Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 9 mai 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais en tout premier lieu vous remercier sincèrement pour avoir pris l'initiative de cette audition. Vous le savez, j'attache la plus grande importance à la continuité et à la qualité des échanges que les armées entretiennent avec la représentation nationale, quel qu'en soit le cadre.

Les terribles attentats du 13 novembre dernier à Paris et ceux du 22 mars à Bruxelles ont marqué le franchissement d'un nouveau seuil de la menace terroriste qui pèse sur les pays européens. Conscient de cette réalité, le Président de la République a décidé de mener une lutte résolue contre les groupes terroristes et de renforcer l'effort de défense.

Il en résulte un engagement massif de nos armées, parfois d'ailleurs au-delà de leurs contrats opérationnels tels qu'arrêtés dans le Livre blanc de 2013. Chacune des composantes de notre outil de défense est impliquée dans cette lutte.

La question sur laquelle votre commission travaille est absolument fondamentale, parce que l'essentiel est en jeu : les moyens consentis à la lutte contre le terrorisme sont-ils tout à la fois adaptés et suffisants pour assurer la protection de la France et des Français ? Cet impératif de protection est la raison d'être et la mission première des armées. Voilà pourquoi vous pouvez compter sur moi pour m'exprimer cet après-midi sans langue de bois.

Tous les moyens militaires qui pouvaient être engagés dans cette lutte l'ont été et le restent, avec la volonté d'apporter une réponse immédiate à l'extrême gravité des coups portés à notre pays. Le très haut degré d'engagement de nos armées, depuis plus d'un an, en porte témoignage. Cet engagement ne se dément pas et je crois pouvoir dire qu'il apporte un concours essentiel au combat mené courageusement par notre pays. Pour autant, nous devons continuellement adapter nos moyens à l'évolution – et à l'accroissement – de cette menace terroriste.

En effet, l'engagement massif de nos armées a révélé certains effets de seuil qui nécessitent une adaptation permanente de l'outil et la révision de certains de nos modèles. Par ailleurs, j'ai la conviction que l'action des armées doit toujours être envisagée comme le concours apporté à la mise en oeuvre d'une stratégie plus large, impliquant l'ensemble des acteurs institutionnels de notre pays, la population française ainsi que les pays alliés et amis.

Avant de répondre plus directement à vos questions sur l'opération Chammal, je vais illustrer ce que je viens de dire sous l'angle de l'adéquation des moyens à la mission. J'articulerai mon propos en trois parties. Je vais d'abord vous donner une analyse militaire de la singularité de la menace terroriste actuelle, de ce qui la distingue de ce que nous avons pu connaître par le passé. Pour un militaire, la question centrale est toujours la même : qui est l'ennemi ? Je ferai ensuite l'état des lieux de la lutte contre le terrorisme, une lutte qui n'est pas nouvelle mais qui a dû changer brusquement de dimension. Enfin, je vous donnerai mes points d'attention, en toute transparence.

Pour commencer donc, il m'apparaît intéressant de définir la menace terroriste telle que je la perçois. Pensée et utilisée au service d'une idéologie destructrice, la terreur, autrefois localisée, est devenue terrorisme mondialisé. Elle s'est répandue dans des zones jusque-là préservées, frappant quatre des cinq continents au cours des douze derniers mois.

Certes, le terrorisme n'est pas nouveau en soi – le monde et la France ont déjà été confrontés à plusieurs reprises à ce fléau – mais nous sentons bien que l'ampleur et les ressorts du terrorisme de l'islam radical sont singuliers. La différence se fonde avant tout sur l'ambition hégémonique et la logique destructrice de ce terrorisme. La surenchère de la violence est érigée par les organisations terroristes comme le moyen privilégié d'asseoir leur pouvoir. Elle a été théorisée par Abu Bakr Naji dès 2004, dans un texte traduit en français en 2007, que j'ai ici, sous un titre parfaitement clair : Gestion de la barbarie. Ce qui est singulier ici, c'est que la violence est envisagée au-delà du simple moyen ; elle devient une fin. Cette idéologie de mort emporte toute rationalité. Elle n'a, en réalité, d'autre finalité que l'avènement d'un terrorisme nihiliste érigé en système qui se revendique comme État islamique ou califat.

