COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 14 octobre 2014 à 18 h 30
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 18 h 30
Audition de M. Pierre Moscovici, commissaire européen désigné, pour les affaires économiques et financières, la fiscalité et l'union douanière
Nous avons la chance de recevoir M. Pierre Moscovici, commissaire européen désigné, qui sera chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et de l'union douanière. Merci à vous, monsieur le commissaire, car cette audition inédite concourt à renforcer l'implication de l'Assemblée nationale dans les questions européennes ; c'est un excellent point de départ pour les relations qui nous uniront au cours de votre mandat. Nous sommes de surcroît dans une séquence budgétaire dont vous connaissez mieux que personne la complexité.
Comment votre action s'articulera-t-elle avec celle des vice-présidents désignés, M. Jyrki Katainen, qui devrait être chargé de l'emploi, de la croissance, de l'investissement et de la compétitivité, et M. Valdis Dombrovskis, qui devrait être chargé de l'euro et du dialogue social ? Qui aura autorité sur les services du secrétariat général, et sur la direction générale des affaires économiques et financières ? Qui sera chargé de la mise en oeuvre du semestre européen et de la procédure prévue dans le two-pack ? Qui représentera la Commission européenne dans les instances internationales ?
Le président Jean-Claude Juncker a souligné, devant le Parlement européen, le 15 juillet dernier, que la nouvelle Commission respectera le pacte de stabilité et de croissance « tout en tirant parti au mieux de la flexibilité introduite dans les règles existantes ». Que recouvre ce terme de flexibilité ? Face aux menaces de récession en Europe, une certaine souplesse d'interprétation des règles n'est-elle pas nécessaire ? L'Allemagne y est-elle prête ?
Notre Commission défend depuis longtemps l'idée de sortir du calcul du solde public certaines dépenses, qui relèvent du service public rendu à l'Europe – contributions nationales au budget européen, investissements d'avenir pour la transition énergétique, dépenses de défense… La défense de l'Europe est – rappelons-le – assurée à l'heure actuelle essentiellement par l'armée française ! Quel est votre point de vue à ce propos ?
Le président Juncker a annoncé que la Commission européenne présenterait d'ici à la fin de l'année un réexamen de la mise en oeuvre du two-pack et du six-pack. Vous avez vous-même souligné à plusieurs reprises la nécessité de faciliter l'appropriation par tous de ces procédures. Nous pensons ici que la conférence prévue par l'article 13 du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) constitue une enceinte pertinente pour le dialogue entre institutions européennes et parlements de l'Union. L'Italie a mis sur la table une proposition de règlement intérieur qui devrait faire consensus. Ces réunions doivent à notre sens se tenir à des moments clés du semestre européen, déboucher sur des conclusions, et les commissaires européens devraient être entendus. Quel est votre point de vue sur ce sujet ? Quelles sont, de votre point de vue, les pistes envisageables pour améliorer le two-pack et le six-pack ? Que faire pour que nos compatriotes comprennent ce langage technique ?
J'en viens au plan d'investissement de 300 milliards d'euros, qui constitue un élément essentiel du programme du président Juncker. Quels en seront les contours et comment sera-t-il financé ? Ce plan doit servir à lutter contre le chômage et permettre d'accélérer de façon majeure la transition écologique, notamment dans les domaines de l'énergie et des transports.
Vous avez été un fervent partisan de la taxe sur les transactions financières (TTF). Que pensez-vous de la tournure que prennent aujourd'hui les négociations et les perspectives d'accord ?
Comment entendez-vous prendre mieux en considération la dimension environnementale dans la politique fiscale en Europe ? Une taxe carbone aux frontières de l'Union pourrait-elle être envisagée ?
Quelles mesures supplémentaires envisagez-vous pour mettre en oeuvre le plan d'action contre la fraude et l'évasion fiscales, sujet que vous connaissez bien ?
Pensez-vous qu'un progrès vers l'harmonisation fiscale soit possible, notamment en matière d'impôt sur les sociétés – quitte à ce que cette harmonisation prenne la forme d'une coopération renforcée ?
Madame la présidente, mes chers collègues pour quelques semaines encore, je suis très heureux de retrouver la commission des Affaires européennes pour ce moment d'échange.
Ma confirmation comme membre de la Commission s'est effectuée en plusieurs étapes. J'ai été désigné le 30 juillet par le Président de la République comme candidat de la France aux responsabilités de commissaire européen. Sur la base de discussions informelles avec les autorités françaises et avec moi-même, Jean-Claude Juncker m'a ensuite attribué le portefeuille de commissaire européen chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et de l'union douanière : il s'agit d'un regroupement de deux portefeuilles actuels, ceux de MM. Olli Rehn et Algirdas Šemeta. Ce dernier a fait un très bon travail sur la fiscalité.
Je me suis présenté le 2 octobre dernier devant les eurodéputés de la commission des affaires économiques et monétaires, en lien avec la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs et avec la commission du commerce international. Cette audition a été un moment exigeant, qui a révélé les jeux politiques complexes du Parlement européen, ce qui est tout à fait légitime ; elle a également montré que certains parlementaires portent un regard critique sur notre pays, ce qui est plus regrettable. Je m'étais préparé à cet oral avec soin et, la semaine dernière, les députés de la commission ECON m'ont accordé leur confiance à une large majorité.
Le Parlement européen doit maintenant décider s'il vote l'investiture du collège entier, dans les prochaines semaines – la date dépendant de la désignation de l'ensemble des commissaires. Je serai alors, si l'issue est positive, membre de la Commission européenne pour cinq ans. Ce sera pour moi un honneur et une fierté, mais surtout une responsabilité.
Nous sommes à un moment particulier : il nous faut remettre la construction européenne au service de la croissance et de l'emploi.
Les auditions européennes visent d'abord à vérifier l'engagement européen, l'expérience, la compétence, l'indépendance des futurs commissaires. De ce point de vue, je n'étais pas mal à l'aise : depuis plus de vingt ans, je suis un acteur de la vie politique à la fois française et européenne.
J'ai des racines polonaises par ma mère, roumaines par mon père ; je suis guidé depuis toujours par mes convictions européennes et inspiré par la force du projet européen. Très tôt, je me suis engagé au service de l'intérêt général du continent. Je suis très attaché à l'Europe du progrès, de la croissance, de l'emploi, de la jeunesse, de l'avenir… Mon expérience politique, depuis 1994, est intimement liée à l'Europe : j'ai été député européen, vice-président du Parlement européen, ministre des affaires européennes pendant cinq ans, représentant des autorités françaises à la Convention sur l'avenir de l'Europe ; j'ai été vice-président de cette commission des Affaires européennes de l'Assemblée nationale. Enfin, dans mes fonctions de ministre de l'économie et des finances, je me suis toujours attaché à défendre l'Europe, ses avancées, ses succès, à combattre ses insuffisances et à la mettre au service des citoyens. Aujourd'hui encore, je suis parlementaire en mission, puisque le Premier ministre m'a demandé de réfléchir aux politiques de croissance et d'emploi en Europe ; je rendrai mon rapport dans les semaines à venir.
