Le SEAE a été fondé il y a maintenant trois ans et demi ; nous sommes donc encore au début d'une grande aventure institutionnelle et administrative. Il correspond à une véritable nouveauté dans le cadre du système institutionnel de l'Union européenne. C'est pourquoi sa mise en place demande du temps.
Un rapport d'étape, ou « revue », a été rédigé à l'été 2013. Il est vraisemblable que celui-ci soit arrivé un peu trop tôt, puisque le SEAE était encore une création extrêmement récente. Ce rapport a été demandé par les États membres, qui voulaient notamment savoir si l'objectif qu'un tiers des cadres de catégorie A au sein du Service soient des diplomates avait été atteint. Le rapport l'a confirmé : sur 900 cadres de catégorie A, environ 300 sont des diplomates de carrière.
Ce rapport fixait par ailleurs une feuille de route identifiant les réformes nécessaires. Mme Ashton estime qu'il reviendra à son successeur au poste de haut représentant de mettre en oeuvre ces réformes – son mandat, comme celui de la plupart des cadres travaillant au SEAE, arrive en effet à son terme cette année.
Le SEAE emploie aujourd'hui environ 3 700 personnes, dont 1 500 à Bruxelles et un peu plus de 2 000 dans les délégations, auxquels il convient d'ajouter environ 4 000 représentants des autres directions de la Commission européenne. Cela constitue un réseau important à l'étranger, que nous essayons de faire vivre en ouvrant des délégations là où nous en avons le plus besoin et en en fermant d'autres. Nous avons ainsi ouvert des délégations à Tripoli mais aussi au Myanmar, sommes en train d'en ouvrir une dans les Émirats arabes unis et projetons des ouvertures à Doha et Téhéran. Dans le cadre du budget communautaire, nous devons cependant réduire nos dépenses administratives de 5 % sur les cinq prochaines années : il faudra donc par ailleurs supprimer des postes ou fermer des délégations.
La taille du Service est comparable à celle du service diplomatique de la Belgique. Elle est donc très en-deçà, en termes quantitatifs, de ceux de la France, de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne.
Depuis le traité de Lisbonne, la Haute représentante remplit les fonctions de présidente du conseil des ministres des affaires étrangères, de la défense et du développement, préside les travaux du Comité politique et de sécurité (COPS) et les groupes de travail à dominante géographique au sein du Conseil. Le SEAE prépare les travaux des ministres des Affaires étrangères et en assure ensuite le suivi. De l'avis général, ces activités sont menées de façon satisfaisante.
Le SEAE assure aussi la coordination dans les pays tiers entre la délégation et les ambassades des États membres. Il s'agit également d'un travail important, réalisé de façon satisfaisante. Nos partenaires des pays tiers estiment qu'il s'agit d'une situation bien plus confortable que celle qu'ils connaissaient auparavant.
Le Service a été confronté à un grand nombre de crises depuis sa mise en place, concomitante avec le déclenchement des printemps arabes en Tunisie et en Égypte. Depuis lors, les crises se sont multipliées dans cette région, en Afrique et en Europe de l'Est. Le SEAE a dû développer une culture de la gestion de crise qui n'existait pas auparavant dans les institutions européennes. Désormais, le SEAE, lors de ses réunions de coordination, réunit autour de la même table le service de l'action humanitaire, les services en charge du développement et de la coopération, et, le cas échéant, les services en charge des questions d'immigration, de transports, d'énergie. C'est encore insuffisant, il reste des efforts à fournir, mais nous sommes sur la bonne voie.
Le Service souffre d'un certain nombre de faiblesses et de manques. Il nous faut en effet améliorer les relations entre les différentes institutions, la culture des uns et des autres étant encore mal adaptée à une approche réellement intégrée. Par ailleurs, il faudra faire en sorte, à l'avenir, que le Haut représentant soit le coordinateur de tous les commissaires en charge d'un aspect de l'action extérieure, par exemple à travers des réunions mensuelles organisées autour de lui. De plus, un véritable esprit de corps ne s'est pas encore développé au sein du SEAE, du fait de l'addition de fonctionnaires venus de la Commission européenne et des États membres. Un travail important en la matière, qui peut prendre plusieurs années, reste encore à accomplir.
Enfin, il nous faut définir une vraie vision stratégique, commune à tous les États membres et à toutes les institutions.
Le monde actuel voit se multiplier des crises exigeant une plus grande attention de notre part. Celles-ci sont en train de changer de nature : elles sont le fait non plus seulement d'États mais de plus en plus d'acteurs non étatiques, groupes terroristes ou non terroristes qui s'attaquent souvent à l'intégrité territoriale des États. Ce nouveau phénomène prend une ampleur sans commune mesure avec ce que nous avons pu connaître dans le passé.
