Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Mercredi 22 février 2017
Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président
La séance est ouverte à 18 h 05
À l'exception de la réunion de demain matin relative au compteur Linky, nous commençons une série de réunions de l'Office qui permettront d'examiner cinq rapports qui marqueront la fin de nos travaux au cours de cette XIVe législature et portent sur les sujets suivants : la stratégie nationale de recherche, le volet énergie de cette stratégie, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, l'intelligence artificielle, les nouveaux développements des biotechnologies.
Notre ordre du jour comporte trois points : l'examen du projet de rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Bruno Sido, sénateur, sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 » ; l'examen d'une communication de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie » ; l'approbation des conclusions de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 ».
Deux mots préalables pour rendre compte succinctement de notre réunion de bureau du 11 janvier, qui nous a permis d'apporter certaines précisions sur nos procédures budgétaires concernant les « évaluations en vertu de la loi » et les « programmes d'études », de décider la publication de nos travaux conjoints avec le Conseil scientifique sur l'intégrité scientifique lors des deux réunions des 9 juillet 2014 et 29 novembre 2016, puis de fixer le calendrier de cette fin de législature très chargée pour l'OPECST.
À ce propos, je demande un report d'au moins quinze jours de la présentation du rapport sur les derniers développements des biotechnologies, car le rapport sur la stratégie nationale de recherche que je vais vous présenter dans un instant m'a occupé intensément, et je n'ai pas pu m'avancer sur cet autre travail … En êtes-vous d'accord, sachant que je conviendrais avec Mme Catherine Procaccia d'une nouvelle date, dont je vous informerai ? (Assentiment général). Je vous en remercie.
Je propose maintenant que nous commencions par le troisième point de l'ordre du jour.
– Approbation du compte rendu de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 »
Le texte des conclusions de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 » devait être transmis aux membres pour observation, après une tentative de présentation lors de la réunion du 13 décembre 2016.
Le texte a été transmis aux membres députés le 21 décembre, assorti d'une demande de retour avant le 13 janvier. Il n'a pas suscité de réaction.
A-t-il été soumis aux membres sénateurs et peut-on considérer qu'il est approuvé par l'OPECST, ce qui permettra de l'adjoindre au compte-rendu de cette réunion, et d'assurer la publication des actes de cette audition publique ?
Les sénateurs ont pu en prendre connaissance et j'ai justement une remarque concernant le chiffre de cent milliards d'euros qui est mentionné dans ce document, et qui correspondrait au montant des subventions aujourd'hui accordées en Europe aux énergies fossiles. Je suis surpris par son ampleur, et je souhaiterais qu'on en vérifie la source. Il me semble qu'il correspond plutôt aux subventions accordées au niveau mondial, peut-être en considérant comme subvention une taxation moindre par rapport à un niveau de référence.
Ce chiffre a été avancé au cours de l'audition publique par le commissaire européen Carlos Moedas. Nous pouvons reprendre contact avec les services de la commission européenne pour en obtenir confirmation, corriger au besoin en apportant les explications en note de bas de page, et publier les documents liés à cet échange en annexe du rapport. Sous cette réserve, peut-on considérer que l'OPECST donne son accord pour cette publication ? (Assentiment général)
– Examen du projet de rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Bruno Sido, sénateur, sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 »
Notre premier point de l'ordre du jour concerne la présentation par Bruno Sido et moi d'un rapport sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 ». Ce document a fait l'objet d'une possibilité de consultation dans les 48h précédant son examen, comme c'est maintenant la règle pour toutes nos études ou évaluations.
Nous allons faire une présentation à deux voix, en essayant de rester synthétiques.
Ce rapport correspond à la première évaluation par l'OPECST, telle que prévue par l'article 15 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieure et à la recherche, de la première stratégie nationale de recherche, sous-titrée « France Europe 2020 », qui est destinée à couvrir la période 2015-2020.
Ce même article 15 évoque une évaluation biennale. La présentation de cette évaluation pourrait paraître dès lors quelque peu anticipée au regard de la démarche qui a rendu officiellement publique la stratégie nationale de recherche, à savoir la Conférence « Recherche : défis et aventures », qui s'est tenue le 14 décembre 2015 au Musée du quai Branly, en présence du Premier ministre, Manuel Valls.
Néanmoins, la consultation publique sur les propositions déjà structurées en « défis » avait pris fin en mai 2014, et les travaux d'élaboration de la stratégie nationale de recherche étaient, dès l'été 2014, suffisamment avancés pour que, en fait, deux années budgétaires, celles de 2015 et 2016, portent déjà de facto l'empreinte de la stratégie nationale de recherche.
En outre, dans la mesure où l'OPECST a contribué, au début de la législature, à l'institutionnalisation de la stratégie nationale de recherche, il apparaissait important que nous puissions l'évaluer avant la fin de la législature.
L'OPECST a en effet été très étroitement associé au processus des « Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche », qui ont fait émerger durant l'automne 2012, parmi les nombreuses propositions de réforme, celle d'une institutionnalisation du rôle de l'État stratège à travers l'élaboration d'une stratégie de l'enseignement supérieur et d'une stratégie de la recherche.
Nous avons en effet organisé à l'Assemblée nationale, le 4 décembre 2012, sous la présidence de Bruno Sido, une audition publique qui visait à permettre un échange entre les membres du Parlement et les protagonistes des Assises pour mieux faire ressortir les conclusions législatives et règlementaires pouvant être tirées des 121 propositions des Assises.
Ensuite, j'ai été personnellement nommé parlementaire en mission pour préparer la traduction législative de ces mêmes propositions. J'ai remis ces propositions au Premier ministre le 15 janvier 2013. Dans ce rapport, intitulé « Refonder l'université, dynamiser la recherche, mieux coopérer pour réussir » et publié à la Documentation française, j'ai clairement abordé la nécessité de refonder le pilotage stratégique de la recherche, en y associant l'OPECST.
Par la nature même de ses activités, l'OPECST se trouve en interaction constante avec le monde de la recherche et de la technologie, et se trouve donc bien placé pour nourrir ses analyses sur le pilotage de la recherche de l'expérience acquise à travers ses contacts multiples avec les acteurs de la recherche à tous les niveaux.
Cependant, je rappelle que trois auditions publiques ont été plus spécifiquement organisées en 2016 pour éclairer certains aspects importants de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche. On pourra en consulter les comptes rendus en annexe du rapport.
La première, le 30 juin 2016, à laquelle ont participé le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, M. Thierry Mandon, et le Commissaire général aux investissements, M. Louis Schweitzer, s'est concentrée sur les outils et moyens dévolus à la valorisation des résultats de la recherche.
