Intervention de Jean-Michel Villaumé

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Villaumé, rapporteur pour avis :

Le 28 août prochain, nous fêterons les 25 ans du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Lituanie. Ces relations avaient été interrompues pendant la période de la Guerre Froide et rétablies en 1991, au lendemain de l'indépendance de la Lituanie en 1990. Cet événement sera l'occasion de célébrer la construction d'une amitié forte entre nos deux pays, amitié basée tout à la fois sur une confiance mutuelle et sur un dialogue honnête et régulier.

Le 14 mai 1992, le président de la République François Mitterrand avait été le premier chef d'État à se rendre dans la Lituanie nouvelle indépendante : « J'accorde beaucoup d'intérêt – avait-il dit devant le Parlement lituanien, le Seimas – à la nouvelle relation entre la Lituanie et la France. Je crois qu'il serait très important, dans l'intérêt de mon pays, de disposer d'amitiés solides et de relations fortes avec l'ensemble balte ».

L'Histoire montre qu'il a été exaucé car, depuis 1991, les gouvernements successifs de nos deux pays ont veillé à maintenir un dialogue régulier et de qualité.

C'est toujours le cas aujourd'hui. Ainsi, le ministre des Affaires étrangères, M. Jean-Marc Ayrault, a rencontré son homologue il y a deux mois afin de préparer le prochain Sommet de l'OTAN qui se tiendra à Varsovie, tandis que M. Harlem Désir, secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, s'est rendu à Vilnius les 22 et 23 février 2016.

Je rencontre moi-même régulièrement l'Ambassadeur de Lituanie en France, M. Dalius Cekuolis, avec qui j'entretiens des liens de confiance.

En tant que partenaire historique de la Lituanie, la France n'a jamais reconnu son annexion par l'Union soviétique au début des années 1940. La relation bilatérale franco-lituanienne s'est donc forgée dès la renaissance de la République de Lituanie, et s'est confortée au fur et à mesure de l'approfondissement de l'ancrage du pays dans le bloc occidental, par l'adhésion de la Lituanie à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord le 29 mars 2004, puis à l'Union européenne, le 1er mai qui suivit. Depuis le 1er janvier 2015, la Lituanie a également intégré la zone euro.

Le projet de loi aujourd'hui soumis à l'examen de notre Assemblée vise à conforter cette relation bilatérale entre la France et la Lituanie, en autorisant l'approbation d'un accord de coopération en matière de défense et de sécurité, signé le 12 juillet 2013 à Paris.

Cet accord n'a rien d'inhabituel. Il s'agit d'un accord très classique de coopération en matière de défense, comme la France en a déjà signé avec la Slovaquie en 2009, avec la Serbie en 2011 et, pour ce qui est de la zone balte, avec l'Estonie. Mais son approbation s'inscrit dans un contexte stratégique tendu, à l'approche d'un Sommet de l'OTAN, en juillet, qui sera largement consacré à la question russe. J'y reviendrai.

Le Parlement lituanien s'est prononcé il y a déjà deux ans, le 14 novembre 2013, en faveur de l'approbation de cet accord.

Il devenait donc urgent que le Parlement français examine à son tour le projet de loi autorisant son approbation, conformément à l'article 53 de notre Constitution qui requière son autorisation préalable. Ce fut chose faite au Sénat le 11 février 2016 et il appartient donc à notre assemblée de se prononcer désormais.

La commission des Affaires étrangères, en charge de l'examen au fond, se réunira demain. Quant à la commission de la Défense nationale et des forces armées, elle s'est saisie pour avis compte tenu des aspects militaires du texte et c'est donc ce qui nous réunit aujourd'hui.

Que dire sur cet accord de défense ?

Tout d'abord, qu'il a pour objet de renouveler le cadre juridique de la coopération entre la France et la Lituanie. En effet, depuis mai 1994, cette entraide militaire reposait sur un simple arrangement technique, dont les dispositions sont apparues obsolètes après l'adhésion de la Lituanie à l'OTAN et à l'Union européenne en 2004.

