Sur l'analyse des objectifs et priorités du programme et suite aux auditions que nous avons conduites, je souhaiterais vous faire part de certaines remarques qu'appelle de notre part ce programme.
Quelques mois seulement après son lancement, plusieurs chantiers législatifs ont déjà été menés ; d'autres sont seulement esquissés dans la communication et restent à accomplir. Je tiens particulièrement à souligner que la plupart des orientations nous semblent aller dans le bon sens mais qu'il est possible d'aller encore plus loin sur certains aspects.
De manière générale, je tiens à saluer les mesures visant à réviser ou compléter le cadre juridique applicable et à rappeler que les efforts pour améliorer l'harmonisation des législations nationales doivent être poursuivis.
Tout d'abord, le financement du terrorisme doit faire l'objet d'une attention régulière et plus soutenue et de mesures efficaces pour tarir les ressources des groupes terroristes. La révision du cadre applicable à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, intervenue récemment avec le paquet législatif adopté en mai 2015, met en place une approche fondée sur les risques, plus efficace et conforme aux recommandations du groupe d'action financière (GAFI). C'est une bonne chose mais il est possible d'aller plus loin encore. Les compétences des cellules nationales de renseignement financier sur ces questions sont aujourd'hui très différentes selon les États et gagneraient à être harmonisées.
Par ailleurs, la France est favorable à la mise en place d'un système de surveillance des messages financiers permettant la réalisation des opérations bancaires, à l'image du système de suivi du financement du terrorisme américain (TFTP). Pour l'heure, la Commission européenne et le Parlement européen sont opposés à cette idée, considérant que la mise en place d'un tel système n'est pas pertinente compte tenu du rapport coûtavantages et que le programme de surveillance établi entre l'Union européenne et les États-Unis, qui permet de solliciter la consultation de données financières lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner des activités terroristes, fonctionne par ailleurs de façon satisfaisante.
L'Union européenne pourrait enfin exploiter la possibilité offerte par les traités et mettre en place un système de gel des avoirs liés au terrorisme à l'intérieur de l'Union européenne et cela nous semble important.
Deuxièmement, une réflexion sur le cadre juridique européen et les réponses apportées en matière de terrorisme doit être menée, en dehors des seuls aspects financiers. Il convient particulièrement de tirer les conséquences de la ratification par l'Union européenne du protocole additionnel à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention du terrorisme de 2005, s'agissant de la criminalisation de certaines activités terroristes et de prendre en compte, comme le suggère le Parlement européen dans un rapport qui sera présenté demain, 19 novembre, en séance plénière, le phénomène nouveau des combattants étrangers.
Troisièmement, le renforcement des contrôles aux frontières au sein de l'Union européenne constitue un enjeu central de la lutte contre le terrorisme et nécessite, à terme, une révision du code frontières Schengen. Nous saluons l'instauration, à droit constant, d'indicateurs de risque communs élaborés par la Commission européenne à partir des contributions des États membres, d'EUROPOL et de FRONTEX, qui permettent des contrôles coordonnés de personnes jouissant du droit de libre circulation sur le territoire de l'Union européenne. Nous rappelons toutefois notre soutien à la demande de révision du code frontières Schengen, notamment encouragée par la France, pour rendre ces contrôles obligatoires et systématiques dans une zone où chaque État membre est responsable pour l'ensemble de l'Union européenne du contrôle de ses frontières extérieures.
Quatrièmement, les divergences entre les législations nationales, les imprécisions ou l'insuffisante application de la directive régissant la circulation des armes à feu sur le territoire de l'Union européenne profitent actuellement aux criminels. C'est pourquoi nous soutenons la démarche de la Commission européenne visant à réexaminer cette directive, ainsi que les positions défendues par les autorités françaises soulignant particulièrement la nécessité de développer, outre une réponse législative, des partenariats opérationnels avec les États les plus concernés par les trafics d'armes.
Dans cette perspective d'ailleurs, l'accent pourrait être mis sur la neutralisation des armes à feu, question sur laquelle il n'existe aujourd'hui pas de consensus. Les attentats de Paris en janvier 2015, dont il semble qu'ils auraient été perpétués à l'aide d'armes neutralisées mais reconditionnées ensuite par une filière slovaque illustrent la nécessité de renforcer le contrôle de l'application de la directive et les échanges d'informations pour améliorer la traçabilité des armes.