Il est nécessaire d'adopter de nouvelles manière d'aborder ces crises.
La première est ce que vous appelez la « proximité », ce que, à Bruxelles, nous appelons le « voisinage », c'est-à-dire le partenariat oriental et le voisinage du Sud. La nouvelle Commission européenne devra reconsidérer cette question. La cohabitation de ces deux ensembles de l'Est et du Sud dans une seule et même politique a-t-elle encore un sens aujourd'hui ou faut-il deux politiques distinctes ?
La nature des problèmes qu'affrontent ces deux régions géographiques et les perspectives qui s'ouvrent à elles sont différentes. Les pays du partenariat oriental ont légitimement le droit de poser la question de savoir si, un jour, ils pourraient adhérer à l'Union européenne. La réalité est différente concernant les pays du voisinage du Sud car ils ne sont pas européens, ce qui détermine des objectifs différents. C'est cette absence de vision avec les pays du Sud qui nous handicape aujourd'hui.
La deuxième manière de mener une nouvelle réflexion consiste à s'intéresser à notre relation avec des partenaires stratégiques comme la Russie et les États-Unis. Il est nécessaire de réfléchir avec les États-Unis à une vision commune et à l'avenir de la relation transatlantique et de réfléchir à nos relations avec la Chine mais également avec d'autres pays émergents comme le Brésil, le Mexique, l'Inde ou l'Afrique du Sud.
Enfin, le troisième dossier sur lequel nous devons nous pencher, peu souvent évoqué mais à propos duquel l'Union européenne a progressé ces dernières années, est relatif à notre relation avec les grandes organisations multilatérales, comme l'Organisation des Nations unies (ONU), l'Union africaine ou la Ligue arabe, en relation avec la réflexion portant sur le voisinage du Sud.
Nous avons réussi à développer avec ces organisations, avec d'autres encore, ainsi qu'avec les pays de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), une dynamique de travail plus développée qu'auparavant. Ainsi, lorsque des crises surviennent, ces acteurs font appel à l'Union européenne, non seulement pour obtenir de l'aide financière mais aussi pour lui demander de réfléchir avec eux sur la manière de sortir de ces crises politiques. L'Union européenne est désormais un acteur impliqué dans la plupart de ces crises, comme dans celle sévissant au Soudan du Sud, pour laquelle son aide est sollicitée, mais aussi comme au Soudan ou encore en République centrafricaine.
L'Union européenne et le SEAE ont trois défis méthodologiques à affronter.
Tout d'abord, la capacité de l'Union à analyser les situations exige de se doter de capacités d'évaluation et d'analyse dans nos délégations, en liaison avec les services de renseignement des États membres, ainsi que de capacités à anticiper les évènements et à agir à temps. À ce propos, l'incapacité de notre chef de délégation en Irak à nous alerter sur ce qui se passait depuis déjà plusieurs mois dans ce pays, notamment à Falloujah, est frappante ; même si nous avions mis en garde les autorités irakiennes contre le danger et les menaces en présence, nous avons été pris de cours.
Le deuxième défi consiste à parvenir à changer les mentalités. Le problème fondamental est que l'Union européenne a jusqu'à maintenant été « payeur » davantage qu'« acteur ». Elle a rarement été un vrai grand acteur politique, sur la scène internationale, pesant sur la résolution des grandes crises, mais elle tend à le devenir de plus en plus, par exemple en Iran et dans les Balkans. Son système administratif éprouve des difficultés à assumer cette réalité. Il doit se transformer car, initialement, il n'avait pas été créé pour cela : la Commission européenne s'occupait avant tout de droits de l'homme, de commerce, de développement et d'action humanitaire ; en concordance avec la volonté des États membres, elle ne faisait pas de politique étrangère. Ce changement, induit par le traité de Lisbonne, doit s'accompagner d'une véritable révolution des mentalités, qui prendra du temps.
Le troisième défi est relatif à l'unité et à la cohérence de la diplomatie européenne : savoir définir le rôle des États membres d'un côté et celui de l'Union européenne de l'autre, savoir agir en bonne complémentarité et, enfin, savoir cibler là où l'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée. En citant le cas de l'Ukraine, je serai plus optimiste qu'on ne l'est habituellement : lorsque les pays de l'Union se réunissaient, de fortes divisions et des points de vue divergents prévalaient mais, à l'issue de ces réunions, ils se montraient finalement capables de converger vers une position unie car ils avaient conscience qu'une telle unité était indispensable pour influer. Cela devrait nous donner des espoirs à mesure que nous avançons en matière de diplomatie européenne.