faut investir ce champ pour démonter la mécanique du mensonge : projet contre fantasme, authenticité contre propagande. Le 8 mai, que nous commémorions hier, nous conforte dans la certitude que la victoire revient à ceux qui désirent plus que tout la liberté et la justice, et qui sont prêts à se battre pour elles ; la victoire ne peut revenir à ceux qui s'enferment dans une logique de haine et de destruction. J'ai la conviction que les armées, par ce qu'elles font et par ce qu'elles sont, peuvent porter ce témoignage sur la richesse et la pertinence des valeurs de notre République. La liberté, nos militaires combattent pour elle, quand d'autres la combattent avec la rage du désespoir. L'égalité, ils la vivent sous l'uniforme. La fraternité, notre carburant, ils la construisent au quotidien.

Cette réalité, les armées la rappellent en actes tous les jours. Plutôt que l'embrigadement, notre pays a choisi la mobilisation, et votre commission en est une illustration. Cette mobilisation s'exprime dans la dynamique qui traverse nos armées. La résilience de la nation se renforcera avec la prise de conscience de cette nécessité de mobilisation et de rassemblement, en particulier dans notre jeunesse. La création de trois centres de service militaire volontaire est, sur ce plan, un bon exemple et une source d'espérance pour cette jeunesse en quête de sens.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la défense est plus que jamais au coeur de l'intérêt national. Nos armées prennent toute leur part dans la lutte déterminée que le pays mène contre le terrorisme, sous toutes ses formes et où qu'il se trouve. Cet effort exige un engagement total des hommes et des femmes de nos armées pour relancer l'action avec imagination, en s'adaptant en permanence, sans faiblir jusqu'à la neutralisation définitive des terroristes qui ciblent notre pays. Ces hommes et femmes de nos armées savent pouvoir compter en retour sur la nation, dont vous êtes l'incarnation, pour disposer de moyens en cohérence avec leur mission, pour le succès des armes de la France.

Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, en particulier sur l'opération Chammal que vous avez abordée dans votre introduction.

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Je vous remercie beaucoup, mon général, et je me fais le porte-parole de la commission d'enquête pour saluer votre engagement total. Soyez assuré de la reconnaissance de la représentation nationale pour les actions que vous menez en faveur de la défense des libertés, de la sécurité de nos concitoyens et de la démocratie. Nous en venons aux questions.

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Merci, mon général, pour votre exposé à la fois très concis et très dense. Il faut vous écouter très attentivement pour comprendre la portée réelle de chacune de vos phrases.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

J'ai beaucoup travaillé pour cette audition car la question posée est fondamentale.

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Je m'en rends compte. Quand vous parlez du maintien en condition opérationnelle, vous dites tout en une phrase dense qui signifie que nous avons actuellement le plus grand mal à maintenir l'outil en condition. Nous avons des exemples très précis de difficultés qui, d'ailleurs, ne datent pas d'hier.

Pour ma part, j'aimerais d'abord vous entendre sur les moyens. Pensez-vous que les quelque 34 milliards d'euros prévus initialement dans la loi de programmation militaire (LPM) sont suffisants au regard de la menace que vous avez décrite et des besoins de nos forces ? Vous connaissez de longue date mon sentiment : ces 34 milliards – qu'il faut déjà sanctuariser – ne sont pas suffisants.

À la suite du président, j'aimerais vous poser sur Daech des questions simples qui appellent des réponses extraordinairement compliquées. Nous revenons de Turquie où nous avons beaucoup parlé de la Syrie et des forces de Daech estimées à 20 000 ou 25 000 combattants. Quelle est votre propre estimation ? Nous voyons bien le lien qui existe entre le territoire tenu par Daech et le flux de terroristes qui nous arrive. Peut-on éradiquer Daech ? Cette éradication nécessite-t-elle une opération terrestre ? En tant que militaire, pensez-vous qu'une telle opération, menée par une coalition, aurait un sens ? Si c'est le cas, quels moyens faudrait-il engager ?

En Turquie, nous avons aussi beaucoup parlé de la Libye. Pourquoi n'éradiquons-nous pas la menace à ce stade, c'est-à-dire à un moment où elle n'est pas encore complètement structurée ? Pourquoi n'y allons-nous pas ? Un peu par provocation, je pourrais reformuler ainsi ma question : pourquoi n'allons-nous pas plus en Libye qu'en Syrie ?

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Nous nous connaissons un peu et, vous le savez, j'ai la plus grande estime pour vous. Du reste, nous avons tous un immense respect pour ce que font nos soldats. Pour les avoir vus en opération du Mali en Irak, en passant par la Jordanie et ailleurs, nous ne pouvons qu'être admiratifs, surtout connaissant les contraintes et les problèmes de vieillissement de matériel auxquels ils sont confrontés. Même si vous avez été très poli dans votre façon de vous exprimer, ainsi que l'a relevé Serge Grouard, nous savons que certains véhicules – par exemple les véhicules de l'avant blindé (VAB) – ont parfois deux ou trois fois l'âge de leur conducteur.

Vous faites au mieux avec les moyens que vous avez, mais cette commission peut aider à aborder un débat de fond : vous êtes à la tête d'une machine qui a été conçue pour faire totalement autre chose que ce qu'on lui demande de faire. L'histoire militaire montre qu'on est souvent en retard parce que le monde change plus vite que l'outil. Celui dont nous disposons date de la guerre froide, il est largement orienté vers la dissuasion nucléaire et doté de forces d'infanterie lourde. Nous avons commencé à le transformer après la guerre froide mais il reste assez inadapté à cette guerre de long terme que nous avons à mener. Vous avez eu raison d'inscrire votre réflexion sur le long terme. Quel modèle d'armée peut répondre à une situation de ce type, dont nous savons seulement qu'elle va durer et contaminer un bon nombre de pays de la périphérie immédiate de l'Europe ? Les travaux de cette commission peuvent être utiles pour aider à poser et résoudre cette question. Nous devons commencer à y réfléchir.

Je dresserais un constat plus sévère que le vôtre car chaque niveau de votre description fait apparaître des problèmes, même si nos soldats et vous-mêmes faites au mieux avec ce que vous avez. Prenons le cercle de l'avant. Il faut avoir la franchise de dire que nos bombardements représentent un faible pourcentage de ceux opérés par la coalition occidentale et qu'ils apparaissent encore plus modestes quand on les compare aux frappes massives des Russes. On ne gère pas pour autant la question de fond : comment gagne-t-on cette guerre ? Pour gagner la guerre, il faut occuper le terrain. Comme il est hors de question que nous occupions le terrain nous-mêmes, nous devons trouver des alliés pour le faire. Or nous ne savons pas les trouver. Même si nous faisons des progrès, nous ne pouvons pas répondre à la question que vous avez posée vous-même : comment gagner la paix ? Dans cette région, la haine entre sunnites et chiites est telle que, même si nous dégradons l'État islamique à tel ou tel endroit, il se reconstitue ailleurs. Regardez ce qui se passe en ce moment au niveau du gouvernement irakien !

Le principe d'une intervention durable sur un théâtre comme celui-là me pose problème. La formule est encore plus problématique dans le Sahel. Je peux comprendre une opération courte comme Serval – on entre, on frappe, on sort – même si j'estime qu'elle n'était pas encore assez brève. En revanche, je suis très réservé en ce qui concerne des opérations telles que Barkhane où 3 500 soldats doivent intervenir dans la durée sur des surfaces immenses qui font la taille de l'Europe. Comment et avec qui gère-t-on la menace terroriste dans telle ou telle région ? Le pays manque de réflexion sur cette question.

