Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, voici une réforme fondatrice et équilibrée car elle va aussi loin qu'il est possible pour engager tous les pays européens sur la même route sans prendre le risque de mettre notre système bancaire en difficulté.
La crise bancaire de 2008 signe l'échec de la régulation prudentielle, comme l'a souligné Mme la rapporteure. En effet, pendant des années, on a cru que pour accompagner le développement des marchés financiers, il suffisait de continuer à réguler le bilan des banques ; ce faisant, on a totalement oublié que toutes les opérations de marché se développaient hors bilan. Or ces opérations ont conduit à une multiplication incontrôlée de produits dérivés, une montagne de dettes qui s'est écroulée lorsque les anticipations des marchés se sont retournées.
La réflexion sur la régulation s'est poursuivie. Est revenue une idée née dans les années trente, une réforme structurelle majeure qui a été à l'origine des réflexions de Liikanen, de Volcker et de Vickers : il s'agit du Glass-Steagall Act voulu par Roosevelt. Considérant que la crise de 1929 était due à la fois à une explosion des inégalités et à des dérives financières ayant entraîné les banques à se lancer dans des activités qui les éloignaient de leur métier, il a procédé à une séparation entre banques de dépôt et banques d'investissement. L'idée qui sous-tendait sa réforme était très simple : réguler étroitement les activités les banques de dépôt, parce qu'elles remplissent une mission d'intérêt général en gérant les dépôts et en octroyant des crédits à l'économie, et les séparer des banques d'investissement, qui peuvent continuer à spéculer mais en assumant les risques sans que le contribuable ait à venir à leur secours.
La généralisation de cette réforme, après bien d'autres réformes lancées par Roosevelt comme le New Deal ou la taxation à 80 % des très hauts revenus (Sourires), a structuré très largement l'économie mondiale après la seconde guerre mondiale. C'est ainsi que celle-ci a connu une période exceptionnelle tant qu'a prévalu le système de Bretton Woods : pour la première fois dans l'histoire, aucune crise bancaire n'a engendré de crise systémique et n'a mis en danger le système des paiements, tout simplement parce que la séparation des activités jouait un rôle fondateur dans la régulation. Les banquiers faisaient leur métier de banquiers en étant attentifs aux crédits et aux dépôts sans spéculer sur les marchés.
Puis, avec l'éclatement du système de Bretton Woods, est venu le temps du flottement des monnaies, du développement des marchés financiers, des paradis fiscaux aussi. À cela s'est ajoutée la grande dérégulation libérale des années quatre-vingt qui a finalement conduit à ce que nous avons connu pendant ces dix dernières années : un développement des marchés financiers sans règles et sans limites aboutissant à la crise.
J'en reviens aux réformes actuelles.
Ce n'est pas un hasard si, après avoir longtemps hésité, économistes et politiques en sont venus à se dire qu'il fallait reposer le problème de la séparation des activités bancaires, mais dans un contexte évidemment différent qui rend inapproprié un simple décalque de ce qui s'est fait en 1933.
D'une certaine façon, lorsque nous analysons les trois réformes proposées par Volcker, Vickers et Liikanen, nous constatons que chacune est bien adaptée à la réalité de son pays.
Volcker a proposé un système à l'américaine qui n'est pas très éloigné de la séparation instaurée par le Glass-Steagall Act : il consiste à interdire la spéculation pour compte propre.
Vickers, comme l'a souligné le président de la commission des finances, s'est parfaitement adapté à l'économie anglaise : une économie de marchés financiers à l'intérieur de laquelle la banque de dépôt est préservée.
Liikanen, pour sa part, a proposé un système parfaitement adapté à l'économie de l'Europe continentale caractérisée par des banques universelles qui, si elles se livrent à des activités de marché, sont fondamentalement des banques de dépôt. Il a ainsi proposé de cantonner l'activité de spéculation en conservant ses propriétés à la banque de dépôt.
J'estime qu'il s'agit de la bonne méthode. Et la force du projet que porte Pierre Moscovici est qu'il s'inscrit pleinement dans cette logique. Il est donc parfaitement adapté à notre économie tout en nous permettant d'avancer. Le problème, en effet, c'est que les Américains se sont en quelque sorte embourbés dans une réforme très compliquée, avec toute une zone grise où il est difficile de discerner ce qui relève de la spéculation de ce qui relève de l'activité d'une banque de dépôt.