Cela étant dit, la Commission a lancé une étude d'impact pour analyser la façon de combiner transparence nécessaire et investissements indispensables. Nous devons éviter que la transparence ne pénalise la compétitivité des entreprises. Je suis convaincu qu'il n'y a pas de contradiction, mais en fonction de ce que nous découvrirons, nous avancerons.
Enfin, l'Union européenne s'engage à mettre en oeuvre intégralement les accords BEPS. J'ai vu avec intérêt que le projet de loi de finances français anticipait à cet égard. Je mets aussi en chantier une grande réforme du régime de TVA à l'échelle de l'Union européenne, pas seulement pour lutter contre les fraudes, mais aussi pour lutter contre les inégalités, nous en reparlerons avant la fin de l'année 2016.
Mais la prise de décision dans le domaine fiscal est extrêmement compliquée en Europe du fait de la règle de l'unanimité, qui est d'une complexité insupportable. Mais il se produit actuellement des mouvements dans les opinions publiques qui encouragent à la transparence pour plus d'efficacité et d'effectivité. C'est un sujet sur lequel je ne relâcherai pas mon effort, avec le soutien du Parlement européen et des parlements nationaux.
Plusieurs d'entre vous, dont MM. Gilles Savary et Alain Fauré, m'ont interrogé sur la croissance. Il faut évidemment être vigilant sur ce sujet, d'autant que la croissance de l'économie française est soutenue par la demande intérieure et la consommation. Nous constatons tous – et moi aussi, car ma vie privée est en France – le ralentissement de certaines activités. Mais nous pouvons aussi apprendre des événements passés. D'autres attentats dramatiques ont frappé d'autres capitales, le 11 septembre 2001, puis les attentats de Madrid et ceux de Londres : après une phase tout à fait naturelle de ralentissement de la consommation, on y a constaté des phénomènes de rattrapage. Il n'y a donc pas de raison de modifier nos prévisions de croissance à ce stade, mais nous allons suivre cela de près. Un facteur essentiel est la confiance, dans tous les sens du terme : confiance des citoyens dans les institutions, confiance en eux-mêmes et confiance économique. Par le passé, nos sociétés et nos économies ont montré leur capacité à dépasser ce type d'événements, y compris sur le plan économique, et à reprendre leur marche en avant ; c'est évidemment ce que je souhaite.
On m'a interrogé sur une politique des transports européenne. Ce n'est pas mon secteur, je me contenterai de souligner qu'en matière de sécurité des transports, la Commission européenne s'est beaucoup concentrée sur la sécurité aérienne. Un « paquet » sera proposé dans les jours qui viennent par ma collègue Violeta Bulc afin d'être examiné par le collège des commissaires. La question des transports terrestres sera abordée. J'ai appris les initiatives de Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; elles doivent faire l'objet d'une concertation. La prise en charge par le budget de l'Union européenne pose la question de la structure et du montant du budget de l'Union européenne, mais d'autres cadres financiers peuvent être envisagés.
Cela m'amène à la question de M. Caresche, qui a suivi attentivement les travaux intéressants de Thomas Philippon, un de mes anciens conseillers, ainsi qu'aux annonces des ministres Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel. Je ne veux pas me prononcer sur le fond. Je pense seulement que, notamment dans le cadre de la crise des réfugiés, nous pouvons faire face à des besoins financiers d'une très grande ampleur auxquels nous ne sommes pas en mesure de répondre par des moyens budgétaires classiques. Dès lors, diverses solutions sont proposées. Wolfgang Schäuble a lancé l'idée d'une taxe, qui n'a pas encore été présentée au grand jour, sans doute faudra-t-il un jour s'interroger sur tout cela. Le débat sur les Eurobonds n'a pas abouti car ils ont été compris comme une politique de transfert. Dans notre cas, le transfert n'irait pas dans le même sens et la cause serait mieux partagée. J'ai donc demandé à mes services d'y réfléchir ; je n'ai pas de réponse de la Commission aujourd'hui, mais je prête une oreille extrêmement attentive à ce sujet que nous ne devons pas ignorer.