J'ai ainsi pris part aux avancées historiques qui ont façonné l'Union européenne au cours des dernières années. Avec d'autres, j'ai été un artisan des progrès de la construction européenne, notamment du processus d'élargissement et des réformes institutionnelles qui l'ont accompagné. J'ai été en première ligne lorsqu'il a fallu affronter la crise de la zone euro. De réunions de l'Eurogroupe en conseils ECOFIN, j'ai porté une vision volontaire et optimiste, mais réaliste, d'une Europe tournée vers la croissance, l'investissement, la compétitivité, l'emploi.
La crise économique persiste, mais le doute qui pesait sur l'existence même de la zone euro a disparu. L'intégrité de celle-ci a été préservée ; nous l'avons consolidée en adoptant des règles plus exigeantes, mais aussi des mécanismes de solidarité puissants.
Il nous reste à porter un nouveau projet politique pour l'Europe.
Comme vous tous, je me suis interrogé sur les leçons des élections européennes du mois de mai dernier. À mes yeux, elles sont claires : il y a une déception, une incompréhension, un désenchantement. Je suis député d'une circonscription populaire, où le Front national a fait 37 % lors de ces élections – rassemblant des électeurs que je connais, qui ont souvent même voté pour moi. Pour eux, l'Europe n'est plus un rêve ; elle est devenue une inquiétude. Les forces du rejet sont à l'oeuvre, mais je ne m'y résigne pas.
Il est temps de réconcilier nos concitoyens avec l'Europe en faisant advenir une Europe des résultats, qui ne doit plus être déconnectée, abstraite. Comment un jeune pourrait-il voir dans l'Europe un espoir quand 50 % des jeunes de moins de vingt-cinq ans sont chômeurs en Grèce et en Espagne, 25 % chez nous ?
Né en 1957, année du traité de Rome, dans une famille marquée par les tragédies de la Seconde Guerre mondiale, je suis passionnément attaché à la paix et à la réconciliation franco-allemande. Mais ce sont des résultats économiques que les générations plus jeunes attendent de l'Union européenne. Il faut y travailler.
Je suis français et social-démocrate : je ne renie ni ma nationalité, ni mes convictions, et j'en suis même fier. Mais un commissaire européen doit parler en Européen, tourné vers l'intérêt général du continent.
Mon sentiment est que nous sommes l'Europe de la dernière chance. À force d'attendre des résultats, nos concitoyens pourraient finir par se lasser définitivement d'une Europe qu'ils ne comprennent plus. Si leur confiance, déjà fragile, s'amenuise encore, il sera trop tard. Les élections européennes ont constitué un avertissement, et si nous ne réussissons pas à relancer le projet européen au cours des cinq prochaines années, il sera en danger. Peut-être même aura-t-il vécu.
Je suis un euro-volontaire, un euro-optimiste – pas un euro-béat. Loin de moi l'idée d'attiser les peurs, mais notre devoir est d'agir avec détermination. L'Europe ne peut plus décevoir et la Commission, j'en suis persuadé, a un rôle majeur à jouer : elle est au coeur du processus européen et de la méthode communautaire ; elle doit redevenir le moteur de la construction européenne. En lien avec les parlements nationaux, avec le parlement européen, avec les États membres, la Commission européenne doit être à la hauteur des espérances.
Le président Juncker a mis en place une nouvelle organisation de la Commission qui sera ainsi, me semble-t-il, plus politique, plus efficace. Nous travaillerons dans un esprit de collégialité. Des missions sont confiées à des vice-présidents coordonnateurs et non pas superviseurs – ce point a fait l'objet d'un large débat. Je suis pour ma part très à l'aise avec cette organisation. Les auditions ont montré un large accord entre moi-même et les deux vice-présidents Jyrki Katainen et Valdis Dombrovskis : nous avons dit la même chose sur tous les sujets. Aucune place ne doit être laissée aux combats bureaucratiques ou aux querelles de frontière. Nous avons un cap commun : le renforcement de l'économie européenne au service des citoyens et des entreprises. L'Union européenne doit marcher sur deux jambes : croissance et stabilité.
Si le collège des commissaires européens est confirmé par le Parlement européen, j'occuperai les fonctions de commissaire aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l'union douanière. Je pense avoir acquis l'expérience nécessaire pour exercer ces missions, et le vote très large de la commission ECON du Parlement européen me semble le confirmer. C'est un portefeuille stratégique et très étendu.
La question des règles communes, dont je sais qu'elle suscite en France interrogations et critiques, me tient particulièrement à coeur. Par définition, le commissaire européen chargé des affaires économiques et financières s'engage à faire respecter les règles budgétaires par tous les États membres : les règles, toutes les règles, pour chacun. Mais il est vrai aussi que, dans le cadre des règles, il existe des flexibilités – nul besoin d'être créatif et de tout changer, ce que personne ne demande d'ailleurs ! Je veillerai à ce que le pacte de stabilité et de croissance soit respecté, en tenant compte des flexibilités prévues par les règles elles-mêmes. C'est une question de crédibilité pour la Commission, mais aussi pour moi : je suis français, et je ne peux tout simplement pas me montrer complaisant à l'égard du pays où je suis né et que je chéris.
Je voudrais m'opposer fermement aux insinuations de ceux qui, par facilité ou par calcul, ont laissé planer sur moi le soupçon de la partialité et du laxisme. Des eurodéputés français ont cru devoir me reprocher – devant leurs collègues de l'Union – ma nationalité et mon appartenance politique. Une telle attitude est sans précédent, et elle est tout à fait regrettable. C'est méconnaître l'esprit des institutions européennes, où l'on se détache de son origine nationale ; c'est aussi contraire à la vérité puisque, comme ministre de l'économie et des finances, j'ai fait en sorte que la France réduise ses déficits. Enfin, je le dis avec gravité, on ne peut pas à la fois déplorer le recul de l'influence française en Europe et se diviser en public quand un Français est candidat à une responsabilité européenne importante.
Je vous adjure de ne pas confondre les débats français et européens. C'est, je le sais, l'esprit de la commission des Affaires européennes : dépasser les intérêts partisans, se rassembler pour peser ensemble. C'est comme cela que nous avons toujours agi dans le passé et c'est comme cela que procèdent nos partenaires, à commencer par nos amis allemands, qui gagnent constamment des positions dans les institutions européennes : on n'imagine pas un parlementaire SPD critiquer un commissaire CDU. Il doit en aller de même entre Français. Pour ma part, je ne commettrai pas cette erreur et je travaillerai avec tous les parlementaires, sans privilégier quiconque. Je ne suis l'ambassadeur ni d'un parti, ni d'un pays : je veux être un arbitre sérieux, impartial, traitant tous les pays équitablement.
