Intervention de Thierry Mandon

Réunion du 24 novembre 2015 à 17h30
Commission des affaires européennes

Thierry Mandon, secrétaire d'état chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche :

Je vous remercie, Madamela présidente, de m'offrir l'occasion d'échanger avec vous, car ces réunions préalables aux conseils des ministres de l'Union sont très précieuses. Permettez-moi de commencer par dresser la toile de fond : il est vrai que l'Europe doit s'investir concrètement et plus encore qu'auparavant dans les enjeux de recherche. Le plan Juncker prévoit d'ici 2018 de consacrer 315 milliards d'euros au soutien à l'investissement public et privé dans l'Union. Reste à envisager dans quelle mesure ces fonds, en dépit de l'étroitesse des marges de manoeuvre, peuvent contribuer à consolider des infrastructures – numériques, par exemple – de recherche dans les États membres. Plusieurs pistes sont à l'étude.

Ensuite, le programme « Erasmus + » de mobilité des étudiants est essentiel pour réaliser nos objectifs nationaux et européens d'éducation et de formation. En 2020, 20 % des diplômés de l'enseignement supérieur devront avoir effectué une mobilité européenne au cours de leurs études. La France n'a épargné aucun effort pour qu'Erasmus devienne Erasmus + en défendant l'augmentation de 40 % des crédits alloués à ce programme, qui atteignent désormais 16,4 milliards d'euros pour la période 2014-2020, et pour qu'un effort accru soit consacré aux étudiants issus de milieux modestes ou à ceux qui suivent une formation professionnelle. En 2014-2015, ce sont 36 709 étudiants et stagiaires français qui ont pu bénéficier du programme Erasmus – c'est un nombre significatif, dont j'ajoute qu'il concorde parfaitement avec les objectifs de la Stratégie nationale de l'enseignement supérieur, la StraNES.

Les objectifs des politiques européennes d'investissement pour la recherche et l'innovation sont ambitieux, puisqu'ils visent à porter la part de l'investissement en recherche et développement à 3 % du produit intérieur brut de l'Union. Pour mémoire, cette part est actuellement de 2,24 % en France. Si la puissance publique doit accroître ses efforts – la dépense publique de recherche, qui représente 0,8 % du PIB, est relativement stable et comparable à celle de nos voisins, en particulier l'Allemagne –, c'est aussi le cas des entreprises, qui mobilisent des ressources insuffisantes en matière de recherche et développement. Le creusement de l'écart entre l'investissement total que consacre la France à la recherche et celui qu'y consacre l'Allemagne – environ 2,8 % de son PIB – s'explique principalement par la forte progression dans ce pays des dépenses privées de recherche et développement. De ce point de vue, il est très utile que l'Europe, autour du commissaire pour la recherche, la science et l'innovation, M. Carlos Moedas, conduise une politique de recherche cohérente et concertée qui se fonde tout à la fois sur l'excellence scientifique, sur la compétitivité et sur des stratégies de développement de l'innovation.

La France occupe le sixième rang scientifique mondial ; elle est à l'origine de 10 % des publications les plus citées, soit le quatrième rang mondial. En clair, la France est une puissance qui compte dans le monde de la recherche. Nous avons décidé d'insister systématiquement sur l'importance de la recherche dans toutes les instances européennes compétentes comme les conseils européens de la recherche, bien entendu, mais nous voulons aussi défendre auprès du commissaire Moedas une philosophie de l'effort scientifique et des dépenses qui y sont consacrées, autour de deux idées directrices.

Tout d'abord, s'il est vrai que la recherche peut servir à répondre à certains besoins immédiats, la recherche fondamentale est plus que jamais nécessaire. Le développement économique et les grandes aventures industrielles ont pour origine l'innovation de rupture, qui permet d'apporter des réponses nouvelles à des problèmes anciens. Or, l'innovation de rupture naît de l'effort de recherche fondamentale, dans lequel il faut continuer d'investir. Cette idée est peu ou prou partagée en Europe, moyennant quelques nuances.

D'autre part, la science est multiple. Il faut réhabiliter les sciences humaines et sociales dans le plan européen de soutien à l'investissement, y compris en ce qui concerne leurs interactions avec les technologies, et favoriser la multidisciplinarité et la pluridisciplinarité. À cet égard, je me réjouis que l'Europe, en particulier l'équipe du commissaire Moedas, prenne conscience de l'importance des sciences humaines et sociales.