S'agissant du Brexit, le Premier ministre britannique a adressé un courrier à MM. Tusk et Juncker dans lequel il évoquait quatre thèmes de négociation. Ces négociations se nouent actuellement. Il est clair que la Commission européenne souhaite le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne : c'est l'intérêt commun des Britanniques et de l'Union européenne. Je suis aussi certain que c'est l'intention de M. Cameron. Il faudra que cette négociation se noue de manière suffisamment subtile pour que des avancées permettent à M. Cameron de dire qu'il a obtenu quelque chose, sans que pour autant la physionomie essentielle de l'Union européenne soit remise en cause. C'est dans ce cadre que les négociations commencent.
S'agissant de l'agence FRONTEX, je me garderai d'une réponse définitive sur un sujet qui n'est pas de mon ressort, mais je sais que les dirigeants de FRONTEX font état d'un besoin financier, et il existe une volonté européenne de renforcer les instruments de protection de nos frontières extérieures. L'accueil des réfugiés n'est pas contradictoire avec la protection des frontières, je rejoins M. Mariton sur ce point. Cela touche nos relations avec les pays tiers – les discussions avec la Turquie entrent dans ce cadre – et le renforcement de FRONTEX et d'Europol qui figurent à l'ordre du jour.
Monsieur Lequiller, je ne vais pas développer ici longtemps ma vision d'un ministre des finances de la zone euro. À mes yeux, ce devrait être le commissaire européen en charge des affaires économiques et financières. Ce n'est pas un plaidoyer pro domo : j'avais la même position lorsque j'étais ministre. C'est une question de responsabilité et d'efficacité, mais il peut y avoir d'autres thèses.
S'agissant de la transformation du Mécanisme européen de stabilité – qu'il s'agisse de créer un fonds monétaire européen, d'en faire le réceptacle d'un budget ou de mettre en place un Trésor européen, donc transformer les services de la Commission en une administration capable de gérer cela – ces réformes posent des problèmes de responsabilité devant les parlements : Parlement européen et parlements nationaux. Je suis ouvert pour revenir un jour devant vos commissions traiter de ce sujet dans le détail. Ne repoussons pas la phase II aux calendes grecques, mais lançons rapidement le débat sur ces sujets.
Monsieur Cherki, je ne vous répondrai pas sur les politiques avant 2012 – ce n'est plus mon affaire – mais sur la Grèce. Vous avez été en Grèce la semaine dernière, j'y étais il y a trois semaines pour rencontrer les autorités de ce pays. J'ai eu un très long entretien avec le premier ministre, M. Tsipras, ainsi qu'avec son ministre de l'économie et celui des finances. Je suis le négociateur pour la Commission européenne de ces sujets.
Dans cette affaire, M. Tsipras a fait un choix clair et, j'ose le dire, courageux. Depuis les élections grecques – cela n'était pas le cas avant – M. Tsipras s'est vraiment engagé à faire réussir les réformes en Grèce pour que le programme considérable – 86 milliards d'euros – d'aide à la Grèce soit mis en oeuvre. Il manifeste notamment cette volonté en faisant voter par le parlement des mesures qui ne sont pas forcément populaires.
Nous avons conclu lundi, au sein de l'Eurogroupe, un accord sur la première série de mesures votées la semaine précédente par le Parlement grec. Il a d'ores et déjà permis le déblocage de 2 milliards d'euros au titre de la première tranche du troisième programme. Une deuxième série de mesures sera prise dans les semaines qui viennent et permettra le déblocage de 1 milliard d'euros supplémentaires.
La recapitalisation des banques est indispensable au système financier grec, car les quatre banques systémiques étaient auparavant dans une situation extrêmement dangereuse. Elle se déroule très bien, avec un recours au privé bien plus important que prévu, ce qui permet de ne pas puiser dans les 25 milliards qui avaient été prévus dans le programme pour la recapitalisation des banques. D'ores et déjà, nous avons débloqué 10 milliards d'euros du Fonds hellénique de stabilité financière.
