Intervention de Jean-René Marsac

Réunion du 21 février 2017 à 18h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-René Marsac, rapporteur de la mission :

Madame la Présidente, mes cher(e)s collègues,

Il convient tout d'abord de souligner que la réorganisation institutionnelle, qui date déjà de quelques années mais qui se poursuit, et la réorientation stratégique de l'aide publique au développement française ne rendront cette dernière plus efficace que dans la mesure où son financement sera à la hauteur de ses besoins, ce que nous n'avons cessé de dire. Cette mission est l'occasion de rappeler que le budget de l'aide française, qui en 2017 a retrouvé une trajectoire d'augmentation, doit poursuivre dans cette direction. Le rapport recommande par conséquent une augmentation annuelle du budget de la mission « aide publique au développement » de 5 %, ce qui était le chiffre à l'entrée de notre débat pour le budget 2017. Nous avons abouti à une augmentation de 3,7 % environ. Ce rythme de 5 % est celui qui nous permettrait d'atteindre en 2030 l'objectif des 0,7 % du RNB.

L'augmentation du FSD doit aussi être poursuivie, et le rapport recommande de mettre en oeuvre l'extension de l'assiette de la TTF aux transactions dites « intraday » en janvier 2018, conformément à notre vote.

L'augmentation de la part des dons dans l'aide publique au développement est également nécessaire et une des recommandations du rapport vise à ce que soit examinée la possibilité de renforcer les dons, entre autres, en utilisant une partie des dividendes de l'AFD. L'AFD a en effet progressivement, ces dernières années, étendu son activité de prêt aux pays émergents afin de financer des projets qui s'inscrivent dans le cadre des ODD, donc qui relèvent bien de l'aide publique au développement, mais avec une faible concessionnalité.

L'élargissement du champ d'action de l'AFD ces dernières années a permis à celle-ci non seulement d'étendre les bénéfices de son activité et de diversifier son expérience, mais également d'accroître ses dividendes. Même si nous sommes conscients des contraintes pesant sur l'agence en matière de fonds propres résultant du statut de Bâle III, il demeure souhaitable qu'une réflexion soit engagée afin qu'une partie des gains de l'AFD puisse renforcer la part de l'aide publique au développement effectuée sous forme de dons.

Cependant, la question du financement de l'aide publique au développement va bien au-delà de ses seuls aspects budgétaires. Au niveau international, la réflexion sur les objectifs du développement, qui a abouti à l'Adoption des Objectifs du millénaire en 2000 et des Objectifs du Développement durable en 2015, s'est accompagnée d'une réflexion parallèle sur le financement de l'aide, avec le consensus de Monterrey en 2002, la conférence de Doha en 2008 et le programme d'action d'Addis-Abeba en 2015. Cette réflexion a mis en évidence l'importance du financement local du développement et la nécessité de rechercher des moyens de favoriser l'émergence des secteurs privés des pays du Sud, sous des formes qui peuvent aller de la microfinance au commerce équitable par exemple.

La mission a ainsi auditionné des représentants de fondations privées ou d'associations actives dans ces domaines et a pu ainsi mesurer l'importance du soutien au secteur privé, sous des formes qui peuvent aller de la prise de participation dans des entreprises locales par Proparco, par exemple, au soutien apporté à la microfinance par un organisme tel que la Fondation Grameen-Crédit agricole. Le soutien au secteur privé apparaît comme un élément essentiel de l'aide aussi bien dans les pays émergents ou en voie d'émergence que dans les pays les plus pauvres, où l'aide sous forme de dons n'atteint pas un niveau suffisant.

Le soutien au secteur privé est notamment essentiel dans les pays où l'économie est encore largement informelle, et il passe notamment par une aide à la formation professionnelle, dont les dirigeants du Burkina Faso que nous avons rencontrés ont été unanimes à nous dire combien elle était actuellement insuffisante.

Le soutien à la microfinance, pour sa part, vise à stimuler l'émergence de secteurs bancaires embryonnaires dans les régions les plus pauvres, notamment les zones rurales, où le secteur bancaire traditionnel ne va pas, même si nous avons constaté que des technologies de bancarisation par le biais du téléphone, par exemple, se développaient fortement en Afrique, entre autres. Le soutien au commerce équitable et à l'économie sociale et solidaire s'inscrivent plus pour leur part dans une logique de maîtrise des effets de la croissance dans le domaine social et en matière environnementale.

