C'est la seconde fois que je viens vous parler d'agriculture biologique. La première fois, c'était le 24 mars dernier pour l'examen d'une proposition de résolution européenne relative à la proposition de règlement modifiant les règles européennes de la production biologique. Vous l'avez adoptée à l'unanimité ainsi que la commission des affaires économiques. Je suis heureux de vous apprendre que l'orientation générale adoptée le 16 juin dernier par le Conseil sur cette proposition de règlement est largement conforme à notre résolution. C'est maintenant au Parlement européen de l'examiner, ce qu'il fera a priori dès cet automne pour une entrée en vigueur au 1er juillet 2017.
En ce qui me concerne, j'ai souhaité prolonger mon travail au-delà de cette proposition de règlement et analyser de manière approfondie la production biologique dans l'Union européenne. Celle-ci présente en effet des enjeux considérables qui ne sont pas seulement économiques. Certes c'est un marché de plus 23 milliards d'euros - dont 5 milliards d'euros pour la France - mais l'agriculture biologique doit avant tout être comprise, à mon sens, en termes de protection de l'environnement et de santé publique.
Ce sont ces enjeux qu'analyse le rapport que je vous présente aujourd'hui. Il montre d'une manière générale que l'ensemble des États-membres et la Commission européenne partagent une même ambition : celle d'augmenter la production biologique européenne. Toutefois, cette ambition commune est compliquée par le fait que les États-membres ont chacun une vision différente de la production biologique et ses enjeux.
Ces enjeux sont au nombre de cinq que j'examinerai successivement, renvoyant, pour plus de détail, aux développement contenus dans le rapport.
Le premier enjeu, majeur selon moi, est l'équilibre entre la confiance du consommateur et les contraintes pesant sur le producteur. Jusqu'ici nous avions un outil qui fonctionnait bien : l'obligation de contrôle physique annuel des exploitations bio. Cependant, la Commission, soutenue par les États-membres dans lesquels les contrôles sont publics, veut la remettre en cause au profit d'un contrôle basé sur l'analyse des risques. Les autres États, dans lesquels les contrôles sont à la charge des producteurs, refusent cette suppression. Un compromis a été trouvé : le principe du contrôle annuel est maintenu mais les États-membres pourront, sur dérogation, ne contrôler les exploitations les plus sûres que tous les 30 mois. A titre personnel je ne partage pas du tout ce compromis qui est le seul point sur lequel je suis en désaccord avec l'orientation générale. En effet l'argument du contrôle annuel obligatoire est très fort, simple à comprendre pour le consommateur, sécurisant pour le producteur et pour un coût limité : 400 € par an en moyenne en France.
Le deuxième enjeu est la coexistence de l'agriculture biologique avec l'agriculture conventionnelle. Le bio c'est 5,4 % de la surface agricole européenne. Les cultures biologiques sont donc entourées de cultures conventionnelles, si bien qu'elles sont parfois contaminées accidentellement par des produits chimiques utilisés sur ces dernières. La Commission européenne, soutenue par plusieurs États membres, notamment consommateurs, voulait interdire toute présence de produits chimiques dans les produits biologiques, afin de renforcer la confiance du consommateur.
Une majorité d'États-membres, notamment les plus grands producteurs dont la France, ont heureusement refusé cette proposition car elle faisait peser un risque majeur pour la pérennité de l'agriculture bio. Le producteur bio a en effet aujourd'hui l'obligation de ne pas utiliser de produits chimiques, mais c'est une obligation de moyen, pas de résultat. Quel producteur se lancerait dans le bio si, bien qu'il ait respecté les règles, il risquait de voir sa production déclassée en raison de la présence infime de pesticides venus du champ voisin ? J'ajoute que l'on parle d'un seuil de déclassement de 10 PPB, soit dix particules par milliard. Pour ma part je pense que la bonne solution, c'est la réduction de l'usage des produits chimiques dans l'agriculture conventionnelle qui, logiquement, diminuera les risques de contamination accidentelle des cultures biologiques. A cette fin, l'agriculture conventionnelle pourrait s'inspirer des méthodes de l'agriculture biologique. Loin de s'opposer, ces deux agricultures pourraient se retrouver, par exemple dans le concept de l'agro-écologie développé par le ministre de l'Agriculture, M. Stéphane le Foll.
Le troisième, enjeu de la production biologique en Europe est la recherche. Celle-ci est fondamentale en agriculture biologique car il faut des alternatives aux produits chimiques utilisés dans l'agriculture conventionnelle mais aussi créer des semences biologiques ou inventer d'autres méthodes que la castration des porcelets pour conserver les qualités gustatives de la viande de porc, pour ne citer que quelques exemples. C'est fondamental mais aussi urgent car la proposition de règlement supprime à terme de nombreuses dérogations, notamment celle permettant d'utiliser des semences non biologiques. Or la recherche est soumise à de fortes contraintes économiques – en raison de faibles débouchés – et règlementaires – qui découlent d'une procédure d'homologation rigide des produits autorisés en bio. Délaissée par les entreprises, la recherche en agriculture biologique repose essentiellement sur des instituts de recherche publics dont l'action est largement coordonnée par des programmes-cadres européens. L'effort de recherche est toutefois très inégal selon les États-membres et, d'une manière générale, insuffisant pour faire face aux nombreux enjeux de l'agriculture biologique.