Deux traits supplémentaires complètent la physionomie hideuse de ce terrorisme : il est mouvant et fait vaciller les repères ; il est opportuniste. Nous sommes confrontés à une menace en mutation permanente et les visages changent : hier al Qaïda, aujourd'hui Daech, Jabhat al-Nosra ou Boko Haram. En réalité, la menace perdure sous les traits d'un mutant qui se transforme et se démultiplie pour se répandre. Le terrorisme islamiste fait aussi vaciller les repères en ce sens qu'il revendique un enracinement territorial tout en ignorant totalement les frontières des États et en venant frapper jusque sur notre sol. Il revendique la pureté quand il n'est en réalité que crime. On le croit éradiqué ici mais il renaît là-bas sous une forme nouvelle. La menace est protéiforme et nébuleuse ; elle n'en est que plus difficile à contrer.

Ce terrorisme est aussi opportuniste. Il prolifère partout où les institutions sont fragiles, faibles ou inexistantes et où la pauvreté incline à la désespérance. Il se sert des facilités qu'offrent internet et les réseaux sociaux, qui ouvrent l'accès au coeur même des sociétés, pour embrigader la part de la population la plus exposée et la plus influençable, en particulier au sein de la jeunesse.

De ces observations je crois que nous pouvons tirer une certitude : les dynamiques de la violence et de la peur sont enclenchées, mettant au défi la réponse de la force légitime. Un nouveau cycle guerrier s'est ouvert ; il nous oppose à un ennemi qui cherche à imposer son idéologie. Nous ne faisons pas la guerre à un terrorisme désincarné ; nous faisons la guerre à des groupes djihadistes.

C'est bien un ennemi que nous avons à combattre. Il a des objectifs, des ressources et des besoins. Pour autant, l'ennemi a aussi des faiblesses qu'il faut savoir exploiter pour mettre un terme à son projet. J'en citerai deux : le défi de la régénération ; la division.

Le défi de la régénération s'appuie nécessairement sur la conservation de zones refuges. La capacité à durer des groupes terroristes repose sur l'existence de sanctuaires qui leur sont indispensables pour s'entraîner, se réarticuler et s'approvisionner. La perte de ces sanctuaires porte à chaque fois un coup très sérieux à l'ennemi, comme ce fut le cas des opérations conduites par nos armées dans l'Adrar des Ifoghas au Nord-Mali. C'est d'ailleurs encore le cas. Sur ce sujet, il faut souligner que notre stratégie de régionalisation et de partenariat élargi dans la bande sahélo-saharienne (BSS) est une réussite. Elle est en cohérence avec la réalité de la menace et les besoins critiques de l'ennemi. Elle privilégie des modes d'action basés sur la surprise, facteur clé qui permet de contrer les groupes armés terroristes, et sur des opérations transfrontalières conduites en partenariat avec les armées du G5 Sahel, c'est-à-dire le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Finalement, Barkhane rend les espaces du Nord-Mali et du Niger de plus en plus hostiles aux terroristes et de plus en plus difficiles aux trafiquants. Cette même stratégie est également mise en oeuvre par la coalition au Levant. Mossoul en Irak et Raqqah en Syrie sont des objectifs qui, une fois repris, contribueront indéniablement à affaiblir sérieusement le pseudo-État islamique.

Deuxième faiblesse : la division, la compétition entre groupes djihadistes. La revendication de Daech d'établir un pseudo-État territorial, de part et d'autre de la frontière séparant l'Irak de la Syrie, peine à masquer l'absence d'une véritable vision partagée par l'ensemble de la mouvance djihadiste. Les groupes terroristes, dans leur diversité, ne s'accordent guère sur la voie à suivre. Leurs ambitions restent diverses et concurrentes, ce qui constitue une nouvelle preuve de leur logique nihiliste. Sur ce plan, les luttes fratricides entre al-Qaïda et Daech représentent un atout pour nous.

