Intervention de Philippe Léglise-Costa

Réunion du 4 avril 2017 à 11h00
Commission des affaires européennes

Philippe Léglise-Costa, secrétaire général des affaires européennes :

La logique voudrait que l'accord de retrait mette fin à l'existence des passeports, et que l'on passe directement à des régimes d'équivalences. Une transition de neuf mois pourrait permettre de mener les opérations en cours à leur terme. Nous tenons ce discours aux institutions financières en les avertissant que, dans deux ans, plus quelques mois si un retrait progressif est prévu, elles n'auront plus la garantie de pouvoir opérer sur le continent à partir de Londres en bénéficiant du passeport. La plupart d'entre elles commencent d'ailleurs à réagir.

Sur ce plan, la lettre de Mme May constitue bien une contre-offensive puisqu'elle demande que les acquis du marché intérieur soient préservés pendant une période de transition au-delà de 2019. Mme May souhaite que la question de la période de transition soit discutée dès la première phase des négociations. Nous ne devrions pas accepter car il nous appartient de déterminer l'agenda des discussions. Cela montre que des intérêts majeurs sont en jeu derrière les questions de séquences et de procédure. Les institutions financières nous disent qu'elles auront besoin d'environ dix-huit mois pour réagir une fois leur décision prise. Elles sont actuellement en phase d'observation. Si elles doivent être prêtes en 2019, il faut qu'elles se décident en 2017. Il s'agit donc aujourd'hui d'un sujet stratégique.

En évoquant les défis externes auxquels l'Europe est confrontée, vous avez parlé d'une « occasion fantastique ». Elle existe bel et bien, et de nombreux pays dans le monde demandent à l'Europe de s'en saisir. Le Président de la République, qui s'est rendu en Amérique latine ou en Asie, entend souvent ses interlocuteurs plaider pour que l'Europe reste l'Europe. « Restez l'Europe, restez favorable au multilatéralisme, continuez de défendre certaines valeurs, protégez-nous contre le démantèlement de ce que nous avons construit ! » Une occasion existe pour que l'Europe devienne une référence, qu'elle tire parti des retraits américains, qu'elle prenne ses responsabilités et qu'elle s'organise différemment. C'est en tout cas une possibilité, car, évidemment, rien n'est garanti.

Puisque cette audition n'est pas publique, permettez-moi d'évoquer la réaction du Premier ministre danois qui se trouvait à Paris au lendemain de l'élection de M. Donald Trump. Son premier commentaire a été pour dire que les conséquences de l'événement dépassaient les questions de la défense et du commerce : « Cela va beaucoup plus loin, il faut que l'Europe soit maintenant capable de définir sa propre croissance. »

Dans le domaine commercial, par exemple, nous allons avoir l'occasion de prendre des parts de marché et de mettre des normes en place. Un jour, peut-être discuterons-nous mieux avec la Chine que les États-Unis ne le font aujourd'hui. Encore faudra-t-il que notre politique soit suffisamment acceptée et légitimée par les populations des États membres et les Parlements nationaux. Cette politique doit aussi être plus claire.

De façon générale, l'Europe a l'occasion de s'affirmer dans le monde pour autant qu'elle dispose de la base politique nécessaire. En effet, le risque pour l'Europe n'est pas tellement lié à un fonctionnement institutionnel qui finit toujours par s'adapter, mais plutôt au soutien politique qui lui est apporté. Un accident politique dans un État majeur empêchera-t-il l'Europe d'agir ? Un maillon a lâché au Royaume-Uni ; était-ce un maillon faible unique ou aurons-nous affaire à des accidents en chaîne ? Le Brexit et l'élection de Donald Trump ont pour l'instant suscité en Europe une réaction d'unité et de solidarité. Cela a bien été dit à Rome, même s'il ne s'agissait que d'une déclaration.

La France et l'Allemagne ont un rôle important à jouer. Mme Angela Merkel en vient à accepter des évolutions, notamment sur la défense, qui sont moins dues à l'élection de Donald Trump qu'à ce qu'elle a vécu en 2015 et 2016 avec l'afflux de réfugiés et de migrants et les débats sur ce sujet dans son pays. Elle a compris que l'Allemagne ne pouvait pas assurer sa prospérité en se contentant de s'entourer de voisins stables, car cette prospérité dépend aussi du reste du monde. L'Allemagne doit assumer des responsabilités. Une telle réflexion avait déjà été engagée lors des interventions françaises au Mali et en Centrafrique.

La zone euro a été renforcée pour pouvoir tenir dans les crises et retrouver la croissance. C'est le sens du mécanisme européen de stabilité ou de la gestion des règles budgétaires. Des difficultés demeurent toutefois comme celles relatives à la Grèce, qui, cette fois, ne sont pas liées à la gestion du gouvernement grec. La convergence politique et intellectuelle entre la France et l'Allemagne est plus forte qu'elle n'a jamais été. Les bases d'un accord sont donc bien présentes. Il pourrait porter sur les engagements des deux principaux pays de la zone euro pour rééquilibrer cette dernière et trouver une façon coopérative de créer de la croissance et de la stabilité. Il comporterait aussi des dispositifs englobant toute la zone. La sortie du Royaume-Uni de l'Union fournit une occasion d'attirer les institutions financières et les investisseurs. Nous devons retrouver en la matière une capacité que nous avions abandonnée au Royaume-Uni durant trop longtemps. Si nous y parvenons, nous aiderons l'Allemagne à mieux maîtriser son économie, en particulier l'exportation de ses capitaux. La maîtrise de l'intégration financière constitue donc un enjeu pour la zone euro.

Une question se pose également en termes de convergence économique. Les choses ne sont pas très simples car les déséquilibres sont forts, notamment en matière de dette ou s'agissant d'autres facteurs qui déterminent les dépenses publiques. Il faut mener un travail de convergence sur des aspects fiscaux, sociaux, et surtout économiques. Les règles n'ont pas été revues depuis le traité de Maastricht ; ces dernières années, elles se sont seulement adaptées lors des crises pour éviter que ces dernières aient des conséquences trop graves. Il faut en concevoir de nouvelles : c'est une question de bonne gouvernance, et de confiance.

L'Allemagne évolue. Elle est prête à la création d'un fonds monétaire européen. La Chancelière l'a dit au Président de la République, et M. Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des finances, l'a affirmé publiquement. Les Allemands n'ont évidemment pas la même conception que nous d'une telle structure. Lorsque, spontanément, nous pensons à une capacité de financement des États membres qui les rendraient autonomes par rapport au FMI afin de réduire le coût des dettes et d'assurer une convergence, les Allemands imaginent un transfert de la responsabilité du suivi des règles budgétaires de la Commission, qu'ils considèrent comme une institution trop politique, vers une institution plus objective et indépendante. Un compromis doit donc être trouvé. Cela signifie toutefois qu'avec le mécanisme européen de stabilité, l'Allemagne conçoit désormais que la zone euro puisse être gérée de manière « agrégée », comme un ensemble.

Cet ensemble va actuellement infiniment mieux qu'en 2012. Cette période était marquée par une récession, par des taux d'intérêt et de change trop élevés, et par la dérégulation des banques. Aujourd'hui, la zone euro est exportatrice nette, et sa position extérieure est très bonne. Ses déficits sont en recul, et ses dettes sont maîtrisées.

Des déséquilibres internes ne permettent toutefois pas de tirer parti de ces améliorations. Des instruments agrégés pourraient faire évoluer les choses. Pour la première fois, la Commission a proposé dans sa recommandation relative à la zone euro pour le semestre européen de mettre en place une politique agrégée qui détermine le niveau budgétaire idéal pour un bon policy mix avec la banque centrale. Il s'agit d'une évidence pour nous, mais d'une révolution au regard de la conception allemande de la zone euro – pour les Allemands, elle ne constituait à l'origine que la juxtaposition d'entités respectant les mêmes règles.

De fortes avancées intellectuelles ont donc eu lieu. La France et l'Allemagne devront se faire mutuellement confiance, et l'ensemble de la zone devra également s'impliquer. J'utiliserai de nouveau votre expression, monsieur le député, car, en la matière, une « occasion fantastique » se présente à nous.

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