J'en viens maintenant aux enjeux économiques européens.
La relance de la croissance européenne est un point crucial. Les investissements publics et privés seront au coeur de ce mouvement, et je me félicite de l'annonce par le président Juncker d'un plan d'investissement de 300 milliards d'euros. La relance doit être directement mesurable par nos concitoyens, et elle doit être au service de la justice, de la cohésion sociale, de l'emploi. Nous devons injecter de l'argent frais. La mise en oeuvre du plan doit en outre être rapide – M. Jyrki Katainen et moi-même devons faire une proposition dans les trois mois. Le plan doit être ciblé sur les secteurs d'avenir – numérique, énergie, transport, recherche et éducation… Enfin, il faudra des investissements privés et publics : privés autant que possible, publics si nécessaire.
Des outils de financement existent – je pense à la Banque européenne d'investissement (BEI), aux project bonds. Peut-être faudra-t-il en imaginer de nouveaux, mais il m'est impossible d'aller plus loin aujourd'hui : nous n'en sommes pas encore là.
Il est également nécessaire de continuer de renforcer l'architecture politique et institutionnelle de la zone euro, d'en améliorer le fonctionnement et de poursuivre l'élargissement de la zone euro. Devant le Parlement européen, j'ai ainsi mentionné la Pologne et la République tchèque : il faut traiter ces éventuelles adhésions de façon objective et exigeante. Mais il nous faut être conscients que la zone euro a vocation à rassembler tous les Européens.
Nous devons enfin repenser notre policy mix entre politique budgétaire et politique monétaire, et son articulation avec la stratégie Europe 2020 notamment dans le cadre du renforcement du semestre européen.
Mon portefeuille comprend aussi la fiscalité et l'union douanière – ce que je n'ai appris qu'à la conférence de presse de Jean-Claude Juncker, qui ne m'en avait pas informé auparavant. Cela me paraît très judicieux : mon portefeuille présente ainsi une forte cohérence, et reflétera demain mieux qu'hier les compétences des ministres de l'économie dans les gouvernements nationaux.
J'aurai sur ces deux sujets la même exigence de responsabilité et de progrès.
Madame la présidente, vous évoquez la taxe sur les transactions financières (TTF). L'initiative de la Commission, vous vous en souvenez, n'a pas fonctionné ; onze pays, dont la France et l'Allemagne, se sont alors engagés dans la voie d'une coopération renforcée. L'Italie, qui assure actuellement la présidence de l'Union, accorde à ce texte une grande importance. J'apporterai naturellement le soutien technique de la Commission à ce projet. Il me semble qu'il faudra prévoir une taxation de certains produits dérivés.
Il est très important de faire aboutir cette coopération renforcée, car la règle de l'unanimité bloque beaucoup d'avancées : si nous sommes capables de mettre en oeuvre une coopération renforcée sur la TTF, alors nous serons, je l'espère, capables d'aller plus loin sur d'autres sujets, comme l'environnement ou l'harmonisation fiscale.
Je continuerai aussi à lutter activement contre l'évasion fiscale, l'érosion des bases fiscales et la fraude. L'échange automatique d'informations et la transparence, au niveau européen comme au niveau mondial, doivent devenir effectifs. Aujourd'hui même, vous l'aurez noté, une avancée très importante a eu lieu : les pays européens ont décidé de sauter l'étape de la directive sur la fiscalité de l'épargne pour aller plus loin et instaurer directement l'échange automatique d'informations. M. Semeta a beaucoup travaillé sur ce dossier et permis de grandes avancées. C'est un sujet absolument majeur, pour des raisons autant éthiques qu'économiques.
En matière de douanes, enfin, ma tâche principale sera la mise en place du nouveau code des douanes de l'Union, qui permettra de moderniser, de simplifier, de rationaliser et d'apporter une plus grande sécurité juridique. L'Union douanière est un très grand succès. Il existe, je le sais, des doutes chez ceux qui exercent cette profession qui change beaucoup : je veux assurer de mon admiration les quelque 120 000 douaniers que compte l'Europe. Ils méritent non seulement notre respect, mais notre total soutien.
Cette audition est d'autant plus importante pour moi que je connais bien les pouvoirs des parlements nationaux dans la politique européenne. Votre Commission joue un rôle majeur dans l'information, le contrôle, la réflexion. Mon expérience parlementaire longue fait de moi un fervent défenseur des exigences démocratiques et politiques du Parlement : c'est un travail essentiel qui s'accomplit chaque jour ici au service de l'Europe, comme dans tous les parlements nationaux. Ceux-ci ont un rôle essentiel dans le processus de décision européen. Je veillerai au respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'au développement de la coopération interparlementaire, notamment dans le cadre des conférences réunissant représentants des parlements européen et nationaux : c'est à mes yeux un gage d'efficacité et de respect de la démocratie.
Comme commissaire, j'aurai à coeur de répondre aussi souvent que possible à vos invitations pour dialoguer avec vous de façon régulière et transparente, loin des faux-semblants et des procès d'intention. C'est possible, je le sais, au sein de cette Commission qui travaille de façon sereine et constructive. Il nous faut être à la hauteur des espoirs des pères fondateurs de l'Europe et de nos concitoyens.
Monsieur le commissaire, aurez-vous les coudées franches au sein de la Commission ? En particulier, comme votre travail s'articulera-t-il avec celui de M. Dombrovskis, conservateur letton, en charge de l'euro et du dialogue social ? Qui représentera la Commission à l'extérieur ?
Le Conseil européen du mois de juin a appelé à la mise en oeuvre des flexibilités prévues par le pacte de stabilité. La Commission a-t-elle vraiment travaillé sur ce thème ? Qu'a-t-elle imaginé pour assouplir le pacte ?
Lors de votre audition devant le Parlement européen, vous avez rappelé l'importance du respect des règles communes. Le groupe social-démocrate a toutefois obtenu de M. Juncker un plan de relance de 300 milliards d'euros – qui ne doivent pas, comme vous l'avez dit, ne venir que du redéploiement de ressources diverses. Cela revient à reconnaître que les règles actuelles ont des effets négatifs sur l'investissement. Imagine-t-on des corrections à ces règles, ou bien la flexibilité est-elle la dernière étape qu'il est possible d'envisager ?
Au cours de cette même audition, vous avez estimé que la question des eurobonds n'était pas d'actualité, et que le temps de la mutualisation des dettes n'était pas venu. Pourriez-vous apporter des précisions sur ce point ?
