Commission des affaires européennes

Réunion du 25 novembre 2015 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Mercredi 25 novembre 2015

Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la commission, et de M. Gilles Carrez, Président de la commission des Finances

La séance est ouverte à 9 heures

Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des Affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, conjointe avec la commission des Finances

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Monsieur le commissaire, vous avez longtemps siégé dans notre commission et c'est toujours un plaisir de vous revoir. Je vous remercie d'avoir répondu à cette invitation conjointe de nos deux commissions, dont Danielle Auroi avait pris l'initiative, d'autant plus heureuse que la date est particulièrement opportune. Il sera évidemment question du semestre européen, mais l'actualité dramatique de ces derniers jours trouble quelque peu nos travaux.

Nous vous interrogerons, comme lors de votre précédente audition, il y a six mois, sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire, en abordant les questions d'ordre fiscal, mais également budgétaire. Certes, le Président de la République a récemment déclaré que « le pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité », mais les montants en jeu ne sont pas astronomiques – 600 millions d'euros en 2016. Je vous interrogerai d'emblée sur notre trajectoire, moins à la lumière des récents événements qu'à celle des prévisions rendues publiques par la Commission européenne début novembre : à l'entendre, le déficit public de notre pays sera de 3,4 % du PIB en 2016, à peu près en ligne avec l'objectif de 3,3 %. En revanche, un déficit de 3,3 % en 2017 ne serait pas du tout conforme à la trajectoire initialement fixée, qui fixait l'objectif à 2,7 %. La procédure de déficit excessif engagée contre notre pays avait pourtant été suspendue au mois de juillet dernier compte tenu de résultats satisfaisants – plus en termes de solde effectif, nominal, du reste, qu'en termes de solde structurel, mais notre commission des finances reste très attachée au solde nominal. Quel est donc le sentiment de la Commission européenne sur la trajectoire financière de notre pays ?

Par ailleurs, le ministre de la défense a invoqué au Conseil de l'Union européenne le paragraphe 7 de l'article 42 du Traité sur l'Union européenne : « Au cas où un État membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. » Force est de constater que, depuis 2013, la contribution des États membres aux opérations Serval et Barkhane est restée très modeste, tant en hommes qu'en matériel – je tiens à votre disposition une liste précise. Le soutien financier, quant à lui, a été inexistant. Même si la question ne relève pas directement de votre compétence, pouvez-vous nous dire, monsieur le commissaire européen, quelle traduction l'application de cette disposition pourra avoir au cours des prochains mois, notamment en termes financiers ?

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Nous sommes toujours heureux, monsieur le commissaire, de vous recevoir, particulièrement dans le cadre d'auditions conjointes, qui permettent à un plus grand nombre de parlementaires de prendre la mesure de l'articulation des choix nationaux aux questions européennes.

Les attentats qui ont frappé Paris le 13 novembre, mais aussi ceux dont le Mali et la Tunisie viennent d'être victimes, nous montrent à quel point la question de la défense européenne revient sur le tapis. Le président Carrez vient de citer le paragraphe 7 de l'article 42 du Traité sur l'Union européenne, invoqué la semaine dernière par le ministre de la défense. Tous les pays membres ont répondu favorablement à son appel, y compris les cinq États membres – dont l'Irlande – qui n'étaient pas forcément concernés, en raison de leur neutralité. C'est là un fait nouveau. L'Europe de la défense prendrait-elle enfin son envol ? Deux de nos collègues, au sein de la commission des affaires européennes et de la commission de la défense nationale, travaillent depuis longtemps sur cette question.

Quelles seront les implications financières ? Le président Carrez l'a rappelé : le reste de l'Europe n'accompagne que timidement, y compris sur le plan financier, les opérations militaires menées par la France. Avez-vous l'impression, monsieur le commissaire européen, que les choses pourraient changer ?

Si le pacte de sécurité doit l'emporter sur le pacte de stabilité, pour reprendre les mots du Président de la République. L'Autriche, l'Allemagne, la Belgique, l'Italie et la Finlande réclament pour leur part un pacte de solidarité en raison des coûts supplémentaires induits par la crise des réfugiés. Ce pacte de solidarité me paraît nécessaire. Comment la Commission européenne, qui a appelé, à juste titre, à faire preuve de solidarité pour recevoir les réfugiés, envisage-t-elle ces surcoûts et leur impact sur le respect des règles budgétaires ?

J'en viens aux sujets plus « classiques » qui nous occupent habituellement, parmi lesquels notamment le semestre européen. Nous demandons depuis longtemps un renforcement de la gouvernance de la zone euro, et les parlements nationaux veulent être encore plus régulièrement associés, avec le Parlement européen, à la détermination et au suivi des politiques européennes, y compris sur le plan financier. La Conférence budgétaire prévue à l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), s'étant enfin dotée d'un règlement intérieur, pourra jouer pleinement son rôle et être reconnue comme il se doit. Cette enceinte transnationale offre un cadre approprié pour débattre de l'avenir de l'euro et, plus largement, des finances européennes.

Pouvez-vous nous préciser, monsieur le commissaire, où en est l'approfondissement de l'UEM, notamment du point de vue fiscal ? La convergence accrue des systèmes fiscaux, la transparence du système fiscal et la lutte contre l'évasion fiscale sont aussi des priorités de la Commission européenne, sur lesquelles nous serons heureux de vous entendre.

Enfin, lors de sa récente intervention devant le Conseil économique et social, le président Jean-Claude Juncker a beaucoup insisté sur la nécessité de relancer l'Europe sociale pour assurer la solidarité européenne, avec tout ce que cela implique en termes financiers. J'estime également que l'approfondissement de l'UEM doit comporter une dimension sociale et environnementale. La Commission européenne a-t-elle commencé à y travailler précisément ou la déclaration de M. Juncker n'engageait-elle que lui-même ?

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Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

Madame la présidente, monsieur le président, je vous remercie de votre invitation, que j'ai acceptée avec d'autant plus de plaisir qu'elle me permet de retrouver des commissions que je connais bien pour en avoir été membre. Même si, évidemment, le contexte de nos échanges, utiles et nécessaires, est aujourd'hui plus grave qu'à l'accoutumée, je suis à la disposition de la représentation nationale française, comme des représentations nationales des autres pays membres. Cela fait aussi partie de la tâche d'un commissaire européen.

Des actes d'une barbarie sans nom viennent de frapper Paris, capitale de notre pays, mais à travers la France, je l'ai déjà dit, c'est tout un continent qui a été visé. La réponse politique, au lendemain des attentats, a donc été européenne, et même internationale. Je peux en témoigner, pour avoir accompagné le président Juncker au G 20 d'Antalya. La réponse opérationnelle elle aussi ne peut être qu'européenne, en complément de la réponse des autorités françaises. Elle prend déjà forme, et nous le verrons encore mieux au cours des prochaines semaines. La France n'est pas seule : l'Europe est avec elle, les Européens sont avec elle.

Quels sont les premiers éléments de la réponse de la Commission européenne aux attentats ? L'enjeu est de sauver nos sociétés ouvertes et notre Europe démocratique tout en garantissant la sécurité de nos concitoyens.

Résumons la situation. La conjonction de deux phénomènes remet fondamentalement en cause la mobilité au sein de l'Union.

La crise des réfugiés tout d'abord, qui ne peut être traitée et résolue pacifiquement que si les frontières extérieures jouent leur rôle – c'est le pendant de la solidarité. Face à la crise migratoire, l'espace Schengen a commencé à être remis en cause. Un sentiment extrêmement puissant de perte de maîtrise se fait jour, même dans les pays qui ne sont pas directement des États d'entrée, de transit et de destination.

Parallèlement, la menace sécuritaire soumet les frontières extérieures et la mobilité intra-européenne à une plus forte tension. Même la libre circulation au sein de l'Europe est désormais vue comme une menace – le débat suscité par le parcours belge des terroristes qui ont frappé Paris l'a montré.

Ces deux phénomènes, distincts – j'y insiste – mais concomitants, hypothèquent lourdement Schengen et la mobilité des personnes à l'intérieur de l'Union européenne.

Cela emporte deux conséquences. D'une part, sans remettre en cause Schengen – ce serait une erreur –, il faut sans doute l'adapter. Les autorités françaises, notamment le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, l'ont d'ailleurs demandé devant le conseil compétent. D'autre part, nous devons travailler à la protection de nos frontières extérieures en liaison avec les pays tiers. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a débattu hier d'une série de propositions à faire à la Turquie, partenaire essentiel en la matière. Un sommet réunira dans les prochains jours, pour la première fois, les représentants des vingt-huit États membres de l'Union européenne et le Premier ministre turc pour examiner cette question.

Qu'en est-il de la prise en compte du coût de la crise des réfugiés ? Un certain nombre de pays, à commencer par l'Autriche et l'Italie, ont demandé que les surcoûts occasionnés par la prise en charge des réfugiés dans les pays d'accueil, soient sortis du calcul classique des déficits budgétaires. Vous connaissez le point de vue de la Commission européenne : son rôle est de faire respecter les règles du pacte de stabilité, mais celles-ci autorisent une certaine flexibilité, dont bénéficient les pays qui investissent ou mènent des réformes structurelles importantes dans le cadre du volet préventif du pacte : c'est le cas de l'Italie. Nous considérons que la crise des réfugiés peut faire partie de circonstances exceptionnelles qu'il convient de prendre en compte, mais dans le cadre d'une approche au cas par cas, ex post, en nous fondant sur des chiffres précis, sans créer une sorte de clause de flexibilité générale.

La réponse, je l'ai dit, ne peut être qu'européenne, et chacun a compris ces derniers jours qu'il fallait élever le niveau de jeu ? Je détaillerai de premiers éléments, parce qu'ils ne sont pas forcément immédiatement visibles au niveau national.

La Commission européenne a adopté, dès le mois d'avril dernier, un agenda européen sur la sécurité, qui vise à endiguer la radicalisation, à lutter contre la criminalité organisée et la cybercriminalité. Depuis lors, d'importants progrès ont été faits, même si, évidemment, les questions de sécurité restent encore assez largement – c'est normal et heureux – de la compétence des États membres. La Commission européenne a adopté en urgence, la semaine dernière, des propositions visant à restreindre strictement l'acquisition des armes à feu, en réponse directe à la manière dont certaines armes ont été acquises ou modifiées dans les attaques terroristes de cette année. La détention des armes les plus dangereuses – en gros, les Kalachnikov, encore nombreuses dans les Balkans – sera interdite. Une unité spéciale, dédiée à l'identification des sites internet djihadistes, a été créée au sein d'Europol. Pour prévenir la radicalisation en ligne, la Commission lancera le 3 décembre, un forum européen avec des sociétés informatiques. Cet outil permettra de développer les instruments de lutte, aujourd'hui trop lacunaires, contre la propagande terroriste. Le système européen d'information sur les casiers judiciaires ne couvre pas, aujourd'hui, les ressortissants des pays tiers. La Commission va étendre son champ à la collecte et au partage de données concernant les ressortissants des pays tiers qui ont fait l'objet d'une condamnation dans l'Union européenne : une proposition sera préparée pour le mois de janvier prochain. Avant la fin de l'année, la Commission présentera une proposition d'actualisation de la décision-cadre sur le terrorisme afin de mieux faire face au phénomène des combattants étrangers. Les nouvelles dispositions permettront d'intensifier la coopération avec les pays tiers sur ce point.

Les douanes, qui font partie de mon portefeuille, jouent, pour leur part, un rôle majeur dans la surveillance des trafics de biens aux frontières externes, notamment les armes, les produits du terrorisme, et dans le contrôle des circuits financiers illégaux. Lors de la réunion de l'Eurogroupe de ce lundi, le ministre des finances Michel Sapin a appelé à renforcer la lutte contre le financement du terrorisme. Cette exigence figure aussi dans les conclusions du G20. Nos systèmes douaniers sont tout à fait décisifs à cet égard. Nous allons accélérer la mise en oeuvre de notre stratégie pour la gestion des risques douaniers afin d'endiguer les trafics illégaux liés au terrorisme et d'assécher les financements.

Par ailleurs, les conclusions du Conseil du 20 novembre dessinent une feuille de route pour l'action européenne dans les prochains mois. Elles se concentrent tout particulièrement sur le renforcement des contrôles aux frontières extérieures de l'Union européenne, l'échange d'informations entre les États membres et la lutte contre le financement du terrorisme. Dans ce cadre, la Commission proposera des adaptations de Schengen, notamment à la demande des autorités françaises.

Vous m'avez interrogé sur les dépenses de défense. Dès le lendemain des attentats, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a évoqué la possibilité de recourir au paragraphe 7 de l'article 42 du Traité, qui permet effectivement à tous les États membres d'apporter aide et assistance à un pays qui se trouve dans la situation qui est aujourd'hui celle de notre pays. Le conseil l'a accepté immédiatement et à l'unanimité. Federica Mogherini doit maintenant travailler à traduire cela en termes opérationnels.

Je ne peux vous répondre précisément, aujourd'hui, sur l'éventuelle prise en charge des dépenses de défense. Je peux en revanche vous indiquer la position habituelle de la Commission : nous ne considérons pas que les dépenses de défense doivent bénéficier d'un traitement particulier. Vous êtes suffisamment attaché, monsieur le président Carrez, au pacte de stabilité et de croissance, pour savoir que rien de tel n'est prévu. En revanche, cette dimension est évidemment prise en compte lorsque nous exprimons une opinion sur la situation des finances publiques, notamment françaises.

On m'a beaucoup interrogé sur la manière dont les dépenses de sécurité seraient traitées à la suite de ces attentats. Si le Président de la République a déclaré devant le Congrès que « le pacte de sécurité l'emporte sur le pacte de stabilité », il est également tout à fait clair aux yeux de la Commission que la priorité absolue est d'assurer la sécurité des citoyens face à la menace terroriste – ce n'est pas mon seul point de vue, mais bien celui de la Commission tout entière. La situation extrêmement tendue à laquelle la France et, à travers elle, le continent européen font face appelle des mesures fortes et adaptées : la Commission le comprend parfaitement, et elle en tiendra évidemment compte. Il n'y a pas d'opposition entre les enjeux de sécurité et le souci des finances publiques, de même qu'il n'y en a pas entre le pacte de sécurité voulu par le Président François Hollande et le pacte de stabilité, qui est notre règle commune.

On a entendu beaucoup d'exagérations et de raccourcis. Nous devons tout simplement faire preuve de stabilité et d'humanité. Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, le pacte n'est ni rigide ni stupide ; il peut être appliqué de manière flexible et intelligente. En outre, il n'empêche pas les gouvernements de décider de leurs priorités légitimes. Le pacte est précisément conçu pour faire en sorte que les États membres se construisent une marge de manoeuvre budgétaire suffisante au fil du temps. Utilisons donc toutes les possibilités qu'il nous offre en termes de flexibilité, mais ne le défaisons pas. N'oublions pas que la lutte contre l'endettement public et privé est une condition sine qua non du retour à une croissance créatrice d'emplois.

Qu'est-ce que cela signifie pratiquement ? Je veux être tout à fait concret. L'impact sur les finances publiques sera évalué en temps voulu, sur la base de données chiffrées, au cas par cas et ex post.