Le rapport fait des propositions pour appuyer ces formes d'aide innovantes, mais il propose surtout la création d'une Fondation pour le Développement solidaire, française ou francophone, chargée de recueillir des fonds et de coordonner une partie de l'aide publique au développement effectuée sous forme de dons. Cette fondation pourrait bénéficier d'une première dotation en provenance du fonds de solidarité pour le développement (FSD), sur les nouvelles ressources de la taxe sur les transactions financières. Je crois que c'est le moment de les mettre en oeuvre. Elle constituerait une interface entre les financements publics et les acteurs privés de l'aide publique au développement et elle servirait de cadre à une augmentation de l'aide sous forme de dons.

Enfin, les travaux de la mission nous ont amené à la conclusion que ce foisonnement d'acteurs et d'initiatives rend nécessaire une nouvelle approche de l'aide au développement, plus partenariale et plus contractuelle.

Plus partenariale parce que l'aide au développement n'est plus désormais un simple transfert de richesses du Nord vers le Sud visant à aider ce dernier à rattraper son retard sur les pays riches, ou du moins cela n'en est pas l'unique objet. S'il demeure essentiel d'aider les pays les moins développés à sortir de l'ornière du sous-développement afin que leurs populations puissent à leur tour sortir de la pauvreté, l'aide au développement est désormais avant tout un investissement sur l'avenir. Les pays donateurs ont autant que les pays destinataires de l'aide un intérêt au succès des politiques d'aide. Qu'il s'agisse de la stabilité politique de régions comme le Sahel, étroitement liée au développement des économies locales, de la maîtrise des flux migratoires qui dépend de celle de la croissance démographique et du soutien à l'emploi agricole, par exemple, ou qu'il s'agisse de problématiques partagées comme la préservation de l'environnement ou l'égalité entre hommes et femmes, le constat sur lequel repose les Objectifs du développement durable s'impose à nous tous. Le développement durable et maîtrisé est un objectif commun aussi bien pour le Nord que pour le Sud.

C'est pourquoi nous avons été sensibles, notamment lors du déplacement effectué par la mission au Burkina Faso et au Maroc, au fait que beaucoup de nos interlocuteurs nous aient fait remarquer que l'expression « aide au développement » n'était plus adaptée à la réalité actuelle, ou en tout cas, pas à la totalité de cette réalité, non seulement en raison de son caractère condescendant aux yeux de certains, mais simplement parce qu'elle ne reflète plus la réalité, qui est aujourd'hui celle d'une relation basée sur des intérêts partagés.

La conclusion à laquelle est parvenue la mission est que c'est en tenant compte de cette réalité que l'on pourra évoluer vers une politique d'aide plus adaptée à la complexité des enjeux actuels et à la diversité des acteurs et des initiatives. C'est en renforçant le rôle des pays destinataires de l'aide et en reconnaissant qu'il ne s'agit plus tant d'une aide que d'un partenariat que nous pourrons avancer vers une clarification des rôles et, sans doute, une plus grande cohérence des politiques.

La mission d'information propose ainsi de s'inspirer du modèle des Contrats de désendettement et de développement, dits C2D, qui ont été mis en place afin de régler le problème de surendettement qui concernait dans les années quatre-vingt-dix un certain nombre de pays très pauvres, mais qui avaient néanmoins accédé aux prêts. Parallèlement aux initiatives d'annulations de dettes prises par les bailleurs internationaux, la France a alors mis en place un dispositif, le C2D, dans lequel les sommes remboursées par le pays concerné sont encaissées mais immédiatement reversées par la France, mais dans le cadre d'un programme d'aide qui a préalablement été élaboré précisément et soigneusement, et qui a été négocié conjointement par la France, le pays destinataire et les opérateurs concernés.

La mission propose donc d'inscrire l'aide bilatérale de la France dans un contrat international de développement solidaire, d'une durée relativement longue de huit à dix ans, avec une révision intermédiaire à mi-parcours, afin qu'il fasse l'objet d'un suivi de ses grandes orientations.

Un tel dispositif visera quatre objectifs principaux :

- du fait de sa durée et du suivi dont il fera l'objet, il permettra de donner une véritable orientation stratégique aux politiques qu'il mettra en oeuvre ;

- faisant l'objet d'une négociation de haut niveau entre les pays concernés, ce contrat pourra plus facilement mettre l'accent sur des domaines fondamentaux tels que, selon les cas, la gouvernance, les droits de l'homme, la maîtrise démographique ou l'égalité entre hommes et femmes ;

- Ce dialogue politique permettra également d'inclure des sujets connexes au développement, notamment celui des mobilités et des délivrances de visas, du côté français comme de celui du pays destinataire ;

- Il contribuera enfin à résoudre le problème de la coordination aussi bien des projets de coopération décentralisée, que des initiatives des ONG, en permettant à la France et au pays destinataire de faciliter conjointement les projets s'inscrivant dans le cadre ainsi défini en orientant, de façon préférentielle, les aides publiques en fonction des priorités négociées conjointement.