Vous avez parlé des actions de l'armée dans le Sahel. Or nous avons tendance à militariser notre politique dans les pays de cette zone, comme nous l'avons fait en Afghanistan : l'aide économique est insignifiante par rapport à l'argent que nous dépensons sur le plan militaire. L'aide au développement n'arrive pas dans les villages sahéliens et nous n'avons rigoureusement aucune politique dans le domaine, pourtant essentiel, de la démographie : dans ces cinq pays, les plus pauvres du monde, le taux de natalité est encore de 7,5 enfants par femme, et le Sahel comptera 200 millions d'habitants dans trente ans. Mon général, je vous félicite pour Barkhane mais ce n'est pas une solution pour les trente ans à venir. Les militaires gèrent le quotidien, c'est leur job, mais ils doivent aussi réfléchir à des solutions de long terme.

En ce qui concerne la défense des approches, je vous le demande : comment fait-on pour protéger les frontières de l'Europe, où sont les armées françaises et européennes ? Que faisons-nous en Méditerranée sinon du sauvetage en mer qui garantit l'emploi des passeurs et garnit leur compte en banque suisse ? Ces passeurs mettent les gens dans des Zodiac en leur disant qu'ils seront pris en charge par la marine italienne ou une autre. Au cours des dernières années, les marines européennes ont tenu ce rôle, en raison du jeu de gouvernements comme celui de Matteo Renzi. À quoi pourrait ressembler la défense des frontières européennes par l'armée française et les autres armées ? Il n'y a pas de réflexion sur le sujet.

En interne, se pose la question du maintien de l'opération Sentinelle qui rassure la population même si certains parisiens sont moyennement rassurés de voir des militaires en treillis investir la place de la Madeleine. Avec tout le respect que je leur dois, les soldats ne sont pas faits pour cela. Il y a un vrai problème de doctrine. Je vous entends, le ministre de la défense et vous-même, dire que le même soldat doit aller au Mali et ensuite participer à l'opération Sentinelle. Je suis absolument convaincu du contraire. Pour le coup, je me demande si la solution ne consiste pas à revenir à une forme de conscription. Sur tous ces points, je pense que nous manquons cruellement de réflexion. Je souhaiterais que nous arrivions à progresser sur ces sujets de long terme, tout en vous donnant acte du travail que vous accomplissez à court terme et sous les ordres du Président de la République. Vous faites le travail que l'on vous demande de faire avec l'outil que vous avez. Personnellement, je m'intéresse à l'outil qu'il faut avoir afin de répondre à la menace qui va continuer à peser sur nous au cours des années à venir.

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Chers collègues, je vais vous demander de ramasser davantage vos questions compte tenu du temps imparti et de l'importance des réponses que nous attendons de la part du général de Villiers.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Monsieur Grouard, votre première question est fondamentale. Il faut que les choses soient claires. Nous avons rétabli la cohérence entre la menace, les missions et les moyens, grâce aux actualisations de la LPM qui ont eu lieu après le 7 janvier puis après le 13 novembre. Ces actualisations successives portent notamment sur l'annulation de réductions d'effectifs à hauteur de 28 750 postes, sur l'octroi d'un socle de ressources exceptionnelles et de 3,8 milliards d'euros de crédits supplémentaires et sur la budgétisation des ressources exceptionnelles.

Ces mesures permettent de faire face à la situation actuelle. Il faut envisager la période 2016-2019. Je reste vigilant sur la gestion de 2016 : compte tenu de la loi de finances initiale (LFI), du surcoût lié aux opérations extérieures, et des 600 millions d'euros de reports de crédits, nous arrivons à un montant de 33,5 milliards d'euros tout compris. Je reste également vigilant concernant le projet de loi de finances (PLF) pour 2017. Quand on ajoute la LFI telle que prévue dans la LPM initiale et les mesures qui viennent d'être prises par le Président de la République lors du Conseil de défense, nous ne sommes pas loin de 33 milliards d'euros hors surcoût lié aux opérations extérieures et intérieures. Je regarde de près le processus budgétaire suivre son cours car je ne peux pas effectuer les missions si je n'en ai pas les moyens. Nous affrontons des ennemis qui, eux, ne se posent pas la question des moyens puisqu'ils sont dans une guerre asymétrique. Si je ne peux pas équiper, entraîner et former correctement les soldats, il ne sera pas possible de remplir correctement les missions. Il en va de ma responsabilité.

Il faudra ensuite s'intéresser à la période 2018-2019.

Ce modèle d'armée est-il viable avec un budget de 34 milliards d'euros dont vous avez parlé pour 2019 ? Non, il faut aller vers un budget équivalent à 2 % du produit intérieur brut (PIB), ce à quoi se sont engagés les pays de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) lors du sommet de Newport. Cet engagement devrait être réitéré lors du sommet de Varsovie. Ce pourcentage de 2 %, que j'estime nécessaire pour la période 2020-2022, inclut les pensions, c'est-à-dire qu'il se compare au taux actuel de 1,78 %.

Cette hausse représente des milliards d'euros, dans un contexte budgétaire que je connais. Je comprendrai toutes les décisions politiques, mais je ne comprendrai pas que l'on veuille nous fixer des ambitions sans les moyens de les atteindre. Cela, je ne l'accepterai pas. Nous sommes allés au bout du bout de cette logique-là, notamment au cours des dix dernières années, et nous ne pouvons pas aller plus loin : il y a longtemps qu'il n'y a plus de gras, que nous avons épuisé toutes les sources d'économie potentielles. J'ai été major général, c'est-à-dire numéro deux des armées, durant quatre ans. Je connais parfaitement la situation des armées, et je suis prêt à discuter avec tous les spécialistes du contenu physique et financier du budget.

Vous m'avez interrogé sur les forces de Daech, une organisation qui s'étend depuis la Syrie et l'Irak jusqu'à la Libye, mais nous devons aussi à faire face à AQMI et ses ramifications, à Boko Haram au Nord-Nigeria, au Front de libération de la Macina (FLM), à al-Mourabitoun, l'ancien MUJAO, à Ansar Eddine, etc. Le panorama, d'une complexité extrême, s'étend à bien d'autres composantes que Daech. La même idéologie est reprise par des mouvements différents. Pour caricaturer, AQMI, c'est-à-dire al-Qaïda, sévit plutôt dans la BSS, tandis que Daech est surtout implanté en Syrie, en Irak et en Libye. Les procédés sont à peu près identiques dans la barbarie mais, pour la première fois, Daech a théorisé un proto-État qui lève l'impôt, emploie des para-fonctionnaires et possède une organisation para-étatique.

Comment combattre cette menace ? Dans l'urgence, je ne vois pas d'autre solution que l'emploi de la force légitime pour faire reculer la violence, mais cela ne suffit pas. Il faut attaquer le mal à la racine : les jeunes qui rejoignent ce combat, notamment depuis l'Europe et l'Afrique du Nord, en raison de la pauvreté, de la désespérance, du manque de sens de leur vie. C'est le coeur du combat contre Daech. En tant que militaire, je me permets d'insister : l'action militaire n'est qu'une partie urgente et essentielle de la solution. Il existe un lien entre sécurité et développement ; l'un ne va pas sans l'autre. Vous y avez fait allusion, monsieur Lellouche.