La deuxième, le 6 octobre 2016, a analysé les conditions de formation des scientifiques et des ingénieurs. Il s'agissait en particulier de vérifier l'adéquation de ces formations aux besoins futurs identifiés par la SNR.
La troisième, le 8 décembre 2016, s'est consacrée plus spécifiquement aux conditions d'élaboration et de mise en oeuvre de la stratégie nationale de la recherche, et a permis notamment de mesurer les progrès de méthode réalisés depuis la précédente stratégie nationale de recherche et d'innovation sur la période 2009-2013, d'apprécier la dimension interministérielle de la démarche et de préciser les efforts en cours ou à réaliser pour permettre à terme une évaluation quantifiée sinon quantitative de l'efficacité de la stratégie nationale de recherche en termes de politique publique.
Pour aller plus vite, je vais commenter directement une première partie de nos recommandations concernant l'organisation générale de la recherche.
Premièrement, la stratégie nationale de recherche doit, pour s'imposer, bénéficier d'un soutien fort de l'Etat. Aussi, une de nos principales recommandations concerne le rétablissement définitif d'un ministère de plein exercice en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Nous proposons deuxièmement que le Conseil stratégique de la recherche devienne un conseil stratégique plus restreint, qu'il se réunisse régulièrement sous la présidence effective du Premier ministre, en présence des ministres concernés, du Commissaire général aux investissements, des présidents de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES).
La stratégie nationale de recherche doit conduire à une réorganisation progressive des efforts autour des défis sociétaux et des programmes d'action pluridisciplinaires. La durée de cinq années de la stratégie, et son renouvellement tous les cinq ans, doit laisser le temps d'une réorganisation par étape. De ce point de vue, elle est un prolongement des Alliances qui organisent la coordination interne de cinq grands domaines de recherche depuis 2009. Elle crée un cadre pour la coordination entre les Alliances et pour la coordination entre les Alliances et d'autres domaines de recherche, comme l'espace, dont les forces scientifiques sont coordonnées par le CNES.
Cette réorganisation progressive va s'appuyer sur les contrats pluriannuels conclus par l'État avec les établissements d'enseignement supérieur et avec les organismes publics de recherche. Elle s'appuie encore sur la programmation des agences de financement public de la recherche et de l'innovation, dont l'Agence nationale de la recherche, le Commissariat général à l'investissement et Bpifrance.
Toutefois, d'après les informations recueillies par l'OPECST lors de la quatrième table ronde de l'audition publique du 8 décembre 2016, les évaluations a posteriori de la stratégie, s'agissant des impacts scientifiques, économiques, sociétaux, ne pourront produire des données qu'à une échéance longue, de quinze à vingt ans. En conséquence, il conviendra de gérer les exercices de révision avec une certaine prudence.
Nous recommandons ainsi, troisièmement, qu'à l'échéance des cinq ans de mise en oeuvre de la SNR, les aménagements et compléments apportés à celle-ci aient soin d'éviter la remise à plat totale de la stratégie scientifique : la recherche, pour se déployer, a besoin de temps long.
A l'inverse, nous soutenons, quatrièmement, l'idée d'Alain Fuchs, formulée devant l'OPECST le 8 décembre dernier, d'une analyse historique des causes profondes du succès remarquable de la France en matière de récompenses internationales au cours de la décennie écoulée (huit prix Nobel, quatre médailles Fields et un prix Turing) afin qu'il en soit tiré les conséquences lors des prochaines révisions de la stratégie nationale de recherche.
En tout état de cause, la réalisation de l'évaluation quantifiée a posteriori des impacts constituera en soi un projet à part entière. M. Mohamed Harfi, expert référent pour l'enseignement supérieur et la recherche à France Stratégie, a donné une définition de ce qu'il faut essayer d'apprécier quantitativement ou, à défaut, qualitativement : « L'évaluation a pour but de mettre en évidence ce qui ne se serait pas passé en l'absence d'action publique ».
Une réflexion a déjà été conduite au sein du Conseil stratégique de la recherche par un groupe de travail piloté par Mme Marion Guillou, et des indicateurs des trois niveaux d'impact sont déjà en cours d'élaboration, avec le concours de certains membres de l'Académie des technologies et d'experts de la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), de l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), de l'Institut pour la recherche et l'innovation dans la société (IFRIS), et de l'Association nationale pour la recherche et la technologie (ANRT).
Nous souhaitons ainsi, cinquièmement, que des moyens spécifiques soient dédiés à ces efforts de mesure d'impact, car il est essentiel de disposer d'un retour d'information pour piloter les révisions quinquennales de la stratégie nationale de recherche.
S'agissant de la prochaine stratégie nationale de recherche, nous considérons, sixièmement, qu'il faut qu'elle soit élaborée sur la base d'une consultation plus ouverte à la communauté universitaire et scientifique, aux partenaires sociaux et économiques, aux collectivités territoriales, en particulier aux régions, ainsi qu'au monde associatif et à la société civile.
Enfin, l'existence d'un cadre programmatique, validé au plus haut niveau de l'État, a l'avantage de permettre à toute la communauté de recherche de disposer d'un référentiel commun permettant à chaque équipe de recherche de se situer par rapport aux objectifs définis par la collectivité nationale. C'est un élément de valorisation de la recherche.
Il est donc très important, septièmement, de profiter de la publication du Livre blanc de l'Enseignement supérieur et de la recherche, qui est un excellent document didactique, pour faire mieux connaître dans la communauté scientifique les objectifs de la stratégie nationale de recherche.
La stratégie nationale de recherche identifie, d'une part, dix « défis sociétaux » déclinés, chacun, en orientations de recherche, et d'autre part, quatorze « programmes d'action », dont cinq considérés comme prioritaires, correspondant à la fois à une « urgence particulière » et à un besoin de mobilisation pluridisciplinaire. La demande de la loi du 22 juillet 2013 d'élaborer une stratégie qui « vise à répondre aux défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux » se trouve manifestement satisfaite.
L'importance des dix « défis » identifiés apparaît ainsi peu contestable, même si certains d'entre eux auraient dû, à notre avis, être groupés pour éviter la critique souvent entendue indiquant que les priorités n'avaient pas été suffisamment ciblées. S'agissant des « programmes d'action », on ne peut que se féliciter du pragmatisme qui a conduit à leur création à partir du constat de la transversalité de certains domaines de recherche.
