Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Réunion du 22 février 2017 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, députée, sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie » :

Avant d'en venir au volet énergie de la stratégie, je voudrais féliciter Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido pour la qualité de leur rapport, dont je partage pleinement les conclusions et recommandations. Elles rejoignent d'ailleurs assez largement les préoccupations exprimées par les interlocuteurs que j'ai pu rencontrer au cours de mon étude, sur une durée extrêmement courte, puisque le document à évaluer a été mis en ligne seulement en début d'année.

Je souhaiterais y ajouter une ultime recommandation, de portée très générale, qui me tient à coeur : Il faut laisser aux chercheurs la liberté d'explorer et, parfois, d'échouer, car il ne peut y avoir d'injonction à inventer ou à trouver. Il faut fluidifier la recherche et donner à l'intelligence des scientifiques l'opportunité de s'exprimer, sans téléguider en permanence ce sur quoi ils doivent travailler.

Le processus créatif ne se limite pas à une recombinaison, cumulative et interactive, de connaissances existantes. Bien entendu, certaines découvertes sont de nature incrémentale et résultent du perfectionnement de concepts ou de technologies qui existaient déjà, ou de l'approfondissement de voies de recherche consolidées auparavant, un moment abandonnées et reprises plus tard. Mais les plus décisives impliquent d'explorer de nouvelles approches scientifiques plus incertaines, voire hasardeuses. J'utilise ce mot à dessin car parfois les idées sont le fruit du hasard. Il ne faut jamais oublier que la recherche n'est pas déterministe.

Les découvertes de rupture nécessitent, bien sûr, avant tout, de la chance et du génie. Les images d'Archimède dans sa baignoire ou de Newton sous son pommier viennent tout naturellement à l'esprit. Mais la chance et le génie ne suffisent pas, si le chercheur n'a pas cette liberté d'explorer. Bien sûr, dans les laboratoires, grands ou petits, des contraintes existent, par exemple d'accès à des matériels toujours plus puissants et performants. Néanmoins, les chercheurs doivent pouvoir conserver une part d'inventivité et de liberté.

Aussi, faut-il privilégier les financements à long terme, qui conduisent à sélectionner les meilleurs chercheurs, au travers de l'évaluation par les pairs, plutôt que de travailler uniquement, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, dans une logique de projet, avec des finalités prédéterminées. Il faut leur donner la possibilité d'adopter, le cas échéant, de nouvelles approches, lorsque celles initialement choisies s'avèrent infructueuses. Il faut, enfin, une hiérarchie capable de les accompagner, en assurant un suivi de qualité de leurs recherches, ainsi qu'un soutien intellectuel, quasiment moral, et financier de leur inventivité.

Un dernier point d'ordre général que je voudrais aborder concerne la distinction qu'il y aurait entre recherche fondamentale et appliquée. Elle me semble non seulement artificielle, mais dommageable pour le développement de la science, et même pour l'impact de la science sur notre propre économie, car l'histoire comporte de multiples exemples de recherches dirigées vers un objectif déterminé qui ont conduit à des découvertes théoriques majeures, l'inverse étant tout aussi vrai.

Il me semble important, pour libérer de nouvelles voies de progrès, que nos organismes de recherche, nos écoles et nos universités transcendent cette dichotomie entre science fondamentale et science appliquée qui s'est progressivement installée dans le vocabulaire courant. Il n'y a que de la bonne recherche et de la mauvaise recherche, ainsi que des applications de la recherche. C'est particulièrement vrai pour cet enjeu majeur qu'est la lutte contre le changement climatique.

J'en reviens donc à la Stratégie nationale de recherche en énergie (SNRE) qui est corrélée à ce dernier sujet. Pourquoi adjoindre à la Stratégie nationale de recherche un volet consacré à l'énergie ? Au moins trois raisons le justifient.

En premier lieu, la France s'est engagée en 2015, avec les autres pays signataires de l'accord de Paris, dans une course de vitesse contre le changement climatique. Celle-ci nous impose de modifier profondément, et dans un temps très court, notre façon de produire et de consommer l'énergie. C'est pourquoi, dans le cadre de la Mission innovation, avec vingt-et-un autres pays et l'Union européenne, la France a décidé de multiplier par deux, sur la période 2015-2020 – nous y sommes – le montant des investissements publics dans la recherche et le développement pour les énergies durables. Cet engagement budgétaire reste d'ailleurs à concrétiser en France, alors qu'il a déjà pris effet dans d'autres pays, notamment aux États-Unis.

En deuxième lieu, l'énergie est au coeur de toute activité économique. Sans elle, il serait impossible de labourer les champs, de construire des bâtiments, de faire tourner des usines, de transporter les marchandises, d'éclairer les rues, de chauffer les habitations et les entreprises etc. C'est le monde réel et concret. Sans l'énergie, nous serions démunis de tout le confort moderne. Lorsqu'elle vient à manquer, c'est tout un pays qui s'arrête de produire et quand son prix devient excessif, les plus fragiles parmi les populations et les entreprises souffrent en premier.

Dans le passé, la France a pris en compte cet enjeu de l'indépendance énergétique et de la puissance, en se dotant d'une industrie du pétrole, puis d'une industrie nucléaire, également fortes. Cet effort d'indépendance doit être poursuivi, mais pas seulement dans le domaine de la production de l'énergie. Il y a d'autres éléments à considérer : la façon dont l'énergie est consommée, distribuée, facturée, et dont ses différents schémas s'insèrent dans l'économie européenne et mondiale. Beaucoup a été fait : par exemple les réseaux sont interconnectés en Europe. C'est d'ailleurs l'un des seuls continents où ces interconnexions sont efficaces.

En troisième lieu, malgré les récentes difficultés, le secteur de l'énergie reste l'un des derniers, sans doute avec l'aéronautique, l'armement et l'agro-alimentaire, dans lesquels la France apparaît comme une nation industrielle puissante au plan international. Cette position repose, en bonne part, sur la capacité de nos chercheurs et de nos ingénieurs à innover. La concurrence internationale dans ce secteur se renforce, avec l'arrivée de nouveaux concurrents, notamment la Chine et l'Inde, cette dernière étant trop souvent oubliée. Plus que jamais, la recherche apparaît comme une condition nécessaire au maintien de nos industries et de nos emplois dans l'énergie, sur le territoire national ou à l'export, au bénéfice d'entreprises nationales.

Il est donc incontestable que le législateur a su se montrer clairvoyant, en ajoutant à la Stratégie nationale de recherche, au travers de la loi pour la transition énergétique, un volet énergie.

Je voudrais souligner que la France a un immense avantage, c'est que son territoire s'étend sur tous les continents, toutes les latitudes et toutes les températures. Nous avons donc matière à fabriquer et à explorer toutes les formes d'énergie, pas seulement le pétrole et le nucléaire.

Mais nous n'avons pas, dans notre pays, contrairement à nos voisins d'Outre-Rhin, une vision partagée de l'avenir du système énergétique du pays, ce qui ne permet ni d'emporter l'adhésion des Français – alors que les Allemands acceptent sans protester de payer leur électricité au double du prix de leurs voisins pour subventionner les énergies renouvelables ni de donner une direction claire à la recherche en énergie.

Il me semble pourtant qu'une grande majorité de nos concitoyens s'accorderaient sur l'idée simple que, face au péril climatique, la priorité est bien de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, émetteurs de gaz carbonique, soit en diminuant notre consommation, soit en y substituant une énergie décarbonée, tout en préservant l'accessibilité de l'énergie à un prix raisonnable – la péréquation tarifaire est une particularité française et une force, garantissant la sécurité d'approvisionnement sur tout le territoire.

Nos concitoyens, nos administrations, nos entreprises et les élus partageraient ainsi une vision d'un système énergétique équilibré, comportant, d'un côté, des énergies renouvelables décentralisées (éolien, solaire, bois…), destinées à satisfaire des besoins locaux, et, de l'autre, des centrales puissantes et pilotables, nécessaires à la sécurité d'approvisionnement des usines et des bureaux, ainsi que du réseau, avec entre ces deux pôles, la gestion intelligente des réseaux et de l'effacement de la priorité de consommation, ainsi que des moyens de stockage, notamment le système hydraulique avec les barrages et les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qu'il convient de développer.