Or cet effort est crucial car ce n'est qu'avec la recherche que nous pourrons augmenter la production biologique sans dénaturer l'agriculture biologique, ce qui est le quatrième enjeu L'agriculture biologique se définit en effet comme « un système de production qui maintient et améliore la santé des sols, des écosystèmes et des personnes. Elle s'appuie sur des processus écologiques, la biodiversité et des cycles adaptés aux conditions locales, plutôt que sur l'utilisation d'intrants ayant des effets adverses. L'agriculture biologique allie tradition, innovation et science au bénéfice de l'environnement et promeut des relations justes et une bonne qualité de vie pour tous ceux qui y sont impliqués »
L'émergence de l'agriculture biologique peut donc se comprendre comme une réaction à l'industrialisation de l'agriculture. À quelques semaines de l'ouverture de la Cop 21, il n'est pas inutile de rappeler la philosophie de l'agriculture biologique, projet de société rejetant le consumérisme et le productivisme, doublée d'une conscience des limites des ressources de notre planète et de la nécessité de protéger l'environnement.
Or, le marché du bio représente, je l'ai dit tout à l'heure, 23 milliards d'euros à l'échelle européenne et croît rapidement. Pour satisfaire une telle demande, il faut nécessairement adapter les méthodes de production comme des circuits de distribution. Or, l'un ne va pas sans l'autre et force est de constater qu'une part croissante des produits biologiques est désormais distribuée dans les grandes surfaces qui basent leur stratégie sur leur « démocratisation », laquelle passe par des baisses de prix. Favorable a priori au consommateur, on peut toutefois craindre un effet similaire à celui que les grandes surfaces ont eu sur l'agriculture conventionnelle, c'est à dire une augmentation de la production accompagnée d'une baisse du prix des produits agricoles. Or, pour obtenir une telle baisse du prix des produits biologiques, deux méthodes sont possibles qui sont d'ailleurs exactement les mêmes que dans l'agriculture conventionnelle.
Première méthode : l'industrialisation de l'agriculture biologique par le développement de nouvelles techniques de production permettant de meilleurs rendements, à commencer par la culture « hors sol ». Oui, aujourd'hui, il y a du bio « hors-sol » au Danemark, en totale contradiction avec les principes de l'agriculture biologique. De même, certaines exploitations biologiques sont aujourd'hui plus grandes que les exploitations conventionnelles, notamment en Pologne où elles alimentent les transformateurs allemands qui exportent leurs produits dans toute l'Europe…
C'est là la seconde méthode : l'accroissement des échanges de produits biologiques entre États-membres mais aussi avec les pays tiers alors que ceux-ci devraient être produits et consommés localement afin de limiter leur impact environnemental. Mais les grandes surfaces étant à la recherche du moindre coût… Ceci a un autre effet pervers : les animaux européens sont souvent nourris avec du soja bio certes mais cultivé en Ukraine ou au Brésil dans d'immenses exploitations de 10 000 hectares empiétant sur la forêt amazonienne.
Les règles européennes ne prennent pas en compte l'impact de ces échanges sur l'environnement, si bien que la production biologique, en se développant massivement, risque de se réduire à une simple agriculture peut-être sans produit chimique mais qui n'a plus rien d'écologique.
Enfin cinquième et dernier enjeu mais pas des moindres : garantir une concurrence équilibrée sur le marché européen des produits biologiques. En effet, s'il y a bien des règles européennes, elles s'accompagnent de nombreuses dérogations et sont appliquées de manière très variable par les États-membres. Par ailleurs les règles applicables aux produits importés sont différentes des règles européennes. La Commission européenne est consciente des risques de distorsion de concurrence comme d'atteinte à la confiance du consommateur qui peuvent découler de ces divergences. La proposition de règlement renforce donc l'harmonisation des règles en supprimant de très nombreuses dérogations. Toutefois, elle s'est heurtée au refus des États-membres qui les ont rétablies dans l'orientation générale tout en en créant une supplémentaire concernant l'obligation de contrôle physique annuel.
Voilà en quelques mots les principaux enjeux que je développe dans mon rapport et sur lesquels, je voulais chers collègues, attirer votre attention. On le voit, l'agriculture biologique est en quelque sorte à la croisée des chemins : son développement est possible et souhaitable, à condition qu'elle n'y perde pas son âme. Il reste donc un sixième enjeu à écrire ensemble : trouver une réponse si ce n'est unique à tout le moins commune à ces enjeux perçus de manière très différente par les États-membres.