Intervention de Marc Laffineur

Réunion du 6 octobre 2015 à 16h45
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Laffineur, corapporteur :

La transparence encouragée par la Commission européenne est un moyen de lutter la concurrence fiscale déloyale, rendue possible par le manque d'information dont disposent les États membres sur les pratiques fiscales de leurs partenaires.

Je voudrais tout particulièrement insister sur la concurrence déloyale liée aux prix de transfert. Le mécanisme est le suivant : une entreprise basée dans un pays A a une filiale de production dans un pays B mais décide de commercialiser ces produits à partir du pays A. Elle rachète donc à sa filiale le produit au prix le plus bas possible pour minimiser au maximum le bénéfice dans le pays de production B, et ledit produit commercialise au pays A soit parce que le taux d'imposition est bas soit parce qu'il existe la possibilité de transférer ces bénéfice dans une filiale située dans un pays C et ne pas payer d'impôt du tout. Tel est le mécanisme que l'on appelle le double sandwich hollandais, qui fait intervenir les Bermudes.

Les rescrits fiscaux et les arrangements préalables en matière de prix de transfert (APA) ne sont pas illégaux en eux-mêmes. Tous les pays accordent des rescrits fiscaux. La difficulté nait de l'absence de transparence mais aussi lorsqu'ils sont utilisés pour octroyer des avantages fiscaux sélectifs à une entreprise par rapport à ses concurrents.

L'échange automatique et obligatoire d'informations sur les décisions fiscales doit permettre aux États membres de détecter les pratiques fiscales abusives auxquelles se livrent certaines entreprises. Il devrait également, par un effet de pression par les pairs, amener les États à modifier leurs pratiques fiscales.

La définition des rescrits proposée par la Commission européenne est formulée de telle manière que sont concernées un grand nombre de décisions fiscales. La négociation principale oppose précisément d'un côté les États qui souhaitent une application aussi large que possible et de l'autre ceux qui tentent d'affaiblir la portée du futur dispositif d'échange.

À notre sens, « le mieux est l'ennemi du bien », aussi une conception trop large de l'échange de données peut-elle conduire à une saturation rendant inopérant le contrôle. Ne soyons pas naïfs.

Une certaine incertitude demeure également quant au rôle de la Commission européenne dans le futur système d'échange d'informations en matière fiscale. Le fond du problème réside dans l'utilisation que la Commission européenne serait susceptible de faire des informations fiscales nationales qui lui seraient communiquées, et en particulier utilise ces dernières pour d'autres objectifs que le suivi et d'évaluation de l'application effective du dispositif d'échanges, et notamment dans le cadre des règles de concurrence.

La Commission européenne ambitionne également de relancer le projet d'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) engagé en 2001. Il s'agit en particulier d'arrêter une définition de la base imposable commune à l'ensemble des États membres de l'Union, afin de permettre une comparaison. Mais les taux d'imposition resteraient définis au niveau national.

Nous avons essayé d'être à la fois pragmatiques et réalistes pour nos propositions. Nous devons nous placer dans les perspectives tracées par l'OCDE dont le projet sur l'érosion des bases fiscales dont l'adoption a été annoncée hier et nous ne pouvons pas retenir l'argument du « désavantage comparatif » avancé par nos amis irlandais au nom de leur climat et de leur éloignement géographique, ou nos amis luxembourgeois, qui mettent en avant la terrible crise sidérurgique qu'ils ont dû affronter.

Notre première proposition, c'est une fiscalité liée au lieu où est effectuée l'opération économique qui fonde la transaction. Cela existe pour la TVA en matière d'économie numérique depuis le 1er janvier 2015, elle doit être rapidement étendue à l'impôt sur les sociétés.

L'ordre de grandeur est considérable : nous estimons que cela représente de 2 à 3 % de notre PIB soit de 40 à 60 milliards d'euros. L'OCDE a avancé une estimation de 240 milliards d'euros. C'est donc loin d'être anodin.

Lorsqu'une entreprise réalise un volume de commerce important dans un pays quelle qu'en soit la forme, par voie électronique ou par l'intermédiaire d'une filiale, il nous semble normal que les bénéfices réalisés en France par cette entreprise soient taxés en France.

Prenons l'exemple de Ryannair, dont le bénéfice total était estimé en 2013 à près de 570 millions d'euros. Dans l'hypothèse où son trafic en France représenterait 15 % du chiffre d'affaire de cette compagnie, il lui serait demandé de s'acquitter d'une contribution sur 15 % du bénéfice mondial soit, au taux français de l'impôt sur les sociétés, un montant de près de 28 millions d'euros.

Notre deuxième proposition, c'est de changer l'angle de vue : c'est aujourd'hui un problème de concurrence, et non pas seulement de fiscalité. Ce qui permet de contourner l'obstacle de l'unanimité. Si cette approche ne pouvait pas être retenue, il faudrait alors opter pour des coopérations renforcées, à l'image de ce qui est en cours pour la taxe sur les transactions financières.

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