Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 14 octobre 2014 à 18h30
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen désigné, chargé des affaires économiques et financières, de la fiscalité et de l'union douanière :

Merci de ces nombreuses questions.

Monsieur Piron, il existe des règles, des procédures. La France est aujourd'hui engagée dans une procédure pour déficit excessif, sur laquelle je ne reviens pas ; certaines étapes de cette procédure concernent encore la Commission Barroso. Par la suite, la Commission Juncker prendra le relais et j'exercerai toutes mes responsabilités, dont la surveillance budgétaire. Je ne peux m'exprimer ici sur le projet de loi de finances pour 2015, car je ne dispose pas des éléments techniques qui me le permettraient. La Commission elle-même n'a d'ailleurs pas encore arrêté sa position. Ici comme ailleurs, bien sûr, je m'expliquerai sur les décisions que je prendrai.

Plusieurs questions ont porté sur l'articulation de mon travail avec celui des vice-présidents. C'est un sujet délicat et important.

Je ne suis pas mal à l'aise, je le redis, avec cette organisation – bien au contraire. Les vice-présidents exercent des missions transversales ; ils représentent le président de la Commission et agissent par délégation de sa part. Je vois cette architecture comme une façon de renforcer la coopération, et c'est dans cet esprit que j'ai commencé à travailler avec MM. Jyrki Katainen et Valdis Dombrovskis. Ce dernier l'a très bien expliqué : le rôle du vice-président n'est ni la supervision ni le micromanagement, mais la coordination et la représentation du président. Encore une fois, si nous passons notre temps en chipotages bureaucratiques, nous ne ferons rien ; les services ne doivent pas être noyés par des demandes désordonnées des uns et des autres.

Plus précisément, j'aurai autorité seul sur les deux directions générales ECFIN (Affaires économiques et financières) et TAXUD (Fiscalité et union douanière). Le secrétariat général dépend quant à lui du président. Les vice-présidents seront consultés pour mettre toute initiative législative à l'ordre du jour du collège : il faudra un accord, ce qui ne revient pas à un veto. Cela crée des liens de dépendance réciproque et exige donc un travail d'équipe. Pour le semestre européen, par exemple, je travaillerai en étroite collaboration avec M. Dombrovskis et Mme Marianne Thyssen, qui est une femme remarquable dont je partage l'essentiel des options, bien que nous n'appartenions pas à la même famille politique.

La question des représentations extérieures n'est pas encore totalement tranchée ; des échanges nourris sont en cours entre le président Juncker et le président du Parlement européen. Il a été dit d'emblée que je représenterai, en règle générale, la Commission européenne à l'Eurogroupe. Cela n'exclut pas que le président lui-même s'y rende, dans ces circonstances particulières ; cela n'exclut pas non plus que le vice-président Dombrovskis s'y rende, également dans des circonstances exceptionnelles, en tant que délégué du président. Pour le reste des représentations, les discussions se poursuivent, dans le même état d'esprit. Le président préside et peut être représenté par les vice-présidents. Il est logique que les commissaires assistent à l'essentiel des réunions de formations ministérielles, des réunions du G20, du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale… Je devrais donc assurer l'essentiel de la représentation ministérielle ordinaire de la Commission, dans le parfait respect des prérogatives du président et du vice-président. Je ne vois pas apparaître là de motifs de conflits : nous apprendrons en marchant, mais je vous assure que l'esprit est bon, et qu'il n'y a aucune mauvaise volonté.

Plusieurs questions portaient sur les flexibilités. Jean-Claude Juncker a fait référence à celles qui sont déjà prévues par les textes. La flexibilité n'est, à mon sens, ni le résultat d'une créativité débridée, ni le renoncement au pacte, ni le renoncement aux règles. Mon successeur, Michel Sapin, dit d'ailleurs lui-même qu'il ne demande pour la France aucune dérogation, aucune suspension, aucune exception aux règles. Le pacte de stabilité et de croissance aujourd'hui en vigueur est de ce point de vue beaucoup moins stupide que les textes qui l'ont précédé : il prévoit plusieurs types de flexibilités.

La Commission commence par examiner la situation pays par pays ; ensuite, elle regarde l'importance de l'effort structurel consenti et les circonstances économiques. Elle dispose alors d'une certaine liberté pour définir les trajectoires d'ajustement. Le délai accordé à la France n'est d'ailleurs pas à mes yeux un aveu d'échec. Ministre des finances à l'époque, je peux révéler ici que la France n'avait pas demandé ces deux années : elles furent accordées par la Commission elle-même, après examen de la situation du déficit – alors extrêmement élevé puisque j'ai trouvé en arrivant un déficit qui allait allègrement vers 5,5 %. Il fallait le réduire, mais il ne fallait pas tuer l'économie ! Ce qui intéresse la Commission, aujourd'hui comme hier, c'est l'importance de l'effort structurel et les actions effectives du Gouvernement. Le dialogue avec les gouvernements est sérieux, fondé sur des règles, mais constructif.

J'ai présenté, comme ministre des finances, de nombreuses lois de finances. Elles ont toutes été validées par la Commission, en prévision et en exécution. Je suis donc très à l'aise.

C'est dans ce même esprit de dialogue scrupuleux mais constructif que je travaillerai demain, avec la France comme avec les autres pays. Je n'ai pas à être inflexible, puisqu'il existe des flexibilités. Mais, encore une fois, cela ne signifie nullement dans mon esprit renoncement aux règles ou détricotage du pacte de stabilité. Ce ne serait bon ni pour notre crédibilité globale, ni pour la confiance mutuelle que nous devons nous accorder.