Vous m'interrogez aussi sur l'action terrestre. C'est évidemment la conjugaison des bombardements aériens et de l'action terrestre qui nous a permis de reprendre l'offensive en Irak et en Syrie. Daech recule en Irak, que ce soit dans la vallée de l'Euphrate, dans celle du Tigre ou dans la province d'al-Anbar. En Irak, notre objectif est Mossoul, le coeur du coeur de l'organisation. Daech recule aussi en Syrie, mais la situation est beaucoup plus complexe dans ce pays où l'on dénombre 1 500 katibats qui se font et se défont au gré des intérêts, et où interviennent, directement ou indirectement, l'Iran, l'Arabie saoudite, la Turquie, la Russie, l'armée de Bachar al-Assad et la coalition. Daech, privé de capacités d'offensive massives, recule néanmoins sous la pression des bombardements aériens conjugués à l'intervention au sol de forces locales. Pourquoi est-ce aussi long ? Parce que nous n'avons pas de forces locales suffisantes au sol. C'est simple. Les forces locales au sol sont celles de l'armée irakienne auxquelles il faut ajouter les peshmergas en Irak et les forces démocratiques syriennes. Il faut reformer et entraîner ces forces dont le moral a été atteint par la cuisante défaite qu'elles ont subie face à Daech. Il faut du temps.

On pourrait imaginer une coalition de pays occidentaux qui accroîtrait substantiellement cette action au sol. Pour ma part, je recommande une très grande prudence concernant ce scénario : c'est celui que Daech veut nous pousser à adopter. Daech veut nous attirer au sol pour pouvoir enlever des otages, couper des têtes et faire basculer les opinions publiques. C'est un piège. En revanche, il faut évidemment que des forces locales et régionales interviennent, mais ce domaine – politique et diplomatique – ne relève pas de ma responsabilité. En tant qu'expert militaire, je pense que plus nous aurons de forces locales au sol et plus vite nous irons. La bonne idée est de conjuguer les bombardements et les actions au sol ; la mauvaise idée est d'envoyer des forces occidentales au sol. Voilà ce que je dis régulièrement au chef des armées, le Président de la République.

Pourquoi ne pas aller tout de suite en Libye pour y éradiquer Daech ? Parce qu'il faut définir une stratégie globale et internationale avant de se lancer dans une nouvelle action militaire dans ce pays. Nous devons tirer les enseignements du passé : nous avons gagné la guerre mais nous n'avons pas gagné la paix en Libye. Commençons par déterminer ce que nous attendons vraiment d'une éventuelle action militaire et, ensuite, préparons-la. Nous sommes dans le temps politique et diplomatique dans ce pays où la situation est éminemment complexe. Sur le terrain, il y a les forces du général Haftar en Cyrénaïque et des milices islamistes de différentes natures en Tripolitaine, chacun soutenu par des pays différents. Pour corser le tout, il faut compter avec une approche tribale générale et de nombreuses katibats.

Pour y éradiquer Daech, il faut aussi des forces locales au sol. Lesquelles ? Daech est présent notamment de Benghazi à Syrte où il a une forte concentration de forces. Sur le plan militaire, la victoire implique des actions aéroterrestres et éventuellement des opérations d'embargo et de blocus pour contrer les trafics entre Misrata et Benghazi. Le problème de la Libye est d'abord politique. Il ne se règlera pas avec l'armée française. Nous pouvons contribuer à une action internationale, à condition qu'il y ait une stratégie globale.

S'agissant du modèle que nous choisissons pour l'armée française afin de gagner la guerre contre le terrorisme, je ne partage pas votre vision critique. Je pense que notre modèle fait face à toutes les hypothèses : la guerre marquée par le retour des puissances, que nous qualifions de haute intensité et qui nécessite une machine puissante ; le terrorisme qui nécessite plus de souplesse et plus de moyens dans les domaines que j'ai essayé de vous décrire. Il faut garder ce modèle global, sachant que nous avons affaire à deux types de conflictualité.

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Au sein des armées, vous avez une véritable expertise pour penser l'avenir et offrir aux dirigeants politiques des modèles plus ou moins différents, compte tenu de l'analyse que l'on peut se faire de la menace. Les politiques ne peuvent pas faire cela à votre place parce que vous connaissez votre outil mieux qu'eux. C'est sur ce point que la réflexion doit être intensifiée au sein des armées. Il ne s'agit pas de vous demander de prendre les décisions des politiques, mais nous aimerions avoir votre avis pour préparer une évolution du modèle si nécessaire.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Nous réfléchissons bien sûr à tout cela, en élaborant une vraie stratégie militaire générale : vouloir, pouvoir, agir. Reconstruire ou infléchir un modèle ? La réflexion nécessiterait beaucoup de temps. Comme je vous l'ai dit, ce modèle aura un coût estimé à 2 % du PIB à l'horizon 2020-2022, en prenant le périmètre que je vous ai décrit. Sinon, nous n'aurons pas les moyens nécessaires – et c'est bien ici le lieu où en parler.

En ce qui concerne le territoire national, nous avons déjà eu un échange en commission de la défense. Ce serait une erreur d'imaginer que les armées françaises incarnent seules la sécurité du territoire national, qui est d'abord du ressort du ministre de l'intérieur ; nous apportons un complément. Ce serait aussi une erreur de penser que nous nous désintéressons de la protection de la France, des Français et du territoire national. Les Français ne comprendraient pas une telle vision.

Parlons de Sentinelle, même si cet angle de vue est un peu réducteur dans la mesure où la protection des Français passe aussi par la dissuasion, la défense aérienne et maritime, par la cyberdéfense, etc. S'agissant de Sentinelle, vous avez raison : notre doctrine doit évoluer Nous devons devenir plus mobiles et imprévisibles, surprendre l'adversaire. C'est un changement qui s'inscrit dans une démarche interministérielle.

C'est la même logique qui nous a amenés à complètement changer notre organisation en passant de l'opération Serval à l'opération Barkhane. Nous sommes maintenant organisés sur un mode extrêmement souple. Finies les logiques figées de bataillon, d'armée de grand-papa ! On a tout changé. L'effet de surprise a changé de camp. C'est ce qu'il faut faire sur le sol national. Et pour le faire, il faut que nos doctrines évoluent. Loin d'être un aboutissement, le rapport relatif aux conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national présenté au Parlement constitue une étape. Nous irons plus loin.

À la faveur de cette question, je vais vous donner quelques exemples illustrant l'ampleur des changements. D'abord, nous avons progressé très rapidement dans le rapprochement avec le ministère de l'intérieur, même si ce n'est jamais suffisant. J'ai moi-même rencontré M. Cazeneuve à plusieurs reprises pour essayer de rapprocher les points de vue des armées et de l'intérieur, avec comme seul objectif : conserver une paix d'avance.

Nous avons modifié notre système de commandement. À Paris, trois groupements remplacent une vingtaine de commandements différents. La semaine dernière, nous avons créé quinze îlots de sécurisation renforcée, en particulier autour des emprises confessionnelles, en appliquant les principes que j'ai déjà évoqués : jouer sur la mobilité, l'imprévisibilité et l'effet de surprise. C'est tout le contraire de la ligne Maginot que d'aucuns ont décrite ; c'est tout le contraire de ce qu'était Vigipirate.

Parlons de la réserve. Nous sommes passés de 200 à 400 réservistes engagés quotidiennement sur le territoire national, et nous devrions arriver au nombre de 700 à la fin de l'année, sachant que notre objectif est d'en employer 1 000 à terme. En cyberdéfense, nous avons fait énormément de progrès. Dans le domaine du renseignement, le général Gomart, que vous allez auditionner, vous décrira la cellule Hermès qui consiste à mettre tous les services de renseignement dans une même salle pour qu'ils partagent leurs analyses. En termes de moyens, je vous ai parlé des véhicules. Nous faisons aussi des efforts sur la qualité du soutien des soldats : en Île-de-France, 97 % des logements sont équipés de vrais lits et non plus de lits Picot. Nous améliorons aussi l'alimentation, les loisirs, et la protection des emprises militaires avec le plan Cuirasse. Il faut le reconnaître, la protection des emprises militaires avait été désarmée, « civilianisée », externalisée.

