Madame Chabanne, la coopération renforcée se met en place lorsqu'il n'est pas possible d'agir à l'échelle de l'Union. Il ne faut pas en déduire qu'il faille renoncer aux coopérations renforcées, au contraire : il faut les mener lorsque c'est nécessaire, et ensuite s'appuyer sur elles et les étendre. Je souhaite la mise en place d'une taxe sur les transactions financières aussi ambitieuse que possible – comprenant, je l'ai dit, une taxation d'une partie des produits dérivés – et je souhaite que ce processus soit mené rapidement. La présidence italienne tient ce sujet pour fondamental et il faut l'aider à agir ; les ministres français et allemand sont également très investis. Sur ces bases, peut-être pourrons-nous reprendre le chemin communautaire : à toutes les étapes, la Commission apportera son soutien. Il faudra mettre en place cette taxe de façon suffisamment intelligente, pragmatique et responsable pour qu'elle ne provoque pas de délocalisation ; comme ministre des finances, j'avais d'ailleurs eu l'occasion de dire qu'il fallait éviter tout masochisme national – je n'ai jamais été hostile à une taxe ambitieuse. Les coopérations renforcées devront, je le redis, ouvrir la porte à des réformes fiscales plus ambitieuses.
Monsieur Dumas, madame Bonneton, vous m'interrogez sur les questions fiscales. Les questions de l'impôt sur les sociétés, mais aussi de la fiscalité écologique et environnementale, sont devant nous. L'Union européenne s'était engagée pour l'environnement, il y a quelques années, sur la base du principe pollueur-payeur. Aujourd'hui, nous ne sommes, reconnaissons-le, pas très avancés. Je prendrai donc des initiatives. Là encore, la coopération renforcée peut d'ailleurs être un outil intéressant.
Plusieurs d'entre vous m'interrogent sur la lutte contre la fraude fiscale. Il faut distinguer ce qui relève des plans d'actions européens de notre action internationale dans le cadre du G20. L'Europe doit être exemplaire, et même motrice. Nous devons en particulier continuer de plaider pour que l'échange automatique d'informations devienne un standard mondial. Les décisions prises aujourd'hui, que je citais tout à l'heure, vont évidemment dans le bon sens. Avec un échange à la demande, un pays avec lequel vous avez un accord peut vous répondre plus ou moins vite, voire ne pas vous répondre du tout… L'échange automatique d'informations, c'est la fin du secret bancaire : il faut aller jusqu'au bout de notre démarche. Je suis optimiste : le secret bancaire s'effrite, et il va s'effondrer. Je constate avec plaisir que des pays longtemps réticents à la directive sur l'épargne s'engagent petit à petit, et qu'un seul pays, l'Autriche, a demandé une année supplémentaire pour appliquer la décision prise aujourd'hui. La Suisse elle-même, avec laquelle j'avais engagé un dialogue lorsque j'étais ministre, et avec laquelle je continuerai de dialoguer comme commissaire, s'engage dans une voie qui, à court terme, la conduira à adopter également l'échange automatique d'informations.
Il est difficile de mesurer les résultats de cette politique. Pour la France seule, la lutte contre la fraude nous a rapporté 2 milliards d'euros par an : ces initiatives sont donc non seulement éthiquement justes, mais financièrement utiles – et politiquement vitales. Sur ces questions, pour le coup, je serai tout à fait inflexible, et très engagé, comme je l'ai été dans mes fonctions de ministre des finances.
Monsieur Straumann, je découvre que la question que vous soulevez n'est pas résolue. J'étais pourtant parvenu, en décembre 2013, à un accord politique et financier avec M. Wolfgang Schäuble. Il s'agit là d'une question bilatérale, à laquelle Michel Sapin doit pouvoir répondre. Je prendrai des renseignements de mon côté. Je ne doute pas que cette question ancienne, très délicate, ne soit en voie de règlement.
Monsieur Cordery, vous ne m'en voudrez pas de ne pas être en mesure de vous répondre plus précisément. J'ai dit ce qu'étaient pour moi les flexibilités. On nous incite parfois à plus de créativité, ce que, comme individu et comme homme politique, je peux comprendre. Comme commissaire européen, je dois partir de ce que les règles autorisent.
La question des contributions est un enjeu important, sur lequel les parlements et nous devrons travailler. Les intérêts des uns ne rejoignent pas forcément ceux des autres : je ne suis pas extrêmement convaincu de la possibilité d'avancer rapidement. Mais il ne faut pas récompenser le vice et punir la vertu, il faut donc essayer de progresser.
Je n'élaborerai pas davantage ma réponse sur la question des instruments financiers, car je dois d'abord y travailler avec la Commission. La procédure des project bonds me semble toutefois pouvoir être substantiellement améliorée, car elle est d'usage limité : les appels à projets sont très peu nombreux et le mécanisme est complexe. La Banque européenne d'investissement, qui fait déjà beaucoup, peut faire encore plus. Les Européens ont décidé, en juin 2012, d'augmenter son capital, ce qui a porté ses fruits : les prêts aux entreprises ont augmenté de moitié.