On peut donc accuser l'Union européenne de tous les maux, elle a tout de même débloqué 12 milliards d'euros pour la Grèce cette semaine… La négociation est difficile, les réformes compliquées – vous avez évoqué le problème des saisies immobilières –, mais l'Union européenne prend toute sa part et je pense que c'est gagnant-gagnant.
Dans les prévisions économiques que j'ai présentées, nous anticipons certes une récession en Grèce cette année et au début de l'année 2016, mais à partir du second semestre, une reprise devrait s'affirmer et la croissance devrait être de 2,7 % l'année suivante. C'est le pari de M. Tsipras et le nôtre. Et la Commission européenne n'a jamais travaillé dans d'aussi bonnes conditions avec un gouvernement grec depuis que la crise financière a commencé en Grèce. Je ne parle pas des premiers mois au cours desquels beaucoup de temps a été perdu, beaucoup d'argent dilapidé, et la croissance sacrifiée.
Pour parvenir à cela, la Grèce doit mettre en oeuvre des réformes complexes. L'une d'entre elles, la plus difficile à discuter, porte sur les saisies immobilières. Des banques sont dans une situation difficile et ont un amas de crédits non performants. Il faut régler cette question, car comment une banque pourrait retrouver une situation saine si elle ne peut jamais récupérer ses créances ? Parmi ces créances, on trouve les créances immobilières.
Il fallait trouver un équilibre entre deux éléments. Il y a d'un côté la société grecque, fondée sur la propriété privée – 80 % des Grecs sont propriétaires –, ce qui a constitué un formidable amortisseur social. La Grèce a perdu 27 % de son PIB et plus de 50 % des jeunes sont au chômage : s'ils n'avaient pas leur structure familiale et la propriété de leurs maisons, beaucoup de choses se seraient effondrées. Il fallait donc préserver cela.
Mais dans le même temps, il fallait créer une culture de paiement et de responsabilité, qui n'existait pas dans ce pays. Quand on a des dettes, on s'en acquitte ; les lois sur les saisies immobilières existent partout. Mais il existe aussi des systèmes de surendettement. Nous avons donc négocié longuement et difficilement avec le gouvernement grec pour parvenir à un accord permettant d'introduire cette culture de paiement tout en préservant la situation des plus modestes : des seuils sont prévus en deçà desquels les saisies ne sont pas possibles. Cette loi est finalement équilibrée et de qualité ; elle correspond aux souhaits des institutions européennes et du gouvernement grec. Elle a été votée par le parlement grec avec l'appui du parti majoritaire.
Sur la Grèce, je fais preuve de détermination, mais aussi d'un optimisme raisonnable. Nous sommes sur la bonne voie. Nous avons adopté la première série de mesures, nous avons débloqué les deux premiers milliards, nous avons enclenché le processus pour fournir les 10 milliards qui permettront la recapitalisation des banques ; nous allons discuter de la deuxième série de mesures, nous allons débloquer un milliard supplémentaire si nous aboutissons. D'ici à la fin de l'année, nous ferons une première revue du programme, et elle sera positive si les deux points précédents ont été respectés. Ensuite, nous allons traiter de la question du reprofilage de la dette grecque. Nous sommes engagés dans une discussion très exigeante et difficile, mais c'est la voie pour la sortie de crise de la Grèce et le maintien d'une Grèce plus forte dans la zone euro. C'est ce que je souhaite ardemment : nous en avons besoin, au moment où la Grèce est une porte d'entrée pour les réfugiés. Je ne vois pas de contradiction entre le fait de discuter avec la Grèce et des négociations avec la Turquie. Ne restons pas dans des postures trop anciennes, même s'il ne faut jamais oublier l'histoire et les réalités géopolitiques.