Faute d'une telle vision, la loi demande à la Stratégie nationale de recherche en énergie d'intégrer, à la fois, onze objectifs de recherche, les objectifs généraux de politique énergétique, les orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), ainsi que les cinq orientations stratégiques « pour une énergie propre sûre et efficace » proposées dans le deuxième défi de la Stratégie nationale de recherche.

Les auteurs de la SNRE ont ainsi été placés dans la situation délicate de devoir prendre en compte une multiplicité d'objectifs et d'orientations, sans possibilité d'établir entre eux, ni un ordre de priorité, ni une certaine forme de lisibilité.

C'est dommage, car contrairement à la précédente stratégie de 2007, la nouvelle SNRE est effectivement le fruit d'un travail collectif, associant les deux ministères de la recherche et de l'environnement, mais aussi ceux de l'agriculture et de l'industrie, les alliances de recherche – au premier chef l'ANCRE pour l'énergie, les organismes publics de recherche, notamment le CEA et le CNRS, des entreprises, et d'autres organisations (fédérations professionnelles, organisations syndicales, associations, collectivités territoriales et élus).

Il s'agit d'un progrès significatif, même s'il faudra, à l'avenir, donner une place plus importante dans le pilotage de la SNRE et sa mise en oeuvre, d'une part, aux scientifiques eux-mêmes et, d'autre part, au monde de l'entreprise, y compris les PME-PMI et ETI. À cet égard, la création d'une commission nationale chargée d'évaluer l'avancement des recherches en énergie, proposée dans le cadre de l'évaluation de la précédente stratégie, apparaît toujours aussi pertinente.

Je tiens, nonobstant ces ajustements souhaitables, à saluer cette démarche collective, ainsi que le travail très important qui a été réalisé par l'ensemble des participants. Le document d'une cinquantaine de pages qu'ils ont produit constitue, en effet, une base de travail solide.

Il explicite convenablement le contexte et les nombreuses contraintes à respecter. Il identifie quatre orientations stratégiques pertinentes, centrées sur les technologies, l'organisation de la recherche et de l'innovation, le développement des connaissances et des compétences, et, enfin, la gouvernance de la stratégie elle-même. Il recense de façon assez complète les différentes voies de recherche ainsi que les verrous scientifiques et technologiques à lever, en omettant, inévitablement, parfois de manière inopinée, parfois de manière déterminée, certaines pistes, par exemple les recherches sur les transmissions à longue distance et le courant continu ou sur l'organisation des marchés. Il insiste sur la nécessité de la multidisciplinarité qui devient quelque chose de banal. Il propose, enfin, quinze actions stratégiques pertinentes.

Pour autant, il ne répond pas, faute d'avoir identifié au préalable des priorités, à ce qui est attendu d'une véritable stratégie de recherche.

Tout comme pour la présente évaluation, le travail engagé doit donc être poursuivi, afin de concrétiser la mise en oeuvre des actions structurantes identifiées, de définir – comme le proposait déjà l'OPECST dans son rapport de 2009 – des filières nationales compétitives au plan international en établissant, peut-être, une échelle de priorités, basée sur des critères économiques et scientifiques, et des feuilles de route portant notamment sur les verrous à lever, et, enfin, d'identifier et de lever à l'avance les freins d'ordre réglementaire au déploiement des innovations dans le domaine de l'énergie, par exemple dans le domaine de la performance énergétique des bâtiments. Mais cela ne veut pas dire que les chercheurs doivent aller jusqu'au produit quasi fini.

En conclusion, j'estime que l'OPECST doit lui aussi s'engager à prolonger, dans le courant de la prochaine législature, cette évaluation réalisée quelques semaines après la publication de la SNRE, par une seconde étude destinée à mesurer, conformément à la loi, les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle stratégie, ainsi que la prise en compte des présentes recommandations.

Il y a cinquante ans, la France a fait des choix, en abandonnant certaines pistes, comme celle de l'hydrogène et de la pile à combustible, qui sont reprises aujourd'hui. Il nous faut à nouveau, aujourd'hui, faire des choix, avec subtilité et intelligence, et avoir de l'ambition.

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