La France a adopté plusieurs agendas stratégiques en cohérence avec les objectifs européens : l'agenda France-Europe 2020, mais aussi la stratégie nationale de la recherche, qui sera présentée publiquement le 14 décembre prochain. Ces outils nous permettent d'aborder plus solidement les discussions européennes. Toutefois, nous devons constater le recul de notre participation aux projets européens au cours des dernières années du 7e programme-cadre de recherche et de développement technologique, le PCRDT. La France contribue au budget de l'Union à hauteur de 16 % ; le retour est insuffisant, eu égard à la qualité de notre communauté de recherche et d'innovation. La France n'occupe que le cinquième rang du nombre de déposants de brevets, et est le troisième bénéficiaire du 7e PCRDT, loin derrière l'Allemagne et le Royaume-Uni. Or, notre taux moyen de succès aux appels à propositions est de 24 %, soit l'un des plus élevés dans l'Union européenne. En clair, la mobilisation des équipes françaises est insuffisante compte tenu de nos capacités de recherche, en particulier dans certaines disciplines – les sciences humaines et sociales, notamment. Pour l'améliorer, le ministère a mis au point plusieurs outils : il a renforcé des dispositifs d'accompagnement tel que le réseau de points de contact nationaux, mène des campagnes de communication nationale et régionales, a créé un portail consacré à l'accompagnement des porteurs de projets européens, valorise la participation aux projets européens auprès de la communauté scientifique, a créé le trophée des « Étoile de l'Europe » dont la prochaine édition se tiendra le 16 décembre prochain en présence de M. Moedas. En bref, nous déployons des efforts systématiques pour accroître la mobilisation de nos équipes dans les appels à propositions européens. Les résultats sont déjà là : en 2014 et au premier semestre 2015, 11,2 % des financements européens ont été obtenus par des équipes de recherche françaises, soit une performance comparable à la moyenne obtenue sur l'ensemble de la période 2007-2013 couverte par le 7e PCRDT, mais 9,2 % du total des financements demandés ont été obtenus, contre 7,2 % en 2013. Le taux de succès de nos équipes atteint 17,1 % : c'est le taux le plus élevé parmi les dix principaux bénéficiaires du programme-cadre, la moyenne s'élevant à 14,1 %. Autrement dit, nous progressons, et nous progresserons davantage encore si nous nous mobilisons.

Le 19 octobre dernier, nous avons affirmé à Bruxelles notre entière disposition à participer aux réflexions en cours sur l'innovation en Europe et, avec d'autres pays, nous sommes mobilisés pour préserver les crédits de recherche du programme Horizon 2020, dont une part importante – nous avons insisté sur ce point – doit être consacrée à la recherche fondamentale, cependant que le rôle des sciences humaines et sociales doit être revalorisé. En outre, nous avons réaffirmé notre soutien au travail de simplification en cours dans le cadre du programme Horizon 2020 et proposé plusieurs outils qui contribuent à la réflexion européenne en la matière. Nous avons donné notre accord pour participer à un groupe de travail sur le projet de création d'un Conseil européen de l'innovation, défendu par le Commissaire.

J'ai également appelé l'attention de M. Moedas sur la participation de nos experts à l'évaluation des projets de recherche proposés aux financements européens. En raison du critère de conflit d'intérêts potentiel, certains chercheurs sont exclus du processus d'expertise, compte tenu de l'organisation de notre appareil de recherche. Lorsqu'une équipe de recherche de l'Université de Marseille, par exemple, dépose un dossier de financement européen et que l'un de ses membres appartient au CNRS, celui-ci ne pourra pas être représenté lors de l'expertise du dossier en question. Nous avons donc proposé plusieurs mesures visant à améliorer ce dispositif très pénalisant pour nos équipes.

J'en viens à l'ordre du jour du prochain Conseil européen de la recherche. Réjouissons-nous en premier lieu du fait que la question de l'égalité des genres y sera abordée – et ce fut obtenu de haute lutte. Les débats très riches qui ont eu lieu à ce sujet ont révélé le fossé qui sépare des États volontaristes comme la France, l'Espagne, l'Allemagne et la Suède, d'autres États plus timorés qui résistent à la fixation d'un quelconque objectif chiffré et à toute contrainte financière – le Danemark, le Royaume-Uni, Chypre, l'Estonie ou encore la Lituanie. Nos échanges ont néanmoins permis d'intégrer au texte qui sera proposé mardi la nécessité d'aborder la question de l'égalité des genres comme un programme de recherche en soi, ainsi que des objectifs quantitatifs – sous forme non pas de quotas, mais de cibles – et, surtout, le principe d'une évaluation régulière et concrète visant à améliorer la situation en Europe. Nous avons également obtenu que les questions de genre soient intégrées au dialogue que nous menons avec les États tiers. On peut certes regretter, comme dans tout compromis, que les États membres n'aient pas choisi d'adopter des conclusions plus ambitieuses en matière de quotas et, surtout, d'égalité salariale – grande absente du texte qui sera présenté au Conseil. Les écarts moyens de rémunération dans l'Union sont de 16 % environ, tous secteurs confondus – et la France ne fait guère mieux, puisque cet écart y est de 15 %. Il nous faudra donc poursuivre sur cette piste de mobilisation dans les mois qui viennent.