Dans l'avis rendu la semaine dernière, qui a été approuvé par l'Eurogroupe ce lundi, la Commission a jugé le projet de plan budgétaire présenté le mois dernier par la France globalement conforme aux obligations du pacte de stabilité et de croissance. L'opinion que nous exprimons ne tient donc évidemment pas compte des dépenses supplémentaires annoncées par les autorités en réponse aux attentats, et je n'ai pas à spéculer à ce propos. Nous aviserons en temps voulu, en fonction des règles d'un pacte moins borné que certains ne le disent. Cela dit, s'ils permettent de prendre des mesures fortes, les montants annoncés ne sont pas de nature à nous faire changer spectaculairement d'avis ni à modifier substantiellement la trajectoire budgétaire de la France. D'ailleurs, le ministre des finances français s'y est engagé devant l'Eurogroupe : le pays tiendra ses objectifs en 2016, comme en 2017. En résumé, nous sommes face à des dépenses suffisamment significatives pour permettre des mesures fortes, sans être pour autant de nature à faire dévier la trajectoire budgétaire française. Notre volonté est d'accompagner la France sur cette voie.

J'en viens précisément à l'avis rendu sur le projet de plan budgétaire pour 2016. La Commission estime à la fois qu'il est globalement conforme aux règles du pacte et que des efforts sont nécessaires ; ce point de vue a été validé par l'Eurogroupe.

Rappelons les chiffres. Nous prévoyons une croissance de 1,1 % du PIB en 2015, de 1,4 % en 2016. Dans l'ensemble, le plan budgétaire français se fonde sur des hypothèses de croissance du PIB et d'inflation plausible – c'est aussi l'opinion du Haut Conseil des finances publiques. Selon nous, le déficit atteindrait 3,8 % du PIB en 2015 et 3,4 % en 2016 ; ces prévisions sont en ligne avec les chiffres français, nonobstant un écart de 0,1 point pour 2016 – la France prévoit un déficit de 3,3 %. Selon nous, la dette publique représentera 97,1 % du PIB en 2016. Cette fois, nous constatons un écart de 0,6 point entre notre prévision et le projet de plan budgétaire français. Il s'explique par le fait que nous avons retenu une croissance du PIB plus faible de 0,1 point et prévu un déficit légèrement plus élevé.

En 2016, d'après nos estimations, l'objectif d'un déficit nominal de 3,4 % du PIB devrait être atteint, sans marge. Au printemps dernier, le Conseil a recommandé que la France améliore son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2016. C'était assez exigeant, quand bien même les performances du pays avaient été meilleures que prévu en 2014, et le solde structurel ne devrait s'améliorer que de 0,3 point en 2017, soit moins que recommandé.

En résumé, la Commission estime que le projet de budget français respecte l'objectif de déficit nominal mais relève qu'est anticipé un effort budgétaire inférieur au niveau recommandé. La stratégie retenue par le Gouvernement français repose sur un déficit effectif moins élevé que prévu et une amélioration de la conjoncture. Cette stratégie permet la conformité globale du projet de budget français avec les règles du pacte, ce qui n'était pas le cas l'an dernier, mais elle comporte à nos yeux des risques, notamment dans l'hypothèse d'un affaiblissement de la croissance. La Commission a donc invité la France à prendre les mesures éventuellement nécessaires pour garantir la compatibilité du budget 2016 avec le pacte de stabilité et de croissance. J'espère avoir expliqué assez précisément l'avis porté à la connaissance de l'Assemblée nationale et du Sénat en vue du débat budgétaire.

En vertu des règles du pacte, la Commission ne rend d'avis que pour l'année à venir : elle ne se prononce donc pas sur l'année 2017, mais nous resterons vigilants. Selon les prévisions que j'ai présentées il y a quelques semaines, le déficit serait de 3,3 % du PIB en 2017… à politique inchangée, s'entend, autrement dit sans économie supplémentaire. Cela ne signifie pas que le déficit français ne pourra pas repasser sous le seuil des 3 %, mais c'est un point sur lequel nous appelons l'attention dès maintenant.

Michel Sapin s'est, je le répète, engagé devant l'Eurogroupe à ce que la France passe clairement et nettement sous les 3 % en 2017. Ne nous prononçant que sur 2016, nous n'avons pas à attester que ce sera le cas, mais nous n'avons pas non plus de raisons d'en douter. Je le dis de la manière la plus neutre qui soit, et nous poursuivrons donc nos échanges avec la France.

Pour ce qui est de la gouvernance économique et monétaire de la zone euro, la Commission a présenté le 21 octobre dernier un ensemble de propositions en vue de parachever l'Union économique et monétaire, avec un objectif économique et politique : remettre les économies de la zone euro sur la voie de la convergence – leur divergence est en effet l'un de nos problèmes majeurs. Disons-le tout de suite, on ne saurait y voir la réponse ultime à l'achèvement de l'union économique et monétaire, mais cela n'en est pas moins un signal politique sans ambiguïté : le statu quo n'est pas viable. Il fallait commencer par ce constat ; dans un second temps, dès lors que la convergence aura repris, nous pourrons envisager un approfondissement plus ambitieux, une gouvernance plus efficace et plus démocratique de la zone euro. Autrement dit, convergence d'abord, gouvernance accrue ensuite.

Ce paquet comporte plusieurs nouveautés qui jalonnent notre progression vers cette étape finale.

Première innovation, les pays de la zone euro pourront s'appuyer sur des conseils de compétitivité opérant au plan national, des instances qui aideront à accroître la compétitivité des économies au sens large et faciliteront l'appropriation nationale des réformes et le dialogue social. Cela ressemble beaucoup, pour le dire clairement, à ce que fait aujourd'hui France Stratégie, dont le mandat pourrait être élargi et modifié. Nous ne proposons pas de créer de nouvelles institutions uniformes : nous sommes prêts à nous appuyer sur ce qui existe déjà dans les pays membres.

Deuxième innovation, un comité budgétaire européen conseillera la Commission ex ante, en se concentrant sur les effets agrégés des politiques budgétaires des États membres de la zone euro, et ex post, en vérifiant que les décisions prises dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance sont cohérentes sur le plan économique. Il s'agit non pas de surveiller la Commission mais d'éclairer sa décision, de donner corps à la zone euro dans sa réalité budgétaire. Cela ressemble un peu à ce que fait, en France, le Haut Conseil des finances publiques, avec cette particularité de travailler plutôt ex post qu'ex ante.

Troisième innovation, la recommandation propre aux pays de la zone euro, horizontale, sera publiée en amont du semestre européen. L'objectif est d'orienter les dix-neuf économies de l'UEM pour donner un contenu à la zone euro.

Dernière innovation, la Commission propose que la zone euro parle d'une seule voix au Fonds monétaire international. La fragmentation nous affaiblit. Nous devons y remédier pour devenir, collectivement, plus audibles. Soyons francs : les États membres ont réservé un accueil assez peu enthousiaste à cette proposition, pour des raisons politiques que vous pouvez comprendre.

Ce paquet n'est qu'un premier pas. Il n'épuise pas le sujet. Le rapport des cinq présidents envisage deux phases, et nous abordons la phase I. Il est également vrai que tout cela présente des lacunes. Effectivement, madame la présidente Auroi, la dimension sociale est trop peu présente, de même que la dimension environnementale, même si l'Union européenne fait beaucoup en la matière : nous avons beaucoup travaillé avec la présidence française de la COP21 sur le financement de la lutte contre le réchauffement climatique et les engagements pris par les Européens sont à la hauteur. L'Europe est au rendez-vous de la COP21, dont nous souhaitons ardemment le succès. Quant à la dimension politique institutionnelle, ce sera l'objet de la phase II. Nous retrouverons alors des débats que vous connaissez déjà : que peut être un ministre des finances de la zone euro ? Que peut être un Trésor de la zone euro ? Que peut être un budget de la zone euro ? Comment organiser le contrôle par le Parlement européen de ce budget et ce gouvernement économique et financier ? Quel peut être le rôle des Parlements nationaux ? Cette phase II doit intervenir après l'élection présidentielle française, les élections fédérales allemandes et le référendum sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union européenne. Je souhaite cependant que le débat n'attende pas la fin de l'année 2017. Ce serait, à mon sens, une erreur.