La commission des Affaires européennes soutient en général les positions de la Commission face à celles du Conseil européen. Aujourd'hui, la question de l'aggravation continue des « reste à liquider » est posée : la mise en oeuvre anticipée de la garantie jeunesse, comme le financement de divers programmes, pourraient être contrariés par l'absence de règlement de cette dette. À quelques jours de la discussion sur le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, quel est votre sentiment ?
Les Français sont effectivement beaucoup moins organisés que les Allemands, notamment au Parlement européen : les nominations récentes, y compris dans les cabinets des commissaires, ont montré que les Allemands savent faire jouer la solidarité nationale.
Je vous souhaite enfin beaucoup de plaisir pour ce mandat exaltant.
Monsieur le commissaire, la Convention sur l'avenir de l'Europe, que vous avez mentionnée, a échoué à réduire le nombre de commissaires, et je continue de le déplorer. Je me réjouis donc moi aussi de l'initiative prise par M. Juncker de nommer des vice-présidents de la Commission. Toutefois, j'aimerais savoir plus précisément comment s'articulera votre travail avec celui des deux vice-présidents que vous avez cités.
Dans un livre tout récent, Valéry Giscard d'Estaing insiste énormément sur le rôle de la fiscalité pour relancer l'Europe, en appelant à une harmonisation fiscale dans la zone euro dans un délai de quinze ans. Pour lui, il faut une Europe à deux vitesses : la zone euro, l'Europe des vingt-huit. Ces idées me paraissent justes. On parle beaucoup d'harmonisation fiscale, mais c'est un domaine où nous n'avançons pas du tout, alors qu'il peut permettre de faire évoluer l'Europe de façon très importante.
Il serait bon pour l'image de notre pays qu'il rentre dans les clous des règles européennes ; ce serait en outre bon pour la France elle-même. Je retourne donc la critique que certains ont pu vous faire : il sera très important qu'un commissaire français insiste sur le respect du pacte de stabilité. Cela renforcera la crédibilité de la France, dont il faut bien dire qu'elle est très entamée aujourd'hui, notamment à la suite des deux années de délai que vous avez su obtenir, mais qui constituent à mes yeux plutôt un échec qu'une victoire.
Enfin, s'agissant du rôle des parlements nationaux, nous sommes à un tournant : les députés européens les regardent avec une certaine jalousie, tout à fait infondée à mes yeux, car le Parlement européen a désormais beaucoup de pouvoir. De notre côté, nous avons fait de grands efforts pour associer les parlementaires européens à nos travaux. Sur ce point, vous devez nous aider : les parlements nationaux doivent absolument prendre leurs responsabilités européennes.
Ne pouvant être là pour le faire, notre collègue Jacques Myard m'a demandé de vous poser la question suivante : comment pensez-vous améliorer les délais de modification des directives et des règlements en matière fiscale, notamment pour ce qui concerne la TVA ?
C'est un plaisir de vous recevoir ici, monsieur le commissaire, et cher collègue, pour peu de temps encore. Nous attendons beaucoup de votre action ; vous pouvez compter sur notre soutien, comme sur nos critiques constructives.
Depuis deux ans, la croissance de la zone euro est négative ; même l'Allemagne est dans une situation difficile. En revanche, les États-Unis ont surmonté la crise par une politique monétaire expansionniste, associée à des programmes de développement des infrastructures publiques et de l'enseignement en particulier. Leur croissance est aujourd'hui supérieure à 2 %. Quelles leçons peut-on tirer de cette comparaison ?
Des voix s'élèvent pour créer un lieu où les membres des parlements nationaux pourraient se retrouver : quel doit pour vous être le rôle des parlements nationaux en matière économique et budgétaire ?
Votre plaidoyer pour l'Europe fait plaisir à entendre. Je ne suis pas certain que les Européens doutent de l'Europe. Ils voient les crises en Ukraine, au Moyen-Orient et le doute, s'il existe, se dissipera dans les mois à venir. Mais beaucoup regrettent le manque d'une Europe sociale et le manque de loyauté fiscale entre les États membres.
Comme M. Lequiller, j'estime que la fiscalité sera très importante pour renforcer l'Union et lutter contre le dumping. L'harmonisation fiscale, avez-vous dit, sera difficile à atteindre ; il faudra passer par des convergences. Elle serait néanmoins le signe que l'Europe attend depuis plusieurs années. Il faut donc envisager des coopérations renforcées, qui auront un effet d'entraînement. Que pensez-vous de l'idée d'une TVA européenne ? Quel est votre point de vue sur une harmonisation de l'impôt sur les sociétés ?
Nous avons voté à l'unanimité une résolution pour demander un accroissement des compensations pour les pays qui s'engagent militairement dans l'intérêt de l'Europe – je pense bien sûr à la France au Mali, en République centrafricaine… Une évolution est-elle possible sur ce point ?
Monsieur le commissaire, vous avez dit que l'exécutif européen devait montrer une véritable volonté politique. Jusqu'où va cette volonté d'action politique, notamment vis-à-vis de la Banque centrale européenne (BCE) ? La politique monétaire non conventionnelle d'achat de titres envisagée par la BCE et fortement condamnée par l'Allemagne vous paraît-elle de nature à sauver l'Europe de la menace déflationniste ?
La politique monétaire ultra-accommodante pratiquée aujourd'hui ne sert-elle pas qu'à gagner du temps et à permettre aux États, grâce aux baisses continues des taux d'intérêt, de repousser indéfiniment des ajustements pourtant nécessaires ? Je pense bien sûr particulièrement à la France.
Monsieur le commissaire, vous avez encouragé les États à limiter « leurs dépenses publiques improductives » : que recouvre pour vous ce terme ?
Vous indiquez aussi que la Commission doit améliorer sa communication. Par quels moyens entend-elle le faire ?
Enfin, les auditions de la commission d'enquête sur les difficultés du monde associatif nous ont permis d'entendre beaucoup d'associations nous faire part de leur déception vis-à-vis de l'Europe en général, et de leurs grandes difficultés à obtenir des financements européens. Certaines vont jusqu'à refuser désormais de demander à nouveau ces financements. C'est là un véritable problème, et une cause d'éloignement des citoyens de l'Europe. Comment entendez-vous y remédier ?
Monsieur le commissaire, entre-t-il dans vos attributions d'avoir un avis sur le projet de loi de finances pour 2015 de la France, qui ne respecte pas nos engagements d'hier ? Entre-t-il alors dans vos attributions de faire connaître cet avis ? Si la réponse est oui, quel est votre avis sur ce projet de budget ?
Merci de ces nombreuses questions.