L'ampleur de la tâche liée à la menace terroriste est gigantesque. Nous menons de nouvelles expérimentations pour y faire face. En avril, par exemple, nous avons conduit un exercice conjoint avec la gendarmerie, l'exercice Minerve. L'idée était de faire basculer en opération réelle, sur le territoire national, une unité élémentaire qui était présente dans le département dans le cadre d'un entraînement. La réquisition sans préavis de cette unité a été facilitée par le dialogue permanent qui existe entre le préfet de zone de défense et l'officier général de zone de défense et de sécurité (OGZDS).

Le modèle futur s'inspirera de tous ces changements et expérimentations. Quoi qu'il en soit, dans le contexte actuel, je souhaite que la défense soit davantage un enjeu qu'elle ne l'a été au cours des dernières décennies.

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Sur Sentinelle, je vais vous présenter les choses de manière différente. S'il y avait eu 10 000 à 12 000 gendarmes et policiers supplémentaires après les attentats du mois de janvier, je pense qu'il n'y aurait pas eu d'opération Sentinelle. D'ailleurs, le Président de la République et le ministre ont bien présenté les choses de cette manière : l'armée est venue compléter les effectifs de police et de gendarmerie, pour protéger les lieux de culte et d'autres sites publics.

Vous avez parlé des contraintes auxquelles vous avez dû faire face suite à cette opération Sentinelle, et j'ai travaillé sur le sujet dans le cadre du rapport budgétaire sur l'armée de terre. Nous constatons que près des deux tiers des sessions de formation ont été annulées l'année dernière. Les cadres que nous avons rencontrés nous ont expliqué que si la situation perdurait, l'armée ne serait bientôt plus capable que de garder des lieux de culte. En outre, l'opération Sentinelle n'a pas empêché les attentats du 13 novembre. Étant donné que l'intensité de la menace va durer, je m'inquiète du rapport que la nation va entretenir avec ses armées, sans même parler de l'efficacité du dispositif. Au bout d'un moment, tout le monde se demande ce que font ces soldats dans les rues alors que des attentats continuent à se produire. Dans le même temps, l'armée souffre de perte de compétences en raison de cette opération. Ne pensez-vous pas qu'il serait temps de diminuer fortement le nombre de soldats impliqués dans l'opération Sentinelle, afin que l'armée puisse retrouver une respiration ?

Ma deuxième question est très liée à la première. Pensez-vous que nos armées seraient capables d'intervenir sur un nouveau théâtre, que ce soit par le biais d'un engagement avec d'autres forces militaires terrestres ou d'une opération aérienne de même nature que celle qui est menée au Levant ?

Ma troisième question porte sur la nature du renseignement dont nous disposons en Syrie et en Irak. Je suppose que la direction du renseignement militaire (DRM) travaille pour préparer les frappes. Travaille-t-elle uniquement à la préparation de ces frappes ou a-t-elle des échanges avec d'autres services de renseignement sur les combattants eux-mêmes ? Je vous pose la question parce que, deux jours après les attentats, les Français impliqués étaient identifiés, on était capable de dire qui était le commanditaire, etc. Nos armées participent-elles à la recherche de renseignements sur ces individus ?

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Mon général, dans votre très complète intervention, vous avez dit que si vous n'avez pas les moyens, vous ne pourrez pas accomplir les missions. C'est assez logique et cohérent. Or, à l'énoncé de la multitude des missions de nos armées, on se dit qu'il sera difficile de les mener à bien, d'autant que les effectifs ont diminué de manière considérable au cours des dernières années. Il sera encore plus difficile d'accomplir toutes ces missions dans de bonnes conditions si les armées doivent intervenir dans de nouveaux théâtres d'opération, comme cela vient d'être envisagé.

En tant que Parisien, j'aimerais aussi dire un mot de l'opération Sentinelle qui représente une partie importante du dispositif de sécurisation de la capitale. Se pose la question de votre capacité à accepter cette opération dans la durée, sachant que les effectifs mobilisés ne peuvent pas accomplir les missions pour lesquelles ils ont été formés. Y a-t-il des perspectives d'évolution de la mission, impliquant ou non des réductions d'effectifs ? Les gardes statiques, qui consomment beaucoup d'effectifs, représentent encore 50 % de vos missions à Paris. Ne serait-il pas possible d'en transformer certaines en gardes dynamiques ? Je sais que tout cela ne dépend pas de vous, et qu'il y a des impératifs politiques. Il faut aussi reconnaître que le passage d'une garde statique à une garde dynamique peut inquiéter les personnes protégées et les populations.

En la matière, la coordination avec la préfecture de police de Paris est-elle suffisante ? Vous nous dites que vous vous êtes beaucoup rapprochés du ministère de l'intérieur. Qu'en est-il avec la préfecture de police, sous l'autorité de laquelle vous êtes placé, d'une certaine façon, dans le cadre de l'opération Sentinelle ? Le ministère de l'intérieur a beaucoup d'informations et il dispose notamment d'un réseau de caméras de vidéo-protection auquel vous n'êtes pas forcément relié. Il y a d'autres choix possibles que la garde statique pour protéger les points sensibles.

Concernant votre rapprochement avec le ministère de l'intérieur, vous avez fait allusion avec une expérience menée en Isère. Pourriez-vous nous donner plus de détails sur cette expérimentation qui vous permet de travailler de façon plus harmonieuse, plus imbriquée avec la gendarmerie, et nous tracer les voies d'amélioration qui existent avec la préfecture de police ?

Un dernier problème me semble très important : à Paris, vous n'avez quasiment plus de possibilité d'hébergement d'effectifs. Vous avez indiqué que vous hébergez 70 % des effectifs en région Île-de-France, c'est-à-dire à Satory, à Saint-Germain-en-Laye ou d'autres lieux qui sont très loin de la capitale. Cet éloignement fait perdre beaucoup de temps aux soldats et ne permettrait pas de les mobiliser très rapidement en cas de crise. On va encore supprimer deux casernes de gendarmerie parisiennes – Exelmans et Minimes – qui pourraient très bien être récupérées par les armées. Vous n'avez plus d'endroits où installer des effectifs alors que nous sommes en état de guerre, si j'en crois les déclarations du Président de la République et du Premier ministre.

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Mon général, je vais vous parler avec mes tripes. Le terrorisme vient en grande partie de la faiblesse dont ont fait preuve nos politiques – et je parle au niveau mondial – au cours des dernières années. Les terroristes prospèrent dans des pays où ils ont des camps d'entraînement. Nous avons fréquenté certains de ces pays, nous avons même flirté avec eux, nous avons fermé les yeux. Le terrorisme djihadiste, qui n'a rien à voir avec le terrorisme nationaliste, peut être sunnite ou chiite. En ne s'occupant que de l'un des deux, on risque d'arriver à l'effet inverse de celui escompté.

Daech n'existait pas il y a trois ou quatre ans. Il est arrivé parce qu'on a fermé les yeux, et que les sunnites ont eu l'impression que nous donnions l'Irak, la Syrie, le Yémen aux chiites, sous le contrôle de l'Iran. Les sunnites ont eu l'impression qu'ils étaient en train de perdre. C'est une guerre de religion entre les deux tendances de l'islam et les pays occidentaux, les États-Unis en tête, se sont montrés très faibles. Le 27 août 2013, lors d'une conférence d'ambassadeurs, le président Hollande avait indiqué que la France s'était mise d'accord avec les États-Unis sur le principe d'une intervention militaire en Syrie. Au dernier moment, Obama a décidé de demander l'accord du Congrès.

