Nous abordons aujourd'hui notre traditionnel exercice de fin de session extraordinaire d'été, à savoir l'examen du projet de budget de l'Union européenne pour l'année prochaine. Nous formons d'habitude un duo avec mon collègue Marc Laffineur, mais il n'a malheureusement pas pu être là aujourd'hui. Je précise à cet égard que, de manière aussi traditionnelle, il n'est pas d'accord avec les propositions de conclusions que je vous présente.
S'agissant du calendrier de la procédure budgétaire européenne, le Conseil devrait adopter de manière définitive sa position le 4 septembre prochain, puis le Parlement européen adoptera la sienne au cours de sa session des 27 et 28 octobre 2015. Ensuite, la procédure de conciliation budgétaire durera du 29 octobre au 18 novembre 2015.
Alors que le Parlement européen a voté, 8 juillet dernier, une résolution déterminant son mandat de négociation pour le projet de budget 2016 – qui est traditionnellement un peu plus ambitieux que la proposition de la Commission européenne – le Conseil devrait définitivement valider, le 4 septembre prochain, sa position sur le projet de budget pour 2016, qui devrait prévoir des coupes de 564 millions d'euros en engagements et de 1 422 millions d'euros en paiements par rapport à la proposition de la Commission européenne.
Avant d'aborder plus en détail le projet de budget pour 2016, je voudrais évoquer avec vous le contexte dans lequel ce projet intervient.
Il s'agit d'un contexte qui commence, malheureusement, à confirmer l'analyse que je défends depuis les négociations sur le CFP 2014-2020, à savoir que les plafonds de crédits qui ont été fixés par les chefs d'État et de gouvernement sont nettement insuffisants pour permettre à l'Europe de faire face aux défis auxquels elle est confrontée.
En témoignent la multiplication des budgets rectificatifs (sept en 2014) et le bras de fer qui a eu lieu l'an dernier entre le Conseil et le Parlement européen, au sujet du projet de budget rectificatif pour 2014 qui demandait l'ouverture de 4,7 milliards d'euros en paiements et du projet de budget pour 2015.
Les discussions ont ainsi été tellement tendues que – c'est un fait assez rare pour être souligné – la procédure de conciliation s'est conclue, le 17 novembre 2014, sur un échec et que la Commission européenne a dû présenter une nouvelle proposition au début du mois de décembre.
Les deux branches de l'autorité budgétaire sont finalement parvenues à un accord mi-décembre, qui s'est accompagné de plusieurs déclarations, dont l'une relative à la mobilisation des instruments spéciaux et l'autre sur les paiements. J'y reviendrai.
Comme vous le savez, l'accord intervenu sur les montants du CFP 2014-2020 s'est accompagné de la création ou de l'extension de plusieurs dispositifs destinés à permettre une plus grande souplesse de gestion, entre les rubriques et entre les exercices budgétaires, avec comme objectif, une mobilisation effective des crédits supérieure à celle du précédent CFP.
Et – c'est un point favorable – force est de constater que ces novations sont mises en oeuvre. Faut-il s'en désoler, car cela confirme l'insuffisance du CFP, ou bien s'en réjouir, car ils apportent un peu d'air au budget de l'Union européenne ?
Ainsi, la marge pour imprévus, a été mobilisée en 2014, soit dès la première année du CFP, à hauteur de 2,8 milliards d'euros, afin de faire face à des besoins inattendus en paiements.
Par ailleurs, la possibilité de reporter les crédits des instruments spéciaux a connu une première mise en oeuvre dès cette année. Ainsi, 198 millions d'euros de la réserve d'aide d'urgence ont été reportés de 2014 sur 2015, parmi lesquels 105 millions d'euros ont déjà été utilisés au profit du Sud-Soudan (40 millions), de l'Ukraine (15 millions) et de la Syrie (50 millions). De même, 404 millions d'euros ont été reportés de 2014 sur 2015 au titre du Fonds de solidarité de l'Union européenne, parmi lesquels 66 millions ont été déjà mobilisés pour les inondations survenues en Roumanie, en Bulgarie et en Italie.
Le dispositif selon lequel la marge sous le plafond des paiements d'une année peut être reportée automatiquement sur l'exercice suivant a également trouvé à s'appliquer pour la première fois cette année, où 106 millions d'euros ont été reportés de 2014 sur 2015. Cette marge n'a toutefois pas encore été utilisée.
En outre, la « marge globale pour les engagements », qui résulte du dispositif selon lequel les marges restées disponibles sous les plafonds des engagements du cadre financier pour les années 2014 à 2017 peuvent être reportées sur la période 2016-2020, trouve à s'appliquer dès le projet de budget pour 2016, puisqu'il est proposé de mobiliser l'intégralité de cette marge issue de 2014, soit 543 millions d'euros, afin d'assurer le financement d'une partie du fonds de garantie du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) du plan Juncker.
