Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 9 mai 2016 à 14h00
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Commençons par les questions sur l'opération Sentinelle. Je crois à cette opération. Nous n'y participons pas seulement parce qu'il aurait manqué 10 000 gendarmes. Nous pouvons contribuer à la protection des Français d'une manière différente de la sécurité intérieure, avec des moyens qu'elle n'a pas. Ayant le privilège de l'expérience – quarante-deux ans de service –, j'ai connu deux parties dans ma carrière : avant et après la chute du mur de Berlin. La deuxième période, marquée par le terrorisme, a été beaucoup plus mouvante. Avant la chute du mur, ne l'oublions pas, nos quartiers étaient protégés par des militaires en armes, nous avions des zones de desserrement et un système de défense opérationnelle du territoire contre d'éventuels spetsnaz parachutés. Dorénavant, nous avons un ennemi sur le sol national, qui nous a frappés deux fois. L'armée peut jouer un rôle spécifique en matière de planification, d'organisation, de maîtrise de spécialités rares, et de contrôle de zone. Il ne s'agit plus de copier ou prolonger Vigipirate, une opération qui mobilisait moins de 1 000 soldats dans quelques gares et lieux publics.

Nous avons déployé 10 000 soldats, de manière inopinée, en trois jours et demi, à l'issue des attentats du 7 janvier 2015. Nous avons ensuite évolué, vers plus de mobilité, de manière à nous rendre moins prévisibles. Mais il n'est pas évident de faire comprendre à nos concitoyens que les militaires sont plus efficaces lorsqu'ils ne sont plus statiques, postés en continu au pied du bâtiment à protéger. Les quinze îlots de sécurisation renforcée, dont je vous ai parlé, permettent le contrôle de zone, ce qui est plus efficace. Ils ont été créés la semaine dernière. Nous sommes en train de protéger différemment des lieux confessionnels, en vertu de cette approche. La majorité de nos forces déployées à Paris est mobile, ce qui n'était pas le cas il y a quelques mois, voire quelques semaines.

Le grand plan « réserve » annoncé simultanément, car tout cela est cohérent, va nous permettre de territorialiser les réservistes sur le sol national. Qui connaît mieux un canton ou une circonscription que celui qui y habite ? Cette approche est cohérente. Elle prévoit d'employer 1 000 réservistes par jour sur les 7 000 à 10 000 soldats déployés dans le cadre de l'opération Sentinelle. Il y a beaucoup à construire et l'affaire ne se résume pas à un calcul arithmétique : 10 000 soldats contre 10 000 gendarmes et policiers. Nous avons des choses à apporter en plus, mais nous ne devons pas chercher à nous substituer à ce que font les forces de sécurité intérieure dans le cadre de certaines missions. Cantonner les armées à l'extérieur du territoire national ne permettrait pas d'apporter une réponse adaptée à la lutte contre le terrorisme. Quand je vois comment nous avons révolutionné nos modes d'action à l'extérieur, je me dis que nous avons des marges de manoeuvre importantes à l'intérieur, en appliquant des principes simples : l'action est placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur ; nous devons nous appuyer sur la chaîne de l'organisation territoriale interarmées de défense (OTIAD) qui fonctionne très bien avec le préfet, les OGZDS, les réquisitions, etc. Cela nous permet d'être plus rapides et efficaces. Nous avons fait des pas de géant, en particulier à Paris.

Je comprends que le débat sur le rôle des armées sur le territoire national ait lieu. Je suis persuadé que le dispositif est amené à évoluer.

Nos armées seraient-elles capables d'intervenir sur un nouveau théâtre ? Tout dépend de la nature, de la durée et de l'intensité de cette nouvelle intervention. Actuellement, je le répète, nous sommes au maximum de nos capacités et de nos contrats opérationnels, et même légèrement au-dessus. Vous pouvez en tirer les conclusions : il faudrait se désengager d'un autre théâtre. Sur la durée, je ne peux pas faire plus que ce que je fais actuellement.

J'en profite pour apporter une précision concernant la durée de l'opération Sentinelle. Pourquoi sommes-nous en difficulté et pourquoi l'armée de terre fait-elle face à d'énormes contraintes d'entraînement ? Parce que nous attendons l'arrivée de 11 000 personnels supplémentaires dans la force opérationnelle terrestre, dont certains commencent à arriver. Insistons sur un phénomène qui ne s'était plus produit depuis la fin de la guerre d'Algérie : nous recréons des unités élémentaires, des compagnies. En attendant ces effectifs supplémentaires, nous avons dû réduire le soutien pour pouvoir affecter des combattants à l'opération Sentinelle et renforcer les fusiliers marins, les commandos de l'air, etc. Nous allons ainsi recréer une partie des quelque 48 000 postes supprimés – c'est beaucoup – au cours de la période 2008-2013.