Dire aussi que cet accord, dont je rappelle qu'il a été signé à Paris le 12 juillet 2013, est le fruit de trois années de concertation entre nos deux pays, engagées dès 2011.

Quant à son contenu, je l'ai dit, il est très classique. Cet accord a pour but de développer une coopération dans des domaines traditionnels tels que la formation, l'accueil ou l'échange de stagiaires, l'armement, le soutien logistique ou encore la géographie militaire.

Il est un cadre juridique solide de nature à permettre l'éventuelle montée en puissance de nos actions de coopération. Quand bien même cela n'est pas prévu à moyen terme.

Pour l'heure, la coopération militaire entre nos deux pays demeure modeste et se traduit principalement, dans le cadre bilatéral, par des actions en matière de formation, de dialogue politico-militaire, de partage d'expériences et d'échange d'informations.

Dans le domaine de la formation, on peut citer les échanges d'élèves officiers qui sont organisés entre l'académie militaire de Vilnius et l'école militaire de Saint-Cyr, mais aussi le fait que les personnels de l'armée de l'air lituanienne viennent suivre des formations en France, au centre d'analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes (CASPOA) et au centre d'instruction du contrôle et de la défense aérienne (CICDA).

Mais surtout, la direction de la coopération de sécurité et de défense (la DCSD), direction du ministère des Affaires étrangères, concentre son action sur l'enseignement du français en milieu militaire, afin de disposer d'un vivier d'officiers francophones aptes à s'intégrer dans une opération de maintien de la paix en Afrique francophone, le cas échéant.

Quant à la coopération en matière d'équipement militaire, si les relations pourraient être approfondies, il faut tout de même souligner que trois hélicoptères Dauphin d'occasion ont été livrés à la Lituanie en 2015.

Pour le reste, les actions de coopération bilatérale consistent surtout en un dialogue régulier et approfondi entre les états-majors et entre les responsables politiques respectifs de nos deux pays. Ce à quoi s'ajoute un dialogue stratégique étendu à tout l'ensemble balte dans le cadre du séminaire franco-balte qui a lieu tous les ans à l'automne et qui se déroulera cette année à Vilnius, justement.

Le plus gros de la coopération concerne donc plutôt, à ce jour, les missions menées dans le cadre de l'OTAN, de l'Union européenne ou de l'ONU.

Ainsi, de son côté, la France participe aux missions OTAN de guerre des mines en Baltique - Open Spirit et Baltops - et de police du ciel balte.

Quant à la Lituanie, elle s'emploie à augmenter sa participation aux opérations militaires européennes et internationales, pour ne plus apparaître seulement comme « consommateur » mais de plus en plus aussi comme « fournisseur » de sécurité.

En 2016, 130 de ses militaires seront engagés sur cinq théâtres d'opération :

– 40 militaires au sein de la MINUSMA, au Mali ;

– 50 militaires au sein de la mission Resolute Support en Afghanistan ;

– cinq militaires au sein de la Force pour le Kosovo (KFOR) ;

– 30 militaires seront affectés à l'opération Atalante ;

– enfin, cinq de ses soldats seront projetés au sein de Sophia.

Par ailleurs, les forces lituaniennes ont apporté un soutien à l'opération française Sangaris, en République Centrafricaine, principalement par la mise en place d'un appareil de transport tactique C-27 Spartan en Afrique, sans caveats.

Si, comme je l'ai dit, il n'est pas prévu pour le moment de réelle montée en puissance des actions de coopération menées dans le cadre bilatéral, il faut en revanche constater que l'évolution du contexte géostratégique, depuis 2013, plonge les États baltes dans un état d'anxiété tel qu'il a poussé l'OTAN à prendre des mesures de réassurance et la Lituanie à renforcer ses moyens militaires.