Quand on fait la guerre, on doit s'engager totalement, sans avoir peur. Quand notre ministre des affaires étrangères indique que nos avions iront seulement en Irak, qu'ils ne franchiront pas la frontière syrienne, on a perdu. Quand on fait la guerre, on va au bout. Mon général, si on doit intervenir au sol, il faut le faire. Dire que l'on n'interviendra pas dans une opération terrestre parce que l'on a peur, c'est envoyer un mauvais message. Évidemment, il ne s'agit pas d'y aller de façon massive et totale. Il faut intervenir par commandos. Mais on doit envisager une intervention terrestre pour les éradiquer.

Que fera-t-on si un, deux, trois, quatre, cinq ou six nouveaux attentats se produisent ? C'est possible. Mettrons-nous un policier derrière chaque citoyen, à la porte de chaque synagogue, église et école, dans tous les stades et métros ? C'est impossible. Le terrorisme se combat en amont. Nous sommes très tolérants. Ce reproche, je l'adresse à nos politiques, pas aux militaires. Nous sommes faibles, nous avons peur alors qu'il faut savoir aller au bout des choses quand il s'agit d'une question de vie ou de mort. Telle est mon intime conviction.

J'ai une question plus précise à vous poser. Est-on prêt à réagir à une attaque terrorise non conventionnelle, chimique ou autre ?

Ma dernière question se rapporte à la Turquie, pays dont nous rentrons. Je représente les Français vivant en Turquie, en Grèce et en Israël et je suis très inquiet. Connaissant bien cette région du monde, j'ai l'impression que la Turquie est en train de basculer doucement et que nous cédons à ses desiderata. Je suis évidemment favorable à une grande coopération avec la Turquie, mais l'éviction du Premier ministre Ahmet Davutoğlu n'est pas pour me rassurer. Le fait que les Turcs puissent entrer en Europe sans visa risque de poser un énorme problème sécuritaire, pour en rester à cette seule considération.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Commençons par les questions sur l'opération Sentinelle. Je crois à cette opération. Nous n'y participons pas seulement parce qu'il aurait manqué 10 000 gendarmes. Nous pouvons contribuer à la protection des Français d'une manière différente de la sécurité intérieure, avec des moyens qu'elle n'a pas. Ayant le privilège de l'expérience – quarante-deux ans de service –, j'ai connu deux parties dans ma carrière : avant et après la chute du mur de Berlin. La deuxième période, marquée par le terrorisme, a été beaucoup plus mouvante. Avant la chute du mur, ne l'oublions pas, nos quartiers étaient protégés par des militaires en armes, nous avions des zones de desserrement et un système de défense opérationnelle du territoire contre d'éventuels spetsnaz parachutés. Dorénavant, nous avons un ennemi sur le sol national, qui nous a frappés deux fois. L'armée peut jouer un rôle spécifique en matière de planification, d'organisation, de maîtrise de spécialités rares, et de contrôle de zone. Il ne s'agit plus de copier ou prolonger Vigipirate, une opération qui mobilisait moins de 1 000 soldats dans quelques gares et lieux publics.

Nous avons déployé 10 000 soldats, de manière inopinée, en trois jours et demi, à l'issue des attentats du 7 janvier 2015. Nous avons ensuite évolué, vers plus de mobilité, de manière à nous rendre moins prévisibles. Mais il n'est pas évident de faire comprendre à nos concitoyens que les militaires sont plus efficaces lorsqu'ils ne sont plus statiques, postés en continu au pied du bâtiment à protéger. Les quinze îlots de sécurisation renforcée, dont je vous ai parlé, permettent le contrôle de zone, ce qui est plus efficace. Ils ont été créés la semaine dernière. Nous sommes en train de protéger différemment des lieux confessionnels, en vertu de cette approche. La majorité de nos forces déployées à Paris est mobile, ce qui n'était pas le cas il y a quelques mois, voire quelques semaines.

Le grand plan « réserve » annoncé simultanément, car tout cela est cohérent, va nous permettre de territorialiser les réservistes sur le sol national. Qui connaît mieux un canton ou une circonscription que celui qui y habite ? Cette approche est cohérente. Elle prévoit d'employer 1 000 réservistes par jour sur les 7 000 à 10 000 soldats déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle. Il y a beaucoup à construire et l'affaire ne se résume pas à un calcul arithmétique : 10 000 soldats contre 10 000 gendarmes et policiers. Nous avons des choses à apporter en plus, mais nous ne devons pas chercher à nous substituer à ce que font les forces de sécurité intérieure dans le cadre de certaines missions. Cantonner les armées à l'extérieur du territoire national ne permettrait pas d'apporter une réponse adaptée à la lutte contre le terrorisme. Quand je vois comment nous avons révolutionné nos modes d'action à l'extérieur, je me dis que nous avons des marges de manoeuvre importantes à l'intérieur, en appliquant des principes simples : l'action est placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur ; nous devons nous appuyer sur la chaîne de l'organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD) qui fonctionne très bien avec le préfet, les OGZDS, les réquisitions, etc. Cela nous permet d'être plus rapides et efficaces. Nous avons fait des pas de géant, en particulier à Paris.

Je comprends que le débat sur le rôle des armées sur le territoire national ait lieu. Je suis persuadé que le dispositif est amené à évoluer.

Nos armées seraient-elles capables d'intervenir sur un nouveau théâtre ? Tout dépend de la nature, de la durée et de l'intensité de cette nouvelle intervention. Actuellement, je le répète, nous sommes au maximum de nos capacités et de nos contrats opérationnels, et même légèrement au-dessus. Vous pouvez en tirer les conclusions : il faudrait se désengager d'un autre théâtre. Sur la durée, je ne peux pas faire plus que ce que je fais actuellement.

J'en profite pour apporter une précision concernant la durée de l'opération Sentinelle. Pourquoi sommes-nous en difficulté et pourquoi l'armée de terre fait-elle face à d'énormes contraintes d'entraînement ? Parce que nous attendons l'arrivée de 11 000 personnels supplémentaires dans la force opérationnelle terrestre, dont certains commencent à arriver. Insistons sur un phénomène qui ne s'était plus produit depuis la fin de la guerre d'Algérie : nous recréons des unités élémentaires, des compagnies. En attendant ces effectifs supplémentaires, nous avons dû réduire le soutien pour pouvoir affecter des combattants à l'opération Sentinelle et renforcer les fusiliers marins, les commandos de l'air, etc. Nous allons ainsi recréer une partie des quelque 48 000 postes supprimés – c'est beaucoup – au cours de la période 2008-2013.

Quand nous aurons récupéré les 11 000 personnels dans la force opérationnelle terrestre, à la mi-2017, nous pourrons reprendre le cycle d'instruction. Nous nous y préparons. Nous savions que nous traverserions une période difficile, le temps de recruter et de former les nouvelles recrues, sachant que la formation initiale dure six mois. À partir de 2017, je pourrai assumer dans la durée une opération Sentinelle aménagée et adaptée, avec une armée de terre qui pourra tenir, à périmètre d'engagement constant. Il ne faut pas se fier à la photographie actuelle que je ne méconnais pas : nous traversons une période difficile et de nombreux soldats ont cumulé plus de 200 jours d'absence de leur domicile.

