COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 25 juin 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission, et de M. Michel Vauzelle, Vice-Président de la Commission des affaires étrangères,
La séance est ouverte à 16 heures 30
I. Audition, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Pierre Vimont, Secrétaire général du Service européen d'action extérieure
Merci, monsieur le Secrétaire général, d'avoir accepté d'être à nouveau auditionné par notre commission, dans le cadre de cette réunion conjointe avec la Commission des affaires étrangères.
Votre engagement européen de longue date, votre très grande expérience des affaires européennes, dans des missions différentes et complémentaires, rendent votre présence parmi nous particulièrement précieuse et utile, pour nous éclairer sur les enjeux de la politique étrangère et de sécurité commune, politique toujours en construction.
Vous étiez déjà venu devant nous il y a un peu moins de deux ans, en novembre 2012, pour une audition organisée conjointement avec la Commission de la défense, sur un thème plus ciblé qu'aujourd'hui, puisqu'il s'agissait de la politique européenne de défense.
Même s'il n'exclut pas cette question, le champ de votre audition d'aujourd'hui est plus large puisqu'il recouvre l'activité du Service européen d'action extérieure (SEAE), globalement, donc toute la politique extérieure de l'Union, en particulier les champs dans lesquels l'action de l'Europe a été récemment la plus apparente, notamment dans les Balkans – par exemple l'accord Serbie-Kosovo, l'Iran ou le Proche-Orient.
D'autre part, face à la diversité et à l'importance des crises actuelles – la crise ukrainienne bien sûr, mais aussi la guerre en Syrie, la nouvelle guerre d'Irak, la persistance d'une situation dramatique en République centrafricaine, les difficultés persistantes en Lybie et en Egypte, et hélas j'en passe –, nous nous posons tous beaucoup de questions sur la possibilité d'impulser, avec vingt-huit États membres, une véritable stratégie européenne en matière de politique étrangère et de défense.
Cette convergence progressive des politiques étrangères des États membres est pourtant plus que jamais nécessaire pour que les pays européens puissent peser efficacement sur les affaires du monde, en parlant le plus souvent possible d'une seule voix.
J'aimerais que cette question soit abordée, notamment à l'aune de la crise ukrainienne. Je dois conduire prochainement, du 3 au 6 juillet, une mission dans ce pays. Comment développer, dans la durée, une véritable politique extérieure européenne vis-à-vis de cette proximité orientale de l'Union, à vingt-huit États membres aux intérêts divergents, notamment en ce qui concerne les questions économiques ou l'opportunité d'adhésions futures ? Les discussions autour de la politique des sanctions ou simplement de la position à adopter vis-à-vis de la Russie ont montré la difficulté de réunir les approches des uns et des autres. Nous serons donc particulièrement intéressés de vous entendre à propos des efforts engagés à cet égard, notamment quant à l'élaboration d'une stratégie commune vis-à-vis de la Russie.
S'agissant à présent du service dont vous avez la responsabilité, à la lumière des enseignements tirés de ses premières années de fonctionnement, la haute représentante Catherine Ashton a présenté, le 26 juillet 2013, un rapport sur la révision du SEAE, recensant ce qui lui semblait fonctionner ou ne pas fonctionner, et a formulé 35 propositions pour le court et le moyen terme. Où en sont ces propositions ?
Peut-on estimer qu'une culture diplomatique commune émerge progressivement parmi les agents qui composent le service dont vous avez la responsabilité, diplomates d'origines très diverses, des États membres, du Conseil, de la Commission européenne ?
Lors de votre précédente audition, vous aviez notamment souligné que le SEAE, dont la création était encore toute récente, avait pour objectif d'assurer une meilleure coordination des différentes institutions dédiées à l'action extérieure de l'Union européenne, afin de leur donner une efficacité maximale, notamment en période de crise. Estimez-vous que cet objectif de bonne coordination est atteint aujourd'hui et que le SEAE est devenu – ou est en voie de devenir – l'authentique service diplomatique européen qui était attendu, sous l'autorité de la haute représentante ? En prenant un peu de champ, peut-on considérer que ce rapprochement des diplomates, au sein d'un même service, facilite effectivement, dans la durée, la convergence progressive des diverses politiques étrangères des États membres ?
Juste après la création du SEAE, en juin 2010, sous la dernière législature, dans un rapport d'information présenté au nom de notre Commission, la Présidente Élisabeth Guigou et notre ancien collègue Yves Bur avaient insisté sur la nécessité que tous les moyens soient effectivement donnés à la Haute représentante afin de coordonner les différents volets de l'action extérieure de l'Union, la politique étrangère et de sécurité, mais aussi la politique de développement ainsi que l'action humanitaire, gérés quotidiennement par d'autres commissaires. Quelle appréciation peut-on porter sur la mise en oeuvre concrète de ce besoin de coordination par la Haute représentante, indispensable pour assurer efficacement l'influence de l'Union dans le monde, au service de nos intérêts et de nos valeurs ? Cette coordination inclue-t-elle concrètement la politique commerciale, autre visage essentiel de l'action internationale de l'Union tout particulièrement d'actualité ?
Enfin, le principe de la prise de décision à l'unanimité reste une des clés majeures du fonctionnement de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Le traité prévoit néanmoins un certain nombre d'exceptions à cette règle. En pratique, ces procédures de prise de décision à la majorité qualifiée ont-elles été utilisées ? Quels enseignements peut-on en tirer ?
Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie d'avoir accepté cette invitation commune à nos deux commissions. Depuis que vous avez été nommé, en octobre 2010, vous avez eu la lourde tâche de construire une nouvelle administration, en rassemblant des compétences issues des services de la Commission européenne, du Conseil et des administrations nationales, le tout dans un contexte international particulièrement troublé et marqué par une crise économique, financière et politique.
Au-delà de l'actualité immédiate – notamment l'Ukraine et l'Irak, qui étaient à l'ordre du jour du dernier conseil Affaires étrangères –, l'heure est à la fois au bilan et aux perspectives, à la veille du renouvellement des instances dirigeantes de l'Union européenne.
Pour ce qui est du bilan, il est contrasté. De véritables réussites sont à mettre au crédit de Mme Ashton – je pense notamment au Kosovo ou aux négociations avec l'Iran. Sur d'autres dossiers, la Haute représentante a peiné à rendre visible l'action de l'Union – je pense notamment au voisinage du Sud, depuis l'échec de l'Union pour la Méditerranée (UpM), alors que nous sommes avec ces pays moins en relation de voisinage que de cohabitation, au conflit israélo-palestinien, où l'Europe est plus que discrète, ou encore à la Syrie. L'Union s'est également montrée peu ou mal outillée pour réagir rapidement et efficacement aux crises.
Par ailleurs, la création d'un service diplomatique européen a suscité autant d'espoirs que de critiques. On a le sentiment que le SEAE n'a pas toujours reçu l'impulsion politique qui lui aurait été nécessaire pour s'affirmer en qualité de véritable service diplomatique européen. Vous nous direz dans quelle mesure sa réorganisation, ainsi que celle des délégations de l'Union, est en mesure de l'aider à prendre son essor au service des objectifs ambitieux de la politique extérieure et de sécurité commune.
Cela dit, rien ne nous empêche d'imaginer une Europe capable de développer sa propre vision et de regagner en influence au plan mondial. La question est simple, la réponse évidemment complexe car il s'agit de la trouver à vingt-huit : quels sont les objectifs stratégiques sur lesquels nous voulons nous concentrer à l'avenir et comment se donner les moyens de les atteindre ?
J'identifie pour ma part quelques chantiers incontournables sur lesquels il nous sera précieux d'avoir votre éclairage.
Parmi les leçons de la crise ukrainienne figure la nécessité de réviser notre politique orientale et, plus largement, notre politique de voisinage, qui a pêché par un certain eurocentrisme et un manque de clarté dans ses objectifs. Si nous devions nous recentrer sur quelques objectifs politiques dans notre voisinage, quels seraient-ils ? Comment articuler cette politique avec un partenariat ambitieux avec ces deux voisins incontournables que sont la Russie et la Turquie ?
