Intervention de Claude de Ganay

Réunion du 13 février 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaClaude de Ganay, rapporteur :

La violence scolaire préoccupe au plus haut point l'ensemble de la représentation nationale, comme en atteste l'audition du délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, M. Éric Debarbieux, à laquelle a procédé la Commission le 10 octobre 2012. Je forme donc le voeu que nos échanges soient constructifs, dans l'intérêt de la communauté éducative et des élèves victimes d'atteintes aux personnes ou aux biens.

Le phénomène de la violence scolaire est prégnant dans les établissements français. Les derniers chiffres collectés par le système d'information et de vigilance sur la sécurité à l'école (SIVIS) montrent que ce fléau tend à croître : au cours de l'année 2011-2012, 13,6 incidents graves pour 1 000 élèves ont été déclarés dans chaque établissement du second degré, contre 12,6 l'année précédente.

Les statistiques doivent bien sûr être interprétées avec prudence, car le SIVIS est régulièrement ajusté pour tenir compte au mieux des manifestations de la violence à l'école. Sur la durée, il fournit néanmoins une tendance assez nette qui ne peut que nous inquiéter.

Lorsqu'on entre dans le détail des données rendues publiques par le ministère de l'éducation nationale, on constate que le niveau d'exposition à la violence est très disparate selon les types d'établissements. Les lycées professionnels sont particulièrement touchés, avec un nombre de faits supérieur de 6 points à la moyenne et une progression de 49,6 % des incidents répertoriés depuis 2009. Avec une moyenne de 15 incidents pour 1 000 élèves, les collèges sont aussi très concernés. Seuls les lycées d'enseignement général et technologique apparaissent relativement épargnés, mais ce constat est en trompe-l'oeil, dans la mesure où les incidents graves y ont augmenté de 52,7 % depuis 2009.

À cette disparité selon la nature des établissements s'ajoute une disparité territoriale assez importante. Un quart des établissements du second degré ont déclaré 73 % des incidents recensés ; un dixième en ont relevé 44 %. Certains établissements concentrent donc l'essentiel des difficultés.

La plupart des incidents officiellement répertoriés sont des atteintes aux personnes. Parmi elles, le SIVIS identifie deux catégories particulièrement répandues et inquiétantes : les agressions verbales, qui ont représenté 40,4 % des incidents en 2011-2012, et les agressions physiques, qui en ont représenté 33,4 %. Viennent ensuite les atteintes aux biens, pour 10 %, et celles à la sécurité, pour 9,3 %, cette dernière catégorie intégrant les problèmes relatifs aux stupéfiants et à la circulation d'armes.

Heureusement, les violences scolaires demeurent donc relativement limitées à des actes d'incivilité et de brutalité relative. Il n'empêche qu'en visant plus particulièrement les personnels, qui représentent 53 % des victimes, et les élèves, 38 % des victimes quant à eux, elles affectent notablement le déroulement des apprentissages et l'épanouissement des esprits.

Deux enquêtes de victimisation sont à cet égard fort instructives.

La première a été conduite auprès de 18 000 collégiens, à la suite des états généraux de la sécurité à l'école du printemps 2010 et des assises nationales sur le harcèlement à l'école des 2 et 3 mai 2011. On y apprend que chaque collégien déclare être victime, en moyenne, de trois incidents ou actes de violence chaque année, 30 % soulignant être victimes de violences physiques répétées. Nous devons être attentifs à ces résultats au vu des conséquences potentielles de ces agressions sur les jeunes. Je me bornerai ici à rappeler le consensus des experts sur le fait que les victimes de violences scolaires sont plus sujettes que d'autres au décrochage – 20 % d'entre elles s'absentent des cours et 29 % sont moins attentives en classe – et qu'elles sont affectées de troubles de la santé tels que somatisation et dépression, voire que cela rejaillit sur leur comportement en classe – je pense notamment au développement de l'agressivité.

La seconde enquête concerne les personnels, qui font paradoxalement l'objet d'une attention moindre dans les dispositifs statistiques officiels. Je me réfère à une enquête publiée l'an passé par M. Éric Debarbieux sur les personnels enseignants de Seine-Saint-Denis. On y constate que les enseignants des collèges et lycées professionnels sont confrontés à une violence qui se manifeste d'abord par des injures et des menaces. En résulte un sentiment d'insécurité qui pèse sur l'exercice d'une mission pourtant essentielle à la vie en collectivité.

Conscients de la gravité de la situation, les pouvoirs publics, quels qu'ils soient, n'ont de cesse de promouvoir des dispositifs de prévention et de lutte contre ces violences inacceptables.

Il ne me semble pas inutile de rappeler, voire de réhabiliter les mesures prises sous le quinquennat précédent à la suite des états généraux de la sécurité à l'école et des assises nationales sur le harcèlement à l'école. Contrairement à certaines affirmations sans doute hâtives, cette politique ne saurait être résumée à « plus de sanctions ». Elle reposait sur des ressorts bien plus subtils et pertinents, tels que : la modernisation des instruments de mesure de la violence à l'école, afin de parfaire notre connaissance des problèmes ; la sécurisation des établissements sur la base d'états des lieux précis, avec 14 700 préconisations formulées, dont un tiers ont été mises en oeuvre, et l'institution d'équipes mobiles de sécurité que nul ne remet aujourd'hui en cause ; la responsabilisation des acteurs et l'amélioration des sanctions disciplinaires, plus systématiques, mais moins axées autour de l'exclusion, pour éviter la déscolarisation ; enfin la conduite d'actions ciblées, d'une part, sur les élèves les plus violents, notamment grâce à un suivi et à un accompagnement personnalisés au sein des établissements de réinsertion scolaire, et, d'autre part, sur les établissements les plus exposés aux incidents graves, à travers le programme Écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite (ÉCLAIR).

Je constate avec satisfaction que beaucoup de ces initiatives ne sont pas remises en cause. Le Gouvernement a annoncé à l'automne la mise en place de dispositifs complémentaires : recrutement de 500 assistants de prévention et de sécurité (APS) à la rentrée 2012, installation de la délégation ministérielle confiