Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 14 octobre 2014 à 18h30
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen désigné, chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et de l'union douanière :

Madame la présidente, mes chers collègues pour quelques semaines encore, je suis très heureux de retrouver la commission des Affaires européennes pour ce moment d'échange.

Ma confirmation comme membre de la Commission s'est effectuée en plusieurs étapes. J'ai été désigné le 30 juillet par le Président de la République comme candidat de la France aux responsabilités de commissaire européen. Sur la base de discussions informelles avec les autorités françaises et avec moi-même, Jean-Claude Juncker m'a ensuite attribué le portefeuille de commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et de l'union douanière : il s'agit d'un regroupement de deux portefeuilles actuels, ceux de MM. Olli Rehn et Algirdas Šemeta. Ce dernier a fait un très bon travail sur la fiscalité.

Je me suis présenté le 2 octobre dernier devant les eurodéputés de la commission des affaires économiques et monétaires, en lien avec la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs et avec la commission du commerce international. Cette audition a été un moment exigeant, qui a révélé les jeux politiques complexes du Parlement européen, ce qui est tout à fait légitime ; elle a également montré que certains parlementaires portent un regard critique sur notre pays, ce qui est plus regrettable. Je m'étais préparé à cet oral avec soin et, la semaine dernière, les députés de la commission ECON m'ont accordé leur confiance à une large majorité.

Le Parlement européen doit maintenant décider s'il vote l'investiture du collège entier, dans les prochaines semaines – la date dépendant de la désignation de l'ensemble des commissaires. Je serai alors, si l'issue est positive, membre de la Commission européenne pour cinq ans. Ce sera pour moi un honneur et une fierté, mais surtout une responsabilité.

Nous sommes à un moment particulier : il nous faut remettre la construction européenne au service de la croissance et de l'emploi.

Les auditions européennes visent d'abord à vérifier l'engagement européen, l'expérience, la compétence, l'indépendance des futurs commissaires. De ce point de vue, je n'étais pas mal à l'aise : depuis plus de vingt ans, je suis un acteur de la vie politique à la fois française et européenne.

J'ai des racines polonaises par ma mère, roumaines par mon père ; je suis guidé depuis toujours par mes convictions européennes et inspiré par la force du projet européen. Très tôt, je me suis engagé au service de l'intérêt général du continent. Je suis très attaché à l'Europe du progrès, de la croissance, de l'emploi, de la jeunesse, de l'avenir… Mon expérience politique, depuis 1994, est intimement liée à l'Europe : j'ai été député européen, vice-président du Parlement européen, ministre des affaires européennes pendant cinq ans, représentant des autorités françaises à la Convention sur l'avenir de l'Europe ; j'ai été vice-président de cette commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale. Enfin, dans mes fonctions de ministre de l'économie et des finances, je me suis toujours attaché à défendre l'Europe, ses avancées, ses succès, à combattre ses insuffisances et à la mettre au service des citoyens. Aujourd'hui encore, je suis parlementaire en mission, puisque le Premier ministre m'a demandé de réfléchir aux politiques de croissance et d'emploi en Europe ; je rendrai mon rapport dans les semaines à venir.

J'ai ainsi pris part aux avancées historiques qui ont façonné l'Union européenne au cours des dernières années. Avec d'autres, j'ai été un artisan des progrès de la construction européenne, notamment du processus d'élargissement et des réformes institutionnelles qui l'ont accompagné. J'ai été en première ligne lorsqu'il a fallu affronter la crise de la zone euro. De réunions de l'Eurogroupe en conseils ECOFIN, j'ai porté une vision volontaire et optimiste, mais réaliste, d'une Europe tournée vers la croissance, l'investissement, la compétitivité, l'emploi.

La crise économique persiste, mais le doute qui pesait sur l'existence même de la zone euro a disparu. L'intégrité de celle-ci a été préservée ; nous l'avons consolidée en adoptant des règles plus exigeantes, mais aussi des mécanismes de solidarité puissants.

Il nous reste à porter un nouveau projet politique pour l'Europe.

Comme vous tous, je me suis interrogé sur les leçons des élections européennes du mois de mai dernier. À mes yeux, elles sont claires : il y a une déception, une incompréhension, un désenchantement. Je suis député d'une circonscription populaire, où le Front national a fait 37 % lors de ces élections – rassemblant des électeurs que je connais, qui ont souvent même voté pour moi. Pour eux, l'Europe n'est plus un rêve ; elle est devenue une inquiétude. Les forces du rejet sont à l'oeuvre, mais je ne m'y résigne pas.

Il est temps de réconcilier nos concitoyens avec l'Europe en faisant advenir une Europe des résultats, qui ne doit plus être déconnectée, abstraite. Comment un jeune pourrait-il voir dans l'Europe un espoir quand 50 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans sont chômeurs en Grèce et en Espagne, 25 % chez nous ?