Autre dossier prioritaire à mes yeux, le renforcement de notre puissance militaire. Une politique étrangère européenne supposerait non seulement une analyse et une gestion communes des crises, y compris, si nécessaire, avec une composante militaire, mais aussi une même approche des menaces latentes et des risques à moyen et long terme. Les déclarations en ce sens d'éminentes figures politiques allemandes lors la Conférence sur la sécurité de Munich permettent-elles, selon vous, d'espérer des avancées, ne serait-ce que dans la mise en oeuvre des conclusions du Conseil de décembre 2013, certes modestes mais qui ont le mérite d'être concrètes ?
Troisième priorité, celle d'une doctrine commune, à la fois politique et économique, à l'égard des grands émergents d'Asie et d'Amérique latine, mais aussi d'Afrique, continent fort de promesses, et de risques – faut-il rappeler que la majorité des opérations extérieures de l'Union s'y déploient ? Sur ce point, il faut avouer que la France est un peu seule et que nous avons du mal à identifier la stratégie de l'Union.
Le SEAE a été fondé il y a maintenant trois ans et demi ; nous sommes donc encore au début d'une grande aventure institutionnelle et administrative. Il correspond à une véritable nouveauté dans le cadre du système institutionnel de l'Union européenne. C'est pourquoi sa mise en place demande du temps.
Un rapport d'étape, ou « revue », a été rédigé à l'été 2013. Il est vraisemblable que celui-ci soit arrivé un peu trop tôt, puisque le SEAE était encore une création extrêmement récente. Ce rapport a été demandé par les États membres, qui voulaient notamment savoir si l'objectif qu'un tiers des cadres de catégorie A au sein du Service soient des diplomates avait été atteint. Le rapport l'a confirmé : sur 900 cadres de catégorie A, environ 300 sont des diplomates de carrière.
Ce rapport fixait par ailleurs une feuille de route identifiant les réformes nécessaires. Mme Ashton estime qu'il reviendra à son successeur au poste de haut représentant de mettre en oeuvre ces réformes – son mandat, comme celui de la plupart des cadres travaillant au SEAE, arrive en effet à son terme cette année.
Le SEAE emploie aujourd'hui environ 3 700 personnes, dont 1 500 à Bruxelles et un peu plus de 2 000 dans les délégations, auxquels il convient d'ajouter environ 4 000 représentants des autres directions de la Commission européenne. Cela constitue un réseau important à l'étranger, que nous essayons de faire vivre en ouvrant des délégations là où nous en avons le plus besoin et en en fermant d'autres. Nous avons ainsi ouvert des délégations à Tripoli mais aussi au Myanmar, sommes en train d'en ouvrir une dans les Émirats arabes unis et projetons des ouvertures à Doha et Téhéran. Dans le cadre du budget communautaire, nous devons cependant réduire nos dépenses administratives de 5 % sur les cinq prochaines années : il faudra donc par ailleurs supprimer des postes ou fermer des délégations.
La taille du Service est comparable à celle du service diplomatique de la Belgique. Elle est donc très en-deçà, en termes quantitatifs, de ceux de la France, de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne.
Depuis le traité de Lisbonne, la Haute représentante remplit les fonctions de présidente du conseil des ministres des affaires étrangères, de la défense et du développement, préside les travaux du Comité politique et de sécurité (COPS) et les groupes de travail à dominante géographique au sein du Conseil. Le SEAE prépare les travaux des ministres des Affaires étrangères et en assure ensuite le suivi. De l'avis général, ces activités sont menées de façon satisfaisante.
Le SEAE assure aussi la coordination dans les pays tiers entre la délégation et les ambassades des États membres. Il s'agit également d'un travail important, réalisé de façon satisfaisante. Nos partenaires des pays tiers estiment qu'il s'agit d'une situation bien plus confortable que celle qu'ils connaissaient auparavant.
Le Service a été confronté à un grand nombre de crises depuis sa mise en place, concomitante avec le déclenchement des printemps arabes en Tunisie et en Égypte. Depuis lors, les crises se sont multipliées dans cette région, en Afrique et en Europe de l'Est. Le SEAE a dû développer une culture de la gestion de crise qui n'existait pas auparavant dans les institutions européennes. Désormais, le SEAE, lors de ses réunions de coordination, réunit autour de la même table le service de l'action humanitaire, les services en charge du développement et de la coopération, et, le cas échéant, les services en charge des questions d'immigration, de transports, d'énergie. C'est encore insuffisant, il reste des efforts à fournir, mais nous sommes sur la bonne voie.
Le Service souffre d'un certain nombre de faiblesses et de manques. Il nous faut en effet améliorer les relations entre les différentes institutions, la culture des uns et des autres étant encore mal adaptée à une approche réellement intégrée. Par ailleurs, il faudra faire en sorte, à l'avenir, que le Haut représentant soit le coordinateur de tous les commissaires en charge d'un aspect de l'action extérieure, par exemple à travers des réunions mensuelles organisées autour de lui. De plus, un véritable esprit de corps ne s'est pas encore développé au sein du SEAE, du fait de l'addition de fonctionnaires venus de la Commission européenne et des États membres. Un travail important en la matière, qui peut prendre plusieurs années, reste encore à accomplir.
Enfin, il nous faut définir une vraie vision stratégique, commune à tous les États membres et à toutes les institutions.
Le monde actuel voit se multiplier des crises exigeant une plus grande attention de notre part. Celles-ci sont en train de changer de nature : elles sont le fait non plus seulement d'États mais de plus en plus d'acteurs non étatiques, groupes terroristes ou non terroristes qui s'attaquent souvent à l'intégrité territoriale des États. Ce nouveau phénomène prend une ampleur sans commune mesure avec ce que nous avons pu connaître dans le passé.
Il est nécessaire d'adopter de nouvelles manière d'aborder ces crises.
La première est ce que vous appelez la « proximité », ce que, à Bruxelles, nous appelons le « voisinage », c'est-à-dire le partenariat oriental et le voisinage du Sud. La nouvelle Commission européenne devra reconsidérer cette question. La cohabitation de ces deux ensembles de l'Est et du Sud dans une seule et même politique a-t-elle encore un sens aujourd'hui ou faut-il deux politiques distinctes ?
La nature des problèmes qu'affrontent ces deux régions géographiques et les perspectives qui s'ouvrent à elles sont différentes. Les pays du partenariat oriental ont légitimement le droit de poser la question de savoir si, un jour, ils pourraient adhérer à l'Union européenne. La réalité est différente concernant les pays du voisinage du Sud car ils ne sont pas européens, ce qui détermine des objectifs différents. C'est cette absence de vision avec les pays du Sud qui nous handicape aujourd'hui.
La deuxième manière de mener une nouvelle réflexion consiste à s'intéresser à notre relation avec des partenaires stratégiques comme la Russie et les États-Unis. Il est nécessaire de réfléchir avec les États-Unis à une vision commune et à l'avenir de la relation transatlantique et de réfléchir à nos relations avec la Chine mais également avec d'autres pays émergents comme le Brésil, le Mexique, l'Inde ou l'Afrique du Sud.
Enfin, le troisième dossier sur lequel nous devons nous pencher, peu souvent évoqué mais à propos duquel l'Union européenne a progressé ces dernières années, est relatif à notre relation avec les grandes organisations multilatérales, comme l'Organisation des Nations unies (ONU), l'Union africaine ou la Ligue arabe, en relation avec la réflexion portant sur le voisinage du Sud.
Nous avons réussi à développer avec ces organisations, avec d'autres encore, ainsi qu'avec les pays de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN), une dynamique de travail plus développée qu'auparavant. Ainsi, lorsque des crises surviennent, ces acteurs font appel à l'Union européenne, non seulement pour obtenir de l'aide financière mais aussi pour lui demander de réfléchir avec eux sur la manière de sortir de ces crises politiques. L'Union européenne est désormais un acteur impliqué dans la plupart de ces crises, comme dans celle sévissant au Soudan du Sud, pour laquelle son aide est sollicitée, mais aussi comme au Soudan ou encore en République centrafricaine.
L'Union européenne et le SEAE ont trois défis méthodologiques à affronter.
Tout d'abord, la capacité de l'Union à analyser les situations exige de se doter de capacités d'évaluation et d'analyse dans nos délégations, en liaison avec les services de renseignement des États membres, ainsi que de capacités à anticiper les évènements et à agir à temps. À ce propos, l'incapacité de notre chef de délégation en Irak à nous alerter sur ce qui se passait depuis déjà plusieurs mois dans ce pays, notamment à Falloujah, est frappante ; même si nous avions mis en garde les autorités irakiennes contre le danger et les menaces en présence, nous avons été pris de cours.