Le projet de créer un PNR européen fait l'objet de négociations particulièrement difficiles qui rendent peu probable son adoption d'ici la fin de l'année 2015, comme l'avaient pourtant appelé de leurs voeux les institutions européennes. Les désaccords et l'absence de compromis à ce stade illustrent, dans un contexte marqué par l' » arrêt Schrems », les tensions traditionnelles entre sécurité et libertés. A ce stade, aucun compromis ne se dessine sur le champ d'application de la directive, s'agissant tant des infractions concernées que de l'inclusion des vols intra-européens et domestiques, ni sur les conditions de conservation et d'exploitation des données.
Nous réaffirmons ici notre souhait de voir les négociations aboutir rapidement et nous rappelons notre attachement à ce que soit privilégiée une démarche équilibrée qui concilie à la fois la garantie des droits fondamentaux et des données personnelles et les impératifs liés à des contrôles efficaces. Ce sujet a fait l'objet d'une attention constante et régulière par votre Commission depuis le lancement du projet. Je voudrais à cet égard mentionner notamment la résolution du 18 octobre 2009 que nous avions adoptées ainsi que la communication sur l'exploitation des données PNR (« passenger name records ») présentée en octobre 2014.
Par ailleurs, le programme européen en matière de sécurité insiste sur la coordination des actions pouvant être menées, au titre de la sécurité, au niveau des États membres et propose de renforcer les enceintes de coopération permettant de faciliter les échanges d'informations et les retours d'expériences.
Nous souscrivons à cette démarche et nous saluons en particulier la création du réseau européen de sensibilisation à la radicalisation (RSR), du Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3) ou encore de l'unité de référencement internet. Nous soulignons toutefois que le succès de telles enceintes formelles dépend fortement de la volonté des acteurs à en animer les réseaux de coopération.
Par ailleurs, nous nous félicitons du souci témoigné par le Commission européenne d'intégrer les questions d'éducation et de formation aux enjeux du programme de sécurité – ce volet préventif – et à ce stade, des précisions sur la mise en oeuvre concrète des actions envisagées nous semblent encore devoir être apportées et devront faire l'objet d'un suivi attentif afin que ces déclarations d'intentions ne restent pas lettre morte.
L'accent mis sur la nécessité de concilier les dimensions intérieure et extérieure de la sécurité, dont les réalisations sont encore peu claires à ce stade, est pourtant une démarche à saluer et à promouvoir. Dans cette perspective, nous soulignons la nécessité d'établir un dialogue régulier avec les pays voisins de l'Union européenne et les candidats à l'adhésion, mais aussi avec les organisations régionales et internationales concernées, notamment les Nations-Unies, le Conseil de l'Europe et INTERPOL.
Nous saluons également, s'agissant de la lutte contre le trafic des migrants, les propositions formulées par la Commission européenne, en marge du programme européen de sécurité, visant à renforcer l'opération « JOT Mare » associant, selon un modèle unique, l'expertise d'EUROPOL au soutien logistique des États membres et de certains pays tiers, afin d'en faire le centre d'information de l'Union pour les affaires de trafic de migrants par mer.
Pour conclure, nous saluons la démarche entreprise par la Commission européenne dans ce programme de sécurité pour les cinq années à venir, mais nous rappelons qu'une action conjointe de l'Union européenne et des États membres est plus que jamais nécessaire pour assurer la sécurité du continent. Les efforts de coopération et de coordination des mesures mises en place doivent être poursuivis et certains éléments du programme encore précisés.
Il convient aussi d'être attentif aux moyens budgétaires propres et dédiés qui y seront consacrés, point sur lequel le programme demeure silencieux. Je tiens aussi à cet égard à rappeler que notre Commission a manifesté à plusieurs reprises, et à juste titre me semble-t-il, ses inquiétudes quant à certaines déclarations ambitieuses formulées simultanément à une réduction des moyens.
Voilà ce que nous pouvons dire aujourd'hui sur ce programme européen pour la sécurité et nous attendons bien sûr la rencontre du Conseil JAI qui portera sur ce sujet pour vous présenter des conclusions ou une résolution si cela nous semble nécessaire.