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Monsieur le commissaire, je vous remercie des propos que vous venez de tenir. Les circonstances obligent à faire preuve de responsabilité. Celle des membres de la commission des finances est double : il s'agit, d'une part, de nous donner les moyens d'assurer la protection et la sécurité de nos concitoyens, mais aussi de jouer le rôle qui doit être le nôtre en Europe, et, d'autre part, de ne pas relâcher nos efforts et de tenir nos objectifs. En fait de souveraineté, la souveraineté financière est importante. La position de la Commission européenne, telle que vous l'avez exprimée, me paraît sur ces deux plans tout à fait responsable.

Rappelons qu'en première lecture du projet de loi de finances pour 2016, la représentation nationale a déjà augmenté de 2 000 le nombre d'emplois par rapport au projet de plan budgétaire soumis à vos services, monsieur le commissaire, et il s'agissait déjà d'emplois liés à la sécurité de notre pays. Compte tenu de ce qui s'est passé, nous sommes amenés à revoir encore la trajectoire de notre pays en termes d'emplois. Était prévue, pour accompagner le pacte de responsabilité et de solidarité annoncé par le Président de la République, une réduction sensible des emplois militaires dans le cadre d'une stabilisation globale des emplois de la fonction publique. Cet objectif ne sera, à l'évidence, pas tenu, même si, en 2016, l'impact budgétaire estimé est finalement à peine supérieur à celui des décisions que nous avons prises en première lecture.

Au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, je confirme que nous souscrivons à l'objectif exprimé par le ministre des finances lundi dernier, lors de l'Eurogroupe. Cherchons donc, d'ici à la fin de la discussion budgétaire, comment rester dans la trajectoire prévue et comment parvenir quand même au solde visé. Nos collègues sénateurs nous ont privés d'un certain nombre de recettes et remis en cause un certain nombre de mesures importantes de maîtrise de la dépense publique, qui concernent notamment les collectivités locales. Mais nous y reviendrons.

Cela étant, à court terme, ne gageons pas ces nouvelles créations d'emplois et ces moyens pour la sécurité par des économies supplémentaires au-delà des 50 milliards du pacte de responsabilité, mais appliquons tout le pacte – c'est ainsi que j'ai compris les propos du Président de la République.

Enfin, monsieur le commissaire, vous avez relevé que l'effort structurel serait moindre, non sans rappeler qu'il avait été plus important les années précédentes. Cela tient pour partie à une stratégie de baisse des prélèvements obligatoires qui nous paraît, dans cette période tendue, absolument nécessaire. Je le répète : tenons le pacte de responsabilité ! Quand la Commission européenne examine les composantes de notre effort structurel, il faut prendre en compte ce qui relève de la maîtrise des dépenses, mais également comprendre que se priver de recettes fiscales affecte également l'effort structurel. Au-delà des aspects mathématiques, c'est tout le contenu de la trajectoire qui doit être analysé. Quoi qu'il en soit, je remercie la Commission de l'esprit d'ouverture et de responsabilité dont elle fait preuve à l'heure où la France assume des dépenses qui concernent en fait toute l'Union européenne.

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Monsieur le commissaire, la crise des réfugiés et les dramatiques enjeux de sécurité auxquels nous sommes confrontés sont en effet deux phénomènes distincts, mais pas simplement concomitants. Des mesures de police des frontières et de police des migrations sont nécessaires pour régler des questions qui concernent et l'une et les autres. L'adjectif « concomitant » ne suffit pas à décrire la situation.

Les mesures que notre pays doit prendre à la suite des attentats du 13 novembre doivent être financées, mais elles ne sont pas de nature à modifier fondamentalement notre trajectoire budgétaire. D'une part, si les enjeux sont importants, les montants en question ne font pas exploser l'épure. D'autre part, de telles dépenses supplémentaires doivent logiquement s'accompagner d'économies par ailleurs. Voilà qui est de nature à aiguiser la vigilance avec laquelle vous vérifiez la réalité des économies réalisées. Je ne suis pas sûr de vous avoir entendu ce raisonnement, mais, implicitement, c'est ce que vous dites : tout cela est budgétairement maîtrisable et vous faites confiance à la France pour procéder aux arbitrages nécessaires. En tout cas, c'est ainsi que nous voulons comprendre votre propos.

Nous y insistons : le pacte de stabilité ne vaut pas pour lui-même. S'il faut le respecter, c'est parce qu'il y va de notre sagesse, de notre intelligence et de notre souveraineté. Il n'y a pas de souveraineté, y compris face au terrorisme, sans une gestion attentive, sérieuse et rigoureuse des finances publiques.

Il nous paraît donc extrêmement important, monsieur le commissaire, que la Commission européenne n'envoie pas de mauvais signal. Je ne crois pas qu'il y en ait eu, mais il ne faudrait pas qu'on les interprète dans un sens qui ferait croire à nos concitoyens que c'est en abandonnant nos objectifs de souveraineté et de sérieux budgétaires que l'on réglera nos problèmes de sécurité. Au fond, c'est une question de pédagogie. Je ne demande pas à la Commission d'intervenir dans le débat partisan français, ce n'est pas son rôle, mais mesurez bien cet enjeu de pédagogie : nos concitoyens ne doivent pas se méprendre. Dès lors, comment entendez-vous leur faire comprendre que, tout en assurant notre sécurité, nous devons toujours veiller avec le même sérieux à notre souveraineté budgétaire ?

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Depuis plus de cinq ans, l'écart entre le déficit effectif des finances publiques françaises et le déficit prétendument structurel ne cesse de se creuser. En 2016, il atteindra 2,1 points de PIB. Dans ces conditions, pensez-vous, monsieur le commissaire européen, que la théorie des cycles économiques, qui fonde la distinction entre déficit effectif et déficit structurel, est encore valide ?

Sur les hypothèses macroéconomiques retenues par le gouvernement français, vous nous avez très gentiment dit que vos propres chiffres pour l'année 2015 en sont très proches. Encore heureux… Nous sommes quand même à la fin de l'année 2015. L'écart en 2016 n'est pas significatif – 0,1 point de PIB –, mais l'année 2017 vous inspire quelques inquiétudes, ai - je cru comprendre, puisque le Gouvernement se fonde sur l'hypothèse d'une croissance de 2,25, % du PIB, ce qui vous paraîtrait un peu excessif. Que pensez-vous donc du taux de croissance potentielle de l'économie française ? De bons économistes estiment qu'il est environ de 0,8 % ou 1 %, pas plus. S'ils ont raison, cela veut dire que les hypothèses du Gouvernement sont totalement irréalistes.

Avec un taux d'inflation compris entre 0 % et 0,1 %, on peut parler d'une quasi-stabilité des prix en 2015. Le Gouvernement retient cependant l'hypothèse d'une inflation de 1 %, pour l'année 2016, en invoquant l'objectif de la Banque centrale européenne, laquelle vise une inflation de 2 %. Ce n'est pourtant pas parce que la BCE injecte massivement des liquidités dans le cadre de son mandat qu'il y a eu de l'inflation en 2015 ! Que pensez-vous donc de cette théorie monétariste implicite ?

Enfin, pensez-vous que les initiatives prises par la Commission soient à la hauteur de la situation en Europe et à la mesure du risque d'un retour de politiques nationales non coordonnées ?

