Intervention de David Gordon-Krief

Réunion du 26 novembre 2014 à 8h30
Commission des affaires européennes

David Gordon-Krief, rapporteur du Conseil économique et social :

Je vous remercie pour toutes ces questions très riches qui mériteraient presque toutes de faire l'objet d'un débat spécifique.

Vous avez souligné, Mme la présidente, la nécessité pour les règles d'évoluer. Quand je parle de droit sécurisé et stable, je ne veux évidemment pas tomber dans la caricature. Le monde évolue et l'environnement économique change : il est donc normal que les règles de droit suivent. Ce que nous regrettons et critiquons, c'est le changement et les revirements permanents qui nuisent à la prévisibilité et la lisibilité, y compris en matière de jurisprudence. Ainsi, quand une entreprise ou un inventeur se demandent s'ils vont s'installer en France, ils se posent, par exemple pour une entreprise de produits chimiques, la question de savoir quelles pourraient être les conséquences judicaires de la responsabilité en matière de produits défectueux. Nous sommes très souvent interrogés sur l'existence de recours collectif ou class action, sur les coûts et la durée d'un procès, sur les chances de gagner ou de perdre, sur l'évaluation du préjudice et sur le montant possible d'une indemnisation. Il est très difficile de répondre à telles interrogations, du fait de l'absence de cohérence de la jurisprudence et de son défaut de lisibilité. Lors du déjeuner à la conférence des ambassadeurs que je mentionnais précédemment, le vice – président du Conseil d'État a fait un discours sur ce thème, indiquant qu'il serait temps de remédier au manque de stabilité et au faible degré de compréhension des décisions de justice. Les revirements de jurisprudence non précédés d'un mouvement doctrinal ou d'une évolution du doit positif sont regrettables. Il faut bien sûr que le droit évolue mais que cela se fasse de façon intelligente.

En effet, comme vous le souligniez, Madame la présidente, de nombreuses entreprises multinationales ont triché et ont profité du fait que certains pays avaient des règles et des systèmes judiciaires défaillants. Aujourd'hui, on peut dire que la patrouille les rattrape…mais quand je parlais de l'attractivité de la France, je me situais en fait par comparaison avec les autres pays européens, comme la Grande Bretagne ou l'Allemagne. Dans ce cadre, la complexité et l'instabilité de notre droit ne jouent pas en faveur de la France.

La question de M. Joaquim Pueyo sur la défense du français est compliquée. Deux approches sont possibles. On peut, comme le suggère monsieur le député, montrer l'exemple et être intransigeant en faisant les recours auprès de la Cour de justice européenne. On peut aussi se demander pourquoi le français est moins utilisé. Une des raisons est que moins de personnes le parlent. Pourquoi ? Parce qu'il y a de moins en moins de possibilités de l'apprendre. Il y a encore dix ou vingt ans, le réseau des écoles françaises et de l'alliance française formaient les élites de nombres de pays dans le monde. Les crédits ont baissé de deux à cinq fois. En Amérique latine ou aux États-Unis, les élites, pas seulement intellectuelles, se tournent vers d'autres langues. La France n'a pas fait le chemin pour dire que la langue ne représente pas seulement la culture mais l'économie et la diplomatie. Il faut être fier de l'enseigner et de l'apprendre pas seulement pour lire les grands auteurs classiques mais aussi parce qu'on a besoin dans l'économie mondiale et les échanges internationaux. Il est également imaginable que l'on attire les meilleurs dans les domaines scientifique, artistique ou juridique en donnant des cours de droit français en diverses langues. Une fois qu'ils seront en France, ils apprendront le français et quand ils seront de retour dans leurs pays ou au sein d'organisations internationales, cela contribuera à l'influence du français et de la France.

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