Monsieur Piron, il existe des règles, des procédures. La France est aujourd'hui engagée dans une procédure pour déficit excessif, sur laquelle je ne reviens pas ; certaines étapes de cette procédure concernent encore la Commission Barroso. Par la suite, la Commission Juncker prendra le relais et j'exercerai toutes mes responsabilités, dont la surveillance budgétaire. Je ne peux m'exprimer ici sur le projet de loi de finances pour 2015, car je ne dispose pas des éléments techniques qui me le permettraient. La Commission elle-même n'a d'ailleurs pas encore arrêté sa position. Ici comme ailleurs, bien sûr, je m'expliquerai sur les décisions que je prendrai.
Plusieurs questions ont porté sur l'articulation de mon travail avec celui des vice-présidents. C'est un sujet délicat et important.
Je ne suis pas mal à l'aise, je le redis, avec cette organisation – bien au contraire. Les vice-présidents exercent des missions transversales ; ils représentent le président de la Commission et agissent par délégation de sa part. Je vois cette architecture comme une façon de renforcer la coopération, et c'est dans cet esprit que j'ai commencé à travailler avec MM. Jyrki Katainen et Valdis Dombrovskis. Ce dernier l'a très bien expliqué : le rôle du vice-président n'est ni la supervision ni le micromanagement, mais la coordination et la représentation du président. Encore une fois, si nous passons notre temps en chipotages bureaucratiques, nous ne ferons rien ; les services ne doivent pas être noyés par des demandes désordonnées des uns et des autres.
Plus précisément, j'aurai autorité seul sur les deux directions générales ECFIN (Affaires économiques et financières) et TAXUD (Fiscalité et union douanière). Le secrétariat général dépend quant à lui du président. Les vice-présidents seront consultés pour mettre toute initiative législative à l'ordre du jour du collège : il faudra un accord, ce qui ne revient pas à un veto. Cela crée des liens de dépendance réciproque et exige donc un travail d'équipe. Pour le semestre européen, par exemple, je travaillerai en étroite collaboration avec M. Dombrovskis et Mme Marianne Thyssen, qui est une femme remarquable dont je partage l'essentiel des options, bien que nous n'appartenions pas à la même famille politique.
La question des représentations extérieures n'est pas encore totalement tranchée ; des échanges nourris sont en cours entre le président Juncker et le président du Parlement européen. Il a été dit d'emblée que je représenterai, en règle générale, la Commission européenne à l'Eurogroupe. Cela n'exclut pas que le président lui-même s'y rende, dans ces circonstances particulières ; cela n'exclut pas non plus que le vice-président Dombrovskis s'y rende, également dans des circonstances exceptionnelles, en tant que délégué du président. Pour le reste des représentations, les discussions se poursuivent, dans le même état d'esprit. Le président préside et peut être représenté par les vice-présidents. Il est logique que les commissaires assistent à l'essentiel des réunions de formations ministérielles, des réunions du G20, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale… Je devrais donc assurer l'essentiel de la représentation ministérielle ordinaire de la Commission, dans le parfait respect des prérogatives du président et du vice-président. Je ne vois pas apparaître là de motifs de conflits : nous apprendrons en marchant, mais je vous assure que l'esprit est bon, et qu'il n'y a aucune mauvaise volonté.
Plusieurs questions portaient sur les flexibilités. Jean-Claude Juncker a fait référence à celles qui sont déjà prévues par les textes. La flexibilité n'est, à mon sens, ni le résultat d'une créativité débridée, ni le renoncement au pacte, ni le renoncement aux règles. Mon successeur, Michel Sapin, dit d'ailleurs lui-même qu'il ne demande pour la France aucune dérogation, aucune suspension, aucune exception aux règles. Le pacte de stabilité et de croissance aujourd'hui en vigueur est de ce point de vue beaucoup moins stupide que les textes qui l'ont précédé : il prévoit plusieurs types de flexibilités.
La Commission commence par examiner la situation pays par pays ; ensuite, elle regarde l'importance de l'effort structurel consenti et les circonstances économiques. Elle dispose alors d'une certaine liberté pour définir les trajectoires d'ajustement. Le délai accordé à la France n'est d'ailleurs pas à mes yeux un aveu d'échec. Ministre des finances à l'époque, je peux révéler ici que la France n'avait pas demandé ces deux années : elles furent accordées par la Commission elle-même, après examen de la situation du déficit – alors extrêmement élevé puisque j'ai trouvé en arrivant un déficit qui allait allègrement vers 5,5 %. Il fallait le réduire, mais il ne fallait pas tuer l'économie ! Ce qui intéresse la Commission, aujourd'hui comme hier, c'est l'importance de l'effort structurel et les actions effectives du Gouvernement. Le dialogue avec les gouvernements est sérieux, fondé sur des règles, mais constructif.
J'ai présenté, comme ministre des finances, de nombreuses lois de finances. Elles ont toutes été validées par la Commission, en prévision et en exécution. Je suis donc très à l'aise.
C'est dans ce même esprit de dialogue scrupuleux mais constructif que je travaillerai demain, avec la France comme avec les autres pays. Je n'ai pas à être inflexible, puisqu'il existe des flexibilités. Mais, encore une fois, cela ne signifie nullement dans mon esprit renoncement aux règles ou détricotage du pacte de stabilité. Ce ne serait bon ni pour notre crédibilité globale, ni pour la confiance mutuelle que nous devons nous accorder.
Le problème des contributions au budget européen est un peu différent, et m'inspire une certaine sympathie : il serait regrettable que le respect du pacte amène à être moins disant sur le budget. Il faudra à mon sens en sortir à terme par le haut, c'est-à-dire en nous intéressant à des ressources propres.
Madame la présidente, vous m'interrogez sur l'article 13 du TSCG et la réforme du two-pack et du six-pack. Il faudra en effet expliquer tout cela.
L'article 13 doit être utilisé au maximum pour promouvoir le dialogue entre les institutions européennes et les parlements nationaux. Il faut à mon sens faire de cet article une utilisation intensive, même s'il ne suffira pas à répondre aux défis de contrôle démocratique, auxquelles l'Union doit faire face à moyen terme.
Le président Juncker a indiqué qu'il souhaitait « un réexamen du paquet législatif relatif à la gouvernance économique (six-pack) et à la surveillance budgétaire (two-pack) axé sur la stabilité ». Ces textes viennent d'être adoptés : les modifier substantiellement dès maintenant constituerait une grave erreur. En revanche, il faut se donner le temps de l'évaluation. Il faut aussi assumer que la stabilité est, en matière budgétaire, une vertu ; il faut surtout travailler à simplifier. C'est dans ce cadre que M. Katainen et moi-même avons présenté nos premières propositions, lors d'un séminaire de la Commission. J'ai dit la même chose aux parlementaires européens.
Madame Grelier, je prends note de votre question sur le budget à laquelle je ne peux répondre tout de suite : je dois me plier aux exigences de la collégialité.
MM. Lequiller et Pueyo ont souligné l'importance de la question fiscale. C'est effectivement un enjeu majeur. La règle de l'unanimité bloque de nombreux dossiers. Je vais donc reprendre l'initiative, ce que mon portefeuille élargi rendra plus facile. Il faudra s'appuyer sur la taxe sur les transactions financières : non seulement cette taxe serait juste, puisque le secteur bancaire doit apporter toute sa contribution à l'économie européenne, mais plus généralement la réussite d'une coopération renforcée en matière fiscale ouvrira la voie à d'autres réussites. Des coopérations renforcées pourront ensuite permettre des mesures à l'échelle communautaire.
Vous me trouverez à vos côtés pour renforcer le rôle des parlements nationaux. Il est très important qu'ils s'investissent dans la construction européenne. Depuis ma première élection, en 1994, j'ai vu changer le Parlement européen : c'était alors un sympathique forum entouré de lobbies. En 2004, lors de ma deuxième élection, c'était déjà un Parlement. En 2014, c'est un Parlement extrêmement exigeant, avec des pouvoirs très étendus, et qui représente les peuples européens – peut-être sera-t-il un jour celui du peuple européen. Mais les parlements nationaux doivent aussi faire entendre leur voix.
Madame Karamanli, madame Rohfritsch, en termes de croissance, nous sommes aujourd'hui un continent de « basse pression », comme le Fonds monétaire international l'a souligné la semaine dernière. Il faut s'attaquer à ce problème sur tous les fronts.
Comme ministre des finances, je me suis toujours gardé de commenter la politique monétaire de la BCE ; je ne le ferai pas plus comme commissaire. Je peux néanmoins dire toute mon admiration pour Mario Draghi, qui a su envisager les problèmes de façon politique, et se montrer en avance sur son temps. Ses paroles ont été importantes à de nombreuses reprises – en 2012, avant l'été 2014… Les taux d'intérêt sont aujourd'hui négatifs, ce qui n'est pas du tout à mon sens un cadeau fait aux États laxistes. Il revient à la BCE de décider s'il est opportun d'aller plus loin. La BCE doit lutter contre l'inflation, mais elle s'inquiète aussi d'une inflation trop basse. Elle a également pour mission désormais de sauver la zone euro : de ce point de vue, l'action de M. Draghi me paraît judicieuse.
Mais, dans un discours important prononcé à Jackson Hole, il a dit lui-même ne pas pouvoir agir seul : il faut également des politiques budgétaires et des réformes structurelles appropriées, et un bon équilibre entre la nécessaire consolidation budgétaire et la croissance.
L'endettement est une dépense improductive ! La première dépense improductive, c'est le service de la dette. J'ai commencé ma carrière politique, en 1988, comme conseiller budgétaire d'un ministre de l'Éducation nationale nommé Lionel Jospin : j'ai été très fier, en 1989, quand l'éducation nationale est devenue le premier budget de la nation. En revanche, je ne suis pas fier que le service de la dette soit en train de devenir le premier budget de la nation. Tout euro consacré au service de la dette est un euro improductif, un euro en moins pour l'éducation, pour l'hôpital, pour la justice, pour la sécurité, pour la compétitivité... Il n'y aura pas de croissance sans désendettement. Mais il n'y aura pas non plus de désendettement sans croissance, donc sans recettes fiscales suffisantes. Il faut donc un équilibre et des politiques budgétaires appropriées, ce que souhaite le Fonds monétaire international.
Enfin, il faut accorder toute leur place aux réformes structurelles, qui permettent à l'économie d'être plus compétitive, plus souple, plus réactive, plus productive, ainsi qu'à l'investissement. C'est le sens du plan de 300 milliards d'euros que j'évoquais, et qui sera la pierre angulaire du travail de cette Commission.
La taxe sur les transactions financières n'est toujours pas mise en oeuvre. Vous avez annoncé votre ferme soutien à cette mesure. Je suis pour ma part convaincue qu'il aurait été préférable de la mettre en place pour l'Union entière : on peut craindre, avec une coopération renforcée entre onze pays seulement, la mise en place d'un système de double imposition ou de non-imposition. Le projet de la Commission encourage finalement la délocalisation et l'évasion fiscale ; or le secteur financier, en grande partie à l'origine de la crise financière, doit apporter sa juste part à la redistribution des richesses. Il nous faut donc une ligne politique claire, cohérente et volontaire, et au niveau de tous les pays de l'Union.
Confirmez-vous votre position ? Comment entendez-vous convaincre les pays qui ont refusé jusqu'ici de participer à la mise en place de la taxe sur les transactions financières, qui serait une mesure de justice pour chaque pays comme pour l'Europe ? Pour dépasser les résistances, la Commission devra être volontariste sur ces questions. Selon quel calendrier entendez-vous agir ?
Monsieur le commissaire, vous êtes engagé depuis toujours au service de l'intérêt général européen, et je vous félicite à mon tour de cette nomination. Vous avez raison : c'est aujourd'hui l'Europe de la dernière chance. Je le constate dans ma circonscription cévenole comme vous l'avez fait dans la vôtre : le repli sur soi, la peur de l'autre, le rejet de l'idée européenne rongent peu à peu nos concitoyens, qui se dirigent vers des votes extrêmes.
Vous avez parlé de mesures globales pour remédier aux faiblesses de l'offre et de la demande : quelles sont-elles ?
Vous avez également évoqué une politique fiscale plus juste pour les entreprises. Quels sont les premiers leviers que vous souhaitez actionner ?
Enfin, nous pouvons, je le sais, compter sur votre détermination dans la lutte contre l'évasion fiscale, la fraude et la planification fiscale agressive. Quels sont les résultats objectifs de cette lutte ? Avons-nous, au niveau européen, des résultats probants ?
Envisagez-vous d'instaurer des taxes spécifiques aux frontières de l'Union européenne et quelle place pensez-vous donner à la fiscalité écologique ?
La lutte contre la fraude fiscale, à l'intérieur même de l'Union européenne ou en lien avec d'autres États dont certains tout proches, est fondamentale. Quelles mesures entendez-vous prendre ?
Qu'envisagez-vous en matière d'harmonisation fiscale ? Quinze ans paraissent un délai bien long. Faut-il envisager une Union européenne à deux vitesses, et une harmonisation fiscale aurait-elle encore un sens si tout le monde ne marchait pas au même rythme ?
Quel est votre point de vue sur les traités de libre-échange avec le Canada et les États-Unis ?
Une question pratique préoccupe les élus des zones frontalières notamment : c'est celle de la fiscalisation des retraites versées en Allemagne à des contribuables qui vivent en France, en Espagne, en Italie, au Portugal… La France avait signé un accord à la fin de l'année 2013 mais le problème ne semble toujours pas réglé. Ces retraités se voient toujours exiger par l'administration fiscale allemande des sommes tout à fait disproportionnées – il s'agit souvent d'ailleurs de personnes qui ne sont pas imposables en France. Comme le commissaire européen que vous serez bientôt peut-il régler ce problème, qui concerne des dizaines de milliers de retraités européens ?
Je vous adresse moi aussi mes félicitations, monsieur le commissaire, tout en vous remerciant de vous prêter à cet exercice qui montre votre attachement aux parlements nationaux.
La situation économique est alarmante en Europe, et le risque de déflation est réel. Les difficultés qu'a rencontrées le Japon pour se sortir d'une situation similaire soulignent encore l'urgence à agir. Vous avez parlé d'Europe de la dernière chance et vous avez raison. La nouvelle Commission semble avoir pris conscience de la nécessité d'une réorientation économique alors que la Commission Barroso est en grande partie responsable de la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Nous avons tous ou presque ici voté les textes qui régissent aujourd'hui l'Union européenne ; ils mentionnent des « circonstances exceptionnelles » : une situation de croissance nulle, avec un risque de déflation, n'est-elle pas une circonstance exceptionnelle qui permettrait d'assouplir les critères ?
Il y a un débat sur les dépenses qui pourraient sortir du calcul du déficit budgétaire. Ne serait-il pas simple de commencer par décider que tout co-financement de projet européen – comme la garantie jeunesse, le plan d'investissement… – pourrait être exclu ? Les règles seraient ainsi les mêmes pour tout le monde, et le co-financement des projets européens serait accru.
Le plan d'investissement de 300 milliards d'euros que vous mentionnez sera important. Pouvez-vous expliquer comment il sera financé ? Vous avez vous-même évoqué différentes pistes mais aussi parlé de ressources propres : c'est, je crois, une question clé. Ne serait-il pas possible d'inventer un plan d'épargne européen, ce qui permettrait de dégager des ressources propres, tout en contribuant à donner une citoyenneté européenne à l'épargne ?
Monsieur le commissaire, je vous adresse moi aussi toutes mes félicitations. Vous êtes encore aujourd'hui parlementaire en mission, et vous ferez dans quelques jours des propositions sur la façon dont la politique européenne peut contribuer à la croissance et à l'emploi. Comment le commissaire européen que vous serez bientôt se saisira-t-il de ces recommandations ?
Monsieur le commissaire, à mon tour de vous féliciter. Vous évoquez la déception des citoyens européens, qui ne croient plus à l'Europe. Nous avons pourtant besoin d'eux. Il faut, avez-vous dit, « mettre la construction européenne au service de la croissance et de l'emploi » : c'est une très belle phrase, mais, très concrètement, que veut-elle dire ? Comment réconcilier les citoyens avec l'Europe ?
Une stratégie de sensibilisation des citoyens européens est nécessaire. Il faudra de la pédagogie, car sans eux, nous ne pourrons rien faire.
Madame Chabanne, la coopération renforcée se met en place lorsqu'il n'est pas possible d'agir à l'échelle de l'Union. Il ne faut pas en déduire qu'il faille renoncer aux coopérations renforcées, au contraire : il faut les mener lorsque c'est nécessaire, et ensuite s'appuyer sur elles et les étendre. Je souhaite la mise en place d'une taxe sur les transactions financières aussi ambitieuse que possible – comprenant, je l'ai dit, une taxation d'une partie des produits dérivés – et je souhaite que ce processus soit mené rapidement. La présidence italienne tient ce sujet pour fondamental et il faut l'aider à agir ; les ministres français et allemand sont également très investis. Sur ces bases, peut-être pourrons-nous reprendre le chemin communautaire : à toutes les étapes, la Commission apportera son soutien. Il faudra mettre en place cette taxe de façon suffisamment intelligente, pragmatique et responsable pour qu'elle ne provoque pas de délocalisation ; comme ministre des finances, j'avais d'ailleurs eu l'occasion de dire qu'il fallait éviter tout masochisme national – je n'ai jamais été hostile à une taxe ambitieuse. Les coopérations renforcées devront, je le redis, ouvrir la porte à des réformes fiscales plus ambitieuses.
Monsieur Dumas, madame Bonneton, vous m'interrogez sur les questions fiscales. Les questions de l'impôt sur les sociétés, mais aussi de la fiscalité écologique et environnementale, sont devant nous. L'Union européenne s'était engagée pour l'environnement, il y a quelques années, sur la base du principe pollueur-payeur. Aujourd'hui, nous ne sommes, reconnaissons-le, pas très avancés. Je prendrai donc des initiatives. Là encore, la coopération renforcée peut d'ailleurs être un outil intéressant.
Plusieurs d'entre vous m'interrogent sur la lutte contre la fraude fiscale. Il faut distinguer ce qui relève des plans d'actions européens de notre action internationale dans le cadre du G20. L'Europe doit être exemplaire, et même motrice. Nous devons en particulier continuer de plaider pour que l'échange automatique d'informations devienne un standard mondial. Les décisions prises aujourd'hui, que je citais tout à l'heure, vont évidemment dans le bon sens. Avec un échange à la demande, un pays avec lequel vous avez un accord peut vous répondre plus ou moins vite, voire ne pas vous répondre du tout… L'échange automatique d'informations, c'est la fin du secret bancaire : il faut aller jusqu'au bout de notre démarche. Je suis optimiste : le secret bancaire s'effrite, et il va s'effondrer. Je constate avec plaisir que des pays longtemps réticents à la directive sur l'épargne s'engagent petit à petit, et qu'un seul pays, l'Autriche, a demandé une année supplémentaire pour appliquer la décision prise aujourd'hui. La Suisse elle-même, avec laquelle j'avais engagé un dialogue lorsque j'étais ministre, et avec laquelle je continuerai de dialoguer comme commissaire, s'engage dans une voie qui, à court terme, la conduira à adopter également l'échange automatique d'informations.
Il est difficile de mesurer les résultats de cette politique. Pour la France seule, la lutte contre la fraude nous a rapporté 2 milliards d'euros par an : ces initiatives sont donc non seulement éthiquement justes, mais financièrement utiles – et politiquement vitales. Sur ces questions, pour le coup, je serai tout à fait inflexible, et très engagé, comme je l'ai été dans mes fonctions de ministre des finances.
Monsieur Straumann, je découvre que la question que vous soulevez n'est pas résolue. J'étais pourtant parvenu, en décembre 2013, à un accord politique et financier avec M. Wolfgang Schäuble. Il s'agit là d'une question bilatérale, à laquelle Michel Sapin doit pouvoir répondre. Je prendrai des renseignements de mon côté. Je ne doute pas que cette question ancienne, très délicate, ne soit en voie de règlement.