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Finalement, les relations entre l'Union européenne et les États nations, notamment la France, sont affaire de pactes. L'Europe a assoupli légèrement ses exigences vis-à-vis de la France, repoussant tout d'abord de 2013 à 2015 le moment où le déficit devrait passer sous la barre des 3 %. Finalement, une sorte de « pacte de réalité » l'emportait sur le « pacte de stabilité »… L'échéance fut encore reportée, de 2015 à 2017, tandis que s'affrontaient « pacte de responsabilité » et « pacte de stabilité ». Aujourd'hui, la gravité de la situation suscite un « pacte de sécurité » qui pourrait affecter légèrement la trajectoire du pacte de stabilité.

Mais d'autres pactes sont en jeu. Au vu de menaces politiques extrêmes, aux portes de l'Europe, c'est un pacte républicain qu'il faut défendre, et qui peut inviter à des discussions sur le pacte de stabilité. Il faut notamment lutter contre toutes celles et tous ceux qui veulent abattre notre République, et pour toutes celles et tous ceux qui sont exclus de notre République. Examinons donc le pacte de stabilité à l'aune de cette question.

N'oublions pas non plus le pacte de justice fiscale. La réussite du pacte de stabilité suppose celle d'un pacte de justice fiscale. Voilà qui concerne au moins autant l'Union européenne que les États nations. Qu'en est-il donc, monsieur le commissaire européen, de l'engagement de l'Union européen dans le domaine du projet BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) et de la lutte contre l'évasion fiscale ? Qu'en est-il du succès de ces dispositifs ?

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Je suis heureux de retrouver aujourd'hui M. Moscovici, aux côtés duquel j'ai eu le plaisir de siéger.

Est-il envisagé, à Bruxelles, que la croissance économique puisse souffrir de quelque coup de froid en raison des événements ? Air France, baromètre très sensible, note déjà une baisse très nette du trafic aérien. Les événements pourraient avoir un impact bien réel, quoique difficilement mesurable, sur la croissance. Or, nous envisageons l'impact budgétaire de nouvelles dépenses visant à assurer notre sécurité en nous fondant sur des hypothèses de croissance inchangées. En réalité, une déstabilisation macroéconomique n'est pas à exclure.

Par ailleurs, Mme Royal a annoncé la mise en place de portiques de sûreté, sous lesquels il faudrait passer pour accéder au Thalys, mais nous n'irons pas loin si nous sommes les seuls à en installer… La sûreté dans les transports terrestres est curieusement un angle mort des politiques bruxelloises. Nous sommes très exigeants pour les transports aériens, disposés à interdire certains liquides dans les avions ou à mettre en place des scanners corporels ; mais dans le domaine des transports terrestres, aucune politique de sûreté n'a été déclenchée à la suite des événements qui se sont succédé depuis le début de cette année. L'Union européenne devrait y prendre sa part.

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Vous avez répondu de manière assez positive pour ce qui concerne le court terme, notamment sur les questions de sécurité et de réfugiés.

Je fais partie de ceux qui pensent que la France doit s'efforcer de tenir ses engagements en matière budgétaire. Nous sommes confrontés à deux chocs très importants : celui des réfugiés et celui de la sécurité. Et ces deux chocs vont probablement durer ; l'ampleur de la crise n'est pas totalement évaluée.

Par conséquent, au-delà du court terme, ne faut-il pas réfléchir à un certain nombre de dispositifs afin d'y faire face ? La France aura du mal, dans sa situation budgétaire, à assumer une accentuation importante des opérations en matière de défense, c'est en tout cas le sens que je donne à la remarque du Président de la République. Nous sommes engagés en Afrique et en Syrie, et tout cela pèse sur le plan budgétaire.

Un certain nombre de propositions ont été formulées. Un de vos anciens conseillers avance l'idée d'un emprunt. Hier, une proposition émanant conjointement d'un ministre français et d'un ministre allemand appelait à la création d'un fonds. La Commission a-t-elle engagé des réflexions à ce sujet, dans l'hypothèse d'une crise durable ?

Enfin, la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale a rendu un avis sur les propositions formulées sans le domaine institutionnel par la Commission européenne suite au rapport des cinq présidents. Pour ce qui est du conseil de compétitivité, nous sommes d'avis que c'est plutôt une bonne chose. En revanche, nous sommes très réservés sur le comité budgétaire européen, qui ne semble pas très bien positionné. Nous n'en comprenons pas l'utilité : il existe déjà des comités budgétaires dans chacun des États. Qu'ils faillent les coordonner, soit, mais l'idée d'un nouveau comité, dont le positionnement serait compliqué vis-à-vis de la Commission, qui a elle-même un rôle d'évaluation, semble baroque. Je comprends que la Commission essaie de préserver ce qui relève de sa responsabilité, et de sa marge d'appréciation.

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Les circonstances nous obligent à beaucoup de responsabilité, comme le disait Dominique Lefebvre, mais la responsabilité n'interdit pas le réalisme. Comment peut-on envisager, à l'échelle intracommunautaire, de maintenir des contrôles pointilleux et réguliers à nos frontières quand les échanges économiques entre les différents pays sont aussi intenses ? Ces contrôles pénaliseraient la vie des Européens et l'activité économique. Quel est le point de vue de l'Union européenne ?

Comment sont appréciés la position du Royaume-Uni et son fameux référendum ? Des évolutions ont-elles eu lieu à la suite des élections ? Ce référendum aura certainement des incidences importantes sur notre fonctionnement dans les années à venir.

Enfin, a-t-on évalué l'incidence des événements que nous venons de vivre sur la croissance européenne, qui est déjà plutôt faible ?

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Selon vous, l'agence FRONTEX a-t-elle les moyens de sa politique ?

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Merci, monsieur le commissaire, de vos précisions sur le soutien et l'aide de la Commission suite aux attentats qui se sont déroulés à Paris.

Ma question porte sur un sujet plus large. Vous avez animé la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscale en tant que ministre français de l'économie et des finances dès avril 2013. Vous continuez à la porter au niveau européen ; c'est une de vos priorités. Quel est votre sentiment sur une nouvelle étape ?

La Commission européenne réfléchit-elle sur le manque à gagner au niveau de la TVA ? Des chiffres européens – contestés par le ministère français de l'économie et des finances – faisaient état d'un manque à gagner énorme pour la France sur la TVA ; on a été jusqu'à évoquer le chiffre de 32 milliards, avant de redescendre à 17 milliards. Même si l'on s'en tient à 10 milliards, c'est déjà énorme.

Il semble aussi qu'au-delà des réseaux mafieux, les réseaux terroristes eux aussi pratiquent l'escroquerie à la TVA. Cette question a-t-elle été prise à bras-le-corps par la Commission européenne ?

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Nous avons déjà pu vous interroger avec Christophe Caresche dans le cadre de la préparation du rapport sur lequel nous travaillons. Je voudrais pour l'heure vous interroger sur le futur de la zone euro.

Allons-nous vers une zone euro plus forte et plus autonome, dotée d'un président stable de la zone euro, comme cela a déjà été proposé à plusieurs reprises ? Allons-nous vers une transformation du Mécanisme européen de stabilité en fonds monétaire européen ?

Et qu'en est-il de la fameuse harmonisation fiscale et sociale, absolument indispensable ? Il s'agit de l'étape suivante, évidemment difficile à mettre en oeuvre, mais pourtant indispensable, tout le monde ici s'accorde à le reconnaître ; la difficulté tient à cette divergence que vous avez soulignée.

Enfin, sur le plan militaire, la Commission a répondu qu'elle se montrerait plus souple sur les critères, mais ce n'est pas à mes yeux la solution. Il faut continuer à respecter les critères mais, contrairement à ce qui se fait actuellement, il faut une véritable aide institutionnalisée des États européens dès lors qu'un des leurs est en guerre. Un système permet de participer à hauteur de 10 %, mais ne pensez-vous pas qu'il faudrait un système de participation automatique, dès lors que tous les pays sont d'accord pour mener cette guerre ?

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La prise en compte, par la Commission, des événements et des dépenses qu'ils occasionnent est une bonne chose : c'est une décision de bon sens. Mais nous n'avons pas attendu ces événements pour être nombreux à dire que ce qui relevait de la sécurité de notre pays et plus généralement de celle de l'Europe devrait être définitivement pris en compte pour ne pas fausser le pacte de stabilité.

Ne faudrait-il pas, suite aux événements qui viennent de se produire, mener une réflexion plus approfondie ? Il est à craindre que la période d'insécurité que nous vivons s'inscrive durablement dans le temps. Nous avons besoin d'une politique de sécurité commune, à laquelle il faut que nous travaillions tous ensemble.

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Pensez-vous, comme la majorité des députés de notre groupe, que les politiques budgétaires conduites avant 2012, principalement par les gouvernements de droite, ont été particulièrement néfastes pour notre sécurité ? Dans nombre de pays les crédits militaires ont baissé. Pensez-vous, comme notre groupe, que l'Europe devrait moins se comporter en gendarme budgétaire et davantage jouer un véritable rôle d'accompagnement des pays face aux nouvelles menaces ?

Je reviens de Grèce où j'ai rencontré des parlementaires de Syriza, la formation majoritaire actuelle. Tous m'ont fait état de l'incompréhension qu'ils ressentaient dans leur dialogue avec l'Union européenne et les créanciers, alors même qu'ils consentaient des efforts considérables pour absorber le choc des réfugiés qui déferlent dans leur pays : sitôt qu'il fait beau, plusieurs milliers de réfugiés débarquent chaque jour en Grèce.

On mégote les 2 milliards d'euros qu'ils demandent et l'on conditionne certaines aides européennes à l'adoption, dans le cadre du débat sur la recapitalisation des banques, de mesures permettant la saisie de biens immobiliers des particuliers. Dans le même temps, la Turquie engage un dialogue substantiel avec l'Union européenne et semble en bonne voie d'obtenir 3 milliards d'euros, tandis que l'on discute des voies et moyens de la convergence entre la Turquie et l'Union européenne… Nos amis grecs ont le sentiment de deux poids, deux mesures. Vous qui avez une vision plus globale, pensez-vous que ces impressions sont infondées ou que l'Union européenne doit les prendre en compte ?

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Nous commençons seulement à nous poser les bonnes questions… C'est souvent inhérent, hélas ! aux grandes crises et aux grands malheurs.

Quelle Europe et quels États voulons-nous ? J'ai l'impression que nous ne sommes pas très au clair sur le sujet. Certains de nos collègues pensent qu'il faudrait plus d'intégration ; moi qui ai récemment fait un tour de quinze pays d'Europe, j'ai l'impression que les opinions publiques ont tellement changé au cours de ces dix ou quinze dernières années que c'est aujourd'hui totalement impossible sans reprendre un travail d'explication considérable auprès des opinions nationales. Que pensez-vous de cette évolution ? Pour l'instant, il semble qu'il n'y ait personne, aujourd'hui, pour prendre les décisions…

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Ces derniers mois, nous avons vu lors de la crise grecque et des crises récentes de la sécurité et des réfugiés que nous ne disposons pas toujours, au sein du cadre européen, de toutes les politiques nécessaires pour apporter une réponse à la hauteur.

Vous avez évoqué les questions des réfugiés et de la sécurité ; je souhaite vous interroger sur l'intégration de la zone euro. Le Président de la République a fait un certain nombre de propositions au mois de juillet, notamment pour un budget de la zone euro et une convergence fiscale, sociale et salariale. Quelles sont les propositions concrètes de la Commission dans ce domaine ?

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Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

J'ai suffisamment été présent dans cette salle comme ministre ou parlementaire pour me permettre de vous dire que je suis frappé par la retenue et la responsabilité dont vous faites preuve aujourd'hui. Il est arrivé que des débats dans cette salle n'aient ni cette teneur ni cette tenue. C'est une excellente chose, et je vous le dis comme quelqu'un qui n'est plus acteur de la vie politique nationale – je ne répondrai pas à M. Cherki sur telle ou telle politique passée. Il est très important que les Français, au travers de leur représentation nationale, offrent ce visage de dignité, d'unité, de retenue et de responsabilité dans ces circonstances.

Comme l'a relevé M. Lassalle, nous vivons un temps de crises sans précédent à l'échelle européenne.

La crise économique est sans doute en train de se dissiper : nous en sommes à la troisième année de croissance positive pour l'Union européenne. La croissance s'affirme, même si elle reste trop faible et que les dégâts économiques et sociaux de la crise continuent de marquer nos territoires.

Mais des crises existentielles sont en train de s'affirmer. La crise environnementale en est une. La crise des réfugiés en est une autre. Elles remettent très profondément en cause l'équilibre que nous avons construit avec l'ouverture nécessaire de l'Europe et de ses frontières. Elles posent des questions décisives : la crise, majeure, du terrorisme et de la sécurité interroge sur l'équilibre entre liberté et sécurité.

Dans ces conditions, nous sommes confrontés à des opinions publiques beaucoup plus restrictives, marquées par le populisme et qui, paradoxalement, en appellent en même temps davantage à l'Union européenne sans lui donner les moyens de faire ce que l'on exige d'elle. Je crois en effet que le temps est revenu d'un grand débat sur ce que peut être l'intégration économique, sociale et politique de l'Europe.

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Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

Ce n'est pas un problème de pédagogie, c'est un problème citoyen et politique majeur. Cette période de crise et de paradoxe nous appelle à des relectures fondamentales, et pour la représentation nationale, c'est une tâche essentielle. C'est pourquoi je suis frappé de constater l'intérêt que vous portez aux questions européennes en cet instant.

MM. Dominique Lefebvre et Hervé Mariton ont exprimé un même sentiment de responsabilité, avec des termes un peu différents ; je veux clarifier mes propos. Oui, il est logique que la sécurité soit la priorité absolue de la nation en ces temps dramatiques ; oui, le pacte de sécurité voulu par le Président de la République doit s'appliquer. Oui, la Commission européenne le comprend. Mais je n'oppose en rien pacte de stabilité et pacte de sécurité, et je n'ai pas compris les propos du Président de la République comme un tournant de politique économique. Je n'ai pas entendu Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, exprimer autre chose devant l'Eurogroupe. Au contraire, il a assuré que les engagements pris pour 2016 et 2017 seraient tenus.

Comment faut-il donc prendre en compte les nouvelles dispositions exigées par la situation ? Les choses sont claires : la Commission européenne ne demande pas d'économies supplémentaires à la France. Nous savons que des dépenses supplémentaires sont engagées alors que le projet de budget a déjà été déposé et qu'il est en train d'être débattu. Nous prendrons cela en compte de manière particulière, ex post. Je vous donne une réponse technique sans trancher sur le bien-fondé des positions exprimées, qui ne sont d'ailleurs pas si différentes. Les 600 millions d'euros qui sont évoqués représentent 0,015 % du PIB. Cela n'empêchera pas la France de respecter la trajectoire qu'elle s'est fixée pour 2016 et 2017, à condition qu'elle prenne les mesures nécessaires pour 2017. Michel Sapin s'est également engagé sur ce point. Il faut que vous compreniez clairement que la Commission européenne ne demande pas de compenser par d'autres économies les dépenses entraînées par la situation sécuritaire, et il n'est pas de meilleur endroit que cette commission pour le faire savoir.

Monsieur de Courson, nous n'avons pas de problème majeur avec les hypothèses macroéconomiques retenues par la France pour 2016 et 2017 à ce stade. Nos prévisions de croissance sont de 1,1 % pour cette année, de 1,4 % l'an prochain alors que la France prévoit 1,5 %, et de 1,7 % en 2017. Cela veut dire qu'il n'est pas impossible que la France soit en deçà du seuil de 3 % en 2017. Mais comme toujours, notre raisonnement se fait à politique inchangée. Il faut que la politique budgétaire permette ensuite, grâce à des efforts structurels, de faire mieux. C'est ce dont vous aurez à débattre pour 2017.