Le deuxième défi consiste à parvenir à changer les mentalités. Le problème fondamental est que l'Union européenne a jusqu'à maintenant été « payeur » davantage qu'« acteur ». Elle a rarement été un vrai grand acteur politique, sur la scène internationale, pesant sur la résolution des grandes crises, mais elle tend à le devenir de plus en plus, par exemple en Iran et dans les Balkans. Son système administratif éprouve des difficultés à assumer cette réalité. Il doit se transformer car, initialement, il n'avait pas été créé pour cela : la Commission européenne s'occupait avant tout de droits de l'homme, de commerce, de développement et d'action humanitaire ; en concordance avec la volonté des États membres, elle ne faisait pas de politique étrangère. Ce changement, induit par le traité de Lisbonne, doit s'accompagner d'une véritable révolution des mentalités, qui prendra du temps.
Le troisième défi est relatif à l'unité et à la cohérence de la diplomatie européenne : savoir définir le rôle des États membres d'un côté et celui de l'Union européenne de l'autre, savoir agir en bonne complémentarité et, enfin, savoir cibler là où l'Union européenne peut apporter une valeur ajoutée. En citant le cas de l'Ukraine, je serai plus optimiste qu'on ne l'est habituellement : lorsque les pays de l'Union se réunissaient, de fortes divisions et des points de vue divergents prévalaient mais, à l'issue de ces réunions, ils se montraient finalement capables de converger vers une position unie car ils avaient conscience qu'une telle unité était indispensable pour influer. Cela devrait nous donner des espoirs à mesure que nous avançons en matière de diplomatie européenne.
M. Pierre Vimont a été un formidable diplomate et a apporté sa très grande expérience dans cette innovation qu'est le SEAE. J'ai apprécié sa franchise à propos des aspects positifs et négatifs de son expérience au SEAE.
Nous savons que les États, pour diriger la politique extérieure de l'Union européenne, veulent désigner une personne qui ne fera pas d'ombre à leur propre politique étrangère. En outre, l'Union européenne n'a pas aujourd'hui de réelle politique de défense et les seuls États qui dépensent de l'argent pour l'Europe de la défense ont de moins en moins les moyens de s'investir dans le hard power. Enfin, la justice américaine impose un tsunami normatif aux relations économiques internationales et nous vivons de plus en plus sous la coupe du droit américain. Enfin, en matière d'échanges internationaux, nous éprouvons de grandes difficultés à établir un minimum de réciprocité vis-à-vis des pays émergents, notamment la Chine.
Dans ces conditions, est-il encore raisonnable de continuer de parler de « politique étrangère » de l'Union européenne ou s'agit-il simplement d'améliorer la coordination du travail des commissaires, en prenant acte du fait qu'il s'avère difficile de faire travailler ces acteurs ensemble ?
Au final, l'investissement en vaut-il la chandelle ? Le SEAE n'est-il pas simplement un élément supplémentaire ajouté à la bureaucratie de l'Union européenne ? Il semblerait que son action ne pèse pas vraiment sur les grandes affaires. Ce manque d'influence tient en partie à Mme Ashton et aux divergences entre les États européens, mais est-il judicieux de dépenser autant d'argent pour un service comme le SEAE ?
En outre, ne devrait-on pas arrêter de parler d'une « Europe de la défense » ? Ne serait-il pas plus raisonnable de réduire le niveau rhétorique du discours tenu au peuple européen alors que l'Europe de la défense n'existe pas ? Le temps de revenir à la réalité n'est-il pas arrivé ?
Lorsque vous comparez le SEAE à l'organisation de l'action extérieure de la Belgique, raisonnez-vous en termes de crédits budgétaires, d'effectifs de fonctionnaires ou de nombre d'ambassadeurs ?
L'Union européenne possède-t-elle des ambassades auprès des États membres de l'Union européenne ?
Comment s'articule la coordination entre les ambassades de l'Union européenne et celles des États membres ?
Après trois ans, vous avez une expérience unique de l'action extérieure de l'Union européenne. Sur le plan de l'organisation de ce service international, feriez-vous la même chose aujourd'hui ?
Les implantations des ambassades de l'Union européenne sont-elles bien choisies ?
L'Union européenne est très tournée vers les pays ayant besoin d'une aide internationale. N'aurions-nous pas intérêt à focaliser l'action extérieure sur ces pays ? En cas de crise, ce sont les chefs d'État ou les ministres des affaires étrangères des États membres qui se déplacent, pas les dirigeants européens. Quel est donc l'intérêt d'avoir des ambassades de l'Union européennes chez les BRICS ou dans les grand pays stratégiques ? Ne font-elles pas double emploi avec celle des États membres ? De réelles économies pourraient être accomplies en implantant ces ambassades dans les pays les moins stratégiques, où finalement l'Union européenne joue un rôle plus important que chacun des États membres individuellement.
Comment mener une politique étrangère sans politique de défense ? La Grande-Bretagne et la France, par exemple, ont à la fois une défense qui se projette et une réelle politique étrangère.
Dans le cadre de vos fonctions, vous avez constaté que certains pays sont hermétiques à la constitution d'une politique de défense commune. Pensez-vous que naîtra un jour une véritable politique de défense de l'Union européenne, opérationnelle et capable de se projeter ?
Malgré nos multiples invitations, Mme Ashton n'a pas souhaité se rendre devant les parlements nationaux. Est-ce une marque de mépris ou la peur de ne pas être suffisamment compétente ?
J'ai observé que la représentation diplomatique de l'Union européenne à travers le monde doublonnait avec les représentations des États membres. Une ambassade de l'Union européenne pourrait suffire pour toute l'Afrique de l'Ouest, une autre pour toute l'Afrique orientale et une troisième pour toute l'Afrique australe, par exemple.
Vous avez évoqué l'intérêt des synthèses politiques entre État membres. Mais les positions communes obtenues sont-elles de réelles positions ou des absences de position ?
L'absence de politique européenne pour le pourtour méditerranéen n'est-elle pas due aux divergences de sensibilité en l'Europe du Nord et l'Europe du Sud ? Nous sommes là à la frontière entre politique humanitaire et politique de sécurité. Comme beaucoup de citoyens, les vagues de migrants m'ont choqué, mais l'Italie n'en peut plus. Face à ce phénomène, quelle est l'approche européenne ? Est-il possible de contrôler les eaux méditerranéennes, de sorte que la gestion des migrants ne repose pas sur un seul pays ? Peut-on espérer à un minimum de solidarité européenne ?
Les dernières élections européennes ont été marquées par une montée des extrêmes et l'absence de politique étrangère extérieure a surement joué dans ces résultats. Je ne jette pas la pierre à Mme Ashton, car c'est une tâche difficile, mais l'Europe a été peu présente pour régler les crises en Afrique ou en Ukraine. Une politique extérieure de l'Union européenne visible aurait pu avoir des répercussions positives sur la perception que nos concitoyens ont de l'Union.
Un travail en amont est-il mené pour chercher à prévoir les évènements et à commencer à harmoniser les positions européennes avant que les crises ne surviennent ?
A-t-il été essayé d'engager une coopération renforcée en matière d'Europe de la défense, en réunissant, dans un premier temps, les quelques pays favorable à ce projet ?
Qui est susceptible de remplacer Mme Ashton une fois qu'elle aura quitté ses fonctions ?
Lorsque j'étais secrétaire d'État chargé des affaires européennes, au moment de la répartition des rôles au sein de la Commission européenne, l'idée générale était que la politique étrangère et la défense soient l'affaire des Français et des Britanniques. Comme la défense avait été confiée à M. Barnier, c'est aux Britanniques, avec Mme Ashton, qu'est revenue la politique étrangère. Sommes-nous encore, cette fois-ci, sur une épure franco-britannique ? Dans l'hypothèse où vous seriez autorisé à nous le dire, connaissez-vous les personnes présentes sur la short list ?
L'unanimité s'avérant inefficace, ne serait-il pas possible d'envisager des décisions à la majorité qualifiée ?
Vous sous-entendez que les membres du partenariat oriental auraient vocation à adhérer à l'Union européenne, contrairement aux pays du voisinage Sud. Mon analyse est un peu plus nuancée car affirmer que la Géorgie, la Biélorussie et leurs voisins ont vocation à entrer un jour dans l'Union européenne, c'est agiter un chiffon rouge devant la Russie. D'un point de vue diplomatique, c'est difficilement tenable. Qu'en pensez-vous ?