Cependant certains secteurs n'ont pas été considérés à hauteur de leur importance. En tant que discipline transversale, nécessitant une mobilisation d'urgence et une gestion dans un cadre pluridisciplinaire, les biotechnologies méritent d'être rendues visibles au niveau des programmes d'action prioritaire. Par ailleurs, la science des matériaux, qu'elle relève de la chimie, de la physique ou de l'ingénierie, apparaît de manière éparse dans la déclinaison explicative de plusieurs défis ou programmes d'action. Ainsi, l'analyse du contenu de la stratégie conduit, selon nous, à recommander l'ajout de deux programmes d'action prioritaires relatifs, d'une part, aux biotechnologies, à travers une référence plus large à la convergence NBIC, « nano-bio-info-cogno » et, d'autre part, à la science des matériaux.
Mais, même si l'on valide la pertinence des défis et des programmes d'action, il reste qu'il faut s'interroger sur l'environnement de l'enseignement supérieur et de la recherche qui conditionne la mise en oeuvre de cette stratégie. A quoi, en effet, servirait-il de définir des priorités si l'on ne se préoccupe pas de l'environnement de la recherche ?
Si l'on se réfère au dictionnaire de la langue française informatisé, le mot « stratégie » correspond à la définition suivante : « Ensemble d'actions coordonnées, d'opérations habiles, de manoeuvres en vue d'atteindre un but précis », ou encore, dans le champ économique, « Ensemble des choix d'objectifs et de moyens qui orientent à moyen et long terme les activités d'une organisation, d'un groupe ».
Telle qu'elle a été formulée originellement, dans le cadre des Assises, puis par mon rapport au Premier ministre de janvier 2015, où j'avais évoqué un « agenda stratégique », la stratégie nationale devait avoir une couverture plus large que l'établissement de la liste des thèmes prioritaires de recherche. Nous avons ainsi identifié au moins six freins à la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche. Cela concerne :
- l'équilibre mal ajusté entre financement récurrent et financement sur projets, qui conduit à faire dépendre une part de la recherche fondamentale d'appels à projets successifs ;
- le statut des femmes et des hommes de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui se caractérise par une attractivité insuffisante des carrières et le maintien dans la précarité d'un certain nombre de jeunes chercheurs, qui sont piégés sur des contrats à durée déterminée successifs ;
- la faiblesse persistante de notre système de soutien à l'innovation, qui ne permet pas à suffisamment de projets d'éclore sur notre territoire pour y créer des emplois ;
- la rigidité encore trop grande de notre système de formation, par insuffisance des passerelles permettant aux jeunes de trouver leur voie ;
- la difficulté à constituer des pôles universitaires forts dans le cadre de fusions, d'associations ou de regroupements dans des COMUE, du fait d'un déficit de management permettant d'aller vers plus d'intégration tout en respectant les identités et les caractères des établissements membres ;
- le manque de reconnaissance sociale des docteurs dans notre pays, résultant notamment de la résistance des administrations publiques à leur accorder une voie de recrutement et de valorisation comme cadres de catégorie A.
Quatre de ces freins sont l'effet d'une pénurie financière qui s'est aggravée. C'est pourquoi nous considérons indispensable qu'une loi de programmation de l'enseignement supérieur et de la recherche fixe les perspectives de développement à cinq ans et les moyens qui y seront consacrés, à hauteur de 1,2 à 1,5 milliard supplémentaire par an jusqu'en 2022. Cette programmation budgétaire doit notamment permettre la sanctuarisation du financement de la recherche fondamentale, la revalorisation des carrières des personnels, chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et agents des bibliothèques, ainsi que celles des administratifs, des techniciens de services et de santé. Elle doit financer un dispositif spécifique de résorption de la précarité.
L'effort que nous préconisons est supérieur à celui mentionné dans le récent Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche, car il inclut notamment un complément de financement affecté au soutien à la politique de site.
S'agissant justement de la politique de site, qui est indispensable pour maintenir le niveau de la recherche française, celle-ci passe par une plus forte implication de l'État dans l'accompagnement de la constitution des regroupements, associations ou fusions d'universités et d'établissements, en lien fort avec les régions. Les petites universités peuvent être très performantes en se spécialisant, comme me l'ont montré, à travers mes visites sur place, les exemples de La Rochelle dans le domaine de l'efficacité énergétique des bâtiments, ou de Mulhouse pour la science des matériaux.
L'université de Paris-Saclay, dont l'OPECST suit particulièrement l'évolution, doit bénéficier d'une nouvelle dynamique pour assurer le succès de sa candidature IDEX à la fin de 2017. Nous préconisons à cette fin la constitution d'un comité de candidature à la manière de ceux qui portent les candidatures de Paris aux Jeux olympiques ou à l'Exposition universelle, qui aurait pour rôle d'accélérer et améliorer le dossier et de coordonner les multiples dispositifs, de jouer l'interface entre le Gouvernement, les collectivités territoriales et les acteurs. Il faut que l'université Paris-Saclay, et elle seule, ait la faculté de délivrer des doctorats, y compris pour les nouvelles Ecoles universitaires de recherche créées dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA3), et que la démocratie s'y exerce par une consultation de toutes les composantes sociales, économiques et des collectivités territoriales.
S'agissant des besoins d'adaptation de l'enseignement supérieur pour la bonne mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche, nous attirons l'attention sur le besoin de disposer des ressources humaines suffisantes, dans la recherche publique comme dans la recherche privée, qu'il s'agisse des scientifiques, des ingénieurs ou des techniciens qui les assistent, en nombre et en performance. Rien que dans le domaine du numérique, la Commission européenne indique que 900 000 emplois risquent de rester vacants en Europe d'ici 2020.
L'adaptation à ce besoin de travail qualifié passe par une féminisation des étudiants dans les disciplines scientifiques, par la constitution au lycée d'une filière permettant réellement d'acquérir des bases scientifiques, puisque la terminale S ne remplit plus cette fonction, par le renforcement et la meilleure coordination des services d'accueil des étudiants étrangers, par une sensibilisation de la population à la culture scientifique, technique et industrielle, dès l'école. Mme Dominique Gillot, en tant que présidente du CNCSTI (Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle), va bientôt rendre un Livre blanc permettant de faire le point de la situation dans ce domaine.
A cette même fin, nous appelons les établissements d'enseignement supérieur à davantage adapter leur offre de formation à destination de publics professionnels en formation tout au long de la vie.
