La Commission européenne a déposé le 19 mai 2015 un ensemble de mesures ayant pour objet d'améliorer la qualité de la réglementation européenne, répondant à la volonté de « mieux légiférer », réaffirmée à plusieurs reprises par le Président Juncker et le Vice-président Timmermans.
Parmi ces mesures se trouve une proposition d'accord interinstitutionnel entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil, qui doit remplacer le précédent accord interinstitutionnel de 2003.
Je sais qu'un tel sujet semble très technique, et un peu rébarbatif, tout comme la « comitologie » ou les « trilogues »…Mais derrière ces aspects techniques, ces procédures complexes, se trouvent de véritables enjeux de démocratie et de transparence du processus de décision.
J'ai choisi de proposer une proposition de résolution européenne sur ce texte, car un point concerne directement les parlements nationaux.
La proposition vise en effet notamment à mieux encadrer la « surtransposition » des directives. Elle invite les États membres à établir, lors de la transposition, une distinction claire entre les éléments imposés par des directives européennes et ceux relevant de mesures nationales. Les États devraient également communiquer à destination du grand public sur cette distinction, et s'engager à réaliser des études d'impact préalables sur les mesures de surtransposition, notamment pour évaluer le surplus de « charges administratives » qu'elles feraient peser.
La Commission européenne souhaite éviter que ces surtranspositions donnent l'impression que l'Europe légifère en permanence et sur tout. Ces inquiétudes sont légitimes, et l'Assemblée nationale s'en est fait écho, notamment en adoptant le rapport Mme Laure de La Raudière et de M. Régis Juanico sur la simplification législative, il y a un an.
Cependant, ce n'est pas à un accord interinstitutionnel négocié entre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil de décider de la manière dont les gouvernements ou les parlements nationaux choisissent de transposer une directive et de communiquer sur cette transposition. La décision de surtransposer est une décision politique, et il appartient aux autorités politiques nationales d'en juger l'opportunité.
Par ailleurs, la surtransposition peut être parfois souhaitable, car plus protectrice des citoyens, en matière de santé publique ou d'environnement par exemple : je pense par exemple à la décision de la France prévoyant d'aller plus loin que la directive européenne en introduisant dans le projet de loi de santé une disposition relative au paquet de cigarettes neutre, alors qu'une directive européenne de 2014 à transposer d'ici le mois de mai prochain, porte déjà à 65% la taille des messages sanitaires sur les paquets.
Dans un tel cas, au nom de quoi devrions nous nous empêcher d'être plus ambitieux que ce qui est prévu par la directive européenne ?
La proposition d'accord interinstitutionnelle prévoit par ailleurs de systématiser le recours aux études d'impact. Avant l'adoption de tout amendement substantiel à la proposition de la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil devraient procéder en interne à une analyse de l'impact de cette modification. Le projet d'accord prévoit également que chaque institution puisse demander à un panel indépendant d'évaluer un amendement effectué sur un texte par une autre institution. Ce panel serait composé de trois membres, nommé chacun par l'une des trois institutions.
Ces propositions posent des problèmes pratiques.
La multiplication des études d'impact risque en effet de ralentir le processus législatif européen, déjà très long. Elle aurait un coût important : le Parlement européen et le Conseil n'ont pas les ressources internes pour produire de telles analyses, qui seraient automatiquement confiées à des cabinets de conseil.
L'importance donnée aux études d'impact pose également des questions politiques. Ces analyses d'impact doivent être un appui à la décision politique, et non pas se substituer à la décision politique ! La mise en place d'un panel indépendant chargé d'évaluer un amendement proposé par une autre institution pose donc de vraies questions. Quelle est la légitimité démocratique d'un tel panel ? Quelles conséquences les co-législateurs devraient tirer des conclusions émises par celui-ci ? Plus généralement, quel crédit attribuer aux études d'impact ?
Pour le moment, la qualité des études d'impact accompagnant les propositions de la Commission européenne est très variable. Les études d'impact ne sont pas, malgré les garde-fous mis en place, exemptes de toute risque de conflit d'intérêt. Je vous rappelle par exemple qu'en juillet 2014, plusieurs organisations de la société civile avaient alerté la Commission européenne sur l'appel d'offre remporté par un important cabinet d'audit pour faire une étude d'impact sur le « reporting pays par pays » pour les institutions financières, alors que le même cabinet, conseiller de plusieurs banques européennes, avait publiquement pris position quelques mois plus tôt contre ce projet.
D'autres aspects de la proposition me semblent plus positifs.
Le projet d'accord prévoit ainsi de renforcer les consultations publiques, en organisant des consultations non seulement en amont de la proposition législative mais également après l'adoption de celle-ci par le collège des commissaires, pendant une période de huit semaines. C'est une bonne chose, si la Commission européenne veut bien en tenir compte ensuite.
Le projet d'accord et la convention annexée prévoient également de mieux encadrer la comitologie, en renforçant les consultations pendant la préparation des actes délégués. La consultation des experts des États membres, qui n'est plus obligatoire depuis le traité de Lisbonne, serait rendue systématique.
Je me félicite de ces avancées, mais je pense que l'on pourrait aller encore plus loin. Un registre des actes délégués devrait notamment être rendu public, sur le modèle du registre qui existe actuellement pour les actes d'exécution. Le nom des parties prenantes devrait également être publié.
Mais l'accord devrait aussi aller plus loin sur d'autres aspects.
Cet accord ne va ainsi pas assez loin sur l'encadrement des trilogues, qui sont devenus une véritable « boîte noire » dans le processus législatif européen. Aujourd'hui, 85% des textes européens sont adoptés en première lecture, alors que les traités prévoient jusqu'à trois lectures. La multiplication des accords en première lecture est facilitée par le développement de réunions informelles entre les trois institutions, les trilogues.
Ces trilogues sont utiles, car ils permettent de renforcer l'efficacité du processus législatif. Toutefois, leur multiplication pose problème, car ces réunions sont très opaques : aucun compte-rendu n'en est fait, et aucune information claire n'est disponible sur la liste des trilogues en cours ou leur ordre du jour. L'accord prévoit seulement que « les trois institutions veilleront à un degré approprié de transparence du processus législatif, y compris des négociations trilatérales entre les trois institutions » et de « faire un usage approprié des accords en deuxième lecture ». C'est trop vague et insuffisant.
La proposition d'accord ne prévoit rien non plus sur les lobbys. La Commission européenne a affirmé qu'elle proposerait prochainement la création d'un registre de transparence obligatoire et couvrant les trois institutions. Je regrette que la création de ce registre obligatoire ne soit pas contenue dans la proposition d'accord interinstitutionnel, ce qui aurait permis de le mettre en oeuvre plus rapidement. Cela nous aurait rassuré. L'encadrement des groupes d'intérêt ne permettrait-il pas de « mieux légiférer » ?
J'ai ainsi souhaité partager avec vous, chers collègues, une série de réflexion qui m'ont amené à la présentation de cette proposition de résolution. Il me semble que cet accord, plutôt que de « mieux légiférer », est plutôt facteur de complexification.