Intervention de Laurent Fabius

Séance en hémicycle du 25 juillet 2012 à 15h00
Traité france-afghanistan d'amitié et de coopération

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

J'en viens d'abord au pourquoi de ce traité.

Signé le 27 janvier, donc par mon prédécesseur, pour une durée de vingt années, il a pour objectif, selon l'article 1er, un « partenariat équilibré qui contribue à l'indépendance, à la sécurité et au développement » de l'Afghanistan. La raison d'être du traité est donc double : d'une part, il accompagne le désengagement des troupes combattantes françaises, et, d'autre part, il assure la continuité d'un soutien français à l'Afghanistan sous une forme axée sur la coopération civile, ce qui est essentiel. Si la présence militaire de la France sous forme de troupes combattantes va se terminer, la coopération civile, en revanche, va se développer.

Le désengagement des forces combattantes françaises d'ici au 31 décembre 2012 a été décidé par le Président de la République. Il est en cours. Il ne s'agit pas d'un retrait total de notre pays, au contraire, puisque le traité pérennise sous une forme civile l'engagement à long terme de la France.

L'Afghanistan est entré dans une phase de transition qui a été lancée conjointement par la communauté internationale et par les autorités afghanes, sous l'égide des Nations unies et de l'OTAN. Ce processus, qui doit s'achever fin 2014, prévoit le transfert progressif des responsabilités de sécurité aux forces afghanes. Pour nous, qui sommes encore pour une part en Surobi et en Kapisa, c'est chose faite. Je profite d'ailleurs de ce moment pour rappeler que depuis le début de notre intervention en 2001, nous avons perdu quatre-vingt-sept de nos soldats. Il faut bien sûr, et je suis sûr que toute l'assemblée sera à l'unisson, rendre hommage au courage dont ils ont fait preuve ainsi que leurs camarades, et à leur sacrifice.

Le départ progressif de nos troupes ne doit pas faire oublier le travail accompli pour aider le peuple afghan dans son combat pour la liberté et la démocratie.

Sur le plan institutionnel, les changements intervenus dans la décennie écoulée – Constitution de 2004, reconstitution des administrations centrale et locale, mise en place d'un Parlement –, doivent être soutenus et poursuivis par une contribution civile dont le traité donne les moyens. Il contribue en effet, par des moyens concrets, à la stabilité – c'est du moins notre espoir – d'un pays dont l'importance stratégique est évidente.

Quand l'engagement militaire de la France avait été décidé en septembre 2001, il répondait à des finalités particulières sur lesquelles je ne reviendrai pas, mais, depuis lors, la situation a évidemment beaucoup changé, et le sens s'en était sinon perdu, en tout cas déformé au fil du temps. Ce sera donc le sens de notre engagement politique et civil en Afghanistan et dans la région à partir de maintenant que d'axer celui-ci sur la coopération civile, avec comme objectif de permettre, après des décennies de conflit et d'instabilité qui ont favorisé la montée du radicalisme et de l'obscurantisme, le retour à la paix que nous souhaitons tous pour l'Afghanistan et pour ses voisins.

La recherche de solutions durables à la crise afghane passe par une stratégie intégrant la dimension régionale du problème – c'est un point sur lequel j'ai eu un débat au Sénat et je pense que tout le monde en sera d'accord. L'Afghanistan, depuis des lustres, a servi de théâtre aux rivalités régionales et internationales, qui ont exacerbé ses tensions intérieures. La France appuie le processus de coopération lancé à Istanbul en novembre 2011, qui est parvenu à insuffler une certaine dynamique en faveur de la sécurité à tous les pays du coeur de l'Asie.

Nous connaissons aussi bien sûr, puisque personne ici n'est naïf, les risques que les foyers d'instabilité en Afghanistan font peser sur les États voisins : les groupes terroristes ne connaissent pas de frontières ; les réseaux de la drogue déstabilisent les structures politiques, économiques et sociales ; les factions qui remettent en cause l'intégrité territoriale de l'Afghanistan menacent aussi l'intégrité territoriale de ses voisins.