La croissance potentielle est en effet établie entre 0,8 % et 1 %. Mais je vous signale que la croissance potentielle de l'Union européenne tout entière n'est pas très différente : elle est de l'ordre de 1 %, ou 1,1 %. La France est donc légèrement en deçà, mais l'Europe n'est pas dans une situation de croissance potentielle forte.

Nous avons donc un écart de production, un output gap – la différence entre la croissance effective et la croissance potentielle –, et tout l'enjeu des politiques que nous devons mener consiste à élever le niveau de croissance potentielle. C'est là que la question des cycles économiques doit trouver une réponse, car nous ne pouvons pas nous contenter d'avoir une action sur les déficits nominaux, il faut aussi une action sur les déficits structurels, ce qui passe par une élévation du niveau de croissance.

S'agissant de l'inflation, il n'y a pas de contradiction dans nos prévisions économiques. Nous prévoyons que l'inflation, actuellement nulle, montera progressivement jusqu'à 1,6 % en 2017 sous l'influence de deux facteurs : le prix des matières premières, notamment le pétrole, devrait rester extrêmement faible mais l'inflation-coeur devrait augmenter par l'effet de l'injection massive de liquidités – le quantitative easing de la Banque centrale européenne. Dès lors, l'inflation prévue par le Gouvernement français n'est pas irréaliste au regard de nos propres prévisions.

Monsieur Alauzet, le pacte républicain est de votre responsabilité à tous, cela dit je sais ce que sont une démocratie et une république avec sa majorité, son opposition et ses débats. Je me concentrerai davantage sur votre seconde question, qui rejoint celle de M. Galut, consacrée à la lutte contre l'évasion fiscale.

Je suis commissaire aux affaires économiques et financières, mais aussi à la fiscalité et aux douanes. Dans ce cadre, je participais hier aux débats de la commission spéciale du Parlement européen, la commission « TAXE », qui va poursuivre ses travaux pendant six mois. J'ai pu y développer ce que je vais vous dire plus brièvement : la lutte contre l'évasion fiscale, contre l'érosion fiscale, contre la diminution des bases fiscales et pour la transparence est une cause essentielle pour la Commission européenne.

J'ai fait adopter une directive sur l'échange automatique d'informations sur les rescrits fiscaux qui entrera en vigueur au début de l'année 2017. Cela a été fait en un temps record : sept mois.

Je vais déposer, au début de l'année 2016, une nouvelle approche de l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés, en partant de l'assiette commune pour ensuite aller vers la consolidation.

Je promeus le principe de taxation effective, ce qui veut dire que les entreprises doivent payer des impôts là où elles réalisent des profits.

Je défends également le reporting pays par pays, afin que l'on connaisse l'activité des entreprises multinationales à un niveau national et à un niveau consolidé. J'avais déjà traité cette question en tant que ministre des finances lors de l'examen d'une loi sur la régulation du système bancaire qui a d'ailleurs montré quelques vertus depuis – je le découvre lors de mes échanges avec les banques françaises. Il est important de défendre le modèle de banque universelle française, et je suis attentif aux projets à cet égard, mais je sors là du cadre strict de mes fonctions.

M. Cherki me demandait si, pour moi, le reporting pays par pays était public. À titre personnel, je suis favorable à un reporting public.

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Pierre Moscovici, commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes

Cela étant dit, la Commission a lancé une étude d'impact pour analyser la façon de combiner transparence nécessaire et investissements indispensables. Nous devons éviter que la transparence ne pénalise la compétitivité des entreprises. Je suis convaincu qu'il n'y a pas de contradiction, mais en fonction de ce que nous découvrirons, nous avancerons.

Enfin, l'Union européenne s'engage à mettre en oeuvre intégralement les accords BEPS. J'ai vu avec intérêt que le projet de loi de finances français anticipait à cet égard. Je mets aussi en chantier une grande réforme du régime de TVA à l'échelle de l'Union européenne, pas seulement pour lutter contre les fraudes, mais aussi pour lutter contre les inégalités, nous en reparlerons avant la fin de l'année 2016.

Mais la prise de décision dans le domaine fiscal est extrêmement compliquée en Europe du fait de la règle de l'unanimité, qui est d'une complexité insupportable. Mais il se produit actuellement des mouvements dans les opinions publiques qui encouragent à la transparence pour plus d'efficacité et d'effectivité. C'est un sujet sur lequel je ne relâcherai pas mon effort, avec le soutien du Parlement européen et des parlements nationaux.

Plusieurs d'entre vous, dont MM. Gilles Savary et Alain Fauré, m'ont interrogé sur la croissance. Il faut évidemment être vigilant sur ce sujet, d'autant que la croissance de l'économie française est soutenue par la demande intérieure et la consommation. Nous constatons tous – et moi aussi, car ma vie privée est en France – le ralentissement de certaines activités. Mais nous pouvons aussi apprendre des événements passés. D'autres attentats dramatiques ont frappé d'autres capitales, le 11 septembre 2001, puis les attentats de Madrid et ceux de Londres : après une phase tout à fait naturelle de ralentissement de la consommation, on y a constaté des phénomènes de rattrapage. Il n'y a donc pas de raison de modifier nos prévisions de croissance à ce stade, mais nous allons suivre cela de près. Un facteur essentiel est la confiance, dans tous les sens du terme : confiance des citoyens dans les institutions, confiance en eux-mêmes et confiance économique. Par le passé, nos sociétés et nos économies ont montré leur capacité à dépasser ce type d'événements, y compris sur le plan économique, et à reprendre leur marche en avant ; c'est évidemment ce que je souhaite.

On m'a interrogé sur une politique des transports européenne. Ce n'est pas mon secteur, je me contenterai de souligner qu'en matière de sécurité des transports, la Commission européenne s'est beaucoup concentrée sur la sécurité aérienne. Un « paquet » sera proposé dans les jours qui viennent par ma collègue Violeta Bulc afin d'être examiné par le collège des commissaires. La question des transports terrestres sera abordée. J'ai appris les initiatives de Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ; elles doivent faire l'objet d'une concertation. La prise en charge par le budget de l'Union européenne pose la question de la structure et du montant du budget de l'Union européenne, mais d'autres cadres financiers peuvent être envisagés.

Cela m'amène à la question de M. Caresche, qui a suivi attentivement les travaux intéressants de Thomas Philippon, un de mes anciens conseillers, ainsi qu'aux annonces des ministres Emmanuel Macron et Sigmar Gabriel. Je ne veux pas me prononcer sur le fond. Je pense seulement que, notamment dans le cadre de la crise des réfugiés, nous pouvons faire face à des besoins financiers d'une très grande ampleur auxquels nous ne sommes pas en mesure de répondre par des moyens budgétaires classiques. Dès lors, diverses solutions sont proposées. Wolfgang Schäuble a lancé l'idée d'une taxe, qui n'a pas encore été présentée au grand jour, sans doute faudra-t-il un jour s'interroger sur tout cela. Le débat sur les Eurobonds n'a pas abouti car ils ont été compris comme une politique de transfert. Dans notre cas, le transfert n'irait pas dans le même sens et la cause serait mieux partagée. J'ai donc demandé à mes services d'y réfléchir ; je n'ai pas de réponse de la Commission aujourd'hui, mais je prête une oreille extrêmement attentive à ce sujet que nous ne devons pas ignorer.

S'agissant du Brexit, le Premier ministre britannique a adressé un courrier à MM. Tusk et Juncker dans lequel il évoquait quatre thèmes de négociation. Ces négociations se nouent actuellement. Il est clair que la Commission européenne souhaite le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne : c'est l'intérêt commun des Britanniques et de l'Union européenne. Je suis aussi certain que c'est l'intention de M. Cameron. Il faudra que cette négociation se noue de manière suffisamment subtile pour que des avancées permettent à M. Cameron de dire qu'il a obtenu quelque chose, sans que pour autant la physionomie essentielle de l'Union européenne soit remise en cause. C'est dans ce cadre que les négociations commencent.

