Intervention de Sébastien Soriano

Réunion du 31 janvier 2017 à 16h30
Commission des affaires économiques

Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, ARCEP :

Madame la présidente, je répondrai de manière générale à la question relative à l'ambition de couverture du territoire. Puis Mme Martine Lombard vous parlera de deux actions très concrètes de l'ARCEP, dont les cartes de couverture sur laquelle vous m'avez interrogé.

C'est toujours un plaisir et un honneur pour moi de venir devant votre commission, qui est la commission de référence pour l'ARCEP, pour rendre compte de notre action. Le contrôle que vous exercez sur nous est la contrepartie de l'indépendance de l'Autorité, et nous nous plions bien volonté à cet exercice.

Vous avez pu entendre par le passé l'ARCEP dire, peut-être parfois maladroitement, que l'on ne pouvait pas aller ni plus vite, ni plus loin, ni changer telle règle dans les licences, ni faire telle chose. Les contraintes continuent d'exister. Toutefois, plutôt que de donner le primat à la concurrence et au bon fonctionnement du marché, à faire en sorte que les questions de couverture soient compatibles avec le marché, nous nous sommes demandés s'il ne conviendrait pas de faire l'inverse. Maintenant que l'on a construit cette concurrence, qui est forte en France, et qui apporte des offres innovantes et peu coûteuses à nos concitoyens, comment mettre ce secteur économique très compétitif au service de l'investissement et de la couverture du territoire ? C'est ce que nous essayons de faire. Nous avons dressé le bilan, le 10 janvier dernier, au sein d'un groupe réunissant l'ARCEP, les collectivités et les opérateurs, sur de nombreux chantiers qui sont en cours pour essayer d'accélérer les choses parce que les réseaux de télécommunications ne sont plus seulement un confort, ils sont devenus des éléments essentiels dans la vie de nos concitoyens. D'ailleurs, je dois dire que vous nous avez bien fait comprendre, en particulier sur la question de la couverture mobile, qu'il y a un changement de paradigme. Les licences de téléphonie mobile et le programme zones blanches ont été conçus autrefois pour apporter quelque chose, mais aujourd'hui ce quelque chose est souvent, trop souvent insuffisant pour un accès qui est devenu essentiel pour la vie quotidienne. Il est donc nécessaire de changer d'ambition sur cette question de la couverture du territoire. L'ARCEP est prête à mettre toutes ses forces au service de cette nouvelle orientation, et je n'économise pas les appels au secteur pour investir davantage. En ce sens, nous mettons en oeuvre une batterie d'actions pour avancer.

La Cour des comptes, qui vient de rendre un rapport sur la question des réseaux fixes, alerte sur l'ampleur du projet et se demande si tous les acteurs sont bien mobilisés. Pour autant, il ne me semble pas qu'elle remette fondamentalement en cause l'architecture du plan France Très haut débit. Aujourd'hui nous nous demandons comment l'accélérer, l'amplifier et rendre réelles les annonces plutôt que de tout casser et de repartir à zéro sur un autre plan. C'est dans ce cadre que je m'exprimerai.

On a octroyé des licences mobiles aux opérateurs en leur donnant des fréquences, en leur demandant des engagements de couverture. Ces engagements donnent une certaine définition de la couverture mobile. Mais aujourd'hui cette définition n'est plus suffisante et elle ne correspond plus à la réalité. De la même manière, des programmes ont été engagés en ce qui concerne les zones blanches, mais le Gouvernement, qui met actuellement à jour ces programmes à travers la plateforme France mobile, considère que cette définition des zones blanches est dépassée.

S'agissant du réseau fixe, nous essayons, à l'ARCEP, de faire en sorte que l'effort d'investissement colossal qu'a rappelé la Cour des comptes soit vraiment porté le plus largement possible. Chaque année, le secteur des télécoms investit en France entre 7 et 8 milliards d'euros, la moitié étant assurée par les opérateurs alternatifs et l'autre moitié par l'opérateur historique Orange. La priorité pour l'ARCEP, c'est de faire en sorte que tout le monde puisse monter à bord pour porter cet investissement. Orange a réalisé un bon travail en allant plus vite que les autres en ce qui concerne la fibre, et c'est très bien ; nous n'allons certainement pas le freiner ni le punir pour cela. Mais l'opérateur historique nous a dit être au maximum de ses investissements. C'est donc vers les opérateurs alternatifs qu'il faut se tourner pour réussir le plan France Très haut débit. À travers cette analyse de marché que vous avez indiquée, nous sommes en train de lever les verrous afin de permettre aux opérateurs alternatifs de monter à bord. Ces verrous sont ciblés et limités, et il n'est pas question pour nous de revenir vers une régulation traditionnelle d'Orange qui serait équivalente à celle que nous avons eue sur le cuivre. Nous mettons en oeuvre uniquement des actions ciblées qui visent d'abord les zones les plus denses du territoire pour permettre aux immeubles déjà raccordés à la fibre de pouvoir bénéficier de la concurrence et d'accélérer la migration des abonnements vers la fibre, de manière que ce plan soit une réalité commerciale.

Dans les zones moyennement denses, un accord a été signé en 2011 entre Orange et SFR sur le partage des zones. Nous considérons que cet accord peut aujourd'hui potentiellement freiner l'investissement. SFR nous dit être prêt à aller plus loin, à s'engager pour accélérer l'investissement. Évidemment, nous ne pouvons être que favorables à la révision de cet accord dans le sens d'une accélération, d'une plus forte ambition de l'investissement. C'est ce que nous avons indiqué à Orange, et nous attendons des mouvements de sa part.