S'agissant des faiblesses récurrentes du soutien à l'innovation, l'OPECST suit attentivement les conditions de l'innovation dans notre pays, en particulier depuis l'étude de Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut publiée en janvier 2012 relative à « L'innovation face aux peurs et aux risques ». En juin 2014, l'OPECST a organisé une audition publique sur « Le principe d'innovation » concernant la mise en application du principe constitutionnel de précaution dans les cas où un processus d'innovation est en jeu, et les membres de l'OPECST ont fait plusieurs tentatives pour introduire ce principe dans la loi, obtenant des votes favorables contrecarrés en fin de processus législatif (loi « Macron » et loi « Sapin II »).
Nous souhaitons que le Gouvernement encourage les grandes entreprises, en contrepartie de l'ensemble des aides publiques dont elles bénéficient à travers le crédit d'impôt recherche et les autres dispositifs, à jouer auprès des PME innovantes de leur filière un rôle de co-investisseur en capital confortant les aides de la Bpifrance et des autres acteurs financiers, afin qu'elles puissent atteindre leur taille critique.
Nous invitons le Gouvernement à soutenir tout programme européen en faveur des entreprises en décollage industriel fonctionnant sur le modèle du Commissariat général à l'investissement, comme celui des « Stratégies de spécialisation intelligentes » prenant appui sur les Fonds européens de développement régional (FEDER).
Nous encourageons aussi le Gouvernement à négocier avec nos partenaires européens la création de dispositifs nationaux de type « Small Business Act » pour dépasser l'interdiction actuelle due aux directives européennes en matière de libre échange et de concurrence. Il s'agit de réserver une part des marchés publics aux entreprises innovantes.
Nous souhaitons qu'une partie de l'enveloppe du PIA3 soit dédiée aux régions pour des co-investissements en soutien à l'innovation dans les PME-PMI.
S'agissant de la reconnaissance de la place des docteurs, nous ne soutenons pas l'objectif de former vingt mille docteurs par an, tant que le dispositif d'insertion professionnelle des docteurs ne se sera pas amélioré.
Le diplôme de doctorat doit d'abord être reconnu par les conventions collectives signées avec les branches professionnelles, et pas seulement par celles couvrant la chimie. Dans la fonction publique, les mesures concernant l'emploi des docteurs prévues par la loi du 22 juillet 2013 ne sont pas respectées, en dépit d'un avis du Conseil d'Etat qui a confirmé la possibilité d'aménager des processus pour leur intégration. Parmi les corps et cadres d'emploi d'accueil potentiels, il existe néanmoins quelques rares bons élèves, dont le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, auquel l'OPECST a rendu visite le 26 novembre 2016.
Mais les corps des Mines, des Ponts, et de l'Armement en sont restés à des recrutements homéopathiques. La Cour des comptes, le Conseil d'État et l'Inspection des finances ont carrément opposé une fin de non-recevoir, alors qu'ils recrutent des docteurs contractuels pour assurer les missions qui leur sont confiées.
Un exemple récent illustre la mise à l'écart du doctorat : celui du décret du 26 février 2016 fixant les conditions d'accès et les modalités d'organisation des concours pour le recrutement des ingénieurs territoriaux. Ce décret prévoit un concours pour les seuls titulaires d'un diplôme d'ingénieur ou d'un diplôme d'architecte, mais ne mentionne pas le diplôme du doctorat.
Ainsi, malgré la forte implication du secrétaire d'État Thierry Mandon, les réticences font que, quatre ans après le vote de la loi, pratiquement rien n'a changé en ce qui concerne la reconnaissance de la place des docteurs, certaines administrations jouant manifestement la politique de l'édredon.
Voici donc, rapidement énoncés, quelques points essentiels de notre rapport. Il comporte une analyse des axes identifiés par la stratégie nationale de recherche, mais fait plus largement le point sur tout le dispositif de mise en oeuvre de la politique de la recherche, tel qu'il devrait fonctionner en application de la loi.
Je voudrais ajouter à cette présentation quelques chiffres fournis par le ministère de la recherche qu'il est utile que nous gardions en tête : six chercheurs sur dix travaillent dans les entreprises privées ; la recherche en entreprise représentait, en 2015, 31,1 milliards d'euros, contre 16,8 milliards d'euros pour la recherche publique, soit 64,9 % du total. Or, notre évaluation concerne la recherche publique, et non la recherche privée.
Elle concerne aussi la recherche privée dans la mesure où elle prend en compte les subventions aux entreprises via, notamment, le crédit impôt recherche ou les contrats CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche).
Je tenais simplement à rappeler qu'une partie importante de la recherche s'effectue au sein des entreprises.
De la même façon, l'adaptation de l'enseignement supérieur ne concerne pas seulement le secteur public, mais aussi le secteur privé. La dimension interministérielle de la stratégie me paraît, de ce point de vue, essentielle. C'est la raison pour laquelle j'approuve l'idée d'un Conseil stratégique de la recherche plus restreint, plus représentatif et plus proche du ministre en charge de la recherche et du Premier ministre. Enfin, il faudra prévoir l'évolution de la stratégie, car les sciences évoluent elles-mêmes très vite. Le cas de l'intelligence artificielle est emblématique à cet égard : c'était un domaine quasiment ignoré il y a trois ans, qui occupe maintenant le devant de la scène.
Je propose de retenir cette nécessité du caractère plus représentatif du Conseil stratégique de la recherche, et de modifier en conséquence notre huitième recommandation. Quant à l'idée d'une révision régulière de la stratégie nationale de recherche, elle est déjà prévue tous les cinq ans, et l'OPECST est chargé de la préparer par ses évaluations biennales.
Concernant l'enseignement de la science dans les lycées, la filière SI (Sciences de l'ingénieur) est fondée sur l'apprentissage de la science par la méthode scientifique, c'est-à-dire, notamment, par la manipulation et le bricolage. J'en ai découvert l'existence récemment au cours d'une visite, et cela fonctionne apparemment très bien, notamment pour sensibiliser les jeunes filles à l'intérêt des activités scientifiques.
Comment explique-t-on que les femmes ne soient pas plus motivées, en général, par les sciences ?
C'est affaire de culture. Moi-même, pourtant avertie et même militante sur ce sujet, je me surprends à avoir le réflexe de me retourner plutôt vers mes petits-fils que vers mes petites-filles lorsque je propose une activité de travaux pratiques un peu technique, comme le démontage de vieux transistors.
