Je suis très honoré d'avoir été invité à expliquer devant la représentation nationale l'organisation actuelle de la communauté française du renseignement. Cette communauté est récente puisqu'elle est issue des réflexions du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et a été mise en place à partir de 2008. Des travaux sont en cours pour améliorer encore son organisation.
La France n'a pas la culture du renseignement qui est, par exemple, celle des pays anglo-saxons, où l'on parle d'intelligence. Pour les Français, le monde du renseignement est un univers trouble et malsain, où gravitent des barbouzes, des « hommes du Cardinal », prêts à toutes les basses besognes. Je peux vous dire qu'il s'agit au contraire de fonctionnaires et de militaires de grande qualité, qui exécutent des missions parfois extrêmement périlleuses dans des conditions très difficiles, et qui sont dignes de la confiance que leur accorde le Gouvernement.
Il faut distinguer le renseignement de l'information. Alors que l'information est à la disposition de tous, le renseignement est le fait d'une administration qui met en oeuvre la politique du Gouvernement dans son champ de compétence. La première mission d'un service de renseignement, c'est, comme dirait M. de Lapalisse, d'acquérir du renseignement, c'est-à-dire une information qui n'est pas publique et qu'il faut rechercher par des méthodes particulières, parfois clandestines. C'est précisément la raison pour laquelle les services de renseignement eux-mêmes sont aujourd'hui demandeurs d'un plus grand contrôle de la représentation nationale, ce qui sera l'un des objectifs du prochain Livre blanc.
L'objectif de cette mission est noble, puisqu'il s'agit de protéger les intérêts fondamentaux de la nation.
Un service de renseignement se définit aussi par les relations structurées qu'il entretient, dans un cadre bilatéral ou multilatéral, avec des services étrangers homologues. De ce point de vue, il est important que nous disposions d'une capacité indépendante de juger de la qualité du renseignement, ce qui suppose des capteurs, non seulement humains mais techniques, qu'ils soient électromagnétiques ou d'imagerie.
Dans nos démocraties occidentales, les services de renseignement obéissent à trois grands principes de fonctionnement. Le principe de la protection des sources, qui nécessite le secret – j'ai pour habitude de dire que le secret est au renseignement ce que l'isoloir est aux élections : la respiration de la démocratie – ; le besoin de connaître ; enfin la règle du service tiers, qui nous impose de ne pas communiquer une information venant d'un service partenaire sans son autorisation.
Aux termes d'un arrêté du Premier ministre du 9 mai 2011, la communauté française du renseignement compte six services : la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), issue en 2008 du rapprochement entre les anciens Renseignements généraux (RG) et la Direction de la sûreté du territoire (DST) ; la Direction du renseignement militaire (DRM), service essentiellement opérationnel et technique ; la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), qui assure la protection des personnels, des installations et des entreprises de la défense ; la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ; enfin le Service de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins, TRACFIN.
J'ai coutume de dire que ces services sont autant de facettes qui permettent à la communauté du renseignement de capter de la façon la plus brillante tous les aspects du renseignement, de même que le diamant capte la lumière.
Le concept de communauté française du renseignement est nouveau. C'est lui qui a conduit à la création d'un coordonnateur national du renseignement, d'un conseil national du renseignement et à la mise en place d'un plan national du renseignement, qui doit permettre une mutualisation des investissements de toutes les ressources techniques et humaines.
La création, en 2007, d'une délégation parlementaire au renseignement est une innovation majeure. Même si, au départ, les prérogatives que lui confiait la loi étaient limitées du fait de la méfiance entre les services et les élus, elle a finalement permis de nouer, avec les services, des contacts et des relations qui vont bien au-delà de ce que la loi autorise. Il y a aujourd'hui un consensus pour souhaiter l'extension de ses pouvoirs de contrôle. En effet, dans la mesure où il nécessite de déroger au droit commun, le renseignement doit être l'objet de contrôles visant à s'assurer que les dérogations sont nécessaires à la sécurité du territoire et à la protection des intérêts fondamentaux de la nation.
La création de la communauté du renseignement a profondément transformé le renseignement français. J'ai beaucoup utilisé le renseignement lorsque j'officiais dans la police judiciaire : à l'époque, obtenir des informations de services légitimement soucieux de protéger leurs sources relevait d'une véritable partie de « poker menteur ». La mise en place de la coordination a mis fin à ce type de rapports : les services de renseignement, que je réunis au moins une fois par mois, ont appris à se connaître et à travailler ensemble dans la confiance.
La création de l'Académie du renseignement, également préconisée par le Livre blanc, contribue également à l'instauration de relations de confiance entre les services. Chargée d'assurer la formation des cadres de la communauté du renseignement, elle doit permettre d'assurer la diffusion d'une culture du renseignement commune aux différents services. Depuis sa création en 2010, plus de 700 personnes sont passées par cette académie et commencent à diffuser cette culture commune dans leurs services.