Vous m'interrogez sur l'expérience menée en Isère. Mes excellentes relations avec le général Favier ne datent pas des attentats. Il y a six ans que je travaille avec la gendarmerie et, lorsque j'étais major général, j'ai mis en place des groupes de travail spécifiques pour que la mutation de la gendarmerie au ministère de l'intérieur se passe bien. Je connais quelque peu le sujet. Nous expérimentons de nouvelles procédures, comme dans le cas de l'exercice Minerve. En cas de menace, si une unité élémentaire est en cours d'entraînement, nous changeons de posture « de l'instruction à l'opération ». Lors de cette expérimentation, nous nous sommes intéressés à la manière dont les personnels adaptaient leurs équipements, matériels complémentaires et munitions. Nous avons observé la manière dont s'articulait le commandement et essayé de détecter d'éventuels problèmes d'interopérabilité ou de transmission. Nous allons poursuivre ces expérimentations qui ont été riches d'enseignement, très intéressantes. J'y crois.

En ce qui concerne la coopération avec la préfecture de police de Paris, nous avons atteint un niveau de confiance et de dialogue qui n'a rien à voir avec celui qui existait il y a encore quelques mois. Le préfet de police et le gouverneur militaire de Paris pourront vous confirmer que la liste des améliorations serait longue à détailler. L'un des points critiques, se situe au niveau des systèmes de communication. Nous avons beaucoup travaillé sur la question et, dans les semaines à venir, de nouveaux systèmes vont être mis en place. C'est indispensable, et l'armée de terre a beaucoup évolué dans ce domaine.

Monsieur Goujon, vous avez raison de souligner l'importance des infrastructures d'hébergement dans Paris. Un certain niveau de confort est nécessaire pour tenir dans la durée, mais il faut aussi se battre pour conserver ces emprises militaires. Entre l'îlot de Saint-Germain et le Val-de-Grâce, il est possible d'héberger 1 000 soldats. Nous savons que nous allons perdre ces locaux qui seront vendus. Nous sommes donc en train de reconstruire ces 1 000 places ailleurs, après élaboration d'un vrai schéma directeur qui nous amène jusqu'à la fin de 2017. Il s'agit là d'une vraie manoeuvre d'infrastructure.

Monsieur Habib, vous avez fait une analyse du terrorisme que je ne me permettrais pas de commenter. Cela étant, je vois comme vous le fond de tableau : la rivalité entre sunnites et chiites, entre l'Arabie saoudite et l'Iran, qui est prise en compte dans toutes les négociations sur la Syrie, qu'elles soient diplomatiques, politiques ou militaires. Il faut avoir cet arrière-plan en permanence à l'esprit pour comprendre ce qui se passe en Syrie, mais aussi au Yémen ou au Liban. Ayant la chance d'avoir accès à mes homologues des pays du Proche et Moyen-Orient lors des réunions de la coalition, je peux vous dire que rien n'est simple. C'est pourquoi les dossiers syrien et libyen sont avant tout diplomatiques et politiques : il faut mettre tout le monde autour de la table.

Il faudra certes gagner cette guerre et éradiquer le terrorisme, mais la solution n'est pas seulement militaire. On ne peut gagner qu'en éradiquant le mal à la racine, ce qui est un sujet éminemment politique. Pourquoi ces jeunes partent-ils chez Daech ? Que vont-ils y chercher ? Que pourrait-on leur procurer pour éviter qu'ils ne s'en aillent là-bas ? Voilà les questions auxquelles il faut répondre. Selon les chiffres officiels, Daech aurait recruté un peu plus de 2 000 combattants d'origine française, mais il ne s'agit là que des combattants. Je suis vraiment frappé des choix de cette jeunesse, qui appartient souvent aux populations les plus pauvres. Il faut réfléchir à cela. Nous gagnerons cette guerre quand nous tarirons définitivement le flux de ceux qui partent.

Les armées incarnent vraiment l'ensemble de la nation et je prétends bien connaître ces populations défavorisées qui cherchent à donner un sens à leur vie.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Certes, mais je crois qu'il faut se battre pour tarir le flux et que l'action militaire ne suffira pas à éradiquer le terrorisme. Sur le plan sécuritaire, je pense que l'on ne détruit la violence que par la force légitime.

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Mon général, pourriez-vous compléter votre réponse à la question de M. Lamy sur le renseignement ?

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Le général Gomart, directeur du renseignement militaire, entrera plus que moi dans les détails. Je peux cependant vous dire qu'il existe un continuum entre la sécurité intérieure et la sécurité extérieure. Nous échangeons des informations. Cela étant, il ne faudrait pas se méprendre sur la façon dont se passe la préparation des dossiers d'objectifs de bombardement. D'abord, nous participons à une coalition : la décision de bombarder telle ou telle cible est collégiale. Ensuite, quand bien même nous déciderions de cibler tel ou tel objectif, il est impossible d'imaginer des lieux où il n'y aurait que des Français. Nous avons considérablement progressé dans le domaine de l'échange de renseignements avec nos alliés, notamment avec nos amis américains, et nous échangeons aussi et de mieux en mieux lors de réunions interministérielles. Si notre priorité est évidemment d'éviter que des gens en provenance de Syrie ne viennent nous frapper, nous faisons aussi partie d'une coalition qui a une stratégie globale.

Je voudrais insister sur cette dimension internationale. Comme nous avons été attaqués sur notre sol, nous avons légitimement tendance à voir l'aspect national. Pour autant, la menace est globale. L'éradication du mal à la racine passera par une coopération internationale profonde. Quand vous avez soixante pays autour de la table, c'est saisissant. Tous les matins, quand j'arrive au bureau, j'ai le point de ce qui s'est passé au cours des dernières vingt-quatre heures. Il y a des attentats partout. Il ne se passe pas un jour sans qu'il y ait un attentat djihadiste quelque part dans le monde. D'où la nécessité d'avoir une approche globale.

En réponse à votre question, monsieur Lamy, les échanges de renseignement se sont effectivement améliorés au plan interministériel et au plan international.

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Le fait qu'il y ait autant de point d'impact du terrorisme à travers le monde montre bien que le djihadisme radical n'a rien à voir avec la désespérance et la pauvreté. On bat sa coulpe en se reprochant de ne pas donner assez alors que la France est le pays qui a le plus donné. Avec tout le respect que j'ai pour vous, je suis assez sceptique sur cette explication du djihadisme.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Chaque cas de terroriste en puissance est unique mais, dans les grands nombres, la stratégie de Daech, écrite noir sur blanc, est bien de neutraliser les forces de sécurité des différents pays occidentaux pour s'adresser aux masses pauvres et les convaincre d'aller rejoindre le califat. Il y a évidemment des conversions par le biais de réseaux sociaux, de mosquées radicales, de la prison, etc. La pauvreté est essentielle, mais elle n'est pas le seul terreau ; Daech attire des jeunes en quête de sens, qu'ils soient pauvres ou pas.

Au passage, je peux dire que ceux qui s'engagent dans les armées, au service de la France trouvent du sens, que c'est l'une des raisons de leur engagement. Contrairement à ce qui se passait il y a deux ou trois ans, ils ne s'engagent pas pour avoir un emploi et une rémunération. Ils s'engagent parce qu'ils cherchent à donner du sens à leur vie. C'est caractéristique, fascinant et extraordinaire. Nous avons une belle jeunesse que je rencontre dans toute sa diversité. C'est un signe d'espérance.

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Mon général, j'avais plusieurs questions précises à vous poser.

Tout d'abord, combien de Français ont-ils été tués par nos frappes aériennes ?

En second lieu, un changement de doctrine a eu lieu en ce qui concerne les interventions lors d'attaques terroristes : les primo-arrivants deviennent des primo-intervenants. On a beaucoup parlé des primo-intervenants de la police et de la gendarmerie. Les militaires de l'opération Sentinelle pourraient-ils être des primo-intervenants dans une salle de spectacle s'ils sont les premiers à arriver sur place, ce qui est possible compte tenu du maillage en place ? Les militaires de l'opération Sentinelle pourraient-ils ainsi être amenés à ouvrir le feu et à entrer d'eux-mêmes dans une salle de spectacle ou un autre lieu ?