Quand on parle de recherche, on parle fondamentalement d'inconnu et d'avenir. Aussi, vaudrait-il mieux que les responsables de la recherche n'aient pas l'impression de pouvoir tout prédire à l'avance. La France subit déjà les conséquences d'une stratégie conçue en dépit du bon sens dans le domaine de l'industrie, dont les responsables ont jugé bon, dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, de nous dessaisir à bas prix de toutes nos ressources minières, ainsi que de nos groupes métallurgiques de l'aluminium ou de l'acier. Nous avons ainsi revendu des mines dont nous étions propriétaires en Amérique latine, en Asie, en Afrique ; ce mouvement, certes, n'a pas concerné les mines d'uranium, mais il a englobé l'exploitation des terres rares. La haute administration, celle des cadres « A plus », expliquait à l'époque que l'industrie minière appartenait au passé, que les temps étaient à la « nouvelle économie » dématérialisée, qui est devenue bientôt l'économie de l'Internet, avant de se transformer aujourd'hui en « uberisation » proliférante. On s'est tellement projeté vingt ans plus tard qu'on en a perdu contact avec la réalité, et avec la vraie nature des besoins futurs. On voyait les mines comme une ressource facilement substituable, semblable au pétrole. Or, toute l'industrie des semi-conducteurs, abandonnée également par la France, s'appuie sur une industrie minière performante. Entretemps, la science et, en particulier, la physique fondamentale, a progressé, mettant à jour des possibilités technologiques, notamment dans les nouveaux matériaux, qui vont rendre stratégique la maîtrise des filières métallurgiques.
Il faudrait rappeler quelque part que la science, ça ne se décrète pas. L'invention, ça ne se décrète pas.
En tant que géologue, j'ai été particulièrement affectée par l'abandon des mines. Mais le fait qu'on ait laissé ensuite s'installer des micro-barrages dans les endroits où il y avait des mines, provoquant une pollution des zones inondées, certains jardins à proximité devenant inutilisables, montre qu'il n'y a eu aucune gestion des impacts, car cela n'était pas dans l'air du temps. Or les scientifiques ne sont jamais dans l'air du temps ; ils sont soit en retard, pour les plus les mauvais, soit en avance, pour les meilleurs d'entre eux.
Il est évident que la recherche fondamentale ne se décrète pas. Mais la stratégie nationale reflète l'appréciation du plus grand nombre sur l'avenir de la recherche.
En fait, on a décrété, voici une vingtaine d'années, qu'il fallait distinguer la recherche fondamentale de la recherche appliquée, parce que cela permettait de légitimer l'existence d'organismes de recherche appliquée. Mais, pour ma part, je pense qu'il n'y a qu'une seule recherche, bonne ou mauvaise. Par ailleurs, il existe des applications de la recherche, et cette distinction entre recherche et applications est d'une toute autre nature, car elle refuse la séparation entre, d'un côté, les « professeurs Tournesol » perdus dans leurs nuages, et de l'autre, les chercheurs qui créeraient de la valeur. Cette séparation malencontreuse cloisonne les personnes tout au long des quarante ans de leur carrière, et leur interdit d'être inventives car elles se retrouvent cantonnées soit à une recherche pure, soit à une ingénierie d'application. Au contraire, la distinction entre recherche et applications encourage l'inventivité.
Le rapport intégrera ces précisions. S'il n'y a pas d'autres remarques, je propose que nous passions au vote sur l'autorisation de publier ce rapport. Je constate qu'il y a unanimité. Merci pour votre confiance.
Il nous reste à entendre la communication de Mme Anne-Yvonne Le Dain sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie ».
Je rappelle que, lorsque nous avons nommé Anne-Yvonne Le Dain comme rapporteur pour cette évaluation, le 28 juin 2016, la stratégie de recherche en énergie n'était pas encore disponible. Il était donc prévu qu'elle présenterait son travail d'analyse des projets de l'administration en charge de l'énergie, travail d'analyse qui ne pouvait pas être une évaluation proprement dite, sous la forme d'une simple communication. La situation était encore celle-ci lors de notre dernière réunion du 13 décembre 2016.
Mais, depuis, la stratégie nationale de recherche en énergie a été publiée en tout début d'année 2017 et nous sommes donc maintenant dans une situation permettant de considérer qu'une évaluation peut être effectuée. C'est pourquoi je propose que nous nous placions dans le cas de l'examen d'un rapport de l'OPECST.
Je constate qu'il n'y a pas d'objection, et je donne donc la parole à Anne-Yvonne Le Dain pour la présentation de son rapport.
Avant d'en venir au volet énergie de la stratégie, je voudrais féliciter Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido pour la qualité de leur rapport, dont je partage pleinement les conclusions et recommandations. Elles rejoignent d'ailleurs assez largement les préoccupations exprimées par les interlocuteurs que j'ai pu rencontrer au cours de mon étude, sur une durée extrêmement courte, puisque le document à évaluer a été mis en ligne seulement en début d'année.
Je souhaiterais y ajouter une ultime recommandation, de portée très générale, qui me tient à coeur : Il faut laisser aux chercheurs la liberté d'explorer et, parfois, d'échouer, car il ne peut y avoir d'injonction à inventer ou à trouver. Il faut fluidifier la recherche et donner à l'intelligence des scientifiques l'opportunité de s'exprimer, sans téléguider en permanence ce sur quoi ils doivent travailler.
Le processus créatif ne se limite pas à une recombinaison, cumulative et interactive, de connaissances existantes. Bien entendu, certaines découvertes sont de nature incrémentale et résultent du perfectionnement de concepts ou de technologies qui existaient déjà, ou de l'approfondissement de voies de recherche consolidées auparavant, un moment abandonnées et reprises plus tard. Mais les plus décisives impliquent d'explorer de nouvelles approches scientifiques plus incertaines, voire hasardeuses. J'utilise ce mot à dessin car parfois les idées sont le fruit du hasard. Il ne faut jamais oublier que la recherche n'est pas déterministe.
Les découvertes de rupture nécessitent, bien sûr, avant tout, de la chance et du génie. Les images d'Archimède dans sa baignoire ou de Newton sous son pommier viennent tout naturellement à l'esprit. Mais la chance et le génie ne suffisent pas, si le chercheur n'a pas cette liberté d'explorer. Bien sûr, dans les laboratoires, grands ou petits, des contraintes existent, par exemple d'accès à des matériels toujours plus puissants et performants. Néanmoins, les chercheurs doivent pouvoir conserver une part d'inventivité et de liberté.