Il s'agira donc de mettre en place une relation plus partenariale dans un cadre bilatéral. Le contrat international de développement solidaire pourra être élargi aussi bien du côté des pays destinataires que des pays contributeurs.

Du côté des pays destinataires, il sera possible à des pays voisins de rejoindre le contrat international de développement solidaire afin que des coordinations régionales soient possibles dans les secteurs où l'échelon national n'est pas suffisant.

Du côté des pays contributeurs, le contrat international de développement solidaire devra d'abord permettre de sortir de l'opposition en partie injustifiée entre une aide bilatérale conforme à nos intérêts et une aide multilatérale inévitablement dispersée et affaiblie par le filtre d'organisations internationales très lourdes et au sein desquelles la France exerce une influence insuffisante.

Cette approche n'est certes pas entièrement infondée mais il convient de la nuancer. L'aide française transitant par les organisations multilatérales est en effet fortement concentrée, en particulier sur l'Union européenne pour 45 %, l'Association internationale pour le Développement de la Banque mondiale pour 21 % et le Fonds mondial sida pour 15 %. Les travaux de la mission l'ont amenée à conclure que plutôt qu'une réduction globale de son aide multilatérale, la France gagnerait à l'optimiser en faisant mieux valoir ses priorités dans l'enceinte internationale et en y agissant de manière coordonnée. Le rapport propose que le Conseil national du développement et de la solidarité internationale émette régulièrement un avis sur les contributions françaises aux organismes multilatéraux et qu'il auditionne les représentants de la France auprès de ces organismes préalablement à leurs nominations, ce qui permettrait d'associer plus étroitement les ONG et les collectivités territoriales, entre autres, aux orientations de la stratégie d'aide française au sein des organismes multilatéraux.

Cela n'exclut pas de modifier certaines contributions afin de rééquilibrer notre aide. C'est pourquoi le rapport recommande également de rediriger une partie du montant versé annuellement au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme au profit de l'aide bilatérale sous forme de dons, et de réorienter ces sommes pour consolider et amplifier les systèmes de soins locaux.

Le contrat international de développement solidaire proposé par la mission listerait aussi les contributions françaises à l'aide multilatérale mise en oeuvre dans le pays concerné, afin d'accroître la visibilité de l'aide française. Il permettrait par ailleurs de renforcer l'impact de l'aide bilatérale française à travers la création de partenariats internationaux, en particulier avec l'Union européenne, avec des pays francophones émergents et entre les outre-mer et leurs régions environnantes, pour construire des actions coordonnées.

Avec l'Union européenne, la négociation pour la mise en place d'un nouveau partenariat entre l'Europe et les pays ACP succédant à celui de Cotonou, en 2020, doit être l'occasion de prévoir la possibilité pour l'Union d'être partie prenante aux contrats de développement solidaire.

Avec les pays francophones, il s'agit de mieux s'appuyer sur le rôle que jouent déjà des pays comme le Maroc, où nous nous sommes rendus en janvier. Le Maroc s'est en effet positionné à la fois comme un relais économique et commercial vers l'Afrique et comme un pays bénéficiant d'une expertise et d'une expérience récente en matière de développement dont notre politique peut davantage profiter. Le contrat de développement solidaire permettrait précisément d'inscrire les coopérations tripartites, qui sont souhaitées, comme les Marocains nous l'ont redit, avec les pays francophones dans des politiques plus globales.

L'idée de développement solidaire enfin aux outre-mer et à leurs régions environnantes. Il est apparu au cours des auditions que le potentiel de ces territoires et leur capacité à mettre en oeuvre des projets de coopération avec leurs régions environnantes n'est pas exploité comme il pourrait l'être, notamment du fait de la segmentation des outils d'aide français et du pilotage ministériel qui n'est pas complètement interministériel, comme on nous l'a dit à plusieurs reprises. La mission propose donc de mettre en oeuvre des expérimentations dans ce domaine, afin de renforcer la capacité d'initiative des outre-mer.

Pour conclure cette présentation, je dirai simplement que l'ensemble des recommandations contenues dans ce rapport visent à inscrire nos politiques d'aide dans le temps long, en les dotant des moyens dont elles ont besoin, en créant un cadre souple pour notre aide bilatérale, en permettant un suivi plus régulier de nos politiques et des stratégies déployées, et surtout en tenant compte du fait que le développement n'est pas un simple rattrapage du Nord par le Sud, mais plutôt une politique à caractère universel, visant à un accroissement régulier et maîtrisé des richesses et du niveau de vie des populations.

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