Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, puisque les références littéraires ont été à l'honneur lors de la séance de questions au Gouvernement et même un peu après, je vais, moi aussi, me permettre de vous en citer quelques-unes.
« Il s'agit là vraiment d'une lame de fond. En vain la Réserve fédérale a essayé de se mettre en travers en élevant le taux de l'argent. En vain, les banquiers, le grand nombre d'agents de change et la plupart des chefs d'industrie ont-ils essayé de faire entendre la voix du bon sens.
«Toutes les barrières ont été emportées… »
« Naturellement l'argent qui sert à spéculer doit être pris quelque part. Il est pris dans les caisses des banques. Il est pris dans l'épargne, dans les économies, dans la restriction des dépenses de la vie normale ».
Ces phrases auraient pu être prononcées en 2008. Elles l'ont été bien plus tôt, il y a quatre-vingt-cinq ans, en 1928, avant le fameux krach qui a secoué l'Amérique en 1929. Elles n'émanent pas d'un économiste, monsieur Pierre-Alain Muet, mais d'un dramaturge diplomate, Paul Claudel, qui regardait, lui aussi, avec justesse le monde qui l'entourait.
La question soulevée est celle de la digue : dans une crise financière, le danger, c'est l'emballement, car dans ce cas, le bilan bancaire devient une courroie de transmission. Soit on la contrôle, soit on la laisse filer, et l'emballement se propage alors à l'économie entière. La crise financière a commencé aux États-Unis en partant de l'immobilier, avec les subprimes. Il n'y a rien de moins délocalisable que l'immobilier, rien de moins « mondialisable ». Et pourtant cette crise non mondialisable a allègrement traversé l'Atlantique.
Mes chers collègues, Pierre-Alain Muet l'a rappelé, ainsi que Mme la rapporteure, chaque réforme a façonné le secteur bancaire.
J'évoquerai, bien sûr, le Glass-Steagall Act. Vous l'avez rappelé, monsieur Muet, il y a eu aucune crise mondiale pendant le temps où le Glass-Steagall Act a été mis en oeuvre.
Dans les années quatre-vingt, il y a eu une forte tendance à la dérégulation qui, en théorie, a ouvert de nouvelles possibilités de financement. Cela a sans doute permis un accès plus facile au crédit. Pour autant, lorsque le système s'emballe et que la courroie n'est plus contrôlée, on aboutit à la crise que nous connaissons depuis presque six ans maintenant.
La réforme que vous proposez, monsieur le ministre, et que nous portons aujourd'hui va contribuer à dessiner le monde bancaire de demain. Bien sûr, il y a Bâle III qui demande une augmentation des fonds propres et une gestion plus restrictive de la liquidité. Mais il n'y a encore rien eu visant à contrôler qui bénéficie de l'argent public – en apport de capital, en liquidité ou en garantie. C'est, je crois, l'objectif numéro un de ce projet de loi, même si Mme la rapporteure en a cité plusieurs : contrôler quelles activités l'argent public va aider et de quelle manière. Dans une République comme la nôtre, c'est le devoir absolu du législateur.
Cet objectif, c'est ce que visent les titres Ier et II du projet de loi.
J'évoquerai d'abord la séparation. Vous créez un nouvel outil, monsieur le ministre : des paires de ciseaux, pour reprendre les termes de Mme la rapporteure, un couteau de boucher pour certains, une digue pour ceux qui préfèrent les travaux publics. Vous cantonnez ainsi dans une filiale un certain nombre d'activités qui ne bénéficieront à aucun moment d'une aide publique en capital ou en liquidité en cas de crise. Tous les pays du monde qui ont commencé à réfléchir à l'organisation future à donner au système bancaire ont contourné la question de ce cantonnement de la tenue de marché. Avec vous, monsieur le ministre, nous sommes les premiers à porter cette réforme.
La question de la tenue de marché est cruciale, parce que, pour faire les meilleurs prix, mieux vaut avoir du stock. Le coeur de la question porte sur la taille du stock, et sur les gains ou les pertes qui peuvent résulter de la variation de prix de ce stock. C'est une question cruciale, parce que, dans les bilans bancaires, la taille des stocks peut devenir vertigineuse. C'est une question difficile qui a été longuement abordée en commission, car où fixer la ligne de fracture pour ne pas affaiblir notre économie, soit faute de financement suffisant par le marché, soit du fait d'un excès de liquidité qui emporte tout ? La solution proposée par ce projet de loi amendé par la commission des finances vise à permettre cette activité, tout en se donnant la possibilité de la limiter en cas de surchauffe.
La résolution est sans doute le point le plus difficile. Écrire son testament n'est jamais simple, puisque c'est se pencher sur sa propre mort. Dans le cas des banques, il faut aussi penser la résolution comme étant la conséquence de la mort d'un autre établissement, ou viser à organiser sa propre mort pour sauver tout le système. C'est un exercice de projection difficile, mais quiconque a vécu le fameux week-end des 13 et 14 septembre 2008, sait que c'est un exercice qui est devenu indispensable, et nous sommes, en France, les premiers à le proposer. Ce fameux week-end, les banques françaises s'en sont mieux sorties que beaucoup d'autres dans le reste du monde, parce qu'elles étaient moins risquées, moins exposées que d'autres. Pour autant, ce week-end a montré à chacun que la fin du monde pouvait être proche, et surtout que, dans un système imbriqué, il faut être capable de comprendre vite et bien la conséquence de ses actes sur les autres établissements et sur le système entier.