La mission que nous avons effectuée à New Delhi du 30 août au 2 septembre 2015 avec mes collègues Jérôme Lambert et Arnaud Leroy s'inscrit dans le cadre des travaux que nous menons au sein de la commission des Affaires européennes, afin de contribuer à la préparation de la 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015, dite « COP 21 », qui se tiendra à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015 et a pour objectif de parvenir, pour la première fois, à un accord universel et contraignant permettant de lutter efficacement contre le dérèglement climatique et de favoriser la transition vers des sociétés et des économies résilientes et sobres en carbone.
Après notre déplacement aux États-Unis en février dernier, d'où il était ressorti que le sujet du développement allait constituer un thème décisif pour la réussite de la COP 21 – ce qui a été confirmé lors de la conférence d'Addis Abeba qui s'est tenue en juillet 2015 –, nous avons décidé de nous rendre en Inde, qui entend se positionner comme un des acteurs majeurs de la négociation et, plus précisément, comme le porte-parole des pays en développement.
Il ressort tout d'abord de notre mission que si les priorités de l'Inde sont le développement économique et la lutte contre la pauvreté, elle est consciente de la nécessité de lutter contre le dérèglement climatique.
L'ensemble des interlocuteurs rencontrés par la mission sont unanimes. La priorité de l'Inde, dont 70 % de la population vit avec moins de 2 dollars par jour, est le développement économique et l'éradication de la pauvreté. Il s'agit des objectifs sur lesquels le Premier ministre Narendra Modi a été élu en 2014. Issu du parti nationaliste hindou qui est pour la première fois à la tête d'un gouvernement indien, il entend ainsi marquer l'histoire de l'Inde.
L'atteinte de ces objectifs suppose de garantir les conditions d'une croissance soutenue (supérieure à 9 %), afin notamment de créer, chaque mois, un million d'emplois pour absorber le flux de jeunes arrivant sur le marché du travail. Le Premier ministre souhaite ainsi faire de l'Inde un centre industriel mondial majeur en attirant les investissements étrangers – son programme « make in India » a pour objectif de doubler la part de l'industrie dans le PIB du pays en quelques années –, et donner accès à l'électricité aux 400 millions d'Indiens, soit le tiers de la population, qui en sont dépourvus, les 23 restants ayant par ailleurs un accès intermittent à l'électricité.
Afin d'assurer sa sécurité énergétique, l'Inde entend recourir aux sources d'énergie traditionnelles comme le charbon ou le nucléaire, mais elle souhaite également développer les technologies liées au charbon propre ainsi que les énergies renouvelables, comme l'a souligné M. Ashok Lavasa, Secrétaire général du ministère de l'environnement, des forêts et du changement climatique.
Il est important que l'Inde puisse diversifier son mix énergétique. L'utilisation de la biomasse ne doit, en particulier, pas être négligée, pour la production d'énergie décentralisée, dans les foyers ruraux en particulier, où le recours au charbon ou au fioul domestique génère une pollution importante.
Alors que l'Inde est menacée à de nombreux égards par le réchauffement climatique et la dégradation de l'environnement , la prise de conscience de ce danger est encore inégale au sein de la population indienne. Ainsi, si le droit de vivre dans un environnement de qualité fait l'objet d'une prise de conscience de la part des classes supérieures et moyennes, ce n'est pas encore le cas du reste de la population, ainsi que l'a souligné Mme Karunda Nundy, avocate à la Cour suprême de l'Inde et au barreau de New York.
Cependant, le gouvernement dirigé par M. Narendra Modi a pris des engagements ambitieux et des mesures fortes dans le domaine de la lutte contre le changement climatique et la dégradation de l'environnement. Au plan national, il a ainsi fixé l'objectif de 175 GW d'énergies renouvelables d'ici à 2022 – dont 100 GW d'énergie solaire (contre 3 GW actuellement) –, renforcé le plan national d'action contre le changement climatique qui avait été adopté en 2008, augmenté la « coal cess » (taxe) de 100 à 200 roupies par tonne de charbon produite et réduit les subventions aux énergies fossiles, engagé le nettoyage des fleuves avec notamment l'objectif « Gange propre » et il soutient le développement des « villes intelligentes ». Mais il y a encore beaucoup à faire.