Les Émirats arabes unis, que vous avez évoqués, entretiennent des relations avec certains groupes informels qui nourrissent l'instabilité de la région complexe du Machrek. Avez-vous la possibilité de discuter avec des représentants de ce pays ?
J'apprécie que vous posiez des questions aussi directes sur l'utilité d'une politique étrangère européenne. Les difficultés que connaît cette dernière viennent, je crois, des objectifs beaucoup trop ambitieux que nous nous sommes faussement fixés. Cette fameuse idée d'« Europe puissance », capable, une fois mis en place le Haut représentant, de parler d'égal à égal avec tous les grands acteurs de la communauté internationale, notamment les grands États membres, voire de se substituer à ces derniers, est, d'une part, totalement irréaliste et, d'autre part, en décalage avec les traités, qui ne mentionnent pas de politique étrangère unique. Il nous est seulement demandé d'être complémentaires avec les États membres pour apporter une valeur ajoutée dans les domaines où c'est possible.
Par exemple, nous ne sommes pas intervenus en première ligne au Mali car nous n'y disposions pas de forces de projection, nous n'étions pas en mesure d'agir immédiatement et unilatéralement sur place – au demeurant, l'ONU ne serait pas non plus capable de projeter immédiatement une telle force de maintien de la paix, il lui faut entre six et huit mois pour le faire. En revanche, puisque un État membre – en l'occurrence la France – était capable de le faire, l'Union européenne a appuyé cette action en intervenant en deuxième ligne. En l'espèce, nous nous sommes donné pour mission d'assurer la formation des forces armées maliennes afin, à terme, de les professionnaliser.
Monsieur Loncle, je vous rappelle que nos diplomates au Mali et au Burkina Faso ont joué un rôle tout à fait utile, notamment dans le dialogue en faveur d'un cessez-le-feu ou encore pour préparer l'accord de Ouagadougou. De plus, dans les pays francophones ou anglophones d'Afrique australe, les autorités préfèrent communiquer avec des représentants de l'Union européenne, jugés plus neutres que ceux des anciennes puissances coloniales. Là encore, l'Union joue un rôle complémentaire souvent très appréciés des États membres. Ce rôle doit rester complémentaire ; jamais l'Union européenne ne pourra se substituer d'une quelconque manière aux États en matière de politique étrangère ; son action est complémentaire.
Puisque nous sommes en France, vous voyez la politique étrangère à travers le regard d'une des grandes puissances européennes, qui possède un réseau diplomatique complet, qui est membre permanent du Conseil de sécurité et qui joue par conséquent un rôle important dans toutes les grandes crises. Mais pensez à certains États membres de l'Union européenne, comme la Hongrie, Chypre ou Malte, dont les réseaux diplomatiques sont très limités et qui disposent de très peu d'informations : l'Union européenne est très importante pour eux car elle les aide à être représentés et à faire prévaloir leur opinion. Tel est aussi le rôle de l'Union européenne : ses vingt-huit membres doivent tous être représentés, sans considération de leur grandeur ou de leur importance sur l'échiquier international. Peut-être existe-t-il des double-emplois dans les cas de la France, de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne mais les pays plus petits ne sont souvent représentés que par l'Union européenne. Un dispositif pour les informer et répondre à leurs souhaits d'engagement de démarches diplomatiques – lorsque l'un de leurs citoyens est détenu ou lorsqu'ils s'alarment de violations des droits de l'homme – représente une vraie valeur ajoutée.
Le système peut-il être rationnalisé ? Bien évidemment, monsieur Poniatowski. Nous avons dû démarrer avec un dispositif qui ne correspondait absolument pas aux besoins d'une politique étrangère puisque nous avons repris le réseau, essentiellement centré sur les actions économiques, de la Commission européenne, à qui il avait été fait interdiction, pendant plus de cinquante ans, de s'intéresser aux affaires étrangères. Nous avions très peu de personnel à Moscou mais beaucoup dans les Îles Fiji, par exemple. Nous nous sommes efforcés de réorganiser et de restructurer ce réseau vers une vraie action de politique étrangère, ce qui est, je dois l'admettre, un travail de longue haleine.
Nous n'avons pas de délégations dans les États membres. Les représentations de la Commission européenne dans les États membres sont seulement chargées d'informer les pays sur l'actualité de l'Union européenne.
En revanche, par souci d'économie, les États membres cherchent à rationaliser leur réseau national en fonction du réseau européen, notamment en fermant des ambassades – c'est le cas, par exemple, de l'Espagne dans un certain nombre de pays africains voire de la France en Amérique centrale. Il nous est alors demandé d'héberger leur ambassadeur plus une secrétaire et un chauffeur. À l'inverse, des États membres ayant effectué de gros investissements immobiliers dans certains pays d'Afrique nous proposent de nous loger sur leur campus. L'entraide s'opère même sur le plan politique : lorsque plusieurs États membres ont décidé de suspendre leurs relations diplomatiques avec Damas et d'y fermer leur ambassade, leurs diplomates maintenus sur place pour continuer à suivre les événements ont été hébergés par la délégation européenne située dans la capitale, qui est restée ouverte assez longtemps. Nous sommes en train d'inventer ce que j'appellerai une « vraie délégation européenne », qui coopère avec les diplomates des États membres et les fait coopérer entre eux, dans un souci d'optimisation des dépenses et de complémentarité, avec de réelles perspectives de succès. Il ne serait d'ailleurs pas bon non plus de supprimer toute présence des États membres, notamment en Afrique de l'Ouest ou en Afrique australe.
Monsieur Lequiller, le vrai problème n'est pas l'inexistence d'une action européenne extérieure mais le manque de communication à ce propos : nous ne faisons pas suffisamment connaître ce que nous faisons. En menant une meilleure stratégie de communication, nous pourrions mieux faire comprendre à l'opinion publique que notre travail, même s'il n'est pas parfait, a des conséquences positives. En République centrafricaine, par exemple, la France est très présente. Or c'est à l'Union européenne que Mme Catherine Samba-Panza, Présidente de transition, a adressé sa demande de récréer un dialogue politique entre les groupes qui s'opposent dans son pays. Elle a estimé qu'il était plus crédible de formuler sa demande à l'Europe qu'à la France, mais la coopération entre notre délégation et l'ambassade de France à Bangui est d'une transparence parfaite, nous agissons en bonne complémentarité. Car, dans le contexte actuel, tel est le secret : ne pas avoir d'ambitions excessives mais travailler le plus possible en complémentarité.
En ce qui concerne la crise ukrainienne, l'Europe partait de positions très différentes, entre ceux qui voulaient se lancer immédiatement dans une offensive généralisée contre la Russie, y compris éventuellement militaire, et, à l'opposé, ceux qui ne voulaient rien faire. Nous avons défini une politique de sanctions assez intelligente, sur laquelle les États-Unis se sont d'ailleurs calés, en commençant par adopter des sanctions individuelles et en préparant d'éventuelles sanctions économiques. Nous pourrions évidemment nous interroger sur l'effet et l'efficacité de telles sanctions pour convaincre la Russie de rester raisonnable et d'aller dans le sens de la désescalade, ce qui n'est pas acquis, loin s'en faut. Quoi qu'il en soit, je pense que notre action a été plutôt habile. L'important est de montrer que l'Union européenne, au-delà des analyses, est capable d'agir de front et de dégager en amont une position commune en prévision de crises et de conflits.
À mon tour, je vous poserai une question à tous. Face aux printemps arabes, la performance de l'Europe n'a peut-être pas été optimale, mais un seul de ses partenaires de la communauté internationale a-t-il su apporter une réponse ? Quelles furent les réactions des États-Unis, de la Turquie, de l'Arabie saoudite, du Qatar ? Je ne prétends pas que nous ayons réussi à bien cerner le problème ni à lui trouver une réponse, mais je constate que nous ne faisons pas plus mal que les autres et que, parce que nous travaillons pour vingt-huit États membres, nous avons l'honnêteté d'essayer objectivement d'agir pour améliorer la situation. C'est vrai, monsieur le Président, tout au début du printemps arabe – notamment à propos des évènements en Égypte et Tunisie –, notre réponse commune n'était pas fondée sur une véritable vision politique du problème. Nous annoncions alors une aide financière de 11 ou 12 milliards d'euros et une assistance au processus de transformation, dans différents domaines comme le commerce, la mobilité, les transports ou l'énergie. Nos partenaires du monde arabe nous le reprochent avec raison. Cet approfondissement d'une vision politique reste à conduire, au bénéfice de l'entrée en fonction du futur collège de la Commission européenne. Et il convient d'aller au bout de la logique géographique : les phénomènes constatés actuellement en Libye, dans le Sinaï, en Égypte, au Yémen et ailleurs ont des conséquences au Sahel ; ce qui se passe en République centrafricaine ou au Nord du Nigeria peut être directement lié aux évènements en Lybie. Les transferts transfrontaliers d'armes ou les déplacements de milices l'imposent imposent de prendre en considération l'ensemble de cet espace dans son intégralité.
Cela pose des difficultés à l'Union, dont la politique, d'une part en Afrique de l' Ouest et dans le Sahel, d'autre part en Afrique du Nord, est menée par des services disjoints. Au cours des prochains mois, il faudra y réfléchir et modifier cette organisation afin de suivre une seule et même logique.
L'Union européenne, je l'admets, manque d'une politique de lutte contre l' immigration illégale. Jusqu'à maintenant, la solidarité a été essentiellement organisée par les ministres de l'intérieur. Si je me souviens bien, M. Laurent Fabius, lors d'une réunion récente du conseil Affaires étrangères, a pris position en faveur d'une meilleure coordination entre ministres de l'intérieur et ministres des affaires étrangères sur cette question. Il est en effet évident que le problème doit être traité à ces deux niveaux, avec des actions à entreprendre pour prévenir l'immigration illégale, notamment pour trouver des réponses politiques au sort de ceux qui sont déjà en mer et s'approchent de nos côtes. Il faut renforcer les instruments existants, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (FRONTEX) en particulier, et les gérer de manière plus solidaire que ce n'est fait à l'heure actuelle. L'Union européenne doit donner plus de visibilité à son action et intervenir en amont, avant même l'embarquement des immigrants illégaux, dont un grand nombre se déplacent par bateau, notamment ceux en provenance de Lybie. Comment stabiliser la situation intérieure de ce pays afin de prévenir l'immigration illégale vers le territoire européen ? C'est un problème politique très compliqué ; l'Union devrait réfléchir à des propositions de solution puis agir. Plus globalement, parce qu'elle attire aussi des immigrés illégaux ou réfugiés de Syrie, d'Érythrée, du Soudan du Sud et du reste de l'Afrique, elle devrait élaborer une véritable stratégie de réponse à ce phénomène, en endossant une politique de prévention de ses causes, notamment de celles liées au développement économique. Tout cela n'a de sens que si nous sommes capables d'avoir un vue d'ensemble du problème, que nos instruments agissent aux différentes étapes du processus, que toutes nos actions sont fondées sur une vision commune et font l'objet d'un accord politique pour chacun des États d'origine concernés. Je suis conscient de la difficulté mais l'Union européenne possède l'avantage de pouvoir agir de façon plus cohérente et intégrée.
S'agissant de la succession de Mme Ashton, une série de noms circulent ; ceux de plusieurs ministres des affaires étrangères, à la compétence incontestable, ont été cités. À mon avis, le meilleur profil pour ce poste serait une personnalité d'expérience dans le domaine de la diplomatie, à l'instar d'un ministre des affaires étrangères ou d'un bon parlementaire riche d'une expertise sur cette question. Les discussions concernant la nomination du Haut représentant sont conduites en même temps que celles concernant les deux autres postes stratégiques, ceux des présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, ce qui implique d'autres considérations, notamment la nationalité des candidats. Mais je ne suis pas sûr, monsieur Lellouche, que la France et la Grande-Bretagne voient le problème de cette manière…
Madame la Présidente, le traité de Lisbonne prévoit en effet la possibilité de recourir à la majorité qualifiée pour les décisions d'application, à l'instar de la coopération structurelle permanente ou des missions de coopération par groupes d'États membres pour le compte de tous, dans le cadre de la politique de sécurité, prévues à l'article 44 du traité sur l' Union européenne. La vérité, c'est que ces dispositions, faute de volonté de la part des États membres, n'ont jamais été mises en oeuvre.
Mon analyse sur les perspectives d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne était purement juridique et nullement politique. Il serait en effet inapproprié d'agiter un chiffon rouge devant nos partenaires russes en allant droit vers l'adhésion de l'Ukraine ou vers l'ouverture d'une négociation d'adhésion – nombreux sont d'ailleurs les États membres qui s'y opposeraient.
Il convient en outre de distinguer, d'un point de vue juridique, voire économique et politique, entre les deux composantes de notre politique de voisinage : le partenariat oriental concerne des États qui peuvent avoir un jour vocation, selon la lettre du traité, à demander leur adhésion à l'Union européenne ; d'autres pays, en revanche, pour des raisons géographiques, n'ont pas le droit d'y adhérer. C'est pourquoi une réponse négative avait été opposée à la demande soumise par le Maroc. Il serait artificiel que ces pays, qui se caractérisent par des niveaux de développement économique et social ainsi que par une proximité géographique avec l'Union européenne très différents, fassent l'objet d'une approche similaire dans le cadre de la politique du voisinage.
Jusqu'à présent, avec les Émirats, nous n'avons réussi à parler d'aucune des questions qui dérangent. Le vrai débat qu'il faudra un jour avoir avec les pays de cette région est relatif aux moyens de sortir de l'impasse actuelle en Libye, en Syrie et maintenant aussi en Irak. Il faut tenir un discours de vérité : certains d'entre eux misent sur une politique de provocation et nous en sommes conscients. Pour stabiliser la région, tout le monde doit se mettre d'accord sur le type de soutien à apporter aux pays qui la composent.
Avant de conclure, pourriez-vous nous éclairer davantage à propos de la politique européenne de défense ?
J'ai déjà évoqué le cas du Mali. Mais qu'attend-on de cette politique ? Personne ne pense qu'elle puisse se substituer à l'Organisation du traité de l' Atlantique Nord (OTAN), investie d'une mission de défense collective du territoire européen – et moins encore à la lumière des évènements actuels en Ukraine. Mais il est évident que la défense collective du territoire européen est en train de redevenir une priorité. L' Union doit par conséquent s'interroger sur ses possibilités d'action et la conception de ses missions. Dans de nombreux cas, je le répète, elle déploie ses forces en complémentarité avec des missions entreprises par d'autres organisations internationales. Certaines de ses missions concourent à son action extérieure, à l'instar de ses missions d'observation en Ukraine ou de ses missions civiles au Kosovo. Elle mène également des missions de formation et de consolidation dans les domaines de la police et de la justice. Elle est aussi engagée dans une mission de maintien de la paix en République centrafricaine, qui se transformera peut-être, comme au Mali, en une mission de formation de l'armée.
Le Conseil européen nous a demandé de réfléchir à la possibilité d'aller plus loin et de doter l'Europe d'une force de projection, à partir de ses brigades d'intervention, ou battle groups. Celles-ci n'ont jusqu'à présent jamais été déployées, ce qui dénote un manque de volonté politique, vous avez raison, madame la Présidente. Essayer de rendre ce dispositif plus performant et plus efficace serait un bon test.
Il faut du reste cesser de sous-estimer l'évolution de l'état d'esprit d'un certain nombre d'États membres : lorsque nous avons lancé un appel pour générer des forces dans le cadre de la mission en République centrafricaine, pays peu connu chez nombre de nos partenaires, la Pologne, la Lituanie et la Lettonie ont tout de suite répondu positivement, de même que la Géorgie, en tant que contributeur extérieur à l'Union européenne. Le fait que les Lettons et les Lituaniens soient volontaires pour s'engager en faveur du maintien de la paix en Afrique centrale est plutôt réconfortant. Je dirai même – sans être exagérément optimiste, car cette mise en pratique des missions est extrêmement compliquée et laborieuse – qu'une politique commune prend forme, petit à petit. Nous pouvons donc envisager des avancées vers une véritable politique de sécurité et de défense commune, par de petites étapes, ce qui exige temps et patience.