Lors des réunions avec les chefs d'état-major des pays de la coalition, je partage souvent avec mes homologues la conviction qu'une des clés de notre succès sera l'exploitation de ces oppositions, notamment au moyen d'opérations ciblées dans le domaine de la cyberdéfense et de la contre-information. Il s'agit d'un domaine sensible et très consommateur en moyens, d'où l'effort que nous devons poursuivre pour étoffer nos capacités en cyberdéfense.

Cette stratégie ne sera pleinement efficace que si elle ne se limite pas aux seuls effets militaires. L'action des armées doit en effet s'intégrer dans une approche globale. C'est la condition du succès. Seule l'action globale peut permettre d'étouffer cette menace en s'attaquant simultanément à toutes les dimensions de cette dernière pour révéler l'incohérence entre le discours et les crimes de Daech.

Soyez certains que cette vision est partagée par l'ensemble des chefs d'états-majors des armées engagées dans la coalition. Tous insistent sur le fait que la résolution du conflit passe nécessairement par une telle approche globale. Elle doit permettre de redynamiser l'engagement des pays de la région dans la lutte contre Daech et la reconstruction de ce qui aura été endommagé ou détruit. Gagner la guerre ne suffit pas pour gagner la paix. Je le dis à temps et à contretemps, car je pense que c'est essentiel dans ce combat. Les armées concourent à cette impérieuse nécessité d'approche globale en apportant l'expertise et les capacités, dont je vais maintenant dresser l'état des lieux.

Au moment des attentats de janvier 2015, nos armées étaient déjà en action. Pour démultiplier leur effort, elles ont pu s'appuyer sur deux socles essentiels : l'expérience opérationnelle ; la posture de nos armées.

Premier socle : l'expérience opérationnelle. Depuis 2001, nos armées sont engagées dans la lutte contre des groupes armés terroristes, d'abord en Afghanistan contre les talibans ou le réseau Haqqani, puis dans la BSS contre al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar al-din ou le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO). Nos soldats se trouvent fréquemment, les yeux dans les yeux, à moins de quinze mètres d'un ennemi fanatisé qui ne recule pas. Telle est la réalité des combats que nous menons, loin de toute exposition médiatique. Nos soldats ont prouvé leur capacité à conduire des actions militaires dans des situations opérationnelles et climatiques extrêmement exigeantes. Ils y ont remporté des succès déterminants. C'est sur cette somme d'expériences que des réponses ont pu se construire dès le premier jour. C'est grâce à cette expérience que nous avons neutralisé environ 200 terroristes au Sahel, dans le cadre de l'opération Barkhane, pendant la seule année 2015.

Deuxième socle : la posture de nos armées qui possèdent deux atouts principaux. Notre premier atout réside dans le caractère complet de notre modèle d'armée qui possède la gamme la plus large possible de capacités et nous permet d'adapter la posture à la menace terroriste où qu'elle se manifeste. Notre deuxième atout consiste en notre capacité autonome d'appréciation, grâce à nos capteurs de renseignement, nos satellites, nos capacités de cyberdéfense. Avec ces atouts, nos armées peuvent apporter une réponse à la continuité de la menace terroriste au plus loin comme sur le territoire national. Et c'est ce qu'elles font.

Nous avons actuellement plus de 30 000 militaires en posture opérationnelle, toutes armées et tous services inclus. Au plus loin, ce sont les opérations extérieures : c'est la défense de l'avant. Nous sommes d'abord présents au Sahel où nous agissons en leader au sein de l'opération Barkhane, à dominante aéroterrestre. Ce que nous faisons là-bas est un modèle et une matrice pour beaucoup de nos opérations futures, avec une force modulable dont les actions conjuguent toujours plus de mobilité, de souplesse et de capacité à créer l'effet de surprise. Nous remportons au Sahel d'indéniables succès, aux côtés de nos frères d'armes africains. Cette réussite est le fruit de l'engagement total de nos soldats déployés là-bas. Ils connaissent les risques et les acceptent avec courage et dignité. La mort de nos trois camarades sur la piste de Tessalit, il y a moins d'un mois, en porte témoignage. Je tenais à leur rendre hommage devant vous car il ne faut pas les oublier.

