Intervention de Bruno Lasserre

Réunion du 5 juillet 2016 à 17h30
Mission d'information commune sur l'application de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence :

Monsieur Hetzel,nous n'avons pas outrepassé notre rôle en nous substituant au législateur. La loi du 6 août 2015 exclut les départements d'Alsace-Moselle : notre carte exclut ces trois départements et nous n'avons fait aucune proposition chiffrée les concernant. En revanche, l'article 52 invite l'Autorité à faire des recommandations pour accompagner la proposition de carte : c'est au titre de ces recommandations, qui ne lient ni le législateur ni le Gouvernement, que nous avons proposé de ne pas oublier les départements d'Alsace-Moselle. En effet, entre 2010 et 2014, le chiffre d'affaires moyen par notaire libéral est de 901 112 euros dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, contre une moyenne nationale de 760 844 euros, alors que la moyenne du chiffre d'affaires par office est plus faible dans ces départements que la moyenne nationale. Le résultat par notaire libéral est également plus élevé dans ces départements que dans le reste de la France. La densité notariale est de 9 seulement dans ces départements, contre 15 sur le reste du territoire. Voilà pourquoi nous invitons le législateur à tirer les conséquences de cette situation ; en aucune manière nous n'entendons traiter cette question.

D'autre part, le système applicable, vous avez raison, est plus méritocratique qu'ailleurs ; ce n'est pas une apparence, mais une réalité. Le problème est que nous avons constaté qu'il avait conduit à un certain malthusianisme, comme le montrent les chiffres que je viens de vous citer. Sans doute n'a-t-on pas créé assez d'offices dans ces départements par rapport aux besoins, sachant que la demande de prestations notariales y est en moyenne équivalente à celle des autres départements français. C'est simplement cela que nous avons voulu dire : peut-être faut-il se pencher plus spécifiquement sur ces départements, où nous attendons la même dynamique que dans les autres territoires couverts par notre carte.

Monsieur Lurton, je suis mille fois d'accord avec vous : il faudrait mesurer l'impact étude par étude de l'écrêtement à 10 % des émoluments notariaux pour les petits actes. Dans notre évaluation du nombre de notaires supplémentaires zone par zone, nous avons tenu compte de l'impact de cette réforme tarifaire au regard du chiffre d'affaires garanti à chaque professionnel. En revanche, nous n'avons pas pu intégrer ces chiffres étude par étude, chiffres que le Conseil supérieur du notariat (CSN) a refusé de nous communiquer, en arguant qu'il les produira dans le cadre du recours contentieux devant le Conseil d'État. Nous ne pourrons donc faire cette évaluation ex post qu'avec la pleine collaboration des instances professionnelles.

Monsieur Caullet, vous avez complètement raison : le plafonnement des émoluments ne suffira pas à lever les obstacles à la mobilité du foncier, qu'il s'agisse de parcelles rurales ou de parcelles forestières. Vous avez évoqué les droits de préférence à purger, qui ont un coût. Je citerai aussi les droits d'enregistrement : si les petites transactions doivent être encouragées pour regrouper et gérer plus efficacement des parcelles rurales ou forestières, pourquoi le législateur n'adapterait-il pas le montant de ces droits d'enregistrement pour lever le frein à la mobilité du foncier ?

Madame Louwagie, Monsieur Caullet, vous trouvez que notre carte ne reflète pas ce que vous vivez dans votre circonscription, ce que je comprends parfaitement. Je connais bien l'Yonne, mais moins bien l'Orne (Sourires). Nous avons voulu nous raccrocher à une cartographie existante, car il aurait été impossible de construire une cartographie spécifique pour l'offre et la demande de prestations notariales. Les notaires eux-mêmes ignorent parfois l'origine géographique de leur clientèle : un office notarial n'a pas de compétence géographique, il peut traiter des actes venant de toutes les régions, et le vendeur est souvent une famille dont les membres sont éparpillés sur tout le territoire.

Madame Untermaier, vous l'avez redit : notre exercice est un point de départ, nous n'entendons pas avoir atteint la perfection aujourd'hui. Nous allons voir si les candidatures sont au rendez-vous, si des jeunes diplômés s'installent, s'ils réussissent leur projet – nous ne forçons personne à aller dans les zones où les besoins ne sont pas satisfaits. Sur la base de ce formidable retour d'expérience, nous nous pencherons tous les deux ans sur cette carte pour l'adapter à la hausse ou à la baisse. Faites-nous confiance : loin de faire une cartographie à la soviétique, nous allons continuer à nous inscrire dans une approche pragmatique et progressive, comme vous l'avez souhaitée.

Madame Louwagie, vous avez raison d'évoquer l'exercice en commun. Certains notaires spécialisés dans les baux ruraux et d'autres sur tel ou tel aspect ont intérêt à mettre en commun leur savoir-faire. Sur le plan économique, il peut aussi être intéressant de mutualiser les coûts fixes relatifs aux locaux, au personnel, aux outils informatiques. En revanche, dans certaines zones, nous ne recommandons que la création d'un ou deux professionnels supplémentaires, et il est difficile de préjuger que l'installation se fera sous la forme d'une société : ce sont plutôt des candidats individuels qui vont créer une étude dans ces zones.

Nous avons entendu le Conseil supérieur du notariat, la Chambre des notaires de Paris, la Chambre des notaires de Champagne-Ardenne, mais nous avons aussi entendu des jeunes notaires diplômés salariés qui souhaitent s'installer. Ces jeunes ont une vision nouvelle de leur métier : ils veulent innover, mettre en commun les outils numériques, partager un secrétariat à distance. Autre exemple : un notaire qui proposerait un outil de suivi en temps réel de la progression d'un dossier de vente apporterait un plus à ses clients : les gens qui doivent vendre un bien avant d'en acheter un autre ressentent un stress car ils ont besoin de savoir où en est la vente de leur bien avant d'acheter un appartement ou une maison. Ainsi, les manières d'innover, de se différencier, permettront de renouveler l'offre notariale, sans forcément créer une société.

Madame Untermaier, l'obligation d'instrumenter renvoie à un problème de discipline. Au travers de nos recommandations, nous disons clairement que cette discipline ne pouvait en 2016 passer seulement par l'autorégulation. Beaucoup de professionnels comme les médecins ont un mécanisme de commission de discipline qui repose en grande partie sur le jugement par les pairs, mais la présidence des commissions est assurée par des magistrats, ce qui n'est pas le cas pour les notaires. Nous nous sommes demandé si une régulation plus distante de la profession ne serait pas plus efficace : l'expertise des professionnels est nécessaire pour juger le comportement de ses pairs, mais une certaine objectivité n'est pas de trop pour exercer cette surveillance.

Sur la péréquation, je vous suis dans votre raisonnement. La loi a fait une concession majeure, contre-intuitive sur le plan économique, qui consiste à imposer la proportionnalité pour les transactions les plus importantes au-dessus d'un seuil quantitatif. Personnellement, cela me paraît être le bon moyen d'alimenter la péréquation entre offices, du fait de la moindre rentabilité dégagée par les offices ruraux qui, eux, ne bénéficient pas à plein de la proportionnalité parce que les transactions moyennes y sont plus faibles que dans les centres urbains.

Sur les clercs habilités et sur la situation de l'Yonne et de l'Orne, je laisse M. Piquereau répondre.

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