Intervention de André Schneider

Réunion du 21 février 2017 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Schneider, président de la mission :

Madame la Présidente, mes cher(e)s collègues,

Il y a un peu moins d'un an était créée la mission d'information sur les acteurs bilatéraux et multilatéraux de l'aide publique au développement. Il s'agissait en effet de faire un bilan de la politique française d'aide publique au développement alors que nous arrivions au terme de cette quatorzième législature au cours de laquelle ce sujet a fait l'objet d'une attention soutenue de notre part.

Au cours de ces cinq ans ont eu lieu des événements internationaux importants comme le sommet d'Addis-Abeba, l'adoption des Objectifs du Développement durable à New York en septembre 2015 et la COP21 à Paris, en décembre de la même année. Nous avons adopté en juillet 2014 la loi d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, et le dispositif français d'aide publique au développement s'est réorganisé avec la création d'Expertise France et le rapprochement entre l'AFD et la Caisse des Dépôts et Consignations.

Nous sommes amenés chaque année à nous pencher brièvement sur la politique française en matière d'aide publique au développement à l'occasion de l'examen du budget, et dans ce domaine, on peut dire que l'action du Parlement est utile puisque nous avons plusieurs fois obtenu une hausse des budgets de l'aide.

Nous avons aussi eu l'occasion d'auditionner les dirigeants de l'AFD et, depuis peu, d'Expertise France, organisme au sein duquel j'ai l'honneur de siéger avec notre collègue François Loncle, notamment lors de l'examen des contrats d'objectifs et de moyens qui lient ces institutions à l'État.

Mais il était important que nous puissions, une dernière fois avant de nous séparer, porter un regard d'ensemble sur la politique d'aide française et essayer de rendre compte de son adaptation à un monde en pleine évolution.

Afin de mesurer cette évolution, il convient d'abord de prendre acte du fait qu'il n'y a plus de « tiers monde ». Nous sommes bel et bien sortis de l'ancien schéma dans lequel un Nord riche et minoritaire vivait à côté d'un Sud représentant la plus grande partie de la population mondiale et vivant dans la pauvreté. Pour simplifier, on peut diviser le monde en développement en deux groupes principaux.

Il y a bien, d'un côté, des zones de pauvreté, et même de grande pauvreté, où le développement n'a pas eu lieu ou n'a eu lieu que très partiellement. Ces pays, dont beaucoup sont situés en Afrique subsaharienne, sont prioritaires pour la politique française. Ce sont des États où le développement économique s'est parfois heurté à une instabilité politique qui a paralysé l'économie, et où la croissance démographique a souvent annulé la croissance économique du point de vue des populations.

Le deuxième groupe est beaucoup plus varié. Il est constitué des pays qui ont effectué depuis les années quatre-vingt-dix un rattrapage souvent spectaculaire et qui ont bien souvent atteint les objectifs fixé par l'agenda des Objectifs du Millénaire adopté en l'an 2000.

Pour s'en tenir à un seul chiffre, entre 1990 et 2015, le nombre de personnes dans le monde touchées par l'extrême pauvreté dans les pays en développement est ainsi passé de presque deux milliards à 136 millions, c'est-à-dire de 47 % à 14 % de la population mondiale.

Mais bien sûr, ce n'est là qu'une moyenne, et la réalité est que ces progrès énormes en matière de développement ont eu lieu en ordre dispersé. Les écarts de richesse entre pays, mais aussi entre territoires à l'intérieur de beaucoup de pays, et au sein même des populations, se sont creusés, et de nouvelles problématiques sociales et environnementales sont apparues dans le paysage de l'aide au développement.

La croissance rapide de certaines régions a aussi créé ses propres problèmes. La maîtrise du climat et l'égalité entre hommes et femmes sont ainsi devenus des sujets majeurs dans les réflexions sur le développement.

Ces dernières ont ainsi abouti en septembre 2015 à l'adoption des Objectifs du Développement durable, qui font du développement un objectif universel auquel doivent s'atteler aussi bien les pays du Nord que ceux du Sud. Le développement durable n'est plus une simple question de richesse, mais englobe désormais des objectifs sociaux et environnementaux. La croissance économique est toujours recherchée, mais elle doit désormais être mieux maîtrisée afin d'éviter les déséquilibres et les inégalités qui s'aggravent lorsqu'elle est trop rapide. L'accord de Paris de décembre 2015 a pour sa part fait de la lutte contre les dérèglements climatiques une composante majeure des politiques d'aide au développement, dont elles doivent désormais tenir compte à toutes les étapes de leur mise en oeuvre.

Alors que les problématiques de l'aide sont devenues plus nombreuses et plus complexes, les acteurs, aussi bien bilatéraux que multilatéraux, se sont multipliés au cours des dernières décennies. De nouveaux organismes multilatéraux ont été créés : des fonds thématiques ou « verticaux » ont été constitués tels que le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la Facilité financière internationale pour la vaccination ou l'Initiative pour l'alimentation en eau et l'assainissement en milieu rural en Afrique. De nouvelles institutions internationales se sont créées comme la Banque asiatique d'Investissement dans les infrastructures, dont les opérations ont commencé l'année dernière.