Au Levant, nos armées agissent au sein d'une coalition anti-Daech. En détruisant leurs postes de commandement et d'entraînement, en appuyant de nos bombes l'action des forces locales au sol, nos armées aident à contenir les terroristes et elles permettent de réduire l'emprise territoriale de Daech. Je tiens à souligner ici combien les frappes conduites à partir des bases aériennes, renforcées pendant plusieurs semaines par celles des avions du groupe aéronaval, ont joué un rôle déterminant dans les revers récents des groupes armés terroristes en Irak et en Syrie.

Je profite aussi de ce constat pour insister sur la nécessité de conserver, sur le sujet des effets de nos actions, une approche équilibrée. Pendant des mois, certains observateurs expliquaient que les frappes de la coalition ne servaient à rien. Depuis quelques semaines, d'autres observateurs – à moins que ce ne soient les mêmes – croient pouvoir affirmer que la situation évolue vite et qu'une résolution est en vue. En réalité, nous savons d'expérience que la combinaison des actions exige du temps pour produire ses effets. Qui plus est, le temps des forces locales, qui agissent au sol en complément de nos actions, n'est pas le nôtre. Surtout, une approche globale, agissant sur les champs de la gouvernance et de l'économie, est indispensable pour permettre l'émergence d'une solution durable. Il nous faut conjuguer l'action politique et l'action militaire, ce qui demande du temps. Voilà pour la défense de l'avant.

En périphérie de notre territoire, il s'agit de protéger les approches de notre pays, avec des postures permanentes de sûreté et de sauvegarde dans leurs composantes aérienne et maritime et une veille opérée par nos forces prépositionnées. Là encore, nos armées protègent notre pays, notamment contre les infiltrations terroristes dans le contexte méditerranéen.

Au plus près, sur le territoire national, la menace terroriste s'installe dans la durée. La contribution des armées – en complément des forces de sécurité intérieures et bien sûr sous la responsabilité du ministre de l'intérieur – est naturelle. La finalité des armées réside tout entière dans la protection des ressortissants français, quel que soit l'endroit où ils se trouvent. On peut discuter de la doctrine – et il le faut – mais on ne peut pas discuter du principe ou alors il faut écrire un autre code de la défense.

La contribution des armées dépasse de beaucoup la dimension dissuasive et rassurante de la présence visible de soldats sur notre sol. Les capacités de planification, d'intervention et de gestion de crise, l'autonomie logistique et la maîtrise de certains moyens spécialisés rares sont autant d'atouts utiles à la lutte déterminée que nous avons à mener contre le terrorisme. Ceux d'entre vous qui appartiennent à la commission de la défense nationale et des forces armées m'ont déjà entendu sur ce thème.

La prise en compte de l'ensemble de ces dimensions débouche sur une posture nouvelle que nous devons parfaire et intégrer au sein d'un ensemble plus large qui nous oblige : la mission de protection de la France et des Français. Je suis bien sûr à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous aurez à me poser sur le sujet. Concrètement, nous avons l'obligation d'adapter les moyens de nos armées aux menaces immédiates. Nous le faisons à l'extérieur ; il faudra aussi le faire sur le territoire national. Nous devons préparer l'avenir dans un monde de multiplication et de superposition des crises. L'une de mes préoccupations quotidienne est d'ailleurs de garder à l'esprit que les menaces qui pèsent sur le pays ne se résument pas aux seules menaces terroristes. C'est en rappelant cette réalité que j'en viens à aborder la troisième partie de mon intervention liminaire : mes points d'attention relatifs aux moyens nécessaires pour soutenir la lutte contre le terrorisme.

Ces points d'attention sont concentrés autour d'une seule idée simple : assurer notre efficacité et notre endurance opérationnelle dans une situation où toutes les composantes de nos forces armées sont à un niveau d'engagement qui va parfois au-delà de leurs contrats opérationnels. Le dimensionnement des moyens militaires ne saurait être envisagé sans considération pour le temps long dans lequel s'inscrit nécessairement l'action des armées. Choisir une voie différente, c'est prendre le risque de voir les moyens s'éroder plus vite qu'ils ne se régénèrent, c'est hypothéquer l'avenir en pariant sur l'utopie d'un retour rapide à une situation ante.

