Intervention de Pierre Vimont

Réunion du 25 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du SEAE :

J'apprécie que vous posiez des questions aussi directes sur l'utilité d'une politique étrangère européenne. Les difficultés que connaît cette dernière viennent, je crois, des objectifs beaucoup trop ambitieux que nous nous sommes faussement fixés. Cette fameuse idée d'« Europe puissance », capable, une fois mis en place le Haut représentant, de parler d'égal à égal avec tous les grands acteurs de la communauté internationale, notamment les grands États membres, voire de se substituer à ces derniers, est, d'une part, totalement irréaliste et, d'autre part, en décalage avec les traités, qui ne mentionnent pas de politique étrangère unique. Il nous est seulement demandé d'être complémentaires avec les États membres pour apporter une valeur ajoutée dans les domaines où c'est possible.

Par exemple, nous ne sommes pas intervenus en première ligne au Mali car nous n'y disposions pas de forces de projection, nous n'étions pas en mesure d'agir immédiatement et unilatéralement sur place – au demeurant, l'ONU ne serait pas non plus capable de projeter immédiatement une telle force de maintien de la paix, il lui faut entre six et huit mois pour le faire. En revanche, puisque un État membre – en l'occurrence la France – était capable de le faire, l'Union européenne a appuyé cette action en intervenant en deuxième ligne. En l'espèce, nous nous sommes donné pour mission d'assurer la formation des forces armées maliennes afin, à terme, de les professionnaliser.

Monsieur Loncle, je vous rappelle que nos diplomates au Mali et au Burkina Faso ont joué un rôle tout à fait utile, notamment dans le dialogue en faveur d'un cessez-le-feu ou encore pour préparer l'accord de Ouagadougou. De plus, dans les pays francophones ou anglophones d'Afrique australe, les autorités préfèrent communiquer avec des représentants de l'Union européenne, jugés plus neutres que ceux des anciennes puissances coloniales. Là encore, l'Union joue un rôle complémentaire souvent très appréciés des États membres. Ce rôle doit rester complémentaire ; jamais l'Union européenne ne pourra se substituer d'une quelconque manière aux États en matière de politique étrangère ; son action est complémentaire.

Puisque nous sommes en France, vous voyez la politique étrangère à travers le regard d'une des grandes puissances européennes, qui possède un réseau diplomatique complet, qui est membre permanent du Conseil de sécurité et qui joue par conséquent un rôle important dans toutes les grandes crises. Mais pensez à certains États membres de l'Union européenne, comme la Hongrie, Chypre ou Malte, dont les réseaux diplomatiques sont très limités et qui disposent de très peu d'informations : l'Union européenne est très importante pour eux car elle les aide à être représentés et à faire prévaloir leur opinion. Tel est aussi le rôle de l'Union européenne : ses vingt-huit membres doivent tous être représentés, sans considération de leur grandeur ou de leur importance sur l'échiquier international. Peut-être existe-t-il des double-emplois dans les cas de la France, de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne mais les pays plus petits ne sont souvent représentés que par l'Union européenne. Un dispositif pour les informer et répondre à leurs souhaits d'engagement de démarches diplomatiques – lorsque l'un de leurs citoyens est détenu ou lorsqu'ils s'alarment de violations des droits de l'homme – représente une vraie valeur ajoutée.

Le système peut-il être rationnalisé ? Bien évidemment, monsieur Poniatowski. Nous avons dû démarrer avec un dispositif qui ne correspondait absolument pas aux besoins d'une politique étrangère puisque nous avons repris le réseau, essentiellement centré sur les actions économiques, de la Commission européenne, à qui il avait été fait interdiction, pendant plus de cinquante ans, de s'intéresser aux affaires étrangères. Nous avions très peu de personnel à Moscou mais beaucoup dans les Îles Fiji, par exemple. Nous nous sommes efforcés de réorganiser et de restructurer ce réseau vers une vraie action de politique étrangère, ce qui est, je dois l'admettre, un travail de longue haleine.

Nous n'avons pas de délégations dans les États membres. Les représentations de la Commission européenne dans les États membres sont seulement chargées d'informer les pays sur l'actualité de l'Union européenne.

