Je vais d'abord aborder le problème de l'intégration des énergies renouvelables. Qu'il s'agisse du solaire, de l'éolien ou de la biomasse, elles ont pour caractéristique de capter une source d'énergie diffuse et répartie dans les territoires, ce dont vient de parler Jean-Marc Pastor. C'est d'ailleurs moins un inconvénient qu'un atout. Paradoxalement, aujourd'hui, la plus grande partie de ces installations se limite pourtant à alimenter le réseau électrique comme des centrales ordinaires.
Or cela ne va pas sans inconvénient s'agissant d'énergies variables. Leur raccordement vient modifier les conditions de fonctionnement du réseau. Au-delà de la création des raccordements, il peut s'avérer nécessaire de renforcer certaines lignes à moyenne ou haute tension pour assurer l'équilibrage du réseau. C'est par exemple le cas en Allemagne, où de nouvelles liaisons à haute tension devront être construites, sur plusieurs milliers de kilomètres, pour assurer le transport de l'électricité d'origine éolienne du nord du pays vers le sud industriel.
Qui plus est, la variabilité des énergies éolienne et solaire rend plus délicate la gestion des équilibres entre production et consommation. Tant que leur part reste limitée, il demeure possible de jouer sur la souplesse des moyens de production pilotables pour compenser. Au-delà d'un certain seuil, de nouveaux moyens doivent être mis en oeuvre.
Plusieurs solutions complémentaires sont envisagées, comme déployer les technologies informatiques pour rendre les réseaux intelligents et donner une certaine flexibilité à la consommation, afin de l'adapter aux fluctuations de la production. Mais seule la solution du stockage d'énergie, à plus ou moins grande échelle, est en mesure de compenser, sur la durée, des fluctuations importantes de la production des énergies renouvelables. Associer moyens de stockage de l'énergie et énergies renouvelables variables permet de réduire de façon très sensible l'impact de ces dernières sur le réseau électrique, donc les besoins d'adaptation de celui-ci. Ces moyens de stockage ont bien entendu un coût, mais celui-ci présente l'immense avantage d'être identifiable à l'avance. Force est de constater, grâce à l'exemple de l'Allemagne, qu'à l'inverse le déploiement d'énergies variables sans stockage associé a conduit à découvrir a posteriori leurs effets sur le réseau et l'étendue des besoins de mise à niveau correspondants. En la matière, l'hydrogène permet de compléter les outils existants, tels que les batteries électrochimiques ou les stations de pompages.
Toutefois, l'hydrogène n'est pas seulement un moyen de stocker l'électricité pour la restituer un peu plus tard. Son principal intérêt est de permettre un usage direct pour des applications diversifiées : comme combustible pour véhicules ou pour la co-génération, pour être injecté directement dans le réseau gazier dans des pourcentages de 5 à 20 %, pour enrichir les biocarburants, pour créer des carburants de synthèse ou encore comme composant pour la chimie. Or ces usages de l'hydrogène correspondent à des besoins en énergie qui vont bien au-delà de l'électricité. Celle-ci ne représente que 24 % de notre consommation d'énergie finale, soit à peine plus que le gaz naturel (20 %), et considérablement moins que le pétrole (43 %), qui sont deux sources d'énergie importées. Nos voisins d'outre-Rhin ont fait ce constat. Aussi n'est-il pas surprenant que les installations pilotes de stockage de l'électricité d'origine renouvelable que nous avons visitées en Allemagne visent toutes un usage direct de l'hydrogène, sans nouvelle conversion en électricité.
J'en viens à la substitution des énergies fossiles. Sur ce plan, le problème n'est pas tant le gaz naturel que le pétrole. Comme l'ont expliqué les représentants de GrDF, les ressources en biogaz et en matériaux ligneux devraient permettre peu à peu, d'ici 2050, de remplacer l'essentiel du gaz naturel. En tant que de besoin, l'injection d'hydrogène pourrait venir en renfort. Il en va tout autrement pour le pétrole et ses dérivés, qui ont de nombreux atouts – haute densité énergétique, facilité d'emploi, de stockage et de distribution –, et seront donc plus difficiles à remplacer à court terme dans les transports terrestres ou maritimes, a fortiori aériens.
De toute évidence, compte tenu de son faible rayon d'action, la voiture électrique ne pourra à elle seule détrôner le couple magique constitué, depuis plus d'un siècle, par les carburants pétroliers et le moteur à explosion. Quant à l'hybridation, certes elle permet de limiter la consommation des véhicules, mais tant qu'elle associe électricité et carburants traditionnels, elle ne permettra pas de s'affranchir de ces derniers et des émissions de gaz carbonique associées. En dernière analyse, et tant que nous ne saurons pas prolonger l'autonomie des véhicules électrique sans émission de gaz à effet de serre, nous devrons développer, dans ce secteur, un ou – plus probablement – plusieurs nouveaux vecteurs énergétiques aptes à se substituer directement au pétrole et à ses dérivés, sans modification du parc existant.
L'hydrogène pourrait être un de ces vecteurs, sous réserve de parvenir à abaisser son coût à la pompe, ainsi que celui des véhicules eux-mêmes, ce qui semble être en bonne voie. Si l'hydrogène n'est pas le seul combustible alternatif possible, il interviendra dans l'élaboration des autres vecteurs de substitution envisageables à ce jour : le méthane de synthèse obtenu par méthanation, les carburants liquides synthétisés par le procédé Fischer-Tropsch ou encore les carburants de deuxième génération, enrichis en hydrogène.
Pour ces raisons, nous pensons que l'hydrogène, produit par électrolyse à partir d'électricité, est un élément important pour la transition énergétique, ayant le potentiel de résoudre les deux écueils de la variabilité des nouvelles énergies et de la substitution des hydrocarbures.