Notre capacité à vaincre dépend de la stricte cohérence entre la menace, les missions confiées et les moyens octroyés. L'équipe que je forme avec les chefs d'état-major d'armée, derrière notre ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, est particulièrement attentive à ce besoin de cohérence qui s'articule autour de trois volets : les ressources humaines, les capacités opérationnelles, le modèle d'armée.

En ce qui concerne le volet des ressources humaines, l'effort de mise en cohérence a trouvé sa traduction dans la décision du Président de la République d'annuler plus de 10 000 déflations d'effectifs sur les années 2017 à 2019, qui viennent s'ajouter aux 18 750 annulations de la précédente actualisation de la LPM. Deux tiers de ces postes préservés seront redéployés en faveur du renforcement direct des unités opérationnelles et de la chaîne de cyberdéfense et de renseignement.

Les chaînes recrutement, formation et protection de nos armées, directions et services sont totalement mobilisées pour réussir cette manoeuvre d'envergure. Mais pour être effective, elle doit être soutenue par un effort budgétaire cohérent qui prenne en compte la masse salariale et le surcoût financier associé à ces effectifs en soutien, en entraînement, en fonctionnement, en équipements et en infrastructure. Actuellement, le soutien et la préparation au combat de nos soldats sont des domaines sous extrême tension. Tout renoncement budgétaire supplémentaire, dès la gestion 2016, affecterait gravement l'endurance opérationnelle de nos armées dans la lutte contre le terrorisme.

Au-delà de la nécessaire traduction budgétaire des décisions prises, j'estime qu'il est juste que la nation reconnaisse le haut degré d'engagement et l'excellent état d'esprit avec lesquels nos soldats, marins et aviateurs s'acquittent de leurs missions respectives et en supportent les contraintes. C'est pour cette raison que, lors du dernier Conseil de défense du 6 avril, le Président de la République a décidé l'adoption d'un plan d'amélioration de la condition du personnel. Il y a derrière ces mesures un véritable enjeu d'attractivité, de fidélisation et de maintien du moral. C'est la légitime compensation face à des sujétions croissantes en matière d'absence et de suractivité. Beaucoup de nos soldats dépassent 100 jours d'absence de leur domicile en 2015.

Venons-en aux capacités opérationnelles qu'il s'agit de renforcer suivant trois axes : optimiser l'emploi des armées sur le territoire national ; appuyer l'effort en renseignement et en cyberdéfense ; soutenir l'intensité de nos engagements en opérations extérieures.

Pour optimiser l'emploi des armées sur le territoire national, nous avons fait le choix d'adopter une posture plus dynamique, qui privilégie les patrouilles mobiles plutôt que les gardes fixes. Pour qu'elle ne reste pas lettre morte, cette volonté doit s'accompagner d'une augmentation du parc des véhicules. Actuellement, nous avons 700 véhicules de tous types en Île-de-France, dans le cadre de l'opération Sentinelle. Avec le ministre de la défense, nous travaillons à l'achat de nouveaux véhicules tactiques adaptés, au cours des mois à venir. D'autres capacités doivent également être renforcées, notamment les moyens de transmissions et les moyens d'échange d'information nécessaires au développement de l'interopérabilité entre les armées et les forces de sécurité intérieures.

Notre deuxième axe consiste à appuyer l'effort en renseignement et en cyberdéfense. Le spectre des besoins identifiés est large : il va de la cyber-protection de la force aux capacités de sauvegarde et de veille sur internet, en passant par les moyens de traitement de l'image ou d'interception. L'ambition est bien de rehausser rapidement les moyens en renseignement et cyberdéfense à la hauteur des nouvelles menaces qui, dans ce domaine, évoluent très rapidement au point d'atteindre un niveau que je qualifierais de préoccupant. La guerre se mène aussi dans ce domaine.