S'agissant de l'agence FRONTEX, je me garderai d'une réponse définitive sur un sujet qui n'est pas de mon ressort, mais je sais que les dirigeants de FRONTEX font état d'un besoin financier, et il existe une volonté européenne de renforcer les instruments de protection de nos frontières extérieures. L'accueil des réfugiés n'est pas contradictoire avec la protection des frontières, je rejoins M. Mariton sur ce point. Cela touche nos relations avec les pays tiers – les discussions avec la Turquie entrent dans ce cadre – et le renforcement de FRONTEX et d'Europol qui figurent à l'ordre du jour.

Monsieur Lequiller, je ne vais pas développer ici longtemps ma vision d'un ministre des finances de la zone euro. À mes yeux, ce devrait être le commissaire européen en charge des affaires économiques et financières. Ce n'est pas un plaidoyer pro domo : j'avais la même position lorsque j'étais ministre. C'est une question de responsabilité et d'efficacité, mais il peut y avoir d'autres thèses.

S'agissant de la transformation du Mécanisme européen de stabilité – qu'il s'agisse de créer un fonds monétaire européen, d'en faire le réceptacle d'un budget ou de mettre en place un Trésor européen, donc transformer les services de la Commission en une administration capable de gérer cela – ces réformes posent des problèmes de responsabilité devant les parlements : Parlement européen et parlements nationaux. Je suis ouvert pour revenir un jour devant vos commissions traiter de ce sujet dans le détail. Ne repoussons pas la phase II aux calendes grecques, mais lançons rapidement le débat sur ces sujets.

Monsieur Cherki, je ne vous répondrai pas sur les politiques avant 2012 – ce n'est plus mon affaire – mais sur la Grèce. Vous avez été en Grèce la semaine dernière, j'y étais il y a trois semaines pour rencontrer les autorités de ce pays. J'ai eu un très long entretien avec le premier ministre, M. Tsipras, ainsi qu'avec son ministre de l'économie et celui des finances. Je suis le négociateur pour la Commission européenne de ces sujets.

Dans cette affaire, M. Tsipras a fait un choix clair et, j'ose le dire, courageux. Depuis les élections grecques – cela n'était pas le cas avant – M. Tsipras s'est vraiment engagé à faire réussir les réformes en Grèce pour que le programme considérable – 86 milliards d'euros – d'aide à la Grèce soit mis en oeuvre. Il manifeste notamment cette volonté en faisant voter par le parlement des mesures qui ne sont pas forcément populaires.

Nous avons conclu lundi, au sein de l'Eurogroupe, un accord sur la première série de mesures votées la semaine précédente par le Parlement grec. Il a d'ores et déjà permis le déblocage de 2 milliards d'euros au titre de la première tranche du troisième programme. Une deuxième série de mesures sera prise dans les semaines qui viennent et permettra le déblocage de 1 milliard d'euros supplémentaires.

La recapitalisation des banques est indispensable au système financier grec, car les quatre banques systémiques étaient auparavant dans une situation extrêmement dangereuse. Elle se déroule très bien, avec un recours au privé bien plus important que prévu, ce qui permet de ne pas puiser dans les 25 milliards qui avaient été prévus dans le programme pour la recapitalisation des banques. D'ores et déjà, nous avons débloqué 10 milliards d'euros du Fonds hellénique de stabilité financière.

On peut donc accuser l'Union européenne de tous les maux, elle a tout de même débloqué 12 milliards d'euros pour la Grèce cette semaine… La négociation est difficile, les réformes compliquées – vous avez évoqué le problème des saisies immobilières –, mais l'Union européenne prend toute sa part et je pense que c'est gagnant-gagnant.

Dans les prévisions économiques que j'ai présentées, nous anticipons certes une récession en Grèce cette année et au début de l'année 2016, mais à partir du second semestre, une reprise devrait s'affirmer et la croissance devrait être de 2,7 % l'année suivante. C'est le pari de M. Tsipras et le nôtre. Et la Commission européenne n'a jamais travaillé dans d'aussi bonnes conditions avec un gouvernement grec depuis que la crise financière a commencé en Grèce. Je ne parle pas des premiers mois au cours desquels beaucoup de temps a été perdu, beaucoup d'argent dilapidé, et la croissance sacrifiée.

Pour parvenir à cela, la Grèce doit mettre en oeuvre des réformes complexes. L'une d'entre elles, la plus difficile à discuter, porte sur les saisies immobilières. Des banques sont dans une situation difficile et ont un amas de crédits non performants. Il faut régler cette question, car comment une banque pourrait retrouver une situation saine si elle ne peut jamais récupérer ses créances ? Parmi ces créances, on trouve les créances immobilières.

Il fallait trouver un équilibre entre deux éléments. Il y a d'un côté la société grecque, fondée sur la propriété privée – 80 % des Grecs sont propriétaires –, ce qui a constitué un formidable amortisseur social. La Grèce a perdu 27 % de son PIB et plus de 50 % des jeunes sont au chômage : s'ils n'avaient pas leur structure familiale et la propriété de leurs maisons, beaucoup de choses se seraient effondrées. Il fallait donc préserver cela.

Mais dans le même temps, il fallait créer une culture de paiement et de responsabilité, qui n'existait pas dans ce pays. Quand on a des dettes, on s'en acquitte ; les lois sur les saisies immobilières existent partout. Mais il existe aussi des systèmes de surendettement. Nous avons donc négocié longuement et difficilement avec le gouvernement grec pour parvenir à un accord permettant d'introduire cette culture de paiement tout en préservant la situation des plus modestes : des seuils sont prévus en deçà desquels les saisies ne sont pas possibles. Cette loi est finalement équilibrée et de qualité ; elle correspond aux souhaits des institutions européennes et du gouvernement grec. Elle a été votée par le parlement grec avec l'appui du parti majoritaire.

Sur la Grèce, je fais preuve de détermination, mais aussi d'un optimisme raisonnable. Nous sommes sur la bonne voie. Nous avons adopté la première série de mesures, nous avons débloqué les deux premiers milliards, nous avons enclenché le processus pour fournir les 10 milliards qui permettront la recapitalisation des banques ; nous allons discuter de la deuxième série de mesures, nous allons débloquer un milliard supplémentaire si nous aboutissons. D'ici à la fin de l'année, nous ferons une première revue du programme, et elle sera positive si les deux points précédents ont été respectés. Ensuite, nous allons traiter de la question du reprofilage de la dette grecque. Nous sommes engagés dans une discussion très exigeante et difficile, mais c'est la voie pour la sortie de crise de la Grèce et le maintien d'une Grèce plus forte dans la zone euro. C'est ce que je souhaite ardemment : nous en avons besoin, au moment où la Grèce est une porte d'entrée pour les réfugiés. Je ne vois pas de contradiction entre le fait de discuter avec la Grèce et des négociations avec la Turquie. Ne restons pas dans des postures trop anciennes, même s'il ne faut jamais oublier l'histoire et les réalités géopolitiques.

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Merci, monsieur le commissaire, nous avons été attentifs à toutes vos réponses. Il a été question d'une phase II, il faudra donc réfléchir à la gestion de la zone euro. Nous aurons l'occasion de vous redemander de venir travailler avec nous, et cette formule réunissant plusieurs commissions à la fois est une bonne méthode pour que vous compreniez les questionnements croisés et que nous soyons éclairés sur ce qui se passe à l'échelon européen. Merci, monsieur le commissaire, de venir nous répondre avec cette régularité.

La séance est levée à 10 h 40