Le changement de majorité n'a nullement compromis ces réformes. Surtout, le pouvoir politique assume son rôle de pilotage du renseignement plus qu'il ne l'avait jamais fait. On le mesure lorsqu'on connaît l'importance qu'a prise le renseignement à chaque phase des décisions que prennent le Président de la République ou le Premier ministre – car, même si le coordonnateur est le conseiller du Président de la République, il informe également le Premier ministre des éléments nécessaires à la prise de décision gouvernementale.
Le coordonnateur assume la fonction « connaissance et anticipation », l'une des cinq grandes fonctions – avec la prévention, la dissuasion, la protection et l'intervention – qui, selon le Livre blanc, définissent notre stratégie de défense et de sécurité nationale. Cette fonction permet à l'État de disposer d'éléments indépendants d'appréciation des situations, car il est indispensable que nous ayons notre lecture indépendante des événements pour que les autorités politiques puissent prendre les bonnes décisions. Le renseignement, la connaissance et l'anticipation font partie de la décision d'État.
Le coordonnateur assume trois fonctions. Premièrement, il est le conseiller du Président de la République dans le domaine du renseignement. Il tient également informé le Premier ministre. Il est rattaché au Président de la République par une chaîne courte, puisqu'il n'en est séparé que par l'échelon du secrétaire général. Le coordonnateur transmet aux services les instructions du Premier ministre ou du Président de la République. Chaque jour, le CNR fait pour l'exécutif un point de situation du renseignement dans le monde : il s'agit, dans une note de synthèse, d'informer le Président de la République des événements qui méritent d'être portés à sa connaissance. À partir de ces éléments, il peut, soit donner des instructions, soit demander des renseignements complémentaires, soit réunir un conseil restreint du renseignement. Le coordonnateur est chargé de suivre la mise en oeuvre par les services de renseignement des décisions prises par le conseil national du renseignement. Ce point de situation du renseignement n'existe que depuis la création de la communauté du renseignement. Auparavant, chaque service faisait remonter comme il pouvait ses informations au Président de la République.
Deuxièmement, le coordonnateur est responsable de l'orientation de l'action des services et le garant du bon fonctionnement de la communauté du renseignement, par le biais du plan national d'orientation du renseignement (PNOR), qui fixe chaque année la feuille de route des services. Cette orientation est bien évidemment réadaptée en fonction des événements et les capteurs des services sont réorientés en fonction des besoins. Ainsi la survenance en 2011 de crises majeures dans plusieurs pays du Maghreb, que personne n'avait prévues, a contraint les services à réorienter leurs capteurs.
Le coordonnateur s'assure de l'adéquation entre la production des services et les besoins de l'État. En outre, il pilote l'Académie du renseignement et la délégation interministérielle à l'intelligence économique, bien que cette structure soit rattachée à Bercy.
Troisièmement, le coordonnateur est le garant des moyens et des capacités consacrés à la fonction de renseignement. Certes, ce n'est pas le coordonnateur qui arrête le budget des services – lequel est préparé par les ministères de tutelle –, mais il défend les moyens des services auprès des ministres, qu'il s'agisse des besoins de fonctionnement les plus quotidiens ou des équipements majeurs comme les satellites.
Le coordonnateur a également la charge de veiller à ce que la mutualisation des moyens techniques se fasse dans les meilleures conditions. À la différence de ce qui se passe dans d'autres pays, les services de renseignement français ne disposent pas d'une agence technique : c'est à la DGSE qu'est dévolue la mise en place de l'essentiel des capacités techniques mutualisées au profit de l'ensemble de la communauté du renseignement.
Le coordonnateur doit par ailleurs s'assurer que la gestion des ressources humaines dans les services est adaptée à l'évolution de la culture du renseignement. Aujourd'hui, le renseignement recouvre des carrières fort diverses, pour lesquelles il faut détecter et recruter les bons profils.
Enfin, le coordonnateur prépare les décisions du Premier ministre pour la répartition des fonds spéciaux.
Je voudrais dire en conclusion que le bilan de la coordination est excellent, comme en atteste la décision du Président de la République de poursuivre dans cette voie, et même d'aller plus loin encore. Désormais, les partenaires des services ont face à eux un interlocuteur responsable à qui s'adresser en cas de dysfonctionnement.
Parmi les acquis les plus importants de la réforme, il faut compter le pilotage politique du renseignement : l'exécutif n'hésite pas à utiliser le renseignement comme un des outils de mise en oeuvre de sa politique.
Il faut également saluer l'émergence d'une communauté du renseignement, même si elle n'a pas encore produit tous ses effets, et souligner l'importance du principe de mutualisation et de l'adaptation des ressources humaines. Enfin, la création d'une délégation parlementaire au renseignement constitue une avancée incontestable.