Aussi, faut-il privilégier les financements à long terme, qui conduisent à sélectionner les meilleurs chercheurs, au travers de l'évaluation par les pairs, plutôt que de travailler uniquement, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, dans une logique de projet, avec des finalités prédéterminées. Il faut leur donner la possibilité d'adopter, le cas échéant, de nouvelles approches, lorsque celles initialement choisies s'avèrent infructueuses. Il faut, enfin, une hiérarchie capable de les accompagner, en assurant un suivi de qualité de leurs recherches, ainsi qu'un soutien intellectuel, quasiment moral, et financier de leur inventivité.
Un dernier point d'ordre général que je voudrais aborder concerne la distinction qu'il y aurait entre recherche fondamentale et appliquée. Elle me semble non seulement artificielle, mais dommageable pour le développement de la science, et même pour l'impact de la science sur notre propre économie, car l'histoire comporte de multiples exemples de recherches dirigées vers un objectif déterminé qui ont conduit à des découvertes théoriques majeures, l'inverse étant tout aussi vrai.
Il me semble important, pour libérer de nouvelles voies de progrès, que nos organismes de recherche, nos écoles et nos universités transcendent cette dichotomie entre science fondamentale et science appliquée qui s'est progressivement installée dans le vocabulaire courant. Il n'y a que de la bonne recherche et de la mauvaise recherche, ainsi que des applications de la recherche. C'est particulièrement vrai pour cet enjeu majeur qu'est la lutte contre le changement climatique.
J'en reviens donc à la Stratégie nationale de recherche en énergie (SNRE) qui est corrélée à ce dernier sujet. Pourquoi adjoindre à la Stratégie nationale de recherche un volet consacré à l'énergie ? Au moins trois raisons le justifient.
En premier lieu, la France s'est engagée en 2015, avec les autres pays signataires de l'accord de Paris, dans une course de vitesse contre le changement climatique. Celle-ci nous impose de modifier profondément, et dans un temps très court, notre façon de produire et de consommer l'énergie. C'est pourquoi, dans le cadre de la Mission innovation, avec vingt-et-un autres pays et l'Union européenne, la France a décidé de multiplier par deux, sur la période 2015-2020 – nous y sommes – le montant des investissements publics dans la recherche et le développement pour les énergies durables. Cet engagement budgétaire reste d'ailleurs à concrétiser en France, alors qu'il a déjà pris effet dans d'autres pays, notamment aux États-Unis.
En deuxième lieu, l'énergie est au coeur de toute activité économique. Sans elle, il serait impossible de labourer les champs, de construire des bâtiments, de faire tourner des usines, de transporter les marchandises, d'éclairer les rues, de chauffer les habitations et les entreprises etc. C'est le monde réel et concret. Sans l'énergie, nous serions démunis de tout le confort moderne. Lorsqu'elle vient à manquer, c'est tout un pays qui s'arrête de produire et quand son prix devient excessif, les plus fragiles parmi les populations et les entreprises souffrent en premier.
Dans le passé, la France a pris en compte cet enjeu de l'indépendance énergétique et de la puissance, en se dotant d'une industrie du pétrole, puis d'une industrie nucléaire, également fortes. Cet effort d'indépendance doit être poursuivi, mais pas seulement dans le domaine de la production de l'énergie. Il y a d'autres éléments à considérer : la façon dont l'énergie est consommée, distribuée, facturée, et dont ses différents schémas s'insèrent dans l'économie européenne et mondiale. Beaucoup a été fait : par exemple les réseaux sont interconnectés en Europe. C'est d'ailleurs l'un des seuls continents où ces interconnexions sont efficaces.
En troisième lieu, malgré les récentes difficultés, le secteur de l'énergie reste l'un des derniers, sans doute avec l'aéronautique, l'armement et l'agro-alimentaire, dans lesquels la France apparaît comme une nation industrielle puissante au plan international. Cette position repose, en bonne part, sur la capacité de nos chercheurs et de nos ingénieurs à innover. La concurrence internationale dans ce secteur se renforce, avec l'arrivée de nouveaux concurrents, notamment la Chine et l'Inde, cette dernière étant trop souvent oubliée. Plus que jamais, la recherche apparaît comme une condition nécessaire au maintien de nos industries et de nos emplois dans l'énergie, sur le territoire national ou à l'export, au bénéfice d'entreprises nationales.
Il est donc incontestable que le législateur a su se montrer clairvoyant, en ajoutant à la Stratégie nationale de recherche, au travers de la loi pour la transition énergétique, un volet énergie.
Je voudrais souligner que la France a un immense avantage, c'est que son territoire s'étend sur tous les continents, toutes les latitudes et toutes les températures. Nous avons donc matière à fabriquer et à explorer toutes les formes d'énergie, pas seulement le pétrole et le nucléaire.
Mais nous n'avons pas, dans notre pays, contrairement à nos voisins d'Outre-Rhin, une vision partagée de l'avenir du système énergétique du pays, ce qui ne permet ni d'emporter l'adhésion des Français – alors que les Allemands acceptent sans protester de payer leur électricité au double du prix de leurs voisins pour subventionner les énergies renouvelables ni de donner une direction claire à la recherche en énergie.
Il me semble pourtant qu'une grande majorité de nos concitoyens s'accorderaient sur l'idée simple que, face au péril climatique, la priorité est bien de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, émetteurs de gaz carbonique, soit en diminuant notre consommation, soit en y substituant une énergie décarbonée, tout en préservant l'accessibilité de l'énergie à un prix raisonnable – la péréquation tarifaire est une particularité française et une force, garantissant la sécurité d'approvisionnement sur tout le territoire.
Nos concitoyens, nos administrations, nos entreprises et les élus partageraient ainsi une vision d'un système énergétique équilibré, comportant, d'un côté, des énergies renouvelables décentralisées (éolien, solaire, bois…), destinées à satisfaire des besoins locaux, et, de l'autre, des centrales puissantes et pilotables, nécessaires à la sécurité d'approvisionnement des usines et des bureaux, ainsi que du réseau, avec entre ces deux pôles, la gestion intelligente des réseaux et de l'effacement de la priorité de consommation, ainsi que des moyens de stockage, notamment le système hydraulique avec les barrages et les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qu'il convient de développer.
Faute d'une telle vision, la loi demande à la Stratégie nationale de recherche en énergie d'intégrer, à la fois, onze objectifs de recherche, les objectifs généraux de politique énergétique, les orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), ainsi que les cinq orientations stratégiques « pour une énergie propre sûre et efficace » proposées dans le deuxième défi de la Stratégie nationale de recherche.
Les auteurs de la SNRE ont ainsi été placés dans la situation délicate de devoir prendre en compte une multiplicité d'objectifs et d'orientations, sans possibilité d'établir entre eux, ni un ordre de priorité, ni une certaine forme de lisibilité.