Au-delà des projets lancés par le gouvernement, dont l'action est par ailleurs fortement contestée par plusieurs organisations non gouvernementales rencontrées par la mission d'information comme Ekta Parishad, qui défend les 750 millions (soit 60 % de la population rurale) de paysans sans terre et oeuvre en faveur d'une meilleure prise en charge des dégâts liés au changement climatique, ou Greenpeace India, selon laquelle le gouvernement indien s'attache à soutenir le développement industriel au détriment de la protection de l'environnement, il convient de souligner le rôle original joué en matière de protection de l'environnement par le Tribunal national vert, dont la France pourrait utilement s'inspirer.
Nous avons ainsi rencontré M. Swatanter Kumar, qui est le président de ce tribunal composé de 20 membres (10 juges et 10 experts environnementaux), et échangé avec les représentants de ses quatre antennes régionales. Créée en 2010 sur le fondement l'article 21 de la Constitution indienne, qui consacre le droit des citoyens à un environnement sain, cette institution judiciaire spécialisée est compétente en matière d'environnement, de sauvegarde des forêts et ressources naturelles ainsi que pour les dégâts causés à des personnes ou à des biens. À la différence d'autres tribunaux verts dans le monde (Australie, Nouvelle-Zélande), le Tribunal vert indien possède un pouvoir de sanction (fermeture d'usine, amende, indemnisation des victimes, etc.), ce qui affermit son rôle.
Son bilan, après trois années de fonctionnement et environ 200 affaires jugées, doit être salué. Le Tribunal mène, de fait, une action essentielle pour la protection de l'environnement, n'hésitant pas à sanctionner les entreprises et le gouvernement. Il a ainsi, par exemple, interdit l'extraction de sable des fonds fluviaux et océaniques, prohibé à Delhi la circulation des véhicules de plus de 10 ans utilisant du diesel – peut-être que l'Europe pourrait s'en inspirer – et suspendu l'installation par le groupe sud-coréen Posco d'une aciérie dans l'État de l'Orissa pour protéger les communautés locales et les forêts.
Enfin, il convient de souligner l'importance des initiatives locales en matière de lutte contre le changement climatique et de préservation de l'environnement. Nous avons ainsi visité le site de gestion et de recyclage des déchets de Bhopura qui, géré par l'ONG Chintan, procure à une soixantaine de femmes, qui ramassaient auparavant les déchets dans la rue, un salaire mensuel fixe et des conditions de travail décentes tout en assurant le recyclage des déchets des grands hôtels de Delhi.
Comme l'a mis en évidence Mme Bharati Chaturvedi, fondatrice de l'ONG Chintan, pour être efficaces, la lutte contre le changement climatique et la protection de l'environnement doivent partir d'initiatives locales, issues d'une bonne connaissance du terrain. Il existe ainsi des pratiques indigènes en matière d'adaptation qui pourraient être utilement soutenues par le gouvernement, ainsi que l'ont souligné les représentants de l'ONG Ekta Parishad.
Avant d'évoquer la stratégie de négociation de l'Inde dans la perspective de la COP 21, je voudrais souligner qu'il existe une responsabilité sociale des entreprises en Inde.
L'objectif de l'Inde pour la COP 21 est double : d'une part, préserver un espace carbone suffisant pour ne pas contraindre son développement économique et, d'autre part, obtenir des gains concrets, en termes de financements et de transferts de technologies, au service de ses objectifs économiques. Elle entend jouer le rôle de porte-parole des pays en développement, ce qui, on l'a vu à Addis-Abeba, ne sera pas si évident que cela.
Si son élaboration a été l'occasion d'une vaste consultation, impliquant notamment les États fédérés, les institutions académiques, la société civile, la communauté scientifique et les milieux d'affaires, l'Inde n'a pas encore présenté sa contribution nationale.
Toutefois, plusieurs lignes directrices relatives à la position indienne ressortent des entretiens menés à Delhi.
Tout d'abord, l'Inde, rejetant certaines attitudes occidentales jugées paternalistes – l'image de l'Union européenne est à cet égard négative –, entend se présenter comme un leader dans le domaine du climat, notamment en tant que porte-parole des pays en développement.
L'Inde a, par conséquent, pour objectif d'obtenir des concessions de la part des pays développés qui doivent, au moins symboliquement, « payer ». Plusieurs interlocuteurs, en particulier parmi les parlementaires membres de la Commission sur la science, la technologie, l'environnement et les forêts, ont ainsi insisté sur la responsabilité des pays développés dans la dégradation du climat et sur la nécessité, pour ces derniers, de prendre leurs responsabilités. À cet égard, il convient de souligner que tant le Secrétaire général du ministère chargé de l'environnement que les membres de l'institut de recherche TERI ont déploré le manque d'ambition des contributions des pays développés, en particulier des États-Unis. M. Prodipto Ghosh, membre de l'institut de recherche TERI, a en outre insisté sur la nécessité de renforcer la confiance entre les pays développés et ceux en développement, qui n'était pas assurée à ce stade.