Enfin, il convient de souligner la mise en oeuvre de l'article 19 du règlement fixant le CFP pour 2014-2020, qui prévoit la reprogrammation des crédits d'engagement votés en 2014, mais qui n'ont pu être utilisés ou reportés, à la suite de l'adoption tardive de programmes en gestion partagée. 300 programmes, soit 47 % du total, n'ont en effet pas pu être adoptés en 2014, compte tenu du vote tardif du cadre financier pluriannuel (CFP) et des actes juridiques relatifs aux différents fonds. Par conséquent, 21,1 milliards d'euros d'engagements de 2014 sont reportés, à titre principal, sur 2015 (16,5 milliards) et, à titre secondaire, sur 2016 (4,5 milliards) et 2017 (107 millions).
Je ne peux, bien entendu, que me réjouir de la mise en oeuvre de ces dispositifs qui permettent d'étendre les possibilités d'intervention de l'Union européenne. J'ai toutefois deux réserves. La première est qu'ils pourraient, pour certains, être davantage mobilisés encore. La seconde est que le débat sur la possibilité d'inscrire les paiements correspondants aux instruments de flexibilité au-delà du plafond n'est toujours pas tranché, en particulier s'agissant de l'instrument de flexibilité. En effet, les discussions budgétaires de l'an dernier, qui opposaient la Commission européenne et le Parlement européen, tenants d'un dépassement du plafond, au Conseil, et plus particulièrement aux États contributeurs nets, qui y étaient opposés, ont renvoyé à des discussions ultérieures.
Alors que, dans le projet de budget pour 2016, il est proposé de recourir à l'instrument de flexibilité, à hauteur de 124 millions d'euros en engagements, pour financer les mesures d'accueil des migrants, et à hauteur de 46 millions d'euros au bénéfice de Chypre, il me semble impératif de sortir au plus vite de ce débat, et ce par le haut, c'est-à-dire en appliquant la même règle aux engagements et aux paiements.
Après avoir rappelé ces éléments de contexte, j'en viens au projet de budget pour 2016. Si les négociations de ce projet de budget font toujours apparaître une dichotomie entre les États contributeurs nets et les États dits de la cohésion, elles semblent davantage apaisées que l'an dernier et il est fort probable que le point d'atterrissage des discussions se situe autour de la proposition de la Commission européenne.
Je retiendrai, dans mon analyse, le projet présenté par la Commission européenne le 24 juin 2014 et amendé le 26 juin par la lettre rectificative no 1, afin de tenir compte de l'accord trouvé entre le Conseil et le Parlement européen, le 28 mai 2015, sur les modalités de financement du fonds de garantie du FEIS.
Ce projet de budget pour 2016 s'établit donc, en incluant les instruments spéciaux, à 153,8 milliards en engagements, soit 1,05 % du RNB, et à 143,5 milliards en paiements, soit 0,98 % du RNB. Pour mémoire, les traités autorisent jusqu'à 1,23 % du RNB.
Par rapport à 2015, on a une légère progression des crédits de paiement, de l'ordre de 1,6 % – ce qui correspond grosso modo à une stabilisation en termes réels – et une baisse nette des engagements, de 5 %, qui doit cependant être relativisée eu égard aux reprogrammations de 2014 sur les exercices 2015 à 2017. En effet, si on neutralise la reprogrammation des crédits de 2014, qui se fait à titre principal sur 2015, les engagements progressent de 2,4 %.
Par ailleurs, des marges suffisantes sont préservées sur toutes les rubriques, sauf sur la rubrique 3 « Citoyenneté et sécurité », dont le plafond est dépassé via la mobilisation de l'instrument de flexibilité.
Les priorités affichées par la Commission européenne sont les suivantes : la croissance et l'emploi, avec la mise en place du plan Juncker et une attention particulière accordée au programme « ERASMUS + », dont les moyens augmentent de 30 % ; le financement des mesures prises en matière de politique migratoire ; la mise en place d'aides en faveur des régions, proches des frontières de l'Union et qui constituent des zones de conflits – il s'agit ainsi de faire face aux crises extérieures qui se multiplient en Ukraine, en Syrie, etc. – ; la maîtrise des dépenses et des effectifs des institutions européennes. Ce dernier point relatif à la maîtrise des effectifs fait traditionnellement l'objet de vives discussions entre les institutions.
Si j'approuve les trois premières priorités, je voudrais émettre certaines réserves sur la proposition de la Commission européenne.