C'est dommage, car contrairement à la précédente stratégie de 2007, la nouvelle SNRE est effectivement le fruit d'un travail collectif, associant les deux ministères de la recherche et de l'environnement, mais aussi ceux de l'agriculture et de l'industrie, les alliances de recherche – au premier chef l'ANCRE pour l'énergie, les organismes publics de recherche, notamment le CEA et le CNRS, des entreprises, et d'autres organisations (fédérations professionnelles, organisations syndicales, associations, collectivités territoriales et élus).
Il s'agit d'un progrès significatif, même s'il faudra, à l'avenir, donner une place plus importante dans le pilotage de la SNRE et sa mise en oeuvre, d'une part, aux scientifiques eux-mêmes et, d'autre part, au monde de l'entreprise, y compris les PME-PMI et ETI. À cet égard, la création d'une commission nationale chargée d'évaluer l'avancement des recherches en énergie, proposée dans le cadre de l'évaluation de la précédente stratégie, apparaît toujours aussi pertinente.
Je tiens, nonobstant ces ajustements souhaitables, à saluer cette démarche collective, ainsi que le travail très important qui a été réalisé par l'ensemble des participants. Le document d'une cinquantaine de pages qu'ils ont produit constitue, en effet, une base de travail solide.
Il explicite convenablement le contexte et les nombreuses contraintes à respecter. Il identifie quatre orientations stratégiques pertinentes, centrées sur les technologies, l'organisation de la recherche et de l'innovation, le développement des connaissances et des compétences, et, enfin, la gouvernance de la stratégie elle-même. Il recense de façon assez complète les différentes voies de recherche ainsi que les verrous scientifiques et technologiques à lever, en omettant, inévitablement, parfois de manière inopinée, parfois de manière déterminée, certaines pistes, par exemple les recherches sur les transmissions à longue distance et le courant continu ou sur l'organisation des marchés. Il insiste sur la nécessité de la multidisciplinarité qui devient quelque chose de banal. Il propose, enfin, quinze actions stratégiques pertinentes.
Pour autant, il ne répond pas, faute d'avoir identifié au préalable des priorités, à ce qui est attendu d'une véritable stratégie de recherche.
Tout comme pour la présente évaluation, le travail engagé doit donc être poursuivi, afin de concrétiser la mise en oeuvre des actions structurantes identifiées, de définir – comme le proposait déjà l'OPECST dans son rapport de 2009 – des filières nationales compétitives au plan international en établissant, peut-être, une échelle de priorités, basée sur des critères économiques et scientifiques, et des feuilles de route portant notamment sur les verrous à lever, et, enfin, d'identifier et de lever à l'avance les freins d'ordre réglementaire au déploiement des innovations dans le domaine de l'énergie, par exemple dans le domaine de la performance énergétique des bâtiments. Mais cela ne veut pas dire que les chercheurs doivent aller jusqu'au produit quasi fini.
En conclusion, j'estime que l'OPECST doit lui aussi s'engager à prolonger, dans le courant de la prochaine législature, cette évaluation réalisée quelques semaines après la publication de la SNRE, par une seconde étude destinée à mesurer, conformément à la loi, les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle stratégie, ainsi que la prise en compte des présentes recommandations.
Il y a cinquante ans, la France a fait des choix, en abandonnant certaines pistes, comme celle de l'hydrogène et de la pile à combustible, qui sont reprises aujourd'hui. Il nous faut à nouveau, aujourd'hui, faire des choix, avec subtilité et intelligence, et avoir de l'ambition.
L'évocation du soutien aux énergies renouvelables en Allemagne m'a fait penser à la façon dont le prix de l'eau est calculé chez nous, en intégrant le coût du traitement des eaux usées. Un système équivalent pourrait peut-être être mis en place de façon institutionnelle pour ces énergies.
Concernant la gestion intelligente de la consommation d'énergie, des algorithmes permettent aujourd'hui de la réaliser très finement. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) le mettent en place pour leurs centres de données – datacenter, en anglais. Ils les installent dans des lieux ou la récupération d'énergie est possible et contrôlent ainsi leur consommation d'énergie, l'objectif étant d'atteindre une consommation zéro en 2020.
C'est effectivement cela qu'il faut développer. Des sociétés françaises le font également aujourd'hui.
Je sais que certains de nos chercheurs travaillent déjà sur ces sujets, mais il faudrait donner l'impulsion politique qui permettra de ne pas être distancés, d'autant que cette technologie peut être utilisée chez les particuliers. Celle-ci pourrait éviter à la Secrétaire d'Etat à l'écologie d'avoir à subir les railleries des sénateurs, comme c'est arrivé à l'occasion d'une réponse à une question sur la pointe de consommation, dans laquelle, tout en se voulant rassurante, elle indiquait que chacun pouvait faire preuve de responsabilité, en évitant de mettre en route ses appareils ménagers à l'heure où tout le monde fait appel à l'électricité.
Je partage totalement cet avis, d'autant que les outils technologiques et les entreprises capables de les mettre en oeuvre existent. J'ai évoqué la question de l'effacement. Lors du débat sur la loi relative à la transition énergétique, j'ai essayé d'introduire des amendements pour optimiser l'effacement et permettre à de nouvelles entreprises d'accéder aux données individuelles de consommation anonymisées. Les amendements ont été rejetés, parce que cet accès est réservé aux grands groupes industriels.
Pour revenir à l'incident en séance publique au Sénat évoqué par Mme Dominique Gillot, ce que la secrétaire d'État à l'écologie a oublié de dire, c'est que, pour la première fois en 2016, la France a été importatrice net d'électricité. Cela aurait pu être grave car si, comme deux députés allemands me l'ont indiqué dernièrement, nos voisins arrêtent leurs centrales au charbon et au lignite, leur système deviendra très fragile. Actuellement, nous bénéficions du surplus de puissance de ces centrales. Ce ne sera plus possible demain. L'Autorité de sûreté nucléaire doit prendre cet aspect en compte dans ses décisions.
Le deuxième point que je voulais évoquer concerne un rapport sur la gestion de la pointe de consommation électrique, que j'ai publié en 2009, en tant que président d'une mission commune d'information, à la demande de la commission des affaires économiques du Sénat. Dans ce rapport, qui m'a passionné, nous concluions à la nécessité de réfléchir à une autorité européenne de régulation de l'électricité et de multiplier les interconnexions. Je crois qu'avec la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, c'est devenu encore plus nécessaire.