II. Communication de la Présidente Danielle Auroi relative à la définition des priorités stratégiques de l'Union
Il me semble important, à la suite de notre séance de questions européennes et à la veille du Conseil européen qui doit notamment désigner le président de la Commission européenne, que notre commission puisse proposer des priorités politiques de fond, à transmettre aux institutions européennes et au gouvernement, dans la lignée des cinq grandes propositions qui vient de nous présenter en séance publique le ministre délégué aux affaires européennes.
Pour établir la proposition de conclusions que je vais vous présenter et qui a été diffusée hier, je me suis appuyée en particulier sur l'ensemble prises de position de notre commission depuis le début de la législature, qu'elles aient été exprimées grâce à des conclusions ou des résolutions européennes.
Dans le contexte de crise actuel, et de distance croissante entre les peuples européens et leurs élites politiques, l'Union a plus que jamais besoin d'être refondée, autour d'un projet politique d'intérêt général, pour être plus lisible, retrouver la confiance des Européens et faire face efficacement aux défis auxquels ils sont collectivement confrontés.
Le renouvellement des institutions, issu des urnes du 25 mai, et la présidence italienne de l'Union constituent une opportunité majeure de réorientation des priorités de l' Union.
L'Europe ne doit pas être exclusivement un ensemble de règles à respecter, elle doit être aussi une force collective au service de l'intérêt public européen, d'un développement des droits humains.
Pour cela il faut définir une feuille de route et donner à l'Union les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre, notamment des moyens d'investissement.
C'est d'un « plus d'Europe » dont nous avons besoin, et d'une refondation politique, et non pas d'un repliement nationaliste qui n'aboutirait qu'à une catastrophe politique, économique et sociale.
Au total la proposition de conclusions propose une nouvelle ambition pour l'Europe, au service des citoyens européens, pour une Europe plus démocratique, plus solidaire, basée sur une vision stratégique et orientée résolument vers les défis de l'avenir, source de développement économique et social, en matière énergétique et climatique, du développement du numérique et des transports propres, et dans le domaine de la recherche.
Elle est articulée autour de quatre axes prioritaires, que j'ai souhaités aussi rassembleurs que possible des diverses approches composant notre commission, dans une perspective résolument européenne.
La première est de bâtir une Europe sociale et solidaire. La seconde est d'investir au service du développement durable. La troisième est de renforcer la gouvernance économique et industrielle de l'Union, en particulier de la zone euro. Et la quatrième est d'approfondir la démocratie européenne et renforcer l'action de l'Union au service de la justice, des droits fondamentaux et de la sécurité. Je vous propose que nous parcourions le texte de cette proposition, afin que vous puissiez me faire part de vos observations.
Au service de la première priorité, il s'agit de concrétiser l'Europe sociale en particulier en développant la Garantie emploi jeunes, en mettant en place le principe d'un salaire minimum européen, différencié par pays, et en s'orientant vers la convergence par le haut des systèmes sociaux, y compris à travers des coopérations renforcées.
À ce stade, je vous suggère que nous évitions de porter des jugements de valeur sur les qualités des systèmes sociaux, en nous contentant de retenir l'objectif d'une « convergence » sans l'adjonction de la précision « par le haut » qui me semble bien subjective.
Cette précision peut être levée sans difficulté.
Je vous propose aussi de demander à ce que soit également introduit dans le suivi du semestre européen des indicateurs sociaux à valeur obligatoire, ainsi que des indicateurs environnementaux. Mes collègues qui ont participé avec moi à la dernière COSAC nous rappellerons sans doute combien cette préoccupation est de plus en plus unanimement partagée par nos partenaires.
Parallèlement la lutte contre la pauvreté doit être développée par un accroissement des moyens de l'Union qui y sont consacrés, notamment ceux du Fonds européen d'assistance aux personnes démunies.
Dans un esprit comparable, pour renforcer la solidarité européenne et lutter contre le dumping fiscal, il est proposé d'adopter un plan de convergence fiscale, prioritairement dans le domaine de l'impôt sur les sociétés, en faisant aboutir rapidement le projet d'harmonisation de l'assiette de l'impôt, mais aussi en progressant vers l'harmonisation des taux, à travers le lancement dans ce domaine d'une coopération renforcée, basée sur une démarche franco-allemande.
Il convient également de mettre en oeuvre le projet de taxe sur les transactions financières, qui menace de devenir le nouveau serpent de mer européen, en élargissant son assiette, en matière de produits dérivés, et en affectant son produit au budget de l'Union et à la solidarité internationale, ainsi que d'intensifier la lutte contre la fraude fiscale, à travers une coopération accrue entre les services.
Je dois ici aussi regretter l'imprécision de la formulation, qui rend mal compte des déceptions et des déconvenues auxquelles s'expose l'Europe sur la taxe sur les transactions financières si nous ne demeurons pas extrêmement vigilants, car les projets aujourd'hui sur la table présentent aussi de redoutables défauts et dangers pour l'économie européenne, notamment française.
Nous pouvons peut-être nous entendre sur une rédaction plus générale, posant la question de la mise en oeuvre taxe sur la transaction financière et formulant le voeu de sa réussite, sans préciser les modalités précises qu'elle doit revêtir, sur lesquels nous ne pourrons pas nous entendre aujourd'hui.
S'agissant ensuite de l'investissement au service du développement durable, nous approuverons tous l'ambition, afin de soutenir le développement économique, social et environnemental, et la création d'emplois, de lancer un grand plan européen d'investissement, intégrant un plan pour les énergies renouvelables en Europe, pour le développement du numérique, et un renforcement du programme des interconnexions en matière de transport et d'énergie.
Le renforcement des moyens d'investissement de l'Union mis au service de ce plan d'investissement pourrait être fondé sur un développement des moyens d'intervention de la BEI, l'émission de « project bonds », et une révision du cadre financier pluriannuel - prévu à ce stade pour 2016- articulée avec l'introduction de véritables ressources propres, conformément au texte même du traité. Il s'agit de conduire la maitrise nécessaire des déficits publics, dans la durée, sans basculer dans l'austérité, en intégrant pleinement la nécessité d'assurer un développement durable et d'investir pour l'avenir.
Il est également proposé d'engager dans le même temps, par étapes, la mise en place d'une communauté européenne de l'énergie, basée sur l'efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables, une indépendance énergétique renforcée, la communautarisation progressive des relations avec les pays fournisseurs, et la sécurité énergétique pour les entreprises et les particuliers. Dans cet esprit, les dispositions contenues dans le nouveau « paquet énergie climat », portant les objectifs à l'horizon 2030, proposé par la Commission européenne, doivent être renforcées, en y intégrant des objectifs chiffrés en matière d'efficacité énergétique et des objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables. Il est essentiel que l'Europe soit exemplaire dans ce domaine, pour faire face sur le fond aux enjeux qui sont devant nous, et pour réussir la Conférence climat de 2015 à Paris.
Le plan d'investissement, dont vous nous suggérez de demander la mise en place, n'existe-t-il pas déjà, au travers de la relance des fonds structurels ? Par ailleurs, que recouvre concrètement l'ambition d'une communauté européenne de l'énergie « basée sur l'efficacité énergétique », terme qui me semble bien imprécis.
Le plan d'investissement est le principal dossier à l' ordre du jour du Conseil européen de demain, donc je suppose qu'il recouvre une réelle nouveauté. S'agissant ensuite de l'efficacité énergétique, convenons que c'est une ambition et un objectif à la fois légitime et bien connu, sur lequel de nombreux partenaires peuvent nous donner des exemples concrets et efficaces. Nous pouvons rédiger ce point en visant l'objectif recherché.
Vos propositions sur ce sujet font l'impasse sur une dimension fondamentale de la lutte contre le changement climatique : le rôle joué par le nucléaire dans la réduction des émissions de CO2.
Nous ne pourrons là non plus pas trouver un consensus sur la question controversée du nucléaire, dont il ne faut jamais oublier les risques et auquel renoncent de nombreux pays européens. Par ailleurs le « mix » énergétique relève de la compétence des États membres. Je suggère donc que nous nous contentions de mentionner notre ambition de réduire fortement les émissions de CO2, sans détailler à cette étape les moyens d'y parvenir. Le nucléaire mérite un débat beaucoup plus approfondi, que nous pouvons mener avec énergie dans notre Commission.
Il serait en effet opportun de ne pas rentrer dans ce débat, qui transcende les clivages politiques traditionnels, de manière trop rapide et superficielle.