Dans le domaine bilatéral, les acteurs privés ou semi privés se sont également multipliés, qu'il s'agisse des ONG, d'acteurs de l'économie sociale et solidaire, d'organismes de microcrédit ou de fondations privées, tandis que les collectivités territoriales continuent à mettre en oeuvre des actions de coopération décentralisée pour lesquelles l'État cherche à définir une forme de coordination.

L'aide elle-même prend des formes plus diverses. Aux transferts de fonds publics qui constituaient l'essentiel de l'aide se sont ajoutés des fondations privées, dont les contributions peuvent être considérables, ou les transferts monétaires des diasporas vers leurs pays d'origine.

Ce foisonnement d'acteurs de l'aide, bilatéraux et multilatéraux, publics et privés, ne va pas sans poser de nouvelles questions.

Il en va ainsi de la coordination des acteurs de l'aide. La mission a ainsi pu constater au fil des auditions et lors de son déplacement qu'il ne suffit pas de mettre en place des procédures de coordination ou, encore mieux, de créer des organismes chargés de coordonner les actions des acteurs de l'aide, pour régler le problème.

Cela est vrai des actions de coopération décentralisée, qui restent dispersées et trop peu soutenues malgré l'existence de la Délégation pour l'action extérieure des collectivités territoriales ou d'organismes comme Cités Unies France, dont la mission a auditionné les dirigeants. Les ONG pour leur part ont mis en place des organismes tels que Coordination SUD, mais le paysage français des ONG se compose principalement de petites organisations, dont une coordination trop stricte affaiblirait le dynamisme et réduirait la capacité d'initiative.

Comme on le voit parfois au niveau international et européen, les efforts de coordination aboutissent fréquemment à une multiplication et à un alourdissement des procédures, voire à la mise en place de nouveaux organismes, ce qui ne règle le problème que partiellement, voire le complique encore un peu plus.

Dans ce contexte, la France a cherché à adapter son outil institutionnel et sa politique d'aide. Une série de réformes, depuis la suppression du ministère de la coopération en 1998 jusqu'à la loi de juillet 2014 qui a notamment créé le Conseil national du développement et de la solidarité internationale, ont abouti au dispositif actuel, parfois critiqué en raison du partage du pilotage de l'aide entre plusieurs ministères.

Plutôt qu'un retour en arrière ou un nouveau partage des rôles entre administrations, la cohérence de la politique d'aide française serait cependant mieux assurée par un renforcement du suivi des politiques. C'est pourquoi le rapport contient des recommandations dans ce sens : des réunions plus régulières du CICID d'une part, conformément à son décret de création, et un renforcement des moyens de contrôle du Parlement d'autre part, avec notamment la tenue tous les trois ans d'un débat sur la stratégie française en matière d'aide publique au développement.

La réorganisation de l'aide publique au développement a aussi concerné les opérateurs, avec notamment la mise en place d'Expertise France et le rapprochement entre l'Agence française de développement et la Caisse des Dépôts et Consignations.

Le rapprochement entre l'AFD et la CDC a été réalisé le 6 décembre dernier avec la signature par les deux organismes d'une Charte d'Alliance stratégique ambitieuse, qui doit permettre la mise en commun d'une partie de leurs moyens et l'émergence d'une agence de développement d'une taille conforme aux ambitions françaises dans ce domaine. Il est cependant trop tôt pour évaluer le résultat de ce rapprochement encore très récent.

La création d'Expertise France vise également à concentrer les capacités françaises en matière d'expertise au sein d'un opérateur auquel ont été assignés des objectifs ambitieux, puisque les objectifs du Contrat d'objectifs et de Moyens (COM) passé par Expertise France et l'État et approuvé par notre commission en juin 2016, consistent à doubler le chiffre d'affaire d'Expertise France et à atteindre l'autofinancement en cinq ans.

Il reste que le regroupement de l'expertise en son sein, combinée au fait de confier à l'AFD le secteur de l'expertise en matière de gouvernance ont inévitablement abouti à priver les ambassades d'une partie de leurs attributions, de leur capacité propre d'appréciation des projets de coopération, ainsi que de relais auprès des administrations et de la société civile qui peuvent leur faire défaut aujourd'hui. La création d'Expertise France étant récente, il est sage d'attendre encore un peu pour en évaluer le bon fonctionnement. Le COM de juin 2016 s'étendant sur une durée de trois ans, notre rapport propose donc, en plus du renforcement des capacités d'Expertise France, d'évaluer à l'occasion du prochain COM entre Expertise France et l'État le bon fonctionnement de la relation entre Expertise France, l'AFD et les postes diplomatiques. Le rapport propose également, afin de renforcer le rôle des ambassades dans la politique d'aide française, de rallonger la durée des COM liant l'État et l'AFD de trois à cinq ans, et que soit recueilli dans sa phase préparatoire l'avis des ambassades auprès des pays destinataires de l'aide sur les orientations stratégiques de la France et de l'AFD en matière d'aide publique au développement.

Je vais maintenant laisser la parole à mon collègue Jean-René Marsac, qui présentera les principales propositions faites par la mission afin de consolider la stratégie française d'aide publique au développement dans ce paysage riche et complexe.

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