Dans le cadre de ma mission parlementaire, monsieur Bridey, je me suis justement rendu à Luxembourg pour une réunion de travail avec les responsables de la BEI. On peut peut-être envisager des produits financiers d'investissement, mais ce n'est pas forcément la voie la plus simple ; d'autres mécanismes existent, comme les garanties. Tout cela reste à voir. Cela peut d'ailleurs constituer un travail intéressant pour une commission comme la vôtre. J'aborderai ces questions dans mon rapport. En tout cas, on peut faire plus. L'épargne est aujourd'hui abondante et disponible, mais elle n'est pas orientée vers l'investissement : c'est ce qu'il faut réussir.
Madame Grelier, je reviens sur les eurobonds. La question a été posée à deux commissaires, M. Hill et moi-même. Il faut bien constater que la question n'est pas d'actualité : la solidarité des contribuables italiens et allemands, pour mille raisons, n'est pas sur la table. Les eurobonds ne pourront être que l'aboutissement d'un processus de réforme long et en profondeur de la zone euro, et aujourd'hui, le degré de solidarité n'est pas suffisant. Je ne corrige pas ici ce que j'ai dit devant le Parlement européen : si nous pouvons aller plus vite que je ne l'imagine, tant mieux. Mais M. Schäuble m'a souvent affirmé que, s'il n'était pas hostile par principe aux eurobonds, ceux-ci ne pourraient être que le résultat d'un processus et pas son point de départ. C'est ce que j'ai voulu dire.
Monsieur Bridey, je remettrai au Premier ministre le rapport qu'il m'a demandé de rédiger. Je me suis rendu dans plusieurs pays européens, j'ai rencontré les responsables de plusieurs grandes institutions européennes. L'Europe souffre à mes yeux d'un déficit d'investissement, et mes propositions s'inscriront naturellement dans le cadre dessiné par le président Juncker. J'expliciterai sur certains points comment il me semble qu'on peut mettre en oeuvre un plan d'investissement important. Je préciserai d'où peut venir l'argent frais, comment cibler les dépenses… Il existe une vraie convergence d'idées entre Jean-Claude Juncker, beaucoup d'économistes, ce que je dirai moi-même, ce que dit le FMI : la question de l'investissement est absolument centrale. Une économie qui n'investit pas ne prépare pas son avenir. L'économie européenne en général, l'économie française en particulier, souffrent d'un déficit d'investissement qu'il faut combler.
Monsieur Daniel, j'ai essayé de parler aussi concrètement que possible.
On m'interroge beaucoup sur la surveillance budgétaire que j'exercerai – mais mon portefeuille comprend aussi l'aspect macro-économique, les réformes structurelles, l'action internationale en matière économique, la fiscalité et l'union douanière. Je vivrai à Bruxelles pour exercer ces fonctions très lourdes, mais je reviendrai régulièrement en France, pays que j'aime et qui restera le mien, pour répondre à vos questions.
Le coeur de mon activité ne sera donc pas de répondre aux questions sur tel ou tel budget national. Il faut le faire, mais la vraie question, c'est celle de la sortie de l'ornière économique. Tout doit y concourir : la politique monétaire, la politique budgétaire, les réformes structurelles, l'investissement… doivent être utilisés pour élever le niveau de croissance potentielle. Nous devons progresser, par exemple en matière technologique. Les aspects fiscaux du numérique sont d'ailleurs également très importants ; des engagements ont été pris dans le cadre du G20 et il faudra veiller à faire avancer ces dossiers.
J'estimerai avoir réussi ma tâche si j'ai répondu correctement à la question des règles et des flexibilités. Je le ferai, et vous avez compris dans quel état d'esprit je le ferai : l'indulgence, voire la complaisance, à l'égard d'un pays serait incompréhensible et casserait la crédibilité. On lit ici ou là que je ferai pire qu'un autre parce que je suis Français : non, je ne ferai ni mieux ni pire, je jouerai simplement mon rôle.
Mais les sujets sur lesquels nous serons jugés sont ailleurs. La construction européenne apparaît-elle de nouveau comme un espoir, comme une solution ? Le niveau de croissance potentielle s'est-il élevé, créons-nous à nouveau des emplois ? Avons-nous rendu un avenir à notre jeunesse ? Il faudra en effet nous pencher sur la question de la garantie jeunesse ; je ne suis pas chargé du budget, mais c'est à coup sûr un sujet important. Si nous réussissons, les formations politiques pro-européennes présentes au sein de cette Commission – qui reflète la diversité politique de notre continent, et au sein de laquelle nous nouerons donc des compromis – pourront présenter un récit, des solutions, aux Européens.
La Commission Juncker ne pourra pas être celle du business as usual, sans quoi le rejet déjà enclenché deviendra massif. Elle devra apporter une nouvelle énergie, une nouvelle volonté, une nouvelle politique.
Je vous redis toute ma disponibilité pour venir devant vous présenter mon action et en débattre, ainsi que pour travailler au rôle des parlements nationaux dans la construction européenne.