Intervention de Philippe Vitel

Réunion du 14 juin 2016 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vitel, rapporteur pour avis :

Madame la Présidente, mes chers collègues, je suis heureux de vous présenter et de vous demander d'autoriser l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Nouvelle-Zélande concernant le statut des forces en visite et la coopération en matière de défense.

Alors que nos deux pays coopèrent efficacement depuis la signature de l'accord FRANZ en 1992 à Wellington, il aura fallu près d'un quart de siècle pour que soient officiellement formalisées nos relations en matière de défense. Il est d'ailleurs étonnant que nos deux nations aient attendu si longtemps, alors que cette coopération avait atteint de longue date un haut degré de sophistication.

En lui offrant un cadre juridique complet, cet accord permettra de favoriser cette coopération et de sceller encore plus fortement les liens qui unissent notre pays à une grande nation du Pacifique.

Ces liens anciens et forts ont été forgés sur les champs de bataille de la Première Guerre mondiale. Je rappelle que sur le million d'habitants que comptait le « pays du long nuage blanc », quelque 120 000 Néo-Zélandais, hommes et femmes, s'enrôlèrent, dont 103 000 servirent à l'étranger. Rendons-nous compte : 10 % de la société néo-zélandaise avaient choisi de s'engager dans un conflit qui, majoritairement, se déroulait à près de 20 000 kilomètres de leurs foyers. Parmi ces 120 000 engagés, 18 500 moururent au combat – notamment sur le Front de l'Ouest –, ou des suites de la guerre, et près de 50 000 furent blessés. De cet épisode tragique est née entre nos deux nations une fraternité d'armes profonde et durable, qui s'exprime encore aujourd'hui.

Je rappelle que la France est le troisième partenaire militaire de la Nouvelle-Zélande, après l'Australie et les États-Unis, et que notre pays est le seul État européen disposant d'une présence militaire permanente au voisinage de la Nouvelle-Zélande.

Le présent accord constitue l'aboutissement de démarches bilatérales entamées il y a près de 15 ans, en 2001, à l'initiative de la France. Nos deux pays l'ont conclu en mai 2014 à l'occasion de la 13e session de la Conférence annuelle sur la sécurité régionale de la zone Asie-Pacifique.

La Nouvelle-Zélande a notifié à la France la ratification de l'accord le 23 octobre 2014. Il appartient dorénavant à la partie française d'achever sa propre procédure de ratification. Le Sénat a déjà autorisé son approbation en février dernier. Il revient à l'Assemblée nationale de conclure le processus en l'autorisant à son tour, ce qui permettra l'entrée en vigueur de l'accord avant la fin de l'année.

Quel est l'état de notre relation de défense ? En deux mots, celle-ci est excellente et exemplaire et repose sur trois piliers principaux.

Sur le plan stratégique, notre relation bilatérale s'exprime, depuis 1999, par l'existence d'un dialogue politico-militaire réunissant des représentants des ministères des Affaires étrangères et de la Défense de nos deux pays, dans le format dit « 2+2 ». Depuis 2014, une réunion d'état-major vient compléter ces échanges.

Dans le domaine de la coopération opérationnelle, nos deux pays sont liés par des accords, et nos deux armées participent à des exercices conjoints, dont certains sont même devenus une référence au point d'attirer de nombreux autres partenaires.

L'accord principal en la matière est l'accord FRANZ, conclu entre la France, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Il permet de coordonner et de mobiliser les moyens, tant civils que militaires, engagés par les États signataires pour porter assistance aux États insulaires du Pacifique victimes de catastrophes naturelles. Cet accord a encore été mis en oeuvre en janvier 2014 au profit des Îles Tonga, touchées par le cyclone Ian, et en mars 2015 au profit du Vanuatu, touché par le cyclone Pam. Permettez-moi d'ajouter qu'à mon sens, l'accord FRANZ sera de plus en plus souvent actionné compte tenu des conséquences du réchauffement du réchauffement climatique.