Avec tout le respect que je vous dois, vos réponses aux questions sur une éventuelle intervention au sol me laissent un peu sur ma faim. D'après vous, qui êtes le chef d'état-major des armées et qui cumulez quarante-deux ans de service, combien de temps les bombardements actuels mettront-ils à éradiquer Daech ? Faisons un peu de politique fiction et imaginons qu'une coalition formée par les États-Unis, la France et d'autres pays, notamment du Moyen-Orient, décide de s'engager dans une opération terrestre. Combien de temps lui faudrait-il pour éradiquer Daech ?

Nous revenons de Turquie. Au fil des auditions, dans cette commission où les clivages politiques habituels sont transcendés, nous avons l'impression d'être dans un entre-deux. Depuis septembre 2015, il a été décidé d'effectuer des bombardements en Syrie, qui ont donné les résultats significatifs que vous avez rappelés. Pourtant, de l'extérieur, nous avons le sentiment que les choses n'évoluent pas suffisamment vite et que nous sommes même dans une certaine forme d'hypocrisie. On agit, on frappe et on affaiblit Daech, ce qui est très utile. À titre personnel, je considère néanmoins que nous ne sommes pas forcément à la hauteur de l'enjeu.

Combien de Bataclan faudra-t-il pour qu'un engagement au sol soit décidé ? En cas de nouvelle attaque de ce type, la pression de l'opinion publique et la pression politique seront fortes. Le 13 novembre au soir, on est monté très haut avec le décret d'état d'urgence, le contrôle aux frontières et les annonces du Président de la République. Au prochain attentat – et on sait qu'il y en aura d'autres – quelle sera l'étape suivante en termes de réaction ? Y aura-t-il une intervention au sol ? La réponse est oui. Je sais que c'est compliqué mais se prépare-t-on à cette hypothèse ?

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Je vais compléter ces questions que nous nous posons avec de plus en plus d'acuité. Daech veut nous attirer au sol et c'est un piège, avez-vous dit, en précisant que vous déconseillez aux politiques de se laisser entraîner dans cette voie. Vous donnez ainsi un avis plus politique que militaire puisque vous vous placez après une intervention militaire. Comment ne pas se poser la question alors que nous avons tous en tête le malheureux exemple de l'intervention militaire américaine en Irak ? Quoi qu'il en soit, votre position a un caractère un peu politique, dans le bon sens du terme.

Mais au fond, qu'en savez-vous ? Comment pouvez-vous être certain que le piège ne se refermerait pas sur ceux qui veulent le tendre ? Et s'il se produisait un Bataclan puissance dix en France, comme le redoute le rapporteur ? Et s'il y avait une attaque chimique, comme Meyer Habib en émet l'hypothèse ? La réponse politique et militaire pourrait-elle être une augmentation des frappes aériennes ? C'est d'autant plus douteux que vous avez clairement indiqué que Daech ne peut être éradiqué que par une action conjuguée de forces aériennes et terrestres. Nous tournons autour du problème depuis le début, et nous en arrivons à nous dire, avec de plus en plus de conviction, que tôt ou tard, une coalition terrestre devra s'imposer. C'est une réponse purement politique qui nous échappe autant qu'à vous puisqu'elle dépend du Président de la République. Nous restons sur notre faim à nous demander quand Mossoul et Raqqah vont tomber.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Combien de Français ont été tués par nos frappes ? Nous ne faisons pas de décompte lors de frappes aériennes ou de combats au sol, même si nos écoutes font parfois état de francophones tués. Je n'ai aucun chiffre à vous donner. Nous avons quelques certitudes sur le fait que tel ou tel combattant étranger a été tué. Nous frappons le plus possible les groupes qui, d'après les renseignements dont nous disposons, sont le plus susceptibles de venir faire des attaques en France.

Les militaires de l'opération Sentinelle pourraient-ils agir en primo-intervenants en cas d'attaque terroriste ? Je connais la thématique de la non-assistance à personne en danger. Prenons un exemple : lors de la prise d'otage au Radisson de Bamako, je n'ai pas fait intervenir les soldats qui étaient à proximité de l'hôtel car ce n'était pas leur métier et que le remède aurait pu être pire que le mal. En revanche, depuis le commandement des opérations spéciales (COS) basé au Nord-Mali, nous avons fait venir des soldats spécialisés qui sont intervenus et ont procédé à la libération d'otages, en soutien des forces maliennes.

Il est extrêmement complexe d'entrer dans un lieu sans avoir un minimum de renseignements, et les soldats de l'opération Sentinelle ne sont pas entraînés pour ce faire. Nous ne pourrions prendre ce genre de décision qu'en ultime recours.

J'ai la chance de pouvoir suivre l'entraînement des forces spécialisées qui sont capables de libérer des personnes retenues en otage dans des lieux confinés. Je recommande tout de même la plus grande prudence en ce qui concerne de telles interventions. De plus, lorsque nous sommes primo-intervenants, nous sommes aux ordres des autorités préfectorales et de la sécurité intérieure qui nous confient généralement des missions correspondant à nos savoir-faire. Enfin, M. Cazeneuve a présenté le système mis en place depuis les attentats : tout le dispositif a été modifié pour qu'il y ait des possibilités de réaction à proximité de n'importe quel lieu.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Comme une salle de spectacle.

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Sur les faits qui se sont déroulés en novembre dernier, nous avons auditionné des fonctionnaires de la brigade anticriminalité (BAC) qui se trouvaient à l'extérieur de l'établissement, dans l'impasse Amelot, où il y a eu des échanges entre les terroristes et la BAC. Les policiers avaient des armes de poing et les militaires présents ont refusé de leur prêter leurs armes longues.

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Un militaire ne prêtera jamais son arme.

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Ne posez pas cette question. Un militaire ne se sépare jamais son arme.

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Il faut arrêter de poser la question. Cette réponse a déjà été donnée dix fois. C'est la première chose qu'on apprend à Coëtquidan, en entrant à Saint-Cyr : on ne se sépare jamais de son arme. Qu'est-ce qu'un combattant sans son arme ? Quant à savoir pourquoi on n'a pas tiré, c'est parce qu'au moment où les soldats ont vu une arme qui dépassait, ils ne voyaient pas la personne. Pour le reste, nous sommes formés au combat en localité et nous utiliserons évidemment cette compétence en cas de besoin, sinon il serait inutile que nous soyons déployés au sein de l'opération Sentinelle. Nous l'avons fait à Valence, par exemple.

Pour ce qui est de l'intervention au sol contre Daech, je vous répète que je ne recommande pas l'envoi de forces occidentales parce que je ne suis pas sûr que cela ne se retournerait pas contre nous. C'est une appréciation militaro-politique ou politico-militaire, je vous l'accorde. Je pense que la solution passe, comme toujours, par les forces locales. C'est ce que nous faisons avec le G5 Sahel dans la BSS. Dans cette pièce, nous sommes tous confrontés à un dilemme : la gestion du temps. Il faut accepter qu'une guerre – surtout de ce type – puisse être longue, comme nous l'enseigne l'histoire, mais il faut aussi agir vite pour ne pas avoir ensuite à se reprocher mutuellement de ne pas être intervenu suffisamment tôt, pour éradiquer Daech avant qu'il ne nous frappe. La notion de temps long est néanmoins importante. Il n'est pas possible d'éradiquer une idéologie en quelques semaines ou en quelques mois. Il faudra du temps. Si l'on s'attend à une attaque chez nous, on peut décider de lancer une opération terrestre pour ne pas avoir à se reprocher de ne pas l'avoir fait. Pour le coup, c'est une question politique.