L'Inde entend également prendre la tête des pays en développement en opposition à la Chine, dont la contribution nationale est jugée par M. Ajai Malhotra, ancien membre de l'équipe de négociation climat et membre de l'institut de recherche TERI, comme nettement insuffisante.
Le premier sujet d'attention pour l'Inde, qui ressort de la totalité des entretiens menés, est relatif aux questions de financement et de transferts de technologies. Le gouvernement indien a besoin de montrer à son opinion publique, mais également aux autres pays en développement, qu'il revient de Paris en ayant obtenu des éléments substantiels de la part des pays développés. C'est un facteur déterminant pour le développement économique de l'Inde qui souffre, ainsi que l'a relevé M. Arunabha Ghosh, fondateur du think tank CEEW, de difficultés d'accès aux technologies, alors que l'industrie indienne souhaite pouvoir déployer des technologies liées à l'efficacité énergétique.
S'agissant du Fonds vert pour le climat, il ressort des entretiens que l'Inde est favorable à l'idée d'un Fonds doté de moyens lui permettant d'acquérir des technologies pour les mettre à la disposition de tous. Les représentants des think tank rencontrés privilégient un accès direct des pays aux financements du Fonds plutôt qu'une approche par projet. Les représentants de l'institut de recherche TERI soulignent le rôle que pourrait jouer le Fonds vert en matière d'acquisition de technologies dans les secteurs des énergies renouvelables (solaire, éolien) et de l'eau. Les parlementaires insistent, pour leur part, sur le fait que les 100 milliards de dollars prévus pour le Fonds vert ne peuvent constituer qu'une amorce.
Par ailleurs, ainsi que l'ont mis en évidence M. Ashok Lavasa, Secrétaire général du ministère chargé de l'environnement, et M. J.M. Mauskar, membre du Conseil du Premier ministre sur le changement climatique, pour l'Inde, la question de l'adaptation des sociétés aux dérèglements climatiques déjà existants doit faire l'objet d'une attention au moins égale à la problématique de l'atténuation, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, il convient de noter que, compte tenu notamment de son organisation institutionnelle et juridique, l'Inde ne souhaite pas prendre d'engagements qu'elle ne pourrait tenir.
J'en viens maintenant au rôle joué par la présidence française et à son appréciation par l'Inde.
Le rôle joué par la France dans la conduite des négociations, qui vise à assurer une présidence impartiale, est très apprécié par les négociateurs indiens. La France a ainsi su instaurer un climat de confiance lors des réunions informelles, ce qui est une condition essentielle pour le succès de la conférence.
Insistant sur la nécessité, pour les sujets les plus importants, d'être rapidement négociés à un niveau politique, l'ancien ministre de l'environnement et des forêts M. Jairam Ramesh a estimé qu'un accord acceptable par les États était à portée de main, mais qu'il serait probablement en-deçà des attentes de la société civile. Il a rappelé à cet égard l'importance de ne pas susciter d'espoirs démesurés, mais, au contraire, d'afficher une ambition modeste pour pouvoir, le cas échéant, la dépasser. Il a estimé que l'accord de Paris devrait s'accompagner de partenariats bilatéraux ou multilatéraux, par exemple en matière de technologies.
Les représentants de la principale fédération professionnelle FICCI (Federation of India Chambers of Commerce and Industry) ont, pour leur part, insisté sur le fait que l'accord de Paris devait envoyer un signal fort au secteur privé.
Avant de conclure, je voudrais souligner que, quelques jours avant notre déplacement, Greenpeace India s'est vu retirer, par le gouvernement indien, l'agrément pour recevoir des fonds étrangers. Derrières Greenpeace, les petites ONG ont peur. Or, un État ne peut aujourd'hui nier l'existence des ONG.
Au total, l'ensemble des entretiens que nous avons a menés en Inde nous ont conforté dans l'idée que la conférence de Paris devait être considérée comme l'étape de lancement d'un processus de long terme et que l'Inde était un des États incontournables de la négociation. Ils nous semblent ouverts mais ne sont pas volontaires pour u accord contraignant.