La coopération opérationnelle s'exprime également via le dispositif QUAD, qui regroupe les forces armées de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, des États-Unis et de la France. Des rencontres régulières sont organisées dans ce cadre, au cours desquelles sont notamment traitées la coordination des missions de sécurité dans le Pacifique et l'organisation de la protection des zones économiques exclusives. Je rappelle que 62 % des 11 millions de km² de la ZEE française – la deuxième du monde – se situent dans le Pacifique.

Enfin, cette coopération prend corps avec les exercices miroirs Croix du Sud et Southern Katipo, pour ne citer que les principaux, et dont la vocation principale est l'entraînement des forces à l'assistance humanitaire et au secours aux populations.

Organisé par les FANC avec des renforts des forces armées de Polynésie française, Croix du Sud était initialement un exercice d'entraînement des forces françaises. Il s'agit dorénavant d'un exercice multinational interarmées biennal mis en oeuvre les années paires. Lors de l'édition 2014, la France avait engagé 690 militaires. La Nouvelle-Zélande, principale contributrice étrangère, avait quant à elle déployé une compagnie, un hélicoptère et le HMNZS Canterbury. Huit autres nations y ont également pris part, l'exercice ayant rassemblé au total 1 300 militaires, sept bâtiments, neuf aéronefs ainsi que d'importants moyens logistiques.

Organisé les années impaires en alternance avec Croix du Sud, Southern Katipo est un exercice multinational amphibie initié par la Nouvelle-Zélande. Les forces françaises ont participé à sa seconde édition qui s'est tenue en 2015. Au total, 2 500 hommes issus de huit États du Pacifique y ont participé.

Enfin, le dernier volet de la coopération concerne le domaine de l'armement. Il est vrai que ce volet encore modeste reste à développer. Cela pourrait être le cas dans un avenir proche avec le renouvellement capacitaire des forces néo-zélandaises prévu par le Defence White Paper – équivalent du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale – publié le 8 juin dernier. À cette occasion, le ministre néo-zélandais de la Défense, M. Gerry Brownlee, a fait état d'un plan de modernisation d'un montant d'environ 20 milliards de dollars néo-zélandais – soit 12,5 milliards d'euros environ – sur les 15 années à venir. La Nouvelle-Zélande entend ainsi notamment :

– moderniser sa marine, avec en particulier le remplacement de ses frégates ANZAC ;

– renouveler ses capacités de transport tactique, stratégique et de surveillance maritime ;

– renforcer les capacités de son parc de blindés légers ;

– renforcer sa capacité « forces spéciales » ;

– et développer son soutien cyber, ses capacités de renseignement et ses moyens de communication.

La France et son industrie étant en mesure de proposer un vaste éventail de produits et de solutions techniques dans ces différents domaines, la coopération entre la France et la Nouvelle-Zélande pourrait s'approfondir à la faveur de ce renouvellement.

En outre, la France partage largement l'analyse stratégique néo-zélandaise exprimée dans le Defence White Paper, à savoir :

– une présence croissante d'acteurs aux capacités de plus en plus sophistiquées, dans le Pacifique Sud et dans l'océan Austral ;

– la probabilité croissante d'attaque terroriste, bien que le risque soit toujours considéré comme faible en Nouvelle-Zélande ;

– une évolution plus rapide et une prolifération plus importante de la menace cyber ;

– l'aggravation des tensions dans la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale ;

– l'augmentation des dépenses militaires en Asie du Sud-Est ;

– l'intensification des troubles au Moyen-Orient et en Afrique du Nord suite aux Printemps arabes de 2010, ainsi que la dégradation des relations entre la Russie et l'Ouest. Je rappelle que la Nouvelle-Zélande participe à la coalition de lutte contre Daech en Irak ;

– enfin, les conséquences du réchauffement climatique dans la zone Pacifique, principalement pour les États et populations insulaires.