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En tant que militaire, à combien estimez-vous le temps qu'il faudrait pour éradiquer Daech en continuant seulement les bombardements actuels ou en les doublant d'une intervention au sol ?

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

La guerre ne se passe pas ainsi. Il n'est pas possible de prévoir la fin d'une guerre.

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Nous avons interrogé nombre de personnes, y compris des militaires français, il y a encore quelques jours, qui nous ont dit que cela durerait cinq ans ou dix ans, qui nous donnaient des éléments.

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C'est très bien mais, pour ma part, je ne me risquerais pas à donner une estimation. Tout dépend de l'importance des forces au sol. Les forces démocratiques syriennes ont repris Cheddadi beaucoup plus vite que nous ne l'avions prévu, par exemple, mais elles y sont bloquées. Elles vont peut-être aller vers l'ouest, c'est une question de rapport de force. Je ne sais pas combien de temps nous allons mettre à former les forces locales. Je ne sais pas à quelle vitesse les gens de Daech vont reculer, s'ils vont se replier sur les sanctuaires de Mossoul et Raqqah, ni ce qu'ils vont faire dans ces deux villes. Vont-ils obliquer ailleurs ? Je ne sais pas. Pour résumer, je ne sais pas combien de temps va prendre l'éradication de Daech. Je peux seulement vous dire que plus il y aura de combattants au sol et plus cela ira vite : c'est bien la combinaison des bombardements et de l'action au sol qui nous fera avancer.

Lors de l'intervention en Libye en 2011, on nous posait constamment des questions du genre : pourquoi est-ce que rien n'avance ? Pourquoi ne s'est-il rien passé alors qu'on bombarde depuis quatre mois ? En fait, l'édifice s'est brutalement effondré, comme c'est souvent le cas. Oui, Daech recule. Quand vous subissez une telle masse de frappes par une coalition de soixante pays, vous finissez par reculer. Oui, les forces locales sont de mieux en mieux organisées. C'est le cas des peshmergas et des forces gouvernementales irakiennes notamment de l'Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS) qui est l'équivalent de nos forces spéciales. Néanmoins, il faudra du temps. Avec de nouvelles troupes au sol, nous irions incontestablement plus vite, mais il faut mesurer le risque politique que cela représente par rapport à la plus-value militaire.

S'agissant des risques d'attaque chimique, on peut dire que Daech a des capacités en la matière. Cela étant, l'organisation préfère utiliser d'autres outils : des véhicules piégés (vehicle-borne improvised explosive device – VBIED), des engins explosifs improvisés (improvised explosive device – IED), des bombes humaines, des mines, des snippers. On peut imaginer l'utilisation de tous ces moyens en France. Est-ce que nous nous y préparons ? Par principe, nous nous préparons en permanence. Cependant, je vous le répète, nous sommes actuellement au maximum de nos capacités opérationnelles.

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Je ne voudrais pas vous donner l'impression que la commission d'enquête ne se préoccupe que de la sécurité de nos compatriotes, avec beaucoup d'égoïsme. À l'heure où nous parlons, le risque terroriste reste très élevé chez nous mais il ne faut pas oublier ces quelque 8 millions de personnes qui vivent sous le joug de la barbarie la plus totale. À chaque reprise de territoire, on découvre des charniers. On a le sentiment que l'Occident est en train d'abandonner des populations qui sont victimes d'une barbarie inouïe. Il s'agit aussi de prêter main-forte à ces populations, souvent de confession musulmane d'ailleurs, qui sont les premières victimes de cette barbarie.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Vous me dites cela à moi qui commande tous les jours, 24 heures sur 24, des actions au sol. Monsieur le président, nous sommes engagés dans des opérations terrestres. C'est dur. On va chercher l'ennemi à quinze mètres. Quels pays sont engagés dans l'action au sol ? Vous venez nous dire qu'il faut aller combattre au sol. Nous y allons, en BSS par exemple.

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Vous avez donné le chiffre de 32 000 soldats français en posture opérationnelle. Combien y a-t-il d'Allemands, d'Espagnols, d'Italiens, de Danois ?

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Il y a différents stades d'engagement. La coalition est composée de soixante pays. Certains fournissent la logistique, d'autres bombardent, d'autres font de la formation, etc. En tout cas, je constate que nous sommes dans les trois premiers pays occidentaux les plus engagés au Levant. Nous étions en deuxième position après les États-Unis quand il y avait le groupe aéronaval. Au Levant nous sommes membres d'une coalition. Dans la BSS, nous sommes pilote et nous avons des équipiers et quelques alliés. Pour aller dans le sens de votre remarque, je trouve insupportable de voir ces populations massacrées ou vivant sous le joug de ce terrorisme. Mais je suis chef militaire 24 heures sur 24 et j'ai très régulièrement des blessés et des morts parmi mes soldats. J'entends dire qu'on ne prend pas de risques et qu'on ne participe pas à des opérations au sol, alors que j'ai vu les familles des trois soldats tués il y a quinze jours ! Ce que fait la France est tout à son honneur et je ne vois pas ce qu'elle pourrait faire de plus. J'ai le sentiment que toute la population française soutient cet engagement. Quoi faire de plus ? Une opération au sol en Irak et en Syrie ? Comment et avec qui ? Se poserait aussi la question des moyens. Il faudrait alors que le budget de l'armée passe à 2 % du PIB dès demain matin.

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Si je puis me permettre, mon général, les questions qui reviennent un peu en boucle ne portent pas au fond sur l'engagement des forces françaises, que chacun a salué. Nous savons que nous sommes au taquet. Le problème est la dimension internationale de ce conflit, qu'illustrent les frappes quotidiennes dans le monde. En Syrie, il y a 20 000 ou 30 000 affiliés à Daech, si je puis les nommer ainsi. Les pays occidentaux ne doivent effectivement pas tomber dans le piège qui consisterait à s'engager seuls dans une opération terrestre. Mais d'autres pays, pour certains musulmans, qui subissent eux-mêmes ce terrorisme, devraient y aller alors qu'ils sont totalement absents ou presque. Sans parier sur une issue rapide, on peut néanmoins se dire que si une coalition internationale telle que l'on en a connu pour d'autres conflits intervenait au sol face à ces 20 000 ou 30 000 hommes installés dans un territoire quasi désertique, il serait peut-être possible d'éviter qu'un nouvel attentat ne se produise. La communauté internationale nous paraît incroyablement faible. La France et l'armée française ne sont pas en cause.

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Je partage votre analyse politique, même si je n'ai pas à m'exprimer sur ce plan. C'est l'honneur de la France que d'avoir ce niveau d'engagement militaire. Ce n'est pas à nous de culpabiliser à l'égard d'un engagement qui serait insuffisant face à cette menace terrifiante pour les populations. Ce doit être une démarche internationale. Pour le reste, avec l'outil militaire dont nous disposons, nous pouvons difficilement faire plus contre le terrorisme.

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Souvenez-vous de ce qu'avait déclaré Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne : la France a sauvé l'honneur de l'Europe. Nous terminerons peut-être sur cette appréciation. Il me reste à vous remercier, mon général.

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Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées

Je vous remercie aussi pour l'intérêt que vous portez à ces sujets graves et importants, et j'espère que votre démarche et votre rapport joueront un rôle moteur.

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Nous l'espérons. C'est vraiment l'objectif que nous nous fixons.

La séance est levée à 19 heures.