S'agissant des zones les moins denses, celles qui sont portées par les collectivités locales, c'est le Gouvernement qui est en première ligne à travers le plan France Très haut débit et tout l'accompagnement qui est déployé. L'ARCEP a donné des indications en ce qui concerne les rapports économiques entre les réseaux publics et les exploitants. Ces règles sont actuellement mises en oeuvre. Nous rendons des avis au cas par cas sur les territoires. Pour le moment, il n'y a pas de point d'alerte. Les territoires ont constaté que les opérateurs ne venaient pas assez vite sur ces réseaux publics. Je comprends les territoires qui sont effectivement inquiets à l'idée que des investissements publics importants puissent ne pas se traduire par des abonnements ; ce serait évidemment inacceptable. En revanche, nous ne pouvons pas dire que les choses sont dramatiques aujourd'hui, parce que nous en sommes vraiment au début. Les réseaux publics qui sont commercialisables sont en nombre relativement limité et l'ARCEP veut d'abord observer ce qui se passe sur le terrain, comme le prévoit la loi Montagne. Nous allons donc pouvoir montrer la réalité de la venue des opérateurs, constater les différences qui existent pour pointer, si je puis dire, les bons et les mauvais élèves. Nous pourrons mettre cette information à jour dans le courant de l'année.

Il a été question de jouer d'un instrument d'incitation tarifaire sur la paire de cuivre pour inciter les opérateurs à migrer du cuivre vers la fibre. Il ne semble pas urgent pour le moment d'utiliser cet instrument qui est en cours d'examen. Mais comme il peut créer de l'incitation, nous le gardons en réserve. Nous espérons que SFR, Bouygues Telecom et Free vont clarifier leurs investissements et leurs ambitions en matière de fibre, et que cela nous confortera dans le fait que cet instrument d'incitation tarifaire n'est pas de première urgence. Mais j'attends leurs chiffres.

Vous avez mentionné les technologies alternatives. Nous sommes en train de débloquer une quantité très importante de fréquences – 40 mégahertz dans la bande des 3,5 gigahertz – pour permettre aux territoires qui le souhaitent d'utiliser des technologies alternatives à la fibre optique qui sont les technologies de boucle locale radio (BLR). Nous sommes encore dans la phase de consultation publique. Cela peut constituer une solution moins coûteuse pour certains territoires, notamment ceux qui se sont engagés par le passé dans ce type de technologie, que l'on appelait alors Wimax, qui ont déjà déployé des sites. Pourquoi ne pas renouveler, dans ce cas, les équipements électroniques en utilisant la technologie Long term evolution (LTE), celle utilisée par la 4G, pour apporter ces solutions BLR ? En tout cas, notre démarche est de le permettre.

Certes, les chiffrages effectués par la Cour des comptes peuvent être discutés. Mais, comme elle, nous considérons que l'ambition du secteur privé sur la fibre n'est pas encore suffisante. Toute l'action que nous mettons en place vise à le stimuler.

Concernant le réseau mobile, le changement de paradigme nécessite que les outils suivent. Malheureusement, on ne peut pas le faire d'un coup de baguette magique, parce que lorsqu'on donne des fréquences aux opérateurs et qu'on leur demande de couvrir d'une certaine manière, c'est un contrat qui vaut pour une quinzaine d'années. On ne peut pas, au milieu du gué, dire que l'on a changé d'avis et leur demander de couvrir le territoire de telle autre façon. Nous sommes pris par ces contraintes. Le Gouvernement et l'ARCEP déploient toute une batterie d'outils pour essayer d'améliorer la situation.

Le premier instrument consiste à changer les définitions. Aujourd'hui personne n'est satisfait de la définition de la couverture. À travers les cartes de couverture, nous proposons des nouvelles définitions. De la même manière, personne n'est satisfait de la définition des zones blanches. Le programme France mobile a prévu, en complément des zones blanches, un certain nombre d'actions complémentaires en partant des besoins du terrain. Il s'agit du fameux guichet des 1 300 sites qui doit permettre d'apporter une solution complémentaire.

J'aborde rapidement un sujet sur lequel Mme Martine Lombard reviendra : celui de la couverture à l'intérieur des bâtiments. Le fameux protocole ARCEP, qui n'est qu'un protocole technique sur lequel nous avons voulu aider le Gouvernement et les associations de collectivités à se mettre d'accord, parle de la couverture à l'extérieur des bâtiments. Mais aujourd'hui, nos concitoyens vont en réalité de plus en plus sur internet et téléphonent de plus en plus avec leur mobile, y compris chez eux. La question de l'indoor, c'est-à-dire de l'intérieur des bâtiments, peut appeler des réponses particulières.

À long terme, se reposera bien évidemment la question des licences – elles sont signées pour quinze ans. Une échéance reviendra en 2021 pour plusieurs opérateurs, notamment sur les bandes 900 et 1 800 mégahertz. L'ARCEP est tout à fait disposée à travailler en amont de cette échéance, en lien étroit avec le Parlement, pour définir les obligations qu'il sera nécessaire de faire endosser au secteur. Il est clair qu'il appartiendra aux pouvoirs publics de faire un arbitrage global entre des obligations de couverture du territoire et d'autres qui peuvent être des redevances en monnaie sonnante et trébuchante pour le budget de l'État. Cette discussion échappe en partie à l'ARCEP puisque c'est le Gouvernement qui a le dernier mot dans ce processus.

Certaines choses peuvent être améliorées par impulsion, d'autres nécessitent des actions plus importantes qui ne peuvent se faire que dans des calendriers moins rapides. En tout cas, nous sommes évidemment à votre écoute et à votre disposition pour trouver des solutions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion