Comme vous l'avez souligné, madame la présidente, l'actualité européenne est marquée par plusieurs sujets importants.
S'agissant tout d'abord du Royaume-Uni, Mme May a transmis sa lettre de notification mercredi dernier, soit neuf mois après le vote par référendum des Britanniques et dans le délai que la Première ministre s'était fixé – c'est-à-dire avant le 31 mars dernier. Pendant ce temps, Mme May a cherché méthodiquement à définir une position britannique plus précise qu'il y a neuf mois : le Royaume-Uni a ainsi décidé de sortir du marché intérieur – ce qui est un choix considérable – en tirant les conséquences de la position unie des vingt-sept sur les contreparties au marché intérieur. La Première ministre a adopté dans sa lettre un ton constructif même s'il demeure des ambiguïtés, des points à clarifier et des sujets difficiles à négocier. Globalement, le Royaume-Uni n'a pas encore tiré toutes les conséquences de ce que seront son économie et sa société une fois qu'il sera sorti de l'Union européenne. Ces conséquences seront très lourdes.
Pendant cette période, les vingt-sept se sont eux-mêmes préparés, définissant en juin dernier des principes et, en décembre, les modalités d'organisation de la négociation : ils ont désigné Michel Barnier comme négociateur en chef, confié un rôle de suivi étroit au Conseil européen, le Parlement européen étant chargé in fine de ratifier l'accord négocié. Les vingt-sept ont aussi travaillé à l'élaboration de la position à tenir dans la négociation en vue des orientations qui devraient être adoptées par le Conseil européen le 29 avril prochain. Ces orientations, qui correspondent très largement à un travail que nous avons nous-mêmes conduit avec l'Allemagne, poseront des principes, une séquence et des priorités, s'il y a bien accord des vingt-sept.
Quels seront ces principes, du moins ceux que nous défendrons ? Le premier est que la négociation doit être bien organisée afin d'être maîtrisée par les vingt-sept et de ne pas absorber l'énergie de l'Union européenne. Deuxième principe : les Européens resteront unis, demanderont à la Commission européenne de négocier pour eux, s'abstiendront de mener des négociations bilatérales avec le Royaume-Uni sur les sujets relevant de la compétence européenne et défendront ensemble les intérêts des États membres et de l'Union. Troisième principe : la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a des conséquences qui ne doivent certes pas être punitives mais qui doivent néanmoins être claires : un État qui décide de sortir de l'Union européenne ne peut conserver à l'extérieur de celle-ci les avantages dont il bénéficiait à l'intérieur, sans s'acquitter des obligations qui pèsent sur les États membres. Cela signifie en particulier que le Royaume-Uni ne pourra plus contribuer à la prise de décision de l'Union, qu'il devra respecter les règles d'échange et de commerce et qu'il perdra le bénéfice des coopérations actuelles.
J'en viens à la séquence et aux priorités des négociations.
Michel Barnier a proposé que la négociation débute par les modalités du retrait du Royaume-Uni. Vous le savez, deux catégories de sujets seront discutées pendant les deux années à venir : d'une part, l'accord qui est prévu par l'article 50 du traité de Lisbonne et qui doit organiser les modalités institutionnelles, administratives, juridiques et budgétaires de la sortie du Royaume-Uni, d'autre part, le cadre de nos relations futures que l'on peut définir autant que possible mais qui ne pourra être conclu qu'une fois le Royaume-Uni sorti de l'Union.
Les vingt-sept devraient suivre la Commission et proposer qu'une première phase soit consacrée aux priorités en matière de retrait, destinées à garantir que les citoyens, les entreprises et les États membres eux-mêmes ne seront pas confrontés à des incertitudes juridiques ni lésés par la sortie du Royaume-Uni. Ce n'est qu'une fois que des progrès suffisants auront été constatés quant à ces priorités que le Conseil européen pourra, vers la fin de l'année, entamer les discussions sur les relations futures.
Certaines de ces priorités en matière de retrait sont mises en avant – à juste titre – à commencer par la situation des citoyens européens établis au Royaume-Uni – parmi lesquels 300 000 Français – et des citoyens britanniques installés dans les États membres – dont 200 000 en France – qui bénéficient actuellement de la citoyenneté européenne, d'une résidence permanente dès lors qu'ils sont installés depuis plus de cinq ans et de certains droits. Sans doute retiendra-t-on un principe de préservation de ces droits dans la durée mais cela soulève de redoutables questions juridiques et techniques qui devront être discutées avec le Royaume-Uni sur la base de deux principes : la réciprocité et la non-discrimination.
Le deuxième sujet qui fera l'objet de discussions difficiles est celui des obligations budgétaires dont le Royaume-Uni devra selon nous s'acquitter au moment de sa sortie, selon des modalités à déterminer. Ces obligations correspondent à tous les paiements liés aux engagements contractés avant la sortie, à tous les engagements juridiques auxquels le Royaume-Uni a souscrit dans le cadre financier actuel et à toutes les garanties qui, dans la durée, permettent d'assurer le plan Juncker et les pensions des fonctionnaires. La somme de ces engagements et paiements s'élevant à environ 60 milliards d'euros, selon le calcul de la Commission européenne, la négociation sera extrêmement difficile mais on espère pouvoir, avant la fin de l'année, en fixer la méthodologie.
Le troisième sujet est celui des frontières. La question est particulièrement sensible en ce qui concerne l'Irlande car il avait été convenu dans le cadre des accords de paix de 1998 qu'il y aurait libre circulation des personnes et des biens. Cette dernière ne sera plus possible dans les mêmes termes dès lors qu'il y aura entre l'Irlande et l'Irlande du Nord la frontière de l'Union européenne. Il faudra donc faire preuve d'imagination pour définir des modalités qui assurent le respect du droit européen, en particulier du code douanier pour les biens, et évitent les déstabilisations à cette frontière délicate, où l'on voit que les tensions ont repris.
J'en viens à nos relations futures. C'est là qu'il peut y avoir un écart sur la question de la durée. L'accord de retrait doit être conclu dans les deux ans puis approuvé par le Parlement européen et, enfin, faire l'objet d'un accord du Conseil à la majorité qualifiée. Selon Michel Barnier, cela signifie que la négociation devra être terminée avant la fin de l'année 2018 de manière à ce qu'il y ait suffisamment de temps, d'ici à mars 2019, pour assurer les procédures d'approbation. Ce qui durera beaucoup plus longtemps, c'est la discussion sur nos relations futures. Même si Mme May souhaite que tout soit conclu dans les deux ans, c'est matériellement impossible et juridiquement impraticable puisque la conclusion doit intervenir avec le Royaume-Uni en tant que pays tiers. Si le Conseil européen ouvre cette deuxième phase, il y aura discussion sur les objectifs – ou le « cadre », selon le terme retenu dans les traités – de cette relation future. Mme May propose un partenariat fondé sur l'économie, d'une part, et la sécurité, d'autre part, et comprenant en son coeur un accord de libre-échange très large. Il faudra que les vingt-sept en discutent, que nous déterminions notre intérêt à la fois quant au champ de cet accord – il n'est pas évident, par exemple, que, comme le demande Mme May, ce champ doive inclure les services financiers – et à ses conditions, par exemple quant à la manière de faire respecter un terrain de concurrence équitable, donc d'assurer une protection contre le dumping et les futures divergences réglementaires. Enfin, il nous faudra déterminer la manière dont devront être traités d'autres secteurs sensibles, aujourd'hui réglés par l'acquis européen et qui, en France, engagent des intérêts importants en matière de pêche, d'énergie et de climat, de recherche, d'espace, de nucléaire, de défense. Il faudra établir une cartographie de tous ces sujets et déterminer comment réorganiser des coopérations, bien évidemment avec un statut différent pour le Royaume-Uni, mais sans que cela n'entraîne des coûts et des risques inutiles, notamment en matière de lutte contre le terrorisme.
Dans ce contexte se posera, le moment venu, la question d'une période intérimaire entre la sortie du Royaume-Uni, qui devra faire l'objet de l'accord dans le délai précité, et ces relations futures, qui seront négociées pendant des années. Les Britanniques demandent que pendant cette période intérimaire de plusieurs années, l'acquis européen soit maintenu. Les vingt-sept devront en discuter car cela supposerait que soient acceptées par le Royaume-Uni l'ensemble des obligations consécutives à cet acquis – la libre circulation des personnes, les contributions budgétaires, la reconnaissance de la Cour de Justice – sans bien sûr que cet État participe aux décisions de l'Union européenne. Si Mme May n'accepte pas l'ensemble de ces contreparties, un autre statut sera retenu pendant cette période intérimaire et peut-être opterons-nous, en matière économique, pour un retour aux règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Pendant cette période de deux ans, les Européens doivent se préparer à vingt-sept – et le Royaume-Uni devra accepter que les vingt-sept puissent se réunir –, non seulement pour suivre la négociation mais surtout pour se doter d'instruments permettant d'assurer nos relations avec une économie importante, proche, intégrée et mobile. Aujourd'hui, les instruments commerciaux dont dispose l'Union européenne ne sont pas à la mesure de cet enjeu si les Britanniques cherchent à profiter d'avantages comparatifs sous forme de divergences réglementaires, donc à faire du dumping. Afin de lutter contre les subventions, les normes environnementales et sociales de production, les normes fiscales et les normes relatives à la propriété intellectuelle, à la protection des données et aux services financiers, bref contre tout ce qui serait contraire à la réglementation européenne, l'Union devra se doter d'instruments unilatéraux des vingt-sept permettant de protéger l'économie européenne. Les vingt-sept devront aussi s'assurer qu'en cas de sortie sèche du Royaume-Uni, leurs entreprises et leurs travailleurs ne seront pas exposés de manière démesurée. Il faudra faire en sorte de minimiser l'exposition au risque des investisseurs, des exportateurs et des acteurs de la coopération transfrontalière. La France s'y prépare.
Enfin, les vingt-sept devront tirer plusieurs conséquences directes du Brexit, à commencer par la relocalisation de deux agences aujourd'hui installées à Londres : l'Autorité bancaire européenne et l'Agence européenne des médicaments. La France prépare des candidatures mais le débat sera très difficile car cette relocalisation devra être décidée à l'unanimité des vingt-sept. Donald Tusk souhaite que cette décision soit actée le plus vite possible, peut-être dès 2017, de manière à procéder rapidement au déménagement des agences. Il y a aura également débat sur la composition du Parlement européen : soixante-treize députés quittant ce Parlement, ce dernier devra décider s'il réduit sa composition d'autant ou si certains de ces sièges doivent être réalloués. Un travail sera engagé concernant la répartition, entre délégations nationales, de l'ensemble des sièges au sein de cette institution pour se mettre en conformité avec le principe de proportionnalité dégressive – la France revendiquant au nom de ce principe des sièges supplémentaires.
En Europe, l'unité a tenu jusqu'à présent grâce à une très grande proximité des positions françaises et allemandes et à l'excellent travail de la Commission européenne : c'est essentiel pour la suite. Il pourra évidemment y avoir des divergences d'intérêts et des débats difficiles. On le voit déjà à propos de Gibraltar, l'Espagne sollicitant logiquement le soutien des membres de l'Union, comme de l'Irlande – mais cette proximité de vues au coeur de l'Union devrait in fine permettre à cette unité de se maintenir d'autant que la volonté d'un État membre de se dissocier entraînerait des retards dans la négociation.
En France, dès le lendemain du référendum, afin d'évaluer les enjeux du Brexit, définir nos intérêts et proposer des positions au Président de la République et au Gouvernement, nous avons créé autour du secrétariat général des affaires européennes, une structure interministérielle qui rassemble l'ensemble des administrations concernées dans un format plénier ainsi que dans des formats spécialisés. Cette structure nous permettra d'avoir une vision assez précise desdits intérêts dès lors que la négociation s'engagera. Une fois que le Conseil européen aura arrêté ses orientations le 29 avril et que le Conseil des ministres aura arrêté des directives détaillées en mai, se mettra en place à Bruxelles un groupe de travail spécifiquement chargé de suivre la négociation au quotidien. Notre dispositif français transmettra des instructions à cette délégation. Parallèlement, il s'efforcera de tirer les conséquences du Brexit pour y préparer la France et l'Union chaque fois que nécessaire. Nous proposerons au Président de la République et au Gouvernement issus des prochaines élections de prolonger ce dispositif administratif. Il leur reviendra bien évidemment de choisir, sur le plan politique, les modalités de suivi des négociations.
Nous aurons pour préparer ces orientations deux réunions de sherpas, le 11 puis le 24 avril, et serons donc à votre disposition pour vous donner toutes les informations nécessaires d'ici au 29 avril.
J'en viens à présent au sommet de Rome. Au-delà de la rédaction du texte qui y a été adopté, ce sommet a été préparé grâce à tout le travail accompli depuis le sommet de Bratislava, réuni à l'initiative de la France avec le soutien de l'Allemagne et de l'Italie. Nous avions proposé ce sommet de Bratislava aux vingt-sept pour que, juste après le référendum britannique, l'Europe puisse montrer qu'elle était prête à préparer son avenir à vingt-sept. Cela supposait d'identifier les défis du Brexit, de donner une direction et de mettre en place des priorités. Avait ainsi été arrêtée à Bratislava une première feuille de route prévoyant pour les six mois suivants une série de mesures de nature à permettre des avancées concrètes. Lorsque j'étais venu devant vous en décembre, nous avions déjà avancé. Depuis, la plupart des mesures qui avaient été identifiées à Bratislava ont été prises ou sont sur le point de l'être.
C'est le cas en matière de frontières : le corps européen de gardes-frontières et de garde-côtes est maintenant prêt et en déploiement ; le contrôle systématique aux frontières extérieures de l'espace Schengen a été acté et est en train d'être instauré. Chaque passage sera ainsi vérifié au regard des bases de données pertinentes. Ce travail se poursuivra avec l'adoption, encore en discussion, d'un système dit d'entrées et sorties permettant aux ressortissants étrangers d'enregistrer ces passages et d'accéder à ces bases, dans le respect du droit, ainsi que, pour les citoyens des pays exemptés de visa, d'un système d'autorisations de voyages comparable à celui des États-Unis, de manière à ce que l'on procède à un enregistrement préalable et qu'une autorisation leur soit donnée, en l'absence de risque pour la sécurité.
Des mesures avaient également été décidées en matière de lutte contre le terrorisme, qui se sont traduites par des accords entre le Conseil et le Parlement. C'est le cas en particulier de la directive sur l'acquisition et la détention d'armes à feu et de la directive sur la lutte contre le terrorisme – qui permet d'incriminer la préparation d'actes terroristes, en particulier pour ceux que l'on appelle les « combattants étrangers ». Nous travaillons aussi à l'élaboration d'autres mesures sur le financement, le chiffrement des communications et l'interopérabilité des fichiers de manière à ne pas laisser de failles susceptibles d'être exploitées par les terroristes à des fins de déplacement – c'est l'objet du Passenger Name Record (PNR) –, de financement, d'armement ou de communication.
En matière d'économie et de croissance, nous avions demandé le doublement du plan Juncker. Nous avons un accord portant sur 500 milliards d'euros jusqu'en 2020, l'idée étant de le prolonger encore d'un an dans le prochain cadre, de sorte que ce plan soit doublé, de 315 à 630 milliards d'euros. Nous avons aussi acté la révision à mi-parcours du cadre financier pluriannuel, ce qui a permis de rehausser certains moyens, en particulier en faveur des programmes de compétitivité et de l'initiative « Emploi des jeunes ».
Nous avons par ailleurs avancé dans les domaines de l'énergie et du climat, du marché unique numérique et de la lutte contre l'évasion fiscale, avec l'adoption d'une nouvelle directive dite « Atad 2 » (Anti-tax avoidance directive) pour lutter contre l'optimisation et les dispositifs sophistiqués. Au terme de plusieurs années de discussion, un parquet européen a enfin été institué pour protéger les intérêts financiers de l'Union ; parallèlement, une directive sur la lutte contre la fraude aux intérêts financiers de l'Union a également été adoptée.
Enfin, en matière externe, nous avions demandé, à Bratislava, que soit conduite une politique commerciale plus robuste. Entre-temps, l'élection du président Trump n'a fait que renforcer la nécessité d'une telle politique. Nous avons depuis adopté de nouvelles règles antidumping permettant d'appliquer des droits plus importants de façon plus efficace, en même temps que nous nous protégions contre les surcapacités chinoises en matière d'acier. Nous avons par ailleurs adopté au Conseil le « plan Juncker pour l'Afrique » qui permet, selon des modalités adaptées aux économies des pays africains, de favoriser l'investissement.
Tout ce travail, que je vous rappelle pour montrer que, dès lors qu'il y a une volonté politique, l'Union est capable de prendre des décisions, a permis de reconstituer une unité des vingt-sept sur de grandes priorités en vue du sommet de Rome.
Ce sommet consistait d'abord en une cérémonie de commémoration destinée à valoriser certaines réalisations, ce que nous avons fait en France où s'est tenue une série de manifestations et à Rome où nous avons rappelé les acquis de l'Union européenne, qui ne font pas seulement partie de l'Histoire mais qui sont vivants. Au-delà de ces rappels, le sommet était aussi l'occasion pour les Européens de se projeter dans l'avenir en identifiant les défis que l'Europe doit affronter, en rappelant les principes et les valeurs d'organisation de l'Union, en posant des priorités et une méthode. C'est ce qui a été fait dans un texte concis – de deux pages. Les valeurs de l'Union qui semblaient une évidence lorsque nous les avions rappelées à Berlin il y a dix ans, lors du cinquantième anniversaire de la construction européenne, le sont moins aujourd'hui en Europe et, a fortiori dans le monde. Il importait donc de redire que l'Europe est fondée sur des droits et libertés fondamentaux des personnes, sur la démocratie et sur l'état de droit. Quant aux priorités, elles concernent la sécurité, les frontières, la gestion des migrations, la défense et la nécessité de compléter l'union économique et monétaire en faveur de la croissance et de la convergence. Une priorité qui n'avait rien d'évident au moment où nous avons engagé cette discussion est celle d'une Europe sociale qui, tout en prenant en compte la diversité des systèmes nationaux, lutte contre le chômage et l'exclusion, tend à améliorer le niveau d'éducation, renforce la cohésion et s'affirme sur la scène internationale afin de défendre nos intérêts tout en garantissant le multilatéralisme et la lutte contre le changement climatique. S'il ne s'agit certes que de principes, il importait de les réaffirmer.
Ces principes sont complétés par une méthode : l'agenda de Rome, défini pour les dix prochaines années. A été affirmée la volonté d'améliorer la capacité de décision de l'Union – en s'appuyant sur les États, leurs parlements nationaux et les citoyens – et de redonner vie au processus démocratique. Cela suppose d'abord de mieux respecter le principe de subsidiarité, donc de bien identifier ce qui relève du niveau européen car il y a une valeur ajoutée à agir ensemble pour relever des défis communs, et ce qui doit être laissé au niveau local. Cela suppose ensuite de renforcer l'efficacité de l'Union car il y a une attente pour que l'Europe soit plus rapide et plus claire dans l'application de ses décisions. Cela suppose enfin plus de transparence car il y a un enjeu de visibilité d'explication, de communication.
Ces éléments constituent un cadre de travail commun aux vingt-sept même si ce cadre dépendra aussi des choix politiques qui seront opérés lors des élections françaises et allemandes. La Commission a, à juste titre, émis le souhait que cette période ne soit pas infructueuse et a donc proposé, dans son Livre blanc, l'organisation de discussions entre les vingt-sept pour préparer ces choix. La Commission nous fait parvenir au fur et à mesure des documents visant à nourrir ces discussions sur plusieurs grands sujets : à la fin du mois d'avril sur la dimension sociale, en mai sur la mondialisation et le commerce, à la fin du mois de mai et au début du mois de juin sur l'union économique et monétaire, en juin sur la défense et à la fin du mois de juin sur le cadre financier. L'objectif est de préparer les propositions que Jean-Claude Juncker pourra faire dans son discours sur l'état de l'Union en septembre et les choix que feront les États membres à la fin de l'année, en 2018 et au-delà.
Cette séquence était importante. Elle aurait pu se heurter à des obstacles, notamment si des priorités importantes pour nous n'avaient pu faire l'objet d'un accord ou si un État membre avait cherché à s'isoler. La Pologne a songé à le faire à un moment donné mais elle a fini par se rallier au reste de l'Union. Elle a même accepté le dernier principe d'organisation, permettant aux États qui le souhaitent d'avancer plus rapidement ou plus loin à condition que ces avancées soient ouvertes à tous. Ce principe de différenciation a été acté dans la déclaration de Rome. Restera à voir au fur et à mesure s'il doit être mis en application, sachant qu'il l'est déjà de facto dans l'Union européenne telle qu'elle existe, avec la zone euro, l'espace Schengen et d'autres coopérations.
Tels sont les grands sujets politiques sur lesquels ont travaillé les chefs d'État et de gouvernement en même temps que l'Union européenne continuait à prendre des décisions en application de la déclaration de Bratislava.
J'en viens aux questions que vous m'avez posées, madame la présidente.
La situation de la Turquie est préoccupante du fait des atteintes qui y sont portées à l'État de droit, des risques de remise en cause de la séparation des pouvoirs constatés par la commission de Venise qui suit cette question au nom du Conseil de l'Europe et des apostrophes adressées à l'Union européenne et à ses États membres – l'Allemagne et les Pays-Bas, en particulier, sur la question des réunions politiques que la Turquie souhaitait organiser dans ces pays. La France, par la voix du Président de la République, a affiché sa solidarité avec ces États face à ce qui apparaissait comme des provocations. La position de l'Union consiste donc à dénoncer et condamner ces propos. Dans le même temps, les Européens – les ministres des affaires étrangères en ont discuté à Bruxelles hier – ne souhaitent pas tomber dans le piège de l'exploitation de leurs propos à des fins nationalistes favorisant, de l'extérieur, le président turc dans le cadre de sa campagne référendaire. Un équilibre doit être trouvé entre la nécessité de réagir chaque fois que nécessaire et la volonté de ne pas être instrumentalisé. Il convient désormais d'attendre le résultat du référendum qui se tiendra le 16 avril. Les vingt-huit devront alors à nouveau se réunir pour en tirer les leçons. D'ici là, la déclaration sur les migrants qui avait été actée il y a un an continue à être mise en application. La Turquie remplit ses engagements en matière de frontières, de lutte contre les passeurs et d'amélioration des conditions de vie des réfugiés syriens. L'Europe, pour sa part, continue à apporter son aide à ces réfugiés. Sur les 3 milliards d'euros qui avaient été annoncés, environ 2,2 milliards ont été alloués à des fins humanitaires ou pour la construction de logements et l'engagement de moyens d'éducation.
Cet équilibre tient alors même que d'autres éléments figurant dans la déclaration ont été suspendus dans la mesure où la Turquie n'en respectait pas les critères. C'est le cas de la libéralisation des visas puisque sur les soixante-douze critères fixés, sept ne sont pas respectés, dont celui de la révision de la loi anti-terroriste turque dans le sens d'un respect strict de l'État de droit. C'est bien sûr aussi le cas des négociations d'adhésion : les conditions sont moins que jamais réunies pour avancer.
La question de nos relations avec la Turquie devra faire l'objet d'un débat à vingt-huit et de décisions qui dépendront du résultat du référendum et de l'attitude des autorités politiques turques, le moment venu.
Par ailleurs, les flux de réfugiés se maintiennent à un niveau raisonnable dans la mer Égée – ce qui ne signifie pas que la situation en Grèce ne soit pas préoccupante. Nous essayons d'ailleurs d'aider ce pays le plus possible par un soutien financier, un soutien aux agences européennes et des relocalisations. Il nous faut aussi traiter désormais les traversées ou des tentatives de traversée par la voie terrestre vers la Grèce ou la Bulgarie.
S'agissant de la Libye, la situation est beaucoup plus préoccupante en termes de migrations puisque non seulement les flux ne sont pas en voie de diminution mais ils sont même en augmentation par rapport à ce qu'ils étaient à la même époque l'année dernière. De plus, contrairement aux années précédentes, ils n'ont connu aucune baisse saisonnière. Cela montre que les migrants prennent de plus en plus de risques. Il y a encore des naufrages même si l'Europe et des organisations humanitaires procèdent à un maximum de sauvetages.
Les arrivées restent donc en nombre très important. Nous essayons d'aider l'Italie mais il faut reconnaître que, contrairement à ce qui se passe pour les personnes qui viennent par la Turquie – pour beaucoup, des Syriens, des Irakiens et des Afghans –, ce sont le plus souvent des personnes qui viennent d'Afrique de l'Ouest et, dans une moindre mesure, d'Afrique de l'Est qui arrivent en Libye. La plupart de ces personnes n'ayant pas vocation à obtenir l'asile dans les États membres de l'Union européenne, elles essaient d'éviter les hotspots qui sont installés en Italie. Cela pose un problème délicat à l'Italie et à ses voisins, dont la France.
La difficulté que nous rencontrons depuis plusieurs années est que la situation en Libye ne permet pas de coopérer avec cette dernière de manière organisée, le gouvernement dit d'union nationale n'ayant pas le contrôle de son territoire ni de sa propre sécurité. Il faut donc agir par tous les moyens disponibles en tenant compte de cette contrainte, tout en continuant à essayer de favoriser, sous l'égide des Nations unies, un accord entre les différents acteurs en Libye. Ces moyens ont fait l'objet, lors du sommet de Malte le 3 février, d'une déclaration portant sur les eaux méditerranéennes. Ils doivent permettre à l'agence Frontex, dans le cadre de l'opération Triton, et à l'EUNAVFOR (Force navale européenne), dans le cadre de l'opération Sophia, de continuer à surveiller les trafics en sauvant des naufragés chaque fois que c'est possible. Cette déclaration énonce ce qui peut être fait malgré tout en Libye : former des garde-côtes, travailler avec des municipalités confrontées à des flux migratoires, aider les organisations internationales qui sont présentes dans le pays – comme l'Organisation internationale des migrations –, enfin, travailler avec tous les pays voisins pour maîtriser les frontières et limiter les passages. Nous avons obtenu des résultats puisque les passages de migrants en Libye en provenance du Niger, par Agadez, ont été réduits. Mais le travail doit être permanent car d'autres routes se reconstituent, par exemple à la frontière entre le Niger et l'Algérie. L'Europe déploie des moyens financiers et humains pour assurer un contrôle des flux avec le Niger, l'Algérie, la Tunisie et l'Égypte, mais aussi pour renvoyer les personnes chez elles lorsqu'elles ne relèvent pas de l'asile.
Enfin, des pactes migratoires sont passés avec les pays d'origine des migrants afin de limiter le nombre de départs, de favoriser l'activité sur place et de fournir aux États concernés les moyens de sécuriser leurs frontières et de lutter contre les trafics. Des pactes de cette nature ont été signés avec le Niger, le Mali ou le Nigeria. L'Union européenne poursuit ainsi la politique engagée avec la création du fonds d'affectation spéciale d'urgence pour l'Afrique, lors du sommet de La Valette, en 2015.
Différents instruments sont à l'oeuvre pour résoudre le problème libyen. Le travail engagé portera ses fruits, mais le parcours sera long et laborieux avant que des solutions soient trouvées.
En matière de défense, le Conseil européen du mois de décembre a acté de véritables avancées souhaitées par la France.
Il a décidé de mettre en place des capacités permanentes de planification et de conduite des opérations et missions. Elles vaudront pour les missions non exécutives comme pour les missions militaires. Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a commencé par les premières, mais il faudra aller plus loin, car la nécessité de réinventer un état-major spécifique lors de chaque opération nous pénalise.
L'engagement a également été pris de revoir le mécanisme « Athéna », dispositif de financement des opérations et des missions de l'Union. Nous travaillons avec l'Allemagne à une augmentation significative des coûts communs pris en charge par l'ensemble des Européens. Une décision sera prise en la matière à la fin de l'année.
La conférence qui se réunira à Prague le 9 juin prochain permettra par ailleurs d'améliorer la possibilité d'utiliser des dispositifs militaires existants, comme les groupements tactiques ou battlegroups. Aujourd'hui, leur déploiement est probablement trop lourd, ce qui explique que l'on n'y a jamais recours.