Né en 1957, année du traité de Rome, dans une famille marquée par les tragédies de la Seconde Guerre mondiale, je suis passionnément attaché à la paix et à la réconciliation franco-allemande. Mais ce sont des résultats économiques que les générations plus jeunes attendent de l'Union européenne. Il faut y travailler.

Je suis français et social-démocrate : je ne renie ni ma nationalité, ni mes convictions, et j'en suis même fier. Mais un commissaire européen doit parler en Européen, tourné vers l'intérêt général du continent.

Mon sentiment est que nous sommes l'Europe de la dernière chance. À force d'attendre des résultats, nos concitoyens pourraient finir par se lasser définitivement d'une Europe qu'ils ne comprennent plus. Si leur confiance, déjà fragile, s'amenuise encore, il sera trop tard. Les élections européennes ont constitué un avertissement, et si nous ne réussissons pas à relancer le projet européen au cours des cinq prochaines années, il sera en danger. Peut-être même aura-t-il vécu.

Je suis un euro-volontaire, un euro-optimiste – pas un euro-béat. Loin de moi l'idée d'attiser les peurs, mais notre devoir est d'agir avec détermination. L'Europe ne peut plus décevoir et la Commission, j'en suis persuadé, a un rôle majeur à jouer : elle est au coeur du processus européen et de la méthode communautaire ; elle doit redevenir le moteur de la construction européenne. En lien avec les parlements nationaux, avec le parlement européen, avec les États membres, la Commission européenne doit être à la hauteur des espérances.

Le président Juncker a mis en place une nouvelle organisation de la Commission qui sera ainsi, me semble-t-il, plus politique, plus efficace. Nous travaillerons dans un esprit de collégialité. Des missions sont confiées à des vice-présidents coordonnateurs et non pas superviseurs – ce point a fait l'objet d'un large débat. Je suis pour ma part très à l'aise avec cette organisation. Les auditions ont montré un large accord entre moi-même et les deux vice-présidents Jyrki Katainen et Valdis Dombrovskis : nous avons dit la même chose sur tous les sujets. Aucune place ne doit être laissée aux combats bureaucratiques ou aux querelles de frontière. Nous avons un cap commun : le renforcement de l'économie européenne au service des citoyens et des entreprises. L'Union européenne doit marcher sur deux jambes : croissance et stabilité.

Si le collège des commissaires européens est confirmé par le Parlement européen, j'occuperai les fonctions de commissaire aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière. Je pense avoir acquis l'expérience nécessaire pour exercer ces missions, et le vote très large de la commission ECON du Parlement européen me semble le confirmer. C'est un portefeuille stratégique et très étendu.

La question des règles communes, dont je sais qu'elle suscite en France interrogations et critiques, me tient particulièrement à coeur. Par définition, le commissaire européen chargé des affaires économiques et financières s'engage à faire respecter les règles budgétaires par tous les États membres : les règles, toutes les règles, pour chacun. Mais il est vrai aussi que, dans le cadre des règles, il existe des flexibilités – nul besoin d'être créatif et de tout changer, ce que personne ne demande d'ailleurs ! Je veillerai à ce que le pacte de stabilité et de croissance soit respecté, en tenant compte des flexibilités prévues par les règles elles-mêmes. C'est une question de crédibilité pour la Commission, mais aussi pour moi : je suis français, et je ne peux tout simplement pas me montrer complaisant à l'égard du pays où je suis né et que je chéris.

Je voudrais m'opposer fermement aux insinuations de ceux qui, par facilité ou par calcul, ont laissé planer sur moi le soupçon de la partialité et du laxisme. Des eurodéputés français ont cru devoir me reprocher – devant leurs collègues de l'Union – ma nationalité et mon appartenance politique. Une telle attitude est sans précédent, et elle est tout à fait regrettable. C'est méconnaître l'esprit des institutions européennes, où l'on se détache de son origine nationale ; c'est aussi contraire à la vérité puisque, comme ministre de l'économie et des finances, j'ai fait en sorte que la France réduise ses déficits. Enfin, je le dis avec gravité, on ne peut pas à la fois déplorer le recul de l'influence française en Europe et se diviser en public quand un Français est candidat à une responsabilité européenne importante.

Je vous adjure de ne pas confondre les débats français et européens. C'est, je le sais, l'esprit de la commission des Affaires européennes : dépasser les intérêts partisans, se rassembler pour peser ensemble. C'est comme cela que nous avons toujours agi dans le passé et c'est comme cela que procèdent nos partenaires, à commencer par nos amis allemands, qui gagnent constamment des positions dans les institutions européennes : on n'imagine pas un parlementaire SPD critiquer un commissaire CDU. Il doit en aller de même entre Français. Pour ma part, je ne commettrai pas cette erreur et je travaillerai avec tous les parlementaires, sans privilégier quiconque. Je ne suis l'ambassadeur ni d'un parti, ni d'un pays : je veux être un arbitre sérieux, impartial, traitant tous les pays équitablement.

J'en viens maintenant aux enjeux économiques européens.

La relance de la croissance européenne est un point crucial. Les investissements publics et privés seront au coeur de ce mouvement, et je me félicite de l'annonce par le président Juncker d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros. La relance doit être directement mesurable par nos concitoyens, et elle doit être au service de la justice, de la cohésion sociale, de l'emploi. Nous devons injecter de l'argent frais. La mise en oeuvre du plan doit en outre être rapide – M. Jyrki Katainen et moi-même devons faire une proposition dans les trois mois. Le plan doit être ciblé sur les secteurs d'avenir – numérique, énergie, transport, recherche et éducation… Enfin, il faudra des investissements privés et publics : privés autant que possible, publics si nécessaire.

Des outils de financement existent – je pense à la Banque européenne d'investissement (BEI), aux project bonds. Peut-être faudra-t-il en imaginer de nouveaux, mais il m'est impossible d'aller plus loin aujourd'hui : nous n'en sommes pas encore là.

Il est également nécessaire de continuer de renforcer l'architecture politique et institutionnelle de la zone euro, d'en améliorer le fonctionnement et de poursuivre l'élargissement de la zone euro. Devant le Parlement européen, j'ai ainsi mentionné la Pologne et la République tchèque : il faut traiter ces éventuelles adhésions de façon objective et exigeante. Mais il nous faut être conscients que la zone euro a vocation à rassembler tous les Européens.

Nous devons enfin repenser notre policy mix entre politique budgétaire et politique monétaire, et son articulation avec la stratégie Europe 2020 notamment dans le cadre du renforcement du semestre européen.

Mon portefeuille comprend aussi la fiscalité et l'union douanière – ce que je n'ai appris qu'à la conférence de presse de Jean-Claude Juncker, qui ne m'en avait pas informé auparavant. Cela me paraît très judicieux : mon portefeuille présente ainsi une forte cohérence, et reflétera demain mieux qu'hier les compétences des ministres de l'économie dans les gouvernements nationaux.

J'aurai sur ces deux sujets la même exigence de responsabilité et de progrès.

Madame la présidente, vous évoquez la taxe sur les transactions financières (TTF). L'initiative de la Commission, vous vous en souvenez, n'a pas fonctionné ; onze pays, dont la France et l'Allemagne, se sont alors engagés dans la voie d'une coopération renforcée. L'Italie, qui assure actuellement la présidence de l'Union, accorde à ce texte une grande importance. J'apporterai naturellement le soutien technique de la Commission à ce projet. Il me semble qu'il faudra prévoir une taxation de certains produits dérivés.

Il est très important de faire aboutir cette coopération renforcée, car la règle de l'unanimité bloque beaucoup d'avancées : si nous sommes capables de mettre en oeuvre une coopération renforcée sur la TTF, alors nous serons, je l'espère, capables d'aller plus loin sur d'autres sujets, comme l'environnement ou l'harmonisation fiscale.

Je continuerai aussi à lutter activement contre l'évasion fiscale, l'érosion des bases fiscales et la fraude. L'échange automatique d'informations et la transparence, au niveau européen comme au niveau mondial, doivent devenir effectifs. Aujourd'hui même, vous l'aurez noté, une avancée très importante a eu lieu : les pays européens ont décidé de sauter l'étape de la directive sur la fiscalité de l'épargne pour aller plus loin et instaurer directement l'échange automatique d'informations. M. Semeta a beaucoup travaillé sur ce dossier et permis de grandes avancées. C'est un sujet absolument majeur, pour des raisons autant éthiques qu'économiques.

En matière de douanes, enfin, ma tâche principale sera la mise en place du nouveau code des douanes de l'Union, qui permettra de moderniser, de simplifier, de rationaliser et d'apporter une plus grande sécurité juridique. L'Union douanière est un très grand succès. Il existe, je le sais, des doutes chez ceux qui exercent cette profession qui change beaucoup : je veux assurer de mon admiration les quelque 120 000 douaniers que compte l'Europe. Ils méritent non seulement notre respect, mais notre total soutien.

Cette audition est d'autant plus importante pour moi que je connais bien les pouvoirs des parlements nationaux dans la politique européenne. Votre Commission joue un rôle majeur dans l'information, le contrôle, la réflexion. Mon expérience parlementaire longue fait de moi un fervent défenseur des exigences démocratiques et politiques du Parlement : c'est un travail essentiel qui s'accomplit chaque jour ici au service de l'Europe, comme dans tous les parlements nationaux. Ceux-ci ont un rôle essentiel dans le processus de décision européen. Je veillerai au respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'au développement de la coopération interparlementaire, notamment dans le cadre des conférences réunissant représentants des parlements européen et nationaux : c'est à mes yeux un gage d'efficacité et de respect de la démocratie.

Comme commissaire, j'aurai à coeur de répondre aussi souvent que possible à vos invitations pour dialoguer avec vous de façon régulière et transparente, loin des faux-semblants et des procès d'intention. C'est possible, je le sais, au sein de cette Commission qui travaille de façon sereine et constructive. Il nous faut être à la hauteur des espoirs des pères fondateurs de l'Europe et de nos concitoyens.

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