Je pense ensuite qu'il nous faut rappeler combien la politique agricole est pour nous une composante essentielle du développement durable. Dans cet esprit il s'agit de promouvoir une politique agricole commune soutenant l'emploi, assurant un revenu équitable et décent aux exploitants agricoles, préservant l'environnement, les sols et la qualité des eaux ainsi que la santé publique et développant la vitalité des territoires. Il convient également de protéger la souveraineté et la sécurité alimentaires, ce qui suppose la prise en compte des préférences collectives des consommateurs, celle de l'exigence de qualité et de traçabilité des aliments et le respect des normes que l'Union européenne impose à ses producteurs. Il est également proposé de mener une réflexion sur l'introduction de mécanismes d'aides contra-cycliques dans la perspective des négociations commerciales internationales et notamment du projet d'accord transatlantique.
Dans un sujet d'une actualité brûlante, nous pouvons mentionner que la politique commerciale européenne doit pleinement intégrer les préférences collectives des Européens, conforter la capacité des États à faire prévaloir l'intérêt général, notamment dans le cadre des procédures contentieuses, et le principe de la responsabilité des entreprises pour leurs filiales et sous-traitants.
Assurer un développement européen durable suppose enfin d'intégrer résolument la défense de la biodiversité, en mettant concrètement en oeuvre la stratégie de l'Union européenne à l'horizon 2020, afin de stopper le processus de dégradation du patrimoine de faune et de flore en Europe, notamment en outre-mer, qui implique directement la France.
Je doute que la mention du projet d'accord transatlantique, dont l'objet est très vaste, dans ce paragraphe consacré à des sujets étroitement délimités soit pleinement pertinente.
Nous pouvons en effet faire évoluer cette rédaction.
Nous abordons maintenant le sujet décisif du renforcement de la gouvernance économique et industrielle de l'Union, en particulier de la zone euro, au coeur des préoccupations de nos concitoyens.
Il s'agit ici d'approfondir l'Union économique et monétaire en instituant une présidence stable des sommets de la zone euro, distincte de celle du Conseil européen, ainsi qu' une assemblée de la zone euro, formée de représentant-e-s des parlements nationaux, interlocutrice du Conseil et de la Commission aux différentes étapes du Semestre européen, notamment dans le cadre de l'élaboration des recommandations de la Commission européenne sur les programmes de stabilité et de réforme.
Dans le même temps, je vous propose que nous demandions à ce que l' Eurogroupe soit ouvert à la participation d'autres ministres que les ministres des finances (notamment les ministres chargés des affaires sociales ou de l'environnement).
De manière plus décisive encore, il est temps de créer un budget propre de la zone euro, à même de jouer un rôle contracyclique, et de mutualiser une partie de la dette publique des États membres à travers l'émission d'euro-obligations, au service du développement économique et social. Dans le même esprit il est proposé également de créer un Trésor européen.
À ce stade, je pense qu'il faudrait plus clairement mettre un terme à cette vision fausse, mais malheureusement encore très répandue, qui oppose artificiellement des pays « du Nord » prétendument vertueux et des pays « du Sud » taxés de laxisme. Ce préjugé est inexact et dangereux, et il obscurcit abusivement les débats sur la mutualisation de la dette, perçue comme un transfert des premiers pays vers les seconds. Or, les études montrent qu'une telle mutualisation, si elle avait été mise en place entre 1999 et 2009, aurait apporté plus d'argent à l'Allemagne, qui a souffert au début de la décennie d'une longue période d'atonie économique, qu'à la Grèce ou à l'Espagne par exemple.
Il me semble nécessaire de rappeler combien, sur cette question de la garantie mutuelle des dettes, nous avons progressé alors même que les traités l'excluaient expressément. De fait, grâce à l'action de la BCE et aux mécanismes de stabilité financière, une réelle solidarité s'est mise en place pour faire pièce aux assauts spéculatifs sur les dettes souveraines. Pour autant, il faut que chacun demeure responsable et comptable de ses choix budgétaires, sauf à condamner l'ensemble de la zone euro à l'instabilité et à la récession. Et je ne suis pas favorable à un accroissement de l'endettement, que ce soit au niveau des Etats ou de l'Union.
Vos précisions sont utiles, bien que je demeure convaincue qu'une nouvelle étape dans la mutualisation des dettes soit indispensable. A ce stade, pour assurer notre consensus, je vous propose de ne pas viser directement les euro bonds.
Ma proposition concerne ensuite l'industrie européenne. Je pense qu'il est temps d'engager résolument l'Union vers la mise en place d'une politique industrielle commune, incluant une mutualisation accrue de l'effort de recherche dans les secteurs d'avenir et une réforme de la politique de la concurrence, prenant en compte la promotion des « champions européens » dans les secteurs stratégiques.
J'en viens enfin à l'une de nos priorités les plus constantes, l'approfondissement de la démocratie européenne et le renforcement de l'action de l'Union au service de la justice, des droits fondamentaux et de la sécurité
Je propose que nous suggérions, pour renforcer l'intégration démocratique de l' Union et lutter contre la distance sans cesse grandissante entre l'Europe institutionnelle et les peuples européens, de lancer, d'une part, une réflexion approfondie sur les modes de désignation des présidences du Conseil européen et de la Commission européenne, incluant la participation des parlements – Parlement européen et parlements nationaux- et, à terme, une élection au suffrage universel, d'autre part, une démarche européenne de dialogue public sur l'avenir de l'Union et , enfin, un développement résolu des initiatives citoyennes.
Je crois qu'il est prématuré d'évoquer une élection au suffrage universel, qui requiert un long travail de réflexion et de proposition entre nous dont on ne peut préjuger l'issue de manière aussi rapide dans les présentes conclusions.
Cette mention est effectivement prospective et peut être retirée à ce stade. L'idée est bien évidemment de conforter la légitimité démocratique des institutions européennes. C'est un objectif crucial, dont les modalités de mise en oeuvre peuvent être diverses et complémentaires.
Il est proposé d'approfondir également l'espace de solidarité de sécurité et de justice en Europe, dans le cadre du prochain programme pluriannuel, prenant en compte les attentes et les besoins des citoyens européens, en développant notamment les moyens de la solidarité européenne pour assurer l'accueil des réfugiés et la gestion de l'immigration, en assurant l'adoption rapide du nouveau cadre européen pour la protection des données et celle des propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, et en mettant en oeuvre le projet de Parquet européen, dont la compétence doit inclure la lutte contre la criminalité transfrontière.
Il me paraît utile de préciser que notre objectif est ici une gestion « maîtrisée » de l'immigration.
Enfin, nous pouvons nous entendre sans difficulté, en particulier au coeur d'une actualité ukrainienne si préoccupante, pour appeler à un renforcement de l'action de l'Union au service de la sécurité de ses citoyens et assurer son influence dans le monde. Cela implique, notamment, la relance effective de l'Europe de la défense, à la suite du Conseil européen de décembre 2013, en mettant concrètement en oeuvre les dispositions du traité relative aux coopérations structurées et aux groupements tactiques et en révisant la Stratégie européenne de sécurité définie en 2003.
À cet égard, il serait opportun que l'on invite l'Union à mieux tenir compte des efforts très inégaux qu'assument les États dans la protection commune, en particulier sur les théâtres d'actions extérieurs, par exemple, en retirant les dépenses consacrées à la défense du calcul du déficit au sens du pacte de stabilité ou en renforçant la participation financière de l'Union aux opérations menées en son nom par un Etat membre.
La Commission a ensuite adopté les conclusions ci-après ainsi modifiées.