Après les prochaines élections, je pense qu'il faudrait que l'Office demande à une commission de l'Assemblée ou du Sénat d'actualiser ce rapport, à l'aune des lois votées. Comme je le disais à l'occasion de l'audition de M. Jean-François Carenco, nouveau président de la Commission de régulation de l'énergie, ce que nos concitoyens attendent, avant même le coût de l'électricité, c'est la sécurité d'approvisionnement. Beaucoup de choses restent à faire sur le plan scientifique pour assurer cette dernière, notamment sur la gestion de la pointe.
Le principal intérêt du compteur Linky n'est pas de supprimer les emplois de ceux qui relèvent les compteurs mais de permettre la gestion de la pointe, en arrêtant automatiquement les chauffe-eaux et autres appareils ménagers. Sinon, cette pointe de consommation réclame des centrales à gaz coûteuses, fonctionnant seulement cinq-cents heures par an, donc non rentables. La recherche doit donc également porter sur la gestion de la pointe et l'équilibrage des réseaux entre l'est et l'ouest de l'Europe.
Il s'agit effectivement de la question de l'effacement, pour laquelle je me suis heurtée à un mur, certains prétendant qu'elle est réglée, alors même qu'un énorme travail reste à faire, notamment sur l'accès aux données, les modalités de leur captation et de leur traitement – sujets relevant du droit et de l'organisation du marché. Ce pourrait être une question de recherche en économie. Sur le plan technique, le pilotage des réseaux peut se faire à la nanoseconde, tout comme celui de l'effacement, pas seulement dans les entreprises mais aussi dans les foyers. Cet axe n'est pas suffisamment mis en valeur dans la stratégie nationale de recherche en énergie.
Je voudrais apporter deux compléments, ainsi que des propositions de rajouts dans les recommandations. Tout d'abord, une stratégie est un ensemble de choix d'objectifs et de moyens qui orientent, à moyen et long terme, l'ensemble des activités d'une organisation. Si on veut faire une stratégie de recherche en énergie, c'est pour être capable de répondre à nos besoins pendant trente ans.
Un certain nombre de scénarios ont été élaborés, dont le scénario à 100 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2050, publié par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, qui a été contesté par plusieurs spécialistes lors de l'audition publique du 9 février 2017. Pour orienter la recherche sur des voies permettant de répondre à nos objectifs, il convient d'abord de déterminer quel est le scénario le plus probable : énergies renouvelables seules, ou avec en complément des énergies nucléaire ou fossiles ? L'énergie hydraulique fait également partie des énergies renouvelables, mais on n'augmentera pas énormément sa production, même en faisant des investissements.
La première question que la Stratégie nationale de recherche en énergie doit régler, est celle de la façon dont la baisse de la production nucléaire, au moment où les centrales actuelles vont commencer à fermer les unes après les autres, pourra être compensée, tout en maintenant l'équilibre avec les énergies intermittentes. Existera-t-il d'autres solutions que les énergies fossiles ? En termes de recherches, devons-nous travailler sur des projets de réacteurs de quatrième génération, comme ASTRID. Est-ce que le projet ITER (en anglais : International Thermonuclear Experimental Reactor, en français : réacteur thermonucléaire expérimental international) pourra apporter une solution énergétique ?
La position de M. Sébastien Balibar, directeur de recherches au CNRS, qui a déclaré, lors de l'audition publique du 9 février 2017, que la fusion nucléaire ne marcherait jamais, m'a choqué.
Est-ce que l'Office ne devrait pas proposer qu'un certain nombre de recherches soient poursuivies sur la filière nucléaire, notamment le réacteur ASTRID ? Cela doit apparaître en conclusion du rapport d'évaluation.
Il en va de même pour certaines des conclusions du rapport relatif à l'apport de l'évaluation scientifique et technologique à l'innovation et au changement climatique, adressé en novembre 2015 aux négociateurs de la COP21.
Il convient de réaffirmer que les problèmes énergétiques de demain et ceux de la lutte contre le réchauffement climatique ne pourront être résolus sans l'apport de l'innovation. Il faut donc soutenir les innovations dans ce domaine, par exemple sur l'effacement – cela a été très bien dit, sur le pilotage des réseaux et sur le stockage de l'énergie, qui sont des conditions du développement des énergies renouvelables. Aussi, toutes les recherches sur les matériaux permettant de stocker l'énergie doivent-elles être fortement soutenues. Je souhaiterais que cela soit précisé dans les recommandations.
Par ailleurs, les pressions sur l'usage des énergies fossiles vont se faire de plus en plus fortes, au niveau international. Les Allemands y sont déjà soumis, mais elles se généraliseront. Aussi, souhaiterais-je que cette recommandation soit reprise dans les conclusions : « Maintenir un éventail large de pistes de recherche pour les techniques visant à réduire les émissions de CO2, en vue d'explorer toutes les options technologiques possibles et ainsi augmenter la probabilité de faire émerger de nouvelles solutions », de même que la suivante, relative à la méthanation : « Développer les programmes publics de recherche destinés à l'exploration des techniques de conversion du CO2, comme la méthanation ou d'autres technologies de transformation du CO2. »
Je souhaiterais également que deux pistes de recherche soient bien précisées dans le domaine des transports, d'une part sur la filière hydrogène, qui a fait l'objet d'un rapport en 2013, et sur l'objectif de consommation des moteurs de 2L100kms, qui a fait l'objet de recommandations dans ce même rapport et dans celui sur les nouvelles mobilités : « Accorder une priorité au soutien à la recherche et l'innovation pour atteindre rapidement l'objectif du véhicule consommant moins de 2L100kms. »
Enfin, je souhaiterais que soit ajoutée l'une des recommandations du rapport sur la performance énergétique des bâtiments, qui constate qu'aujourd'hui la physique des bâtiments est une discipline subsidiaires de la physique, alors que la visite du Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement (LASIE), au sein de l'université de La Rochelle, a montré la grande qualité de ce qui peut être fait dans ce domaine, tout comme c'est le cas à l'INES, à Chambéry, et au CETII, à Lyon. Quelques lieux existent ainsi en France où l'on travaille sur ce sujet, mais il convient de donner une priorité à la physique des bâtiments pour améliorer l'efficacité énergétique dans ce secteur.
De façon plus générale, il serait souhaitable de reprendre certains éléments des précédents rapports de l'Office sur l'énergie, pour donner une cohérence aux travaux, en les citant dans le texte du rapport.
L'OPECST a alors adopté à l'unanimité ce rapport et ses propositions.
La séance est levée à 19 h 30