Intervention de Arnaud Richard

Réunion du 18 février 2015 à 17h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaArnaud Richard :

Nous ne pouvons bien sûr que nous féliciter que l'Union européenne nous parle enfin de croissance après avoir depuis le début de la crise mis l'accent sur la rigueur budgétaire, ce qui n'est pas en soi mauvais, mais qui, si elle n'est pas coordonnée et va à l'encontre du cycle économique, aboutit à une triple catastrophe : économique (la zone euro enregistre les pires résultats économiques mondiaux en termes de croissance) ; sociaux (il n'est pas acceptable que l'on ne puisse pas se soigner correctement dans des pays de l'Union européenne) et démocratique (la montée des populismes en est un exemple).

Le référendum britannique prévu dans les deux ans qui viennent peut être une catastrophe « si l'envie d'Europe » s'étiole dans la population. C'est pourquoi nous devons nous féliciter de l'initiative prise par la Commission européenne de lancer un plan de relance par l'investissement ainsi que d'un discours nouveau qui n'est plus seulement celui des « ayatollahs de la rigueur », qui comme nous l'avions indiqué dans notre rapport de décembre 2012 sur le plan de 120 milliards arraché par le Président français en échange de la ratification du TSCG, sont les meilleurs propagandistes du populisme. L'exemple de la Grèce est particulièrement édifiant, dans la mesure où les élections anticipées ont été provoquées par l'intransigeance européenne sur une sortie du programme d'assistance de ce pays avec quelques mois d'avance.

Si nous devons nous féliciter d'un état d'esprit nouveau à Bruxelles, la reprise doit beaucoup à la baisse du prix des matières premières en particulier des hydrocarbures et à la baisse de l'euro, sous l'impulsion de l'action de la BCE qui exerce des compétences normalement dévolues au Conseil. En conclusion de notre rapport 2014, nous indiquions nous féliciter « de l'inflexion du discours de la Commission européenne qui a accepté de donner plus de temps aux États pour renouer avec l'équilibre budgétaire. Cette attitude plus souple est de nature à nous aider à renouer avec la croissance. Néanmoins, nous devons regretter que dans des domaines qui relèvent de ses pouvoirs propres, tels que la politique de la concurrence, la Commission européenne ne cherche pas à promouvoir une politique industrielle digne de ce nom, et au contraire entrave la constitution de champions européens de taille mondiale par une jurisprudence marquée du sceau d'un juridisme étroit. La politique de libre circulation des personnes ne pourra être utilisée comme un facteur de régulation de l'économie que si elle s'accompagne d'une politique sociale et que si les abus constatés (par exemple en matière de détachement) cessent le plus rapidement possible. Enfin, il nous faut déplorer qu'à l'occasion de la crise économique la plus grave depuis la guerre la Commission européenne ne se soit rangée à des positions moins dogmatiques qu'avec un temps de retard et que nous ne puissions pas soutenir qu'elle ait fait preuve d'anticipation ».

Au-delà de cette analyse générale, la proposition de règlement créant le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) suscite encore de nombreuses questions qui feront l'objet d'un rapport que nous devons présenter le 4 mars prochain.

La stratégie de croissance proposée par la Commission européenne comporte trois volets :

– la mobilisation de ressources publiques et privées pour atteindre un montant de 315 milliards d'euros sur trois ans, soit 105 milliards par an ce qui représente pour la France une enveloppe annuelle de 15 milliards d'euros ;

– ces initiatives sont ciblées pour correspondre à l'économie réelle ;

– garantir une prévisibilité réglementaire et supprimer les obstacles administratifs à l'investissement.

Seuls les deux premiers points relèvent du règlement que nous avons eu à examiner et seront mis en oeuvre conjointement par la Commission et la BEI.