« La Commission des affaires européennes,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les propositions de résolutions et les conclusions que la Commission des affaires européennes a adoptées depuis le début de la législature,
Vu l'ordre du jour du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014,
Considérant le fossé qui ne cesse de s'accroître entre les citoyens européens et les institutions européennes et ses élites politiques, la crise économique persistante et ses graves conséquences politiques et sociales, ainsi que le manque persistant d'un projet politique rassembleur pour l'Europe,
Considérant le risque sérieux pour l'avenir de l'Union que cette situation comporte et la nécessité d'une refondation courageuse du projet européen,
Considérant le résultat des élections européennes du 25 mai dernier et l'avertissement majeur qu'il représente pour la démocratie européenne,
Considérant la force de proposition, à l'égard des institutions européennes, que les parlements nationaux, pour répondre à ce défi collectif, ont vocation à constituer,
Considérant la responsabilité particulière qui incombe à cet égard à la France, en tant que pays fondateur et deuxième puissance économique de l'Union,
Considérant que cette ambition politique renouvelée, pour une Europe solidaire et efficace, doit apporter des réponses concrètes aux aspirations des Européen-nes – en particulier dans le domaine social, de l'emploi et de la transition énergétique –, en s'appuyant notamment sur une intégration économique renforcée, notamment de la zone euro, et une relance de l'investissement, basée sur un grand plan européen pour les investissements d'avenir, et en assurant un approfondissement démocratique des institutions européennes ;
Propose que la stratégie d'action de l'Union européenne pour la législature qui s'engage soit basée sur les quatre axes prioritaires suivants :
1. Bâtir une Europe sociale et solidaire
Il s'agit de concrétiser l'Europe sociale en développant la Garantie emploi jeunes, en mettant en place le principe d'un salaire minimum européen, différencié par pays, à la suite notamment de l'évolution intervenue à cet égard en Allemagne, et en s'orientant vers la convergence des systèmes sociaux, y compris à travers des coopérations renforcées. Il convient également d'introduire dans le suivi du Semestre européen des indicateurs sociaux à valeur obligatoire, ainsi que des indicateurs environnementaux. Parallèlement, la lutte contre la pauvreté doit être développée par un accroissement des moyens de l'Union qui y sont consacrés, notamment ceux du Fonds européen d'assistance aux personnes démunies.
Dans le même esprit, il convient de développer la stratégie européenne dans le domaine de la santé, notamment dans le domaine des perturbateurs endocriniens.
Pour renforcer la solidarité européenne et lutter contre le dumping fiscal, il est proposé par ailleurs d'adopter un plan de convergence fiscale, prioritairement dans le domaine de l'impôt sur les sociétés, en faisant aboutir rapidement le projet d'harmonisation de l'assiette de l'impôt, mais aussi en progressant vers l'harmonisation des taux, à travers le lancement dans ce domaine d'une coopération renforcée, basée sur une démarche franco-allemande. Il convient également de mettre en oeuvre le projet de taxe sur les transactions financières, en interrogeant ses modalités d'application, en élargissant son assiette, en matière de produits dérivés, et en affectant son produit au budget de l'Union et à la solidarité internationale, ainsi que d'intensifier la lutte contre la fraude fiscale, à travers une coopération accrue entre les services.
2. Investir au service d'un développement économique, social et environnemental durable
Afin de soutenir le développement économique, social et environnemental, et la création d'emplois, il est proposé de lancer un grand plan européen d'investissement, intégrant un plan pour les énergies renouvelables en Europe, pour le développement du numérique, et un renforcement du programme des interconnexions en matière de transport et d'énergie. Le renforcement des moyens d'investissement de l'Union mis au service de ce plan d'investissement devra être basé sur un développement des moyens d'intervention de la BEI, l'émission de « project bonds », et une révision du cadre financier pluriannuel – prévu à ce stade pour 2016 – articulée avec l'introduction de véritables ressources propres, à pression fiscale constante. Il s'agit de conduire la maitrise nécessaire des déficits publics, dans la durée, sans basculer dans l'austérité, en intégrant pleinement la nécessité d'assurer un développement durable et d'investir pour l'avenir.
Il est également proposé d'engager dans le même temps, par étapes, la mise en place d'une communauté européenne de l'énergie, en intégrant pleinement la perspective de la Conférence climat de 2015 à Paris, qui suppose, pour réussir, que l'Europe soit exemplaire en matière de lutte contre le changement climatique. La future communauté de l'énergie doit être basée sur les objectifs d'efficacité énergétique, de réduction des émissions de CO2, de développement des énergies renouvelables, d'une indépendance énergétique renforcée, d'une communautarisation progressive des relations avec les pays fournisseurs, et de sécurité énergétique pour les entreprises et les particuliers. Dans cet esprit, les dispositions contenues dans le nouveau « paquet énergie climat », portant les objectifs à l' horizon 2030, proposé par la Commission européenne, doivent être renforcées, en y intégrant des objectifs chiffrés en matière d'efficacité énergétique et des objectifs nationaux en matière de développement des énergies renouvelables.
La politique agricole est une composante essentielle du développement durable. Dans cet esprit il s'agit de promouvoir une politique agricole commune soutenant l'emploi, assurant un revenu équitable et décent aux exploitants agricoles, préservant l'environnement, les sols et la qualité des eaux ainsi que la santé publique et développant la vitalité des territoires. Il convient également de protéger la souveraineté et la sécurité alimentaires, ce qui suppose la prise en compte des préférences collectives des consommateurs, celle de l'exigence de qualité et de traçabilité des aliments et le respect des normes que l'Union européenne impose à ses producteurs. Il est également proposé de mener une réflexion sur l'introduction de mécanismes d'aides contra cycliques dans la perspective des négociations commerciales internationales et notamment du projet d'accord transatlantique.
Assurer un développement européen durable suppose enfin d'intégrer résolument la défense de la biodiversité, en mettant concrètement en oeuvre la stratégie de l' Union européenne à l'horizon 2020, afin de stopper le processus de dégradation du patrimoine de faune et de flore en Europe, notamment en outre-mer, qui implique directement la France.
3. Renforcer la gouvernance économique et industrielle de l'Union, en particulier de la zone euro
Il s'agit d'approfondir l'Union économique et monétaire en instituant une présidence stable des sommets de la zone euro, distincte de celle du Conseil européen, ainsi qu'une assemblée de la zone euro. Dans le même temps il est proposé d'ouvrir l'Eurogroupe à la participation d'autres ministres que les ministres des finances, de créer un budget propre de la zone euro. Dans le même esprit il est proposé également de créer un Trésor européen.
Pour redévelopper l'industrie européenne, il convient d'engager résolument l' Union vers la mise en place d'une politique industrielle commune, incluant une mutualisation accrue de l'effort de recherche dans les secteurs d'avenir et une réforme de la politique de la concurrence, prenant en compte la promotion des « champions européens » dans les secteurs stratégiques.
La politique commerciale européenne doit pleinement intégrer les préférences collectives des Européens, conforter la capacité des États à faire prévaloir l'intérêt général, notamment dans le cadre des procédures contentieuses, et le principe de la responsabilité des entreprises pour leurs filiales et sous-traitants.
4. Approfondir la démocratie européenne et renforcer l'action de l'Union au service de la justice, des droits fondamentaux et de la sécurité
Pour renforcer l'intégration démocratique de l'Union et lutter contre la distance sans cesse grandissante entre l'Europe institutionnelle et les peuples européens, il est proposé de lancer, d'une part, une réflexion approfondie sur les modes de désignation des présidences du Conseil européen et de la Commission européenne, incluant la participation des parlements – Parlement européen et parlements nationaux, d'autre part, une démarche européenne de dialogue public sur l'avenir de l'Union et, enfin, un développement résolu des initiatives citoyennes.
Il est proposé d'approfondir également l'espace de solidarité de sécurité et de justice en Europe, dans le cadre du prochain programme pluriannuel, prenant en compte les attentes et les besoins des citoyens européens, en développant notamment les moyens de la solidarité européenne pour assurer l'accueil des réfugiés et la gestion maitrisée de l'immigration, en assurant l'adoption rapide du nouveau cadre européen pour la protection des données et celle des propositions de directive déposées en matière de droits procéduraux des suspects et des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales, et en mettant en oeuvre le projet de Parquet européen, dont la compétence doit inclure la lutte contre la criminalité transfrontière.
Enfin renforcer l'action de l'Union au service de la sécurité de ses citoyens et assurer son influence dans le monde, implique, notamment, la relance effective de l'Europe de la défense, à la suite du Conseil européen de décembre 2013, en mettant concrètement en oeuvre les dispositions du traité relative aux coopérations structurées et aux groupements tactiques, en révisant la Stratégie européenne de sécurité définie en 2003 et en assurant une solidarité financière de l'Union européenne vis-à-vis des États membres qui participent à des actions de défense conduites dans le cadre de missions de l'Union. Il convient également de développer les efforts de l'Union en matière de prévention des conflits et pour le rétablissement de la paix. »
La séance est levée à 19 heures