En quoi l'accord dont il est demandé l'approbation est-il nécessaire ?

Actuellement, les forces françaises présentes en Nouvelle-Zélande sont soumises au Visiting Forces Act (VFA) de 2004, qui n'offre qu'un cadre juridique partiel. Certes, ce texte règle un certain nombre de questions. Mais il ne répond pas à l'ensemble des exigences en la matière.

Par ailleurs, le VFA ne prévoit aucun statut pour les forces néo-zélandaises présentes en France dans le cadre d'activités de coopération. En l'absence d'accord réciproque sur le statut des forces en visite ou SOFA, selon l'acronyme anglais en vigueur, celles-ci restent donc soumises au droit commun.

L'accord comporte 19 articles qui pour l'essentiel, sont des stipulations classiques pour un texte de cette nature. Pour ce qui concerne le SOFA au sens strict, ils posent par exemple les principes et règles :

– pour les conditions d'entrée, de sortie et de séjour des membres de la force en visite ;

– en matière pénale et disciplinaire ;

– dans le domaine des « facilités opérationnelles » reconnues aux forces en visite : modalités de transport, port et possession d'armes, régime douanier applicable aux importations et exportations de matériels, etc.

Naturellement, l'accord dresse également la liste des coopérations susceptibles d'être menées, par exemple, dans les domaines de l'organisation d'entraînements, de la conduite du soutien, ou de l'échange d'information ou de renseignement. Cette liste n'est pas limitative : l'accord laisse la porte ouverte à des coopérations futures, en stipulant que les parties pourront, d'un commun accord, mener « toute autre activité de coopération relative à la défense ».

Deux points particuliers méritent quelques mots. Le premier a trait à l'absence de clause d'assistance. Ainsi, par principe, les personnels de la force en visite ne sauraient être associés à certaines opérations :

– la préparation ou l'exécution d'opérations de guerre ou assimilées ;

– ou des actions de maintien ou de rétablissement de l'ordre public, de la sécurité publique ou de la souveraineté nationale.

Une telle stipulation permet d'éviter que des forces françaises puissent être engagées dans des opérations de guerre ou de police au sens large conduites par la Nouvelle-Zélande, sans que la France y ait officiellement consenti (et symétriquement concernant les forces néo-zélandaises présentes en France).

Second point d'attention : la présence d'une clause relative à l'aide d'urgence. Il s'agit du soutien apporté par l'une des parties envers l'autre partie à l'accord, ou par les deux parties à un État tiers, lorsque les circonstances nécessitent rapidement un tel soutien – en cas de catastrophe naturelle par exemple.

Si elle ne modifie pas l'état déjà remarquable de la coopération entre nos deux pays dans ce domaine, une telle clause aura la vertu de permettre une application plus efficace et plus rapide de l'accord FRANZ. Ainsi que me l'a confirmé l'attaché de défense néo-zélandais, en l'absence d'une telle « clause-ombrelle » à caractère permanent, une renégociation annuelle était nécessaire pour la mise en oeuvre de l'accord FRANZ. Elle se traduisait donc par une déperdition de temps et d'énergie en formalités administratives, alors que les deux parties sont naturellement habituées à travailler ensemble depuis maintenant près de 25 ans.

Sans mauvais jeu de mots, le SOFA permettra donc de conférer une assise plus ferme à l'accord FRANZ (Sourires) et de le rendre encore plus opérationnel, en facilitant sa mise en oeuvre par le règlement, de manière permanente, de toutes les formalités nécessaires.

Pour l'ensemble de ces raisons, au nom, d'une part, de l'excellence des relations qui nous unissent à la Nouvelle-Zélande et dont j'appelle de mes voeux la poursuite – j'y suis très sensible en ma qualité de président du groupe d'amitié France-Nouvelle-Zélande depuis 14 ans – et, d'autre part, des avancées permises par cet accord, je vous demande d'en autoriser l'approbation.

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