En effet, la crise russo-ukrainienne a renforcé la perception par les pays d'Europe de l'Est, en particulier par les pays baltes, d'une recrudescence d'une menace russe.

La Lituanie se sent particulièrement vulnérable, du fait de sa situation géographique entre la Biélorussie, Kaliningrad et la mer.

D'abord, la proximité du pays avec l'enclave russe de Kaliningrad maintient une pression permanente sur les autorités lituaniennes, alors même que des interrogations demeurent quant à la présence de missiles balistiques Iskander à capacité nucléaire sur ce territoire frontalier.

De plus, une récente analyse produite par la Rand Corporation a souligné la fragilité des trois pays baltes en cas d'offensive russe. Si les forces russes déclenchaient une opération via la trouée de Suwałki, au nord de la Pologne, elles couperaient toute continuité territoriale entre les pays baltes et leurs alliés, et les trois capitales baltes pourraient ainsi tomber en moins de 60 heures.

Enfin, nos alliés baltes font l'objet de provocations régulières de la part de la Russie. Ainsi, par exemple, en 2014, plus de 100 avions militaires russes ont été interceptés alors qu'ils survolaient l'espace aérien balte.

Pour toutes ces raisons, dans la foulée du Sommet de l'OTAN de Newport, en septembre 2014, les membres de l'Alliance ont pris des mesures de réassurance, auxquelles la France a participé activement malgré le haut niveau d'engagement de ses hommes et de ses femmes sur le terrain

En 2015, la France a maintenu sa participation à ces mesures de réassurance à l'Est de l'Europe, malgré l'effort croissant demandé à ses armées, du fait de Sentinelle notamment. Nous avons ainsi participé à des entraînements communs, et déployé en Pologne un sous-groupement tactique interarmes blindé (SGTIA), regroupant quinze chars Leclerc, quatre véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) et une section de génie de combat. Des vols d'avion E3F (AWACS) ont par ailleurs été effectués. Au total, 3 800 hommes ont été engagés.

Ces actions se poursuivent en 2016, et la France assurera notamment, pour la sixième fois, la mission de police du ciel balte en septembre prochain.

Il est d'ailleurs probable que les alliés décident, à l'occasion du prochain Sommet de l'OTAN qui aura lieu les 8 et 9 juillet 2016 à Varsovie, de prendre des mesures supplémentaires pour aller encore plus loin dans la réassurance.

Quant à la Lituanie, je le disais, elle aussi a réagi par un renforcement de ses moyens militaires, d'abord en votant tout récemment le rétablissement du service militaire pour cinq ans, avec un débat toujours en cours sur l'opportunité de sa pérennisation ; ensuite, en prenant la décision de doubler son budget militaire d'ici à 2019, afin d'atteindre la norme de 2 % du PIB fixée par l'OTAN.

Dans ce contexte anxiogène pour elle, l'approbation de cet accord de défense à la veille du sommet 2016 de l'OTAN sera perçue par la Lituanie comme un signe fort de soutien de la part de la France.

Rappelons-le, lorsque le président de la République, François Hollande, après les attentats de novembre, a appelé les États membres de l'Union européenne à apporter aide et assistance militaire à la France au titre de l'article 42 alinéa 7 du traité sur l'Union européenne, les autorités lituaniennes ont répondu présentes très rapidement, en décidant dès décembre 2015 d'envoyer 40 de leurs militaires en soutien à l'armée française au Mali. Ce fut un signe fort et nous les en remercions chaleureusement.

Il est précieux pour la France de pouvoir compter sur un allié comme la Lituanie, résolument tournée vers l'Ouest et désireuse de relations plus approfondies.

De la même manière, la Lituanie compte sur notre soutien.

C'est pourquoi, vous l'aurez compris, je suis pleinement favorable à l'approbation de cet accord de défense, lequel permettra de surcroît, en cohérence avec les actions déjà menées et les engagements pris, d'approfondir davantage notre coopération dans les domaines de la défense et de la sécurité, dans un cadre juridique adapté.

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