Le troisième axe consiste à soutenir l'intensité de nos engagements en opérations extérieures, qu'il s'agisse des opérations que nous menons dans la BSS ou celles auxquelles nous participons au Levant, car toutes se traduisent mécaniquement par une surconsommation du potentiel et une usure des matériels. Certains de nos matériels – avions, bateaux et véhicules – sont actuellement sur-employés et leurs taux de disponibilité sont difficiles à maintenir à un niveau satisfaisant, compte tenu de leur âge pour la plupart d'entre eux. Certaines de nos réserves, comme nos stocks de pièces de rechange et de munitions, pourraient s'épuiser malgré le recomplètement. C'est bien l'ensemble de l'outil qu'il nous faut régénérer en permanence pour pouvoir répondre à l'intensité et à la durée de nos opérations.

Venons-en au troisième et dernier volet, le modèle d'armée, auquel j'attache une importance toute particulière. Il ne faudrait pas que les nécessaires adaptations, que je viens de brosser rapidement, se traduisent par la rupture de l'équilibre des fonctions stratégiques : dissuasion, prévention, protection, intervention, connaissance et anticipation. Affaiblir une fonction, c'est prendre le risque d'un effet d'entraînement, dont on ne maîtrise pas les conséquences induites sur les autres fonctions et sur leurs capacités. Par exemple, c'est bien la capacité expéditionnaire qui nous permet de nous porter au plus près des foyers du terrorisme ; c'est notre dispositif de prévention, constitué notamment de nos forces prépositionnées, qui nous permet d'assurer une veille et nous offre, au besoin, une capacité de réaction. Je le vis au quotidien. Je le répète, la pérennité de ce modèle d'armée passe par un respect scrupuleux des engagements budgétaires pris dans la LPM actualisée. Sinon, il faudra réviser nos ambitions. Nous n'avons pas le choix, quel que soit le contexte budgétaire étatique que je ne méconnais pas.

Avant de conclure, je voudrais aborder un sujet qui me tient à coeur, au plus profond de moi-même : l'état d'esprit de nos armées. La victoire sur la barbarie se joue aussi sur le terrain de l'exemple. Il nous faut investir ce champ pour démonter la mécanique du mensonge : projet contre fantasme, authenticité contre propagande. Le 8 mai, que nous commémorions hier, nous conforte dans la certitude que la victoire revient à ceux qui désirent plus que tout la liberté et la justice, et qui sont prêts à se battre pour elles ; la victoire ne peut revenir à ceux qui s'enferment dans une logique de haine et de destruction. J'ai la conviction que les armées, par ce qu'elles font et par ce qu'elles sont, peuvent porter ce témoignage sur la richesse et la pertinence des valeurs de notre République. La liberté, nos militaires combattent pour elle, quand d'autres la combattent avec la rage du désespoir. L'égalité, ils la vivent sous l'uniforme. La fraternité, notre carburant, ils la construisent au quotidien.

Cette réalité, les armées la rappellent en actes tous les jours. Plutôt que l'embrigadement, notre pays a choisi la mobilisation, et votre commission en est une illustration. Cette mobilisation s'exprime dans la dynamique qui traverse nos armées. La résilience de la nation se renforcera avec la prise de conscience de cette nécessité de mobilisation et de rassemblement, en particulier dans notre jeunesse. La création de trois centres de service militaire volontaire est, sur ce plan, un bon exemple et une source d'espérance pour cette jeunesse en quête de sens.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, la défense est plus que jamais au coeur de l'intérêt national. Nos armées prennent toute leur part dans la lutte déterminée que le pays mène contre le terrorisme, sous toutes ses formes et où qu'il se trouve. Cet effort exige un engagement total des hommes et des femmes de nos armées pour relancer l'action avec imagination, en s'adaptant en permanence, sans faiblir jusqu'à la neutralisation définitive des terroristes qui ciblent notre pays. Ces hommes et femmes de nos armées savent pouvoir compter en retour sur la nation, dont vous êtes l'incarnation, pour disposer de moyens en cohérence avec leur mission, pour le succès des armes de la France.

Je vous remercie et me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions, en particulier sur l'opération Chammal que vous avez abordée dans votre introduction.

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