Face aux fléaux du terrorisme et de la drogue, au lieu de jouer de façon rivale, il faut favoriser la coopération régionale et les mesures de confiance. C'est d'ailleurs dans l'intérêt de tous les pays de la région, qu'il s'agisse du Pakistan, de l'Inde, de l'Iran, de la Chine, de la Russie ou des États d'Asie centrale.

Nous partageons donc l'approche proposée aujourd'hui par l'Afghanistan qui prévoit l'adoption à terme de mesures concrètes et contraignantes pour la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la drogue et la gestion des catastrophes naturelles, des infrastructures et du commerce régional.

À long terme, l'objectif de cette coopération régionale est de permettre le désenclavement de l'Afghanistan, ce qui favorisera son développement économique, mais aussi celui de l'ensemble de la région.

Le traité que nous vous soumettons fixe les contours de la coopération souhaitée par nos deux pays. Comme je l'ai indiqué début juillet à la conférence de Tokyo sur l'aide civile à l'Afghanistan, notre action sera guidée par trois principes.

Il s'agira, en premier lieu – ainsi que nous l'avions évoqué lors d'une conversation avec Hamid Karsai, François Hollande et Jean-Yves Le Drian lorsque nous nous sommes rendus à Kaboul –, de favoriser le passage d'une économie et une société de guerre à une économie et une société de paix. C'est fondamental, car tout, en Afghanistan, est aujourd'hui tourné vers l'économie de guerre, et cette transition ne peut se faire spontanément. Le développement économique et social de l'Afghanistan est la première condition d'un retour durable à la paix et à la stabilité. C'est pourquoi le coeur de notre engagement doit être la coopération civile.

C'est aussi dans cet esprit que la France appuie un processus de paix conduit par les Afghans eux-mêmes et associant toutes les composantes de la société afghane : gouvernement, opposition légale, société civile. Même si cela est très difficile, la réconciliation nationale devra également s'adresser aux insurgés prêts à rompre tout lien avec Al Qaida, à renoncer à la violence et à respecter la Constitution.

En second lieu, la France va s'engager de façon significative. Une simple sommation révèle que l'aide à l'Afghanistan dans le cadre de ce traité augmentera de 50 %, pour atteindre plus de 300 millions d'euros sur la période 2012-2016, ce qui représente beaucoup d'argent.

Cette augmentation servira à conduire des projets qui profiteront directement – j'y insiste – à la population afghane avec des programmes concrets, à l'image de l'extension prochaine de l'Institut médical français pour l'enfant, que certains d'entre vous ont certainement eu l'occasion de visiter. Ce projet magnifique disposera désormais – une première en Afghanistan – d'un service de santé maternelle et néonatale qui contribuera à améliorer les conditions de vie des femmes ; il a été rendu possible grâce à la fondation Aga-Khan, que je salue pour le travail remarquable qu'elle accomplit là-bas, et à l'association « La Chaîne de l'espoir », au sein de laquelle des professeurs de médecine accomplissent un travail superbe.

Dernier principe, cette aide ne sera pas un chèque en blanc. Elle sera conditionnée – point que certains de vos collègues au Sénat ont trouvé excellent et d'autres insuffisants – à la réalisation par les Afghans des engagements qu'ils ont pris devant la communauté internationale lors de la conférence de Tokyo. Ce sera le cas en particulier dans trois domaines clés.

Je pense d'abord à la bonne gouvernance. La lutte contre la corruption, en particulier – ce qui n'est pas là-bas un vain mot ou une vaine tâche – constitue une priorité, sur laquelle nous attendons des mesures fortes de la part du gouvernement afghan. C'est une contrepartie indispensable de l'effort demandé aux contribuables français. Nous serons très fermes sur ce point, et je ne doute pas du soutien de l'Assemblée.

Les engagements pris en matière de démocratie devront également être tenus. Des élections présidentielles et parlementaires sont prévues en 2014 et 2015. Nous devrons veiller, avec nos partenaires internationaux, à ce qu'elles se déroulent dans des conditions équitables et transparentes.

Par ailleurs, nous accorderons une grande attention à l'évolution de la situation des droits de l'Homme, en particulier des femmes et des minorités. Des progrès ont été accomplis, en matière de liberté d'expression, mais aussi s'agissant des droits sociaux tels que l'accès à la santé ou à l'éducation. Mais vous avez sans nul doute présents à l'esprit les assassinats abjects, il y a deux semaines, d'une femme afghane, commis en public par les talibans, et d'une responsable provinciale des droits de la femme pour le gouvernement afghan, qui rappellent à quel point la situation des femmes demeure souvent dramatique.