Le problème des contributions au budget européen est un peu différent, et m'inspire une certaine sympathie : il serait regrettable que le respect du pacte amène à être moins disant sur le budget. Il faudra à mon sens en sortir à terme par le haut, c'est-à-dire en nous intéressant à des ressources propres.

Madame la présidente, vous m'interrogez sur l'article 13 du TSCG et la réforme du two-pack et du six-pack. Il faudra en effet expliquer tout cela.

L'article 13 doit être utilisé au maximum pour promouvoir le dialogue entre les institutions européennes et les parlements nationaux. Il faut à mon sens faire de cet article une utilisation intensive, même s'il ne suffira pas à répondre aux défis de contrôle démocratique, auxquelles l'Union doit faire face à moyen terme.

Le président Juncker a indiqué qu'il souhaitait « un réexamen du paquet législatif relatif à la gouvernance économique (six-pack) et à la surveillance budgétaire (two-pack) axé sur la stabilité ». Ces textes viennent d'être adoptés : les modifier substantiellement dès maintenant constituerait une grave erreur. En revanche, il faut se donner le temps de l'évaluation. Il faut aussi assumer que la stabilité est, en matière budgétaire, une vertu ; il faut surtout travailler à simplifier. C'est dans ce cadre que M. Katainen et moi-même avons présenté nos premières propositions, lors d'un séminaire de la Commission. J'ai dit la même chose aux parlementaires européens.

Madame Grelier, je prends note de votre question sur le budget à laquelle je ne peux répondre tout de suite : je dois me plier aux exigences de la collégialité.

MM. Lequiller et Pueyo ont souligné l'importance de la question fiscale. C'est effectivement un enjeu majeur. La règle de l'unanimité bloque de nombreux dossiers. Je vais donc reprendre l'initiative, ce que mon portefeuille élargi rendra plus facile. Il faudra s'appuyer sur la taxe sur les transactions financières : non seulement cette taxe serait juste, puisque le secteur bancaire doit apporter toute sa contribution à l'économie européenne, mais plus généralement la réussite d'une coopération renforcée en matière fiscale ouvrira la voie à d'autres réussites. Des coopérations renforcées pourront ensuite permettre des mesures à l'échelle communautaire.

Vous me trouverez à vos côtés pour renforcer le rôle des parlements nationaux. Il est très important qu'ils s'investissent dans la construction européenne. Depuis ma première élection, en 1994, j'ai vu changer le Parlement européen : c'était alors un sympathique forum entouré de lobbies. En 2004, lors de ma deuxième élection, c'était déjà un Parlement. En 2014, c'est un Parlement extrêmement exigeant, avec des pouvoirs très étendus, et qui représente les peuples européens – peut-être sera-t-il un jour celui du peuple européen. Mais les parlements nationaux doivent aussi faire entendre leur voix.

Madame Karamanli, madame Rohfritsch, en termes de croissance, nous sommes aujourd'hui un continent de « basse pression », comme le Fonds monétaire international l'a souligné la semaine dernière. Il faut s'attaquer à ce problème sur tous les fronts.

Comme ministre des finances, je me suis toujours gardé de commenter la politique monétaire de la BCE ; je ne le ferai pas plus comme commissaire. Je peux néanmoins dire toute mon admiration pour Mario Draghi, qui a su envisager les problèmes de façon politique, et se montrer en avance sur son temps. Ses paroles ont été importantes à de nombreuses reprises – en 2012, avant l'été 2014… Les taux d'intérêt sont aujourd'hui négatifs, ce qui n'est pas du tout à mon sens un cadeau fait aux États laxistes. Il revient à la BCE de décider s'il est opportun d'aller plus loin. La BCE doit lutter contre l'inflation, mais elle s'inquiète aussi d'une inflation trop basse. Elle a également pour mission désormais de sauver la zone euro : de ce point de vue, l'action de M. Draghi me paraît judicieuse.

Mais, dans un discours important prononcé à Jackson Hole, il a dit lui-même ne pas pouvoir agir seul : il faut également des politiques budgétaires et des réformes structurelles appropriées, et un bon équilibre entre la nécessaire consolidation budgétaire et la croissance.

L'endettement est une dépense improductive ! La première dépense improductive, c'est le service de la dette. J'ai commencé ma carrière politique, en 1988, comme conseiller budgétaire d'un ministre de l'Éducation nationale nommé Lionel Jospin : j'ai été très fier, en 1989, quand l'éducation nationale est devenue le premier budget de la nation. En revanche, je ne suis pas fier que le service de la dette soit en train de devenir le premier budget de la nation. Tout euro consacré au service de la dette est un euro improductif, un euro en moins pour l'éducation, pour l'hôpital, pour la justice, pour la sécurité, pour la compétitivité... Il n'y aura pas de croissance sans désendettement. Mais il n'y aura pas non plus de désendettement sans croissance, donc sans recettes fiscales suffisantes. Il faut donc un équilibre et des politiques budgétaires appropriées, ce que souhaite le Fonds monétaire international.

Enfin, il faut accorder toute leur place aux réformes structurelles, qui permettent à l'économie d'être plus compétitive, plus souple, plus réactive, plus productive, ainsi qu'à l'investissement. C'est le sens du plan de 300 milliards d'euros que j'évoquais, et qui sera la pierre angulaire du travail de cette Commission.

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