Deuxième point à l'ordre du jour : l'intégrité dans la recherche. L'actualité montre qu'il s'agit d'un sujet majeur, particulièrement dans certaines disciplines scientifiques – à l'évidence, des mesures doivent être prises dans le secteur de la biologie, par exemple. Les principaux axes des conclusions sur lesquelles le Conseil se prononcera mardi sont les suivants : tout d'abord, la reconnaissance de l'intégrité comme élément-clé de l'excellence de la recherche et de son impact socio-économique ; ensuite, la reconnaissance des profonds effets négatifs que produisent les manquements à l'intégrité non seulement sur l'économie, mais aussi – c'est essentiel – sur la confiance des citoyens envers le progrès scientifique ; troisièmement, le fait que la responsabilité première des manquements à l'intégrité est imputable aux chercheurs, même si les institutions doivent aussi prendre leur part ; enfin, le développement d'un certain nombre d'actions de prévention et de formation initiale et continue, la promotion de l'échange de bonnes pratiques et la prise en compte du code de conduite en matière de partenariat concernant le fonds social européen, qu'a notamment élaboré la fédération européenne des académies nationales des sciences et des humanités. La Commission présentera un texte rappelant les principes d'intégrité afin de l'adapter au programme Horizon 2020. Le projet de conclusions que présentera la présidence est depuis l'origine assez consensuel – contrairement à la question de l'égalité des genres. Au terme d'un travail intense, nous avons abouti à un bon équilibre concernant les responsabilités en cas de manquement à l'intégrité : la responsabilité première incombe au chercheur mais son institution n'est pas pour autant dégagée de toute responsabilité – ce qui est une condition de progrès. Nombreux sont les établissements de recherche qui ont parallèlement pris des initiatives pour répondre à la forte demande de la communauté scientifique en la matière. Sans doute faudra-t-il créer des outils supplémentaires pour aller plus loin encore au niveau national.

Si la discussion se prolonge – ce sera le cas – sur ces sujets, elle devra tenir compte de trois éléments. Premièrement, il faut conduire une réflexion sur l'évaluation des chercheurs, qui doit privilégier davantage les aspects qualitatifs par rapport aux critères quantitatifs, de sorte que les processus de recrutement et de progression ne se fondent pas seulement sur des indices bibliométriques purement quantitatifs qui incitent certains chercheurs à adopter des stratégies de publications non intègres – qu'il s'agisse de découpe ou de sélection des données. Ensuite, la politique d'open access et d'open data peuvent favoriser l'intégrité de la recherche : si les données sont ouvertes, les contrôles sont plus faciles, ce qui dissuade les éventuels contrevenants de se livrer à des pratiques condamnables. Enfin, il faut mettre au point des dispositifs numériques innovants allant dans le sens d'une politique rigoureuse de conservation des données brutes et de reproductibilité des résultats.

Troisième point à l'ordre du jour du Conseil : la structure consultative de l'espace européen de la recherche. L'idée d'un tel espace est apparue en 2000 ; les travaux menés en 2007 ont conduit au lancement du processus de Ljubljana, six groupes de travail ont été créés et, en juin 2015, le commissaire Moedas a annoncé que la vision de l'espace européen de la recherche était finalisée et qu'il appartenait désormais aux États membres de mettre en oeuvre les mesures nécessaires au niveau national. C'est pourquoi nous serons saisis de l'opinion conclusive adoptée par le comité européen dans le domaine de la recherche, l'ERAC, le 13 octobre 2015 par consensus. Ce document comporte des propositions visant à réviser l'organisation et à clarifier les missions et le périmètre des différents groupes de l'espace européen de la recherche.

Dernier point : l'initiative dite Science for refugees, la science pour les réfugiés, lancée par la Commission européenne le 5 octobre dernier. Elle cible la communauté des scientifiques et des chercheurs qui sont demandeurs d'asile et les établissements d'enseignement supérieur et de recherche qui souhaitent les accueillir. La France a été l'un des premiers États européens à apporter son soutien à cette initiative et à encourager tous les acteurs concernés à y participer. De ce point de vue, nous pensons qu'il ne faut pas seulement cibler les chercheurs et que la Commission doit également étudier les mesures qu'elle peut proposer pour accueillir les étudiants dans le système européen d'enseignement supérieur. Mme Vallaud-Belkacem et moi-même avons informé par écrit les recteurs d'académie que le dispositif d'accueil des populations venant de Syrie, d'Irak et d'Érythrée devait être coordonné par le ministère de l'intérieur au niveau national et par les préfets dans les régions. Nous nous réjouissons que la situation progresse. En outre, la conférence des chefs d'établissements de l'enseignement supérieur a fait part de sa volonté d'accueillir un nombre croissant d'étudiants réfugiés. Il est encore tôt pour dresser un bilan chiffré, mais nous pourrons évaluer l'accueil des étudiants, enseignants et chercheurs réfugiés en début d'année prochaine.

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