Quand nous aurons récupéré les 11 000 personnels dans la force opérationnelle terrestre, à la mi-2017, nous pourrons reprendre le cycle d'instruction. Nous nous y préparons. Nous savions que nous traverserions une période difficile, le temps de recruter et de former les nouvelles recrues, sachant que la formation initiale dure six mois. À partir de 2017, je pourrai assumer dans la durée une opération Sentinelle aménagée et adaptée, avec une armée de terre qui pourra tenir, à périmètre d'engagement constant. Il ne faut pas se fier à la photographie actuelle que je ne méconnais pas : nous traversons une période difficile et de nombreux soldats ont cumulé plus de 200 jours d'absence de leur domicile.

Vous m'interrogez sur l'expérience menée en Isère. Mes excellentes relations avec le général Favier ne datent pas des attentats. Il y a six ans que je travaille avec la gendarmerie et, lorsque j'étais major général, j'ai mis en place des groupes de travail spécifiques pour que la mutation de la gendarmerie au ministère de l'intérieur se passe bien. Je connais quelque peu le sujet. Nous expérimentons de nouvelles procédures, comme dans le cas de l'exercice Minerve. En cas de menace, si une unité élémentaire est en cours d'entraînement, nous changeons de posture « de l'instruction à l'opération ». Lors de cette expérimentation, nous nous sommes intéressés à la manière dont les personnels adaptaient leurs équipements, matériels complémentaires et munitions. Nous avons observé la manière dont s'articulait le commandement et essayé de détecter d'éventuels problèmes d'interopérabilité ou de transmission. Nous allons poursuivre ces expérimentations qui ont été riches d'enseignement, très intéressantes. J'y crois.

En ce qui concerne la coopération avec la préfecture de police de Paris, nous avons atteint un niveau de confiance et de dialogue qui n'a rien à voir avec celui qui existait il y a encore quelques mois. Le préfet de police et le gouverneur militaire de Paris pourront vous confirmer que la liste des améliorations serait longue à détailler. L'un des points critiques, se situe au niveau des systèmes de communication. Nous avons beaucoup travaillé sur la question et, dans les semaines à venir, de nouveaux systèmes vont être mis en place. C'est indispensable, et l'armée de terre a beaucoup évolué dans ce domaine.

Monsieur Goujon, vous avez raison de souligner l'importance des infrastructures d'hébergement dans Paris. Un certain niveau de confort est nécessaire pour tenir dans la durée, mais il faut aussi se battre pour conserver ces emprises militaires. Entre l'îlot de Saint-Germain et le Val-de-Grâce, il est possible d'héberger 1 000 soldats. Nous savons que nous allons perdre ces locaux qui seront vendus. Nous sommes donc en train de reconstruire ces 1 000 places ailleurs, après élaboration d'un vrai schéma directeur qui nous amène jusqu'à la fin de 2017. Il s'agit là d'une vraie manoeuvre d'infrastructure.

Monsieur Habib, vous avez fait une analyse du terrorisme que je ne me permettrais pas de commenter. Cela étant, je vois comme vous le fond de tableau : la rivalité entre sunnites et chiites, entre l'Arabie saoudite et l'Iran, qui est prise en compte dans toutes les négociations sur la Syrie, qu'elles soient diplomatiques, politiques ou militaires. Il faut avoir cet arrière-plan en permanence à l'esprit pour comprendre ce qui se passe en Syrie, mais aussi au Yémen ou au Liban. Ayant la chance d'avoir accès à mes homologues des pays du Proche et Moyen-Orient lors des réunions de la coalition, je peux vous dire que rien n'est simple. C'est pourquoi les dossiers syrien et libyen sont avant tout diplomatiques et politiques : il faut mettre tout le monde autour de la table.

Il faudra certes gagner cette guerre et éradiquer le terrorisme, mais la solution n'est pas seulement militaire. On ne peut gagner qu'en éradiquant le mal à la racine, ce qui est un sujet éminemment politique. Pourquoi ces jeunes partent-ils chez Daech ? Que vont-ils y chercher ? Que pourrait-on leur procurer pour éviter qu'ils ne s'en aillent là-bas ? Voilà les questions auxquelles il faut répondre. Selon les chiffres officiels, Daech aurait recruté un peu plus de 2 000 combattants d'origine française, mais il ne s'agit là que des combattants. Je suis vraiment frappé des choix de cette jeunesse, qui appartient souvent aux populations les plus pauvres. Il faut réfléchir à cela. Nous gagnerons cette guerre quand nous tarirons définitivement le flux de ceux qui partent.

Les armées incarnent vraiment l'ensemble de la nation et je prétends bien connaître ces populations défavorisées qui cherchent à donner un sens à leur vie.

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