Madame la présidente, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce traité d'amitié et de coopération entre la France et l'Afghanistan est ambitieux, mais sa mise en oeuvre n'est pas garantie.
Le retrait anticipé de nos troupes combattantes par rapport au calendrier initial a été une décision salutaire du Président de la République, François Hollande. Pendant de longues années, notre groupe politique était le seul à réclamer ce retrait. Le Parlement, cependant, aurait dû être associé à cette décision importante. Il reste des progrès à faire pour améliorer les prérogatives des parlementaires en matière de défense. Les décisions en la matière relèvent encore trop du seul Président de la République.
J'aurai bien sûr une pensée pour tous nos soldats tombés dans l'accomplissement de leur mission, pour tous les blessés, mais aussi pour toutes les victimes civiles et militaires afghanes de ce conflit, un conflit toujours patent. L'explosion, la semaine dernière, de vingt-deux camions de ravitaillement de l'OTAN, causée par une bombe posée par des talibans, montre que le sang coule et coulera encore dans ce pays. La paix est loin d'être gagnée.
Le développement économique et social de l'Afghanistan en est la condition de fond. Nous souhaitons donc que le pari du développement de ce pays soit remporté. Pour ce faire, il faudra, pour commencer, que ce pays retrouve un État stable. C'est la condition absolue de la réussite.
S'agissant des moyens, la conférence de Tokyo a permis d'obtenir une aide civile importante. Il est prévu que notre aide augmente de 50 %, pour atteindre 300 millions d'euros sur la période 2012-2016. Surtout, l'effort de la France devra être employé à bon escient et profiter le plus directement possible à la population – j'insiste beaucoup sur ce point. J'ai cru comprendre que c'était la volonté du Gouvernement français, il faudra être vigilant sur ce point.
La lutte contre la corruption, les trafics de drogue et contre le terrorisme doit être poursuivie. De la même manière, la démocratie, les droits des femmes, le respect des minorités doivent s'imposer avec force.
Nous approuvons tout ce qui va dans le sens du développement social, agricole, culturel, de l'enseignement, de la santé ainsi que de la protection du patrimoine archéologique. Les projets sont généreux et volontaristes, mais leur mise en oeuvre se heurtera aux dures et complexes réalités afghanes.
Le domaine économique soulève plus de questions. Monsieur le ministre, vous connaissez les risques d'une relation économique déséquilibrée. Toute coopération doit être mutuellement avantageuse, se tisser d'égal à égal, sous peine d'être rejetée tôt ou tard par les populations.
Or, d'après le traité, les autorités afghanes devront prendre les mesures nécessaires pour faciliter les investissements français et les activités de nos entreprises. Mais la réciproque est-elle vraie ?
Nous ne voulons surtout pas nous situer du côté des intérêts économiques français, mais plutôt considérer les problèmes dans leur globalité. Il est écrit que le traité permettra à nos entreprises de disposer de plus larges possibilités pour bénéficier du potentiel économique de l'Afghanistan, en particulier dans les secteurs des hydrocarbures et des minerais. Mais comment les profits serviront sur place au peuple afghan ? Comment seront-ils redistribués ? Comment seront-ils taxés ? Seront-ils rapatriés dans « des mallettes diplomatiques » afin de remplir sans amputation les coffres des actionnaires ?
Enfin, l'accroissement du volume des échanges commerciaux entre la France et l'Afghanistan est recherché. Mais quelle garantie avons-nous que les termes des échanges soient équilibrés afin d'assurer un développement équitable aux deux pays ? J'ai donc des craintes s'agissant de la coopération économique.
Ce traité marque incontestablement l'évolution de notre soutien du militaire au civil. On pourrait se satisfaire de ce changement de stratégie apparente, mais le texte comporte néanmoins un volet important de défense et de sécurité.
La présence de nos troupes ne répondait plus aux objectifs initiaux de la coalition. Quand l'armée et la police afghanes pourront-elles prendre le relais ? La pléthorique armée proche du président Karzaï assure un emploi et un revenu à une population démunie ; elle coûte cher et n'est pas à la hauteur des enjeux opérationnels de sécurité.
Le désengagement militaire américain n'est pas total, à Tokyo, la secrétaire d'État des États-Unis a officialisé pour l'Afghanistan le statut d'« allié majeur non-membre de l'OTAN », qui n'a rien d'anodin.
Même si la situation sécuritaire se stabilisait, il faudrait de toute façon aider l'État afghan, soutenu à bout de bras par les Américains. La conférence de Tokyo a estimé que plus de la moitié de l'aide budgétaire à venir devrait correspondre aux crédits nécessaires à l'armée et à la police. Cela en dit long sur l'état du pays.
Il faudrait être plus exigeant sur la gouvernance. La population afghane n'a guère bénéficié de l'aide internationale. Selon la banque mondiale, seulement 25 % de cette manne restent dans le pays. La qualité et la répartition de l'aide sont des critères essentiels. Les exigences en la matière sont insuffisantes pour lutter contre les trafics. Il faut aider à mettre sur pied une véritable administration. De ce point de vue, je suis sceptique sur les moyens financiers qui seront effectivement consacrés à la formation des cadres de l'administration et des professeurs.
Pour conclure, je dirai que la solution ne peut être que politique et diplomatique.
Le départ de nos troupes de combat se traduira par une période d'incertitude. Il faut réintégrer pleinement l'ONU dans la situation : elle doit reprendre le mandat qu'elle avait confié à la Force internationale d'assistance à la sécurité. À la France de proposer l'organisation d'une conférence régionale réunissant Iran, Pakistan, Inde, Chine ou encore la Turquie, parrainée par les États-Unis et l'Union européenne. Créons un nouveau cadre multilatéral sans répéter les erreurs du passé.
Tous les chantiers devront être menés simultanément, ce qui complique la tâche. Il faut à tout prix éviter le retour des extrémistes talibans et, bien entendu, abroger ce traité au cas où, par malheur, ils accéderaient au pouvoir.
Nous avons une responsabilité vis-à-vis du peuple afghan. Par conséquent, même si nous ne sommes pas convaincus par le fait de s'engager aussi rapidement dans une coopération aussi incertaine, avec un régime loin d'être stabilisé, et avec une vision de la coopération économique qui semble entièrement tournée vers la satisfaction du capitalisme français, le groupe GDR s'abstiendra.
En effet, nous souhaitons donner une chance à la paix et ne pas jouer les Cassandre alors que nous assumions pratiquement seuls, depuis des années, le choix de retirer nos troupes de combat.