Un trublion qui n'a pas eu la chance dans sa vie de fréquenter les puissants ou les savants. J'ai fait peu d'études, mais j'ai toujours été un militant paysan, et c'est autour de cette militance que j'ai pu voyager dans le monde, rencontrer d'autres militants paysans. Ce dont je vais vous parler est nourri de cette expérience.
Paroles de trublion, donc : notre adversaire, c'est la misère ! Quand elle est le fruit de la désinvolture ou de la paresse, il faut la combattre par l'effort ; quand elle est le fruit d'une nature hostile, d'un corps meurtri ou d'un esprit chagrin, notre combat s'appelle fraternité. Mais lorsque que la misère est la conséquence d'un désordre structurel, c'est la révolte qui nous guide : la misère crie justice !
Les paradis fiscaux sont le creuset de l'évasion fiscale, de la concurrence faussée, du blanchiment, de la corruption et des spéculations folles. Ils minent l'économie réelle, celle qui nourrit et soigne le monde, donne du travail, celle qui demain devra investir dans la transition énergétique. Ils sont un scandale pour l'éthique républicaine, un gouffre pour les comptes publics, un enfer pour les populations les plus fragiles de la planète – j'en ai été témoin.
Le jeu est truqué, et ce sont désormais 50 % des échanges mondiaux qui transitent par la finance offshore en des contrées qui ne pèsent que 3 % du produit mondial brut. Un jeu de cache-cache géant auquel s'adonnent les douze premières compagnies financières européennes, avec un quart de leurs filiales – cinq cent quarante-sept sont « françaises » : c'est 10 % de plus qu'en 2010. Elles tirent parti du désordre du monde et l'accentuent en s'affranchissant des règles élémentaires du juste échange : le respect du producteur et le respect de l'impôt.
Oui, le jeu est truqué, et aucun langage techno ou abscons ne peut dissimuler la triste évidence, et le ressort primitif qu'est l'appât du gain. La modernité a simplement donné à l'effet papillon la vitesse du trading haute fréquence.
Ce libéralisme fou, sans foi ni loi, est une forme de barbarie, car l'opacité de certains eldorados fait courir à nos établissements bancaires un risque majeur : franchir la frontière fragile qui les sépare de l'argent criminel, celui de la drogue et du terrorisme.
L'évasion fiscale, c'est au bas mot 50 milliards d'euros pour la France, soit peu ou prou le budget de l'éducation nationale et assez, partout ailleurs, pour vaincre la faim.
Alors oui, bien sûr, il faut lutter contre l'ordinaire : fraudes fiscales, sociales et autres tricheries malheureusement banales. Mais le respect de nos principes, comme le souci de l'efficacité, exige pour le moins que la grande fraude soit combattue avec la même énergie, pour la santé de nos économies et le sens civique, autrement dit pour le moral de nos concitoyens.
Notre vie publique, son commun comme son esprit, est comme un tonneau qui perdrait son eau par de multiples trous. Tous doivent être colmatés… mais la sagesse ne commande-t-elle de commencer par ceux qui sont les plus gros et les plus bas ?
Combien de déclarations enflammées depuis vingt ans ? Combien de résolutions internationales et de projets de loi inaboutis ? Souvenons-nous des grandes voix qui se sont exprimées ici même et de l'espérance que suscita la promesse de celui qui est devenu notre Président. La sincérité n'est pas en cause, mais chaque fois on hésite, on tergiverse, jusqu'à dresser une liste des États et territoires non coopératifs qui ne touche aujourd'hui que 0,1 % de la cible…