Monsieur Cordery, vous ne m'en voudrez pas de ne pas être en mesure de vous répondre plus précisément. J'ai dit ce qu'étaient pour moi les flexibilités. On nous incite parfois à plus de créativité, ce que, comme individu et comme homme politique, je peux comprendre. Comme commissaire européen, je dois partir de ce que les règles autorisent.
La question des contributions est un enjeu important, sur lequel les parlements et nous devrons travailler. Les intérêts des uns ne rejoignent pas forcément ceux des autres : je ne suis pas extrêmement convaincu de la possibilité d'avancer rapidement. Mais il ne faut pas récompenser le vice et punir la vertu, il faut donc essayer de progresser.
Je n'élaborerai pas davantage ma réponse sur la question des instruments financiers, car je dois d'abord y travailler avec la Commission. La procédure des project bonds me semble toutefois pouvoir être substantiellement améliorée, car elle est d'usage limité : les appels à projets sont très peu nombreux et le mécanisme est complexe. La Banque européenne d'investissement, qui fait déjà beaucoup, peut faire encore plus. Les Européens ont décidé, en juin 2012, d'augmenter son capital, ce qui a porté ses fruits : les prêts aux entreprises ont augmenté de moitié.
Dans le cadre de ma mission parlementaire, monsieur Bridey, je me suis justement rendu à Luxembourg pour une réunion de travail avec les responsables de la BEI. On peut peut-être envisager des produits financiers d'investissement, mais ce n'est pas forcément la voie la plus simple ; d'autres mécanismes existent, comme les garanties. Tout cela reste à voir. Cela peut d'ailleurs constituer un travail intéressant pour une commission comme la vôtre. J'aborderai ces questions dans mon rapport. En tout cas, on peut faire plus. L'épargne est aujourd'hui abondante et disponible, mais elle n'est pas orientée vers l'investissement : c'est ce qu'il faut réussir.
Madame Grelier, je reviens sur les eurobonds. La question a été posée à deux commissaires, M. Hill et moi-même. Il faut bien constater que la question n'est pas d'actualité : la solidarité des contribuables italiens et allemands, pour mille raisons, n'est pas sur la table. Les eurobonds ne pourront être que l'aboutissement d'un processus de réforme long et en profondeur de la zone euro, et aujourd'hui, le degré de solidarité n'est pas suffisant. Je ne corrige pas ici ce que j'ai dit devant le Parlement européen : si nous pouvons aller plus vite que je ne l'imagine, tant mieux. Mais M. Schäuble m'a souvent affirmé que, s'il n'était pas hostile par principe aux eurobonds, ceux-ci ne pourraient être que le résultat d'un processus et pas son point de départ. C'est ce que j'ai voulu dire.
Monsieur Bridey, je remettrai au Premier ministre le rapport qu'il m'a demandé de rédiger. Je me suis rendu dans plusieurs pays européens, j'ai rencontré les responsables de plusieurs grandes institutions européennes. L'Europe souffre à mes yeux d'un déficit d'investissement, et mes propositions s'inscriront naturellement dans le cadre dessiné par le président Juncker. J'expliciterai sur certains points comment il me semble qu'on peut mettre en oeuvre un plan d'investissement important. Je préciserai d'où peut venir l'argent frais, comment cibler les dépenses… Il existe une vraie convergence d'idées entre Jean-Claude Juncker, beaucoup d'économistes, ce que je dirai moi-même, ce que dit le FMI : la question de l'investissement est absolument centrale. Une économie qui n'investit pas ne prépare pas son avenir. L'économie européenne en général, l'économie française en particulier, souffrent d'un déficit d'investissement qu'il faut combler.
Monsieur Daniel, j'ai essayé de parler aussi concrètement que possible.
On m'interroge beaucoup sur la surveillance budgétaire que j'exercerai – mais mon portefeuille comprend aussi l'aspect macro-économique, les réformes structurelles, l'action internationale en matière économique, la fiscalité et l'union douanière. Je vivrai à Bruxelles pour exercer ces fonctions très lourdes, mais je reviendrai régulièrement en France, pays que j'aime et qui restera le mien, pour répondre à vos questions.
Le coeur de mon activité ne sera donc pas de répondre aux questions sur tel ou tel budget national. Il faut le faire, mais la vraie question, c'est celle de la sortie de l'ornière économique. Tout doit y concourir : la politique monétaire, la politique budgétaire, les réformes structurelles, l'investissement… doivent être utilisés pour élever le niveau de croissance potentielle. Nous devons progresser, par exemple en matière technologique. Les aspects fiscaux du numérique sont d'ailleurs également très importants ; des engagements ont été pris dans le cadre du G20 et il faudra veiller à faire avancer ces dossiers.
J'estimerai avoir réussi ma tâche si j'ai répondu correctement à la question des règles et des flexibilités. Je le ferai, et vous avez compris dans quel état d'esprit je le ferai : l'indulgence, voire la complaisance, à l'égard d'un pays serait incompréhensible et casserait la crédibilité. On lit ici ou là que je ferai pire qu'un autre parce que je suis Français : non, je ne ferai ni mieux ni pire, je jouerai simplement mon rôle.
Mais les sujets sur lesquels nous serons jugés sont ailleurs. La construction européenne apparaît-elle de nouveau comme un espoir, comme une solution ? Le niveau de croissance potentielle s'est-il élevé, créons-nous à nouveau des emplois ? Avons-nous rendu un avenir à notre jeunesse ? Il faudra en effet nous pencher sur la question de la garantie jeunesse ; je ne suis pas chargé du budget, mais c'est à coup sûr un sujet important. Si nous réussissons, les formations politiques pro-européennes présentes au sein de cette Commission – qui reflète la diversité politique de notre continent, et au sein de laquelle nous nouerons donc des compromis – pourront présenter un récit, des solutions, aux Européens.
La Commission Juncker ne pourra pas être celle du business as usual, sans quoi le rejet déjà enclenché deviendra massif. Elle devra apporter une nouvelle énergie, une nouvelle volonté, une nouvelle politique.
Je vous redis toute ma disponibilité pour venir devant vous présenter mon action et en débattre, ainsi que pour travailler au rôle des parlements nationaux dans la construction européenne.
Merci infiniment de vos réponses. La Commission a commencé à travailler sur les ressources propres, et nous aurons l'occasion de venir à Bruxelles vous interroger sur ce sujet et sur les axes prioritaires que vous avez évoqués.
Je serai ravi de vous y recevoir, et de travailler avec tous les élus.
La séance est levée à 20 h 25