La démarche n'est pas assez motivante pour les États. Au regard de la subsidiarité, ce texte n'appelle pas de réserves particulières sur le fond, néanmoins la motivation développée nous laisse perplexe. La Commission affirme qu'il y aura un effet multiplicateur et un impact sur le terrain plus grand qu'une campagne d'investissements conduite par des États isolément. Il s'agit d'une affirmation, rien ne prouve que la même politique conduite dans un cadre intergouvernemental ne serait pas plus rapidement mise en oeuvre car l'expérience montre que l'intervention de l'Union européenne retarde plus qu'elle n'accélère les décisions. À notre sens, la véritable plus-value de l'Union européenne n'est pas indiquée dans le document de la Commission et permet de maintenir un niveau correct d'investissements dans les États les plus en difficultés. En tout cas, nous devons soulever une question : le retour aux équilibres budgétaires, en particulier de l'Allemagne, repose largement sur la réduction des crédits d'investissements, de défense et de recherche (en particulier en Espagne). Il nous semble important de dissocier, au sein des dépenses publiques soumises aux règles d'encadrement budgétaire, les dépenses d'investissements publics car il n'est pas anormal que le coût de ces dernières soit étalé sur plusieurs générations, ce qui ne devrait pas être le cas des dépenses de fonctionnement. Nous avions proposé dans notre rapport de 2012 cette dissociation qui permettrait d'impliquer les États dans l'action conduite par la Commission européenne. Nous ne comprenons pas pourquoi l'exclusion des dépenses d'investissement des plafonds de déficit serait réservée aux seules dépenses d'investissement passant par cette procédure.

Les mécanismes prévus par le projet de règlement n'inciteront pas les États à participer à la dotation de ce Fonds, faute de possibilité de fléchage des crédits et nous pouvons le regretter car la démarche est intéressante.

Au regard des objectifs fixés :

– il est prévu de privilégier les PME, définies comme des entreprises comportant moins de 3 000 salariés ;

– les structures de gouvernance du FEIS comportent un comité de pilotage et un comité d'investissement ;

– il est prévu que les représentants des donateurs intègrent le comité de pilotage, où la Commission et la BEI disposeront d'un droit de veto ;

– la garantie initiale de l'Union européenne s'élève à 16 milliards d'euros, et son champ d'application est vaste puisqu'elle peut s'étendre au fond de roulement ;

– le début des versements du budget de l'Union européenne aura lieu en 2016 (8 milliards d'euros) ;

– il est indiqué qu'il sera tenu compte des versements des États pour l'appréciation des contraintes du Pacte de stabilité et de croissance.

Il faut noter que le recours au FEIS est prévu par défaut, c'est-à-dire lorsqu'il est impossible d'obtenir un « financement par le marché à des conditions raisonnables », mais que les projets éligibles peuvent utiliser les fonds structurels.

Les projets doivent respecter les règles en matière d'aides d'État, ce qui peut constituer un obstacle à la mise en oeuvre d'une politique industrielle qui nous semble trop absente de l'Union européenne.

Par ailleurs, la réduction de l'enveloppe du programme-cadre pour la recherche et l'innovation pour financer ce programme nous inquiète.

Il serait utile d'élargir le champ d'action de la plateforme de conseil à l'extérieur de l'Union européenne, en particulier au bassin méditerranéen et à l'Afrique, car il nous semble que ces territoires contribueront énormément à la croissance européenne. Pourquoi, par exemple, ne pas développer des projets communs de production électrique ?

Sur le plan de la gouvernance, il nous semble que, si nous voulons mobiliser les gouvernements et les parlements nationaux pour cette action, il convient qu'ils soient associés à la gestion de cette action. Car le coefficient multiplicateur de quinze est ambitieux et sera plus facilement atteint avec un investissement financier des États.

Enfin, il convient de souligner le caractère limité de l'action conduite qui, à l'échelle de la France, représente environ quinze milliards d'euros par an. La baisse de l'euro devrait doper la croissance de 0,5 point de PIB et celle du pétrole d'un chiffre équivalent. Il est dommage que l'action proposée aujourd'hui n'ait pas été engagée trois ans plus tôt.

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