En revanche, par souci d'économie, les États membres cherchent à rationaliser leur réseau national en fonction du réseau européen, notamment en fermant des ambassades – c'est le cas, par exemple, de l'Espagne dans un certain nombre de pays africains voire de la France en Amérique centrale. Il nous est alors demandé d'héberger leur ambassadeur plus une secrétaire et un chauffeur. À l'inverse, des États membres ayant effectué de gros investissements immobiliers dans certains pays d'Afrique nous proposent de nous loger sur leur campus. L'entraide s'opère même sur le plan politique : lorsque plusieurs États membres ont décidé de suspendre leurs relations diplomatiques avec Damas et d'y fermer leur ambassade, leurs diplomates maintenus sur place pour continuer à suivre les événements ont été hébergés par la délégation européenne située dans la capitale, qui est restée ouverte assez longtemps. Nous sommes en train d'inventer ce que j'appellerai une « vraie délégation européenne », qui coopère avec les diplomates des États membres et les fait coopérer entre eux, dans un souci d'optimisation des dépenses et de complémentarité, avec de réelles perspectives de succès. Il ne serait d'ailleurs pas bon non plus de supprimer toute présence des États membres, notamment en Afrique de l'Ouest ou en Afrique australe.

Monsieur Lequiller, le vrai problème n'est pas l'inexistence d'une action européenne extérieure mais le manque de communication à ce propos : nous ne faisons pas suffisamment connaître ce que nous faisons. En menant une meilleure stratégie de communication, nous pourrions mieux faire comprendre à l'opinion publique que notre travail, même s'il n'est pas parfait, a des conséquences positives. En République centrafricaine, par exemple, la France est très présente. Or c'est à l'Union européenne que Mme Catherine Samba-Panza, Présidente de transition, a adressé sa demande de récréer un dialogue politique entre les groupes qui s'opposent dans son pays. Elle a estimé qu'il était plus crédible de formuler sa demande à l'Europe qu'à la France, mais la coopération entre notre délégation et l'ambassade de France à Bangui est d'une transparence parfaite, nous agissons en bonne complémentarité. Car, dans le contexte actuel, tel est le secret : ne pas avoir d'ambitions excessives mais travailler le plus possible en complémentarité.

En ce qui concerne la crise ukrainienne, l'Europe partait de positions très différentes, entre ceux qui voulaient se lancer immédiatement dans une offensive généralisée contre la Russie, y compris éventuellement militaire, et, à l'opposé, ceux qui ne voulaient rien faire. Nous avons défini une politique de sanctions assez intelligente, sur laquelle les États-Unis se sont d'ailleurs calés, en commençant par adopter des sanctions individuelles et en préparant d'éventuelles sanctions économiques. Nous pourrions évidemment nous interroger sur l'effet et l'efficacité de telles sanctions pour convaincre la Russie de rester raisonnable et d'aller dans le sens de la désescalade, ce qui n'est pas acquis, loin s'en faut. Quoi qu'il en soit, je pense que notre action a été plutôt habile. L'important est de montrer que l'Union européenne, au-delà des analyses, est capable d'agir de front et de dégager en amont une position commune en prévision de crises et de conflits.

À mon tour, je vous poserai une question à tous. Face aux printemps arabes, la performance de l'Europe n'a peut-être pas été optimale, mais un seul de ses partenaires de la communauté internationale a-t-il su apporter une réponse ? Quelles furent les réactions des États-Unis, de la Turquie, de l'Arabie saoudite, du Qatar ? Je ne prétends pas que nous ayons réussi à bien cerner le problème ni à lui trouver une réponse, mais je constate que nous ne faisons pas plus mal que les autres et que, parce que nous travaillons pour vingt-huit États membres, nous avons l'honnêteté d'essayer objectivement d'agir pour améliorer la situation. C'est vrai, monsieur le Président, tout au début du printemps arabe – notamment à propos des évènements en Égypte et Tunisie –, notre réponse commune n'était pas fondée sur une véritable vision politique du problème. Nous annoncions alors une aide financière de 11 ou 12 milliards d'euros et une assistance au processus de transformation, dans différents domaines comme le commerce, la mobilité, les transports ou l'énergie. Nos partenaires du monde arabe nous le reprochent avec raison. Cet approfondissement d'une vision politique reste à conduire, au bénéfice de l'entrée en fonction du futur collège de la Commission européenne. Et il convient d'aller au bout de la logique géographique : les phénomènes constatés actuellement en Libye, dans le Sinaï, en Égypte, au Yémen et ailleurs ont des conséquences au Sahel ; ce qui se passe en République centrafricaine ou au Nord du Nigeria peut être directement lié aux évènements en Lybie. Les transferts transfrontaliers d'armes ou les déplacements de milices l'imposent imposent de prendre en considération l'ensemble de cet espace dans son intégralité.

Cela pose des difficultés à l'Union, dont la politique, d'une part en Afrique de l' Ouest et dans le Sahel, d'autre part en Afrique du Nord, est menée par des services disjoints. Au cours des prochains mois, il faudra y réfléchir et modifier cette organisation afin de suivre une seule et même logique.