Tout d'abord, s'agissant du mode de financement du fonds de garantie du FEIS qui, je vous le rappelle, doit s'élever à 16 milliards d'euros, mais sera doté de 8 milliards d'euros dans un premier temps. Je voudrais dire ici qu'il ne me semble pas sain d'abonder ce fonds à partir du programme Horizon 2020 et du Mécanisme pour l'interconnexion en Europe. Certes, à la suite de l'accord intervenu entre le Conseil et le Parlement européen le 28 mai dernier, il y a moins de redéploiements depuis ces programmes et le financement est davantage assuré par la marge globale pour les paiements et par la marge de la sous-rubrique « Compétitivité ». Mais, sur le fond, ce qu'on nous propose de faire, c'est de déshabiller Pierre pour habiller Paul ! Le budget est appelé en garantie du plan Juncker, ce qui est une manière non dite de faire un emprunt européen.
Deuxième point sur lequel je veux revenir : l'initiative pour l'emploi des jeunes, qui est un dispositif essentiel pour lutter contre le chômage des jeunes. Les engagements ont certes été massivement inscrits en 2014 et en 2015, mais il était bien envisagé de poursuivre ce projet. Or, aucun engagement n'est prévu pour ce projet en 2016, alors qu'il va connaître une montée en puissance, en particulier à la suite de l'adoption de mesures de préfinancement plus favorables.
Je veux par ailleurs souligner que je suis en parfait accord avec le Parlement européen lorsqu'il s'inquiète de la soutenabilité de la rubrique 3 « Citoyenneté et sécurité », à propos de laquelle j'émets depuis longtemps des réserves compte tenu de sa forte hétérogénéité. Cette rubrique recouvre en effet à la fois les Fonds pour la sécurité intérieure et pour l'asile, la migration et l'intégration, Europol, l'ensemble des mesures prises dans le cadre de la politique migratoire, qui augmentent fortement face aux défis actuels, mais aussi le soutien financier destiné à la sécurité des denrées alimentaires et des aliments pour animaux, aux secteurs culturel et audiovisuel ou encore le programme « L'Europe pour les citoyens », dont on sait combien ils peuvent être importants pour rapprocher les Européens de l'Union européenne. Il faudrait donc profiter du réexamen du cadre financier prévu en 2016 pour déterminer s'il ne convient pas de revoir à la hausse le plafond de cette rubrique ; ce que je souhaite pour ma part.
Enfin, je voudrais dire quelques mots sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur : les crédits de paiement et l'évolution du reste à liquider ainsi que des arriérés de paiement. Nous avons récemment rencontré une délégation de parlementaires européens qui nous ont alerté sur ce sujet.
À cet égard, il convient de souligner que l'on se situe, en 2016, dans une année « favorable », dans la mesure où elle correspond à la fin de l'exécution des programmes du précédent CFP et au lancement de ceux du nouveau CFP. Les besoins en paiement sont donc traditionnellement moins importants qu'en tout début et en fin de CFP.
La Commission européenne propose ainsi d'inscrire en 2016 les crédits nécessaires pour résorber l'arriéré de factures impayées issues de la précédente programmation – soit 21,5 milliards d'euros pour la politique de cohésion – et procéder à tous les paiements dus dans l'année.
Par conséquent, alors que les arriérés de paiement relatifs à la politique de cohésion avaient atteint un niveau sans précédent de 24,7 milliards d'euros fin 2014, ils devraient s'établir à 20 milliards fin 2015 et à 2 milliards fin 2016. Sur ce point, il y a une avancée.
En revanche, pour ce qui concerne le reste à liquider global, c'est-à-dire le montant des engagements non couverts par des paiements, celui-ci devrait continuer à progresser, puisque de 189 milliards d'euros fin 2014, il devrait passer à 220 milliards fin 2015 et 230 milliards fin 2016.
Certes, la structure même du budget européen, qui est massivement un budget d'investissement, explique l'existence d'un écart entre les engagements et les paiements. Néanmoins, je veux redire ici que la progression continue du RAL est inquiétante. J'ai d'ailleurs saisi la présidente de notre Commission pour que l'on suive ce sujet précisément avec le Gouvernement.
Si la déclaration commune des trois institutions relative à un échéancier de paiement pour 2015-2016 adoptée au printemps 2015 constitue une avancée qui doit être soulignée, il faut à tout prix éviter que des situations de crise des paiements comme celles que nous avons connues ces deux dernières années se reproduisent. Il en va de la crédibilité de l'Union européenne et des politiques qu'elle mène.
À cet égard, je regrette que la part des paiements destinés à couvrir des programmes anciens de la politique de cohésion demeure encore à 44 % et que seuls 26,8 milliards d'euros soient inscrits pour les nouveaux programmes, alors même que nous sommes en début de cadre financier.
En conclusion, il y a un décalage énorme entre le budget européen, qui demeure très faible, et ce qu'on demande à l'Europe.