Notre pays devra, comme les autres – encore que le nôtre a un rôle particulier compte tenu de sa tradition et de ses principes – faire preuve d'une grande vigilance s'agissant des droits des femmes, particulièrement en matière d'accès à la justice, à la santé et à l'éducation et de prévention des violences qui leur sont faites.

Tel est le sens du traité qui vous est soumis pour ratification aujourd'hui : redonner aux Afghans – aux autorités gouvernementales, à la population et à la société civile – les clés de leur destin, tout en leur accordant un appui sur le long terme. Sa ratification, du côté afghan, devrait intervenir dans les semaines qui viennent.

Concernant à présent non plus le pourquoi du traité, mais les modalités de sa mise en oeuvre, celle-ci s'opérera par le biais d'actions concrètes articulées autour de quelques coopérations prioritaires : coopération en matière de santé, avec l'extension de l'Institut médical français pour l'enfant, afin d'en faire un centre hospitalo-universitaire généraliste, et la mise en oeuvre de projets expérimentaux de télémédecine – plus de cent mille personnes ont déjà bénéficié des installations existantes, ce qui est remarquable ; coopération en matière éducative avec les lycées de bonne qualité que nous avons là-bas et, dans l'enseignement supérieur, avec la création d'une école des mines et de géologie que justifie l'importance des minerais dans la région ; coopération agricole en matière d'irrigation et d'enseignement en soutenant la mise en place d'un réseau de lycées techniques agricoles et la création d'un laboratoire de contrôle de la qualité ; coopération culturelle : nous formons depuis longtemps des archéologues afghans, assurons les fouilles à Bâmiyân et à Mes Aynak et contribuons à la création de musées afghans.

La coopération s'étendra également à deux autres domaines : d'une part, nous contribuerons au développement des infrastructures et du secteur minier ; d'autre part, une action spécifique est prévue au-delà de 2014, si la sécurité de nos personnels est assurée, pour le développement économique de la Kapisa et de la Surobi, où ont été déployées la task force La Fayette et notre équipe d'experts civils.

Enfin, une coopération sera maintenue dans les domaines de la défense et de la sécurité. S'il n'y aura plus, évidemment, de troupes combattantes, des coopérants français seront présents à l'état-major et dans des écoles militaires afin de conseiller les instructeurs afghans.

Notre action ne vise pas, faut-il le rappeler, à fournir une aide sur une période indéfinie, mais à donner les moyens aux Afghans de valoriser eux-mêmes leurs atouts, ce qui implique, outre l'aide au développement, la promotion des échanges économiques, qui constituera donc un pilier de notre action. L'Afghanistan dispose en effet, même si les circonstances récentes nous l'ont fait oublier, d'un potentiel économique réel, grâce en particulier à ses abondantes matières premières.

Le gouvernement français doit donc, avec les organisations professionnelles, encourager nos entreprises à participer à la valorisation des richesses du territoire afghan, notamment de son sous-sol.

Ainsi est-il prévu une coopération entre le BRGM et son équivalent afghan. En collaboration avec le MEDEF, nous avons réuni des entreprises intervenant dans le secteur minier pour les sensibiliser aux possibilités offertes par ce pays. Ces perspectives feront l'objet d'une coordination avec la fondation Aga-Khan, dans la perspective d'investissements dans le nord de l'Afghanistan, où la sécurité est la moins problématique. Certaines entreprises se sont d'ores et déjà positionnées sur des projets concernant la cimenterie, le charbon ou encore l'exploitation gazière.

Dans la mesure où notre coopération est fondée sur les besoins et les priorités identifiés par les autorités afghanes, nous veillerons à garantir une réciprocité dans les engagements. L'Afghanistan s'engage ainsi : à lutter par tous les moyens dont il dispose contre les menaces émanant de son territoire à l'encontre de la France ou des intérêts français ; à développer la coopération entre services antiterroristes et antidrogue, ce dernier fléau étant loin d'avoir été éradiqué …

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