L'Union européenne, je l'admets, manque d'une politique de lutte contre l' immigration illégale. Jusqu'à maintenant, la solidarité a été essentiellement organisée par les ministres de l'intérieur. Si je me souviens bien, M. Laurent Fabius, lors d'une réunion récente du conseil Affaires étrangères, a pris position en faveur d'une meilleure coordination entre ministres de l'intérieur et ministres des affaires étrangères sur cette question. Il est en effet évident que le problème doit être traité à ces deux niveaux, avec des actions à entreprendre pour prévenir l'immigration illégale, notamment pour trouver des réponses politiques au sort de ceux qui sont déjà en mer et s'approchent de nos côtes. Il faut renforcer les instruments existants, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (FRONTEX) en particulier, et les gérer de manière plus solidaire que ce n'est fait à l'heure actuelle. L'Union européenne doit donner plus de visibilité à son action et intervenir en amont, avant même l'embarquement des immigrants illégaux, dont un grand nombre se déplacent par bateau, notamment ceux en provenance de Lybie. Comment stabiliser la situation intérieure de ce pays afin de prévenir l'immigration illégale vers le territoire européen ? C'est un problème politique très compliqué ; l'Union devrait réfléchir à des propositions de solution puis agir. Plus globalement, parce qu'elle attire aussi des immigrés illégaux ou réfugiés de Syrie, d'Érythrée, du Soudan du Sud et du reste de l'Afrique, elle devrait élaborer une véritable stratégie de réponse à ce phénomène, en endossant une politique de prévention de ses causes, notamment de celles liées au développement économique. Tout cela n'a de sens que si nous sommes capables d'avoir un vue d'ensemble du problème, que nos instruments agissent aux différentes étapes du processus, que toutes nos actions sont fondées sur une vision commune et font l'objet d'un accord politique pour chacun des États d'origine concernés. Je suis conscient de la difficulté mais l'Union européenne possède l'avantage de pouvoir agir de façon plus cohérente et intégrée.

S'agissant de la succession de Mme Ashton, une série de noms circulent ; ceux de plusieurs ministres des affaires étrangères, à la compétence incontestable, ont été cités. À mon avis, le meilleur profil pour ce poste serait une personnalité d'expérience dans le domaine de la diplomatie, à l'instar d'un ministre des affaires étrangères ou d'un bon parlementaire riche d'une expertise sur cette question. Les discussions concernant la nomination du Haut représentant sont conduites en même temps que celles concernant les deux autres postes stratégiques, ceux des présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, ce qui implique d'autres considérations, notamment la nationalité des candidats. Mais je ne suis pas sûr, monsieur Lellouche, que la France et la Grande-Bretagne voient le problème de cette manière…

Madame la Présidente, le traité de Lisbonne prévoit en effet la possibilité de recourir à la majorité qualifiée pour les décisions d'application, à l'instar de la coopération structurelle permanente ou des missions de coopération par groupes d'États membres pour le compte de tous, dans le cadre de la politique de sécurité, prévues à l'article 44 du traité sur l' Union européenne. La vérité, c'est que ces dispositions, faute de volonté de la part des États membres, n'ont jamais été mises en oeuvre.

Mon analyse sur les perspectives d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne était purement juridique et nullement politique. Il serait en effet inapproprié d'agiter un chiffon rouge devant nos partenaires russes en allant droit vers l'adhésion de l'Ukraine ou vers l'ouverture d'une négociation d'adhésion – nombreux sont d'ailleurs les États membres qui s'y opposeraient.

Il convient en outre de distinguer, d'un point de vue juridique, voire économique et politique, entre les deux composantes de notre politique de voisinage : le partenariat oriental concerne des États qui peuvent avoir un jour vocation, selon la lettre du traité, à demander leur adhésion à l'Union européenne ; d'autres pays, en revanche, pour des raisons géographiques, n'ont pas le droit d'y adhérer. C'est pourquoi une réponse négative avait été opposée à la demande soumise par le Maroc. Il serait artificiel que ces pays, qui se caractérisent par des niveaux de développement économique et social ainsi que par une proximité géographique avec l'Union européenne très différents, fassent l'objet d'une approche similaire dans le cadre de la politique du voisinage.

Jusqu'à présent, avec les Émirats, nous n'avons réussi à parler d'aucune des questions qui dérangent. Le vrai débat qu'il faudra un jour avoir avec les pays de cette région est relatif aux moyens de sortir de l'impasse actuelle en Libye, en Syrie et maintenant aussi en Irak. Il faut tenir un discours de vérité : certains d'entre eux misent sur une politique de provocation et nous en sommes conscients. Pour stabiliser la région, tout le monde doit se mettre d'accord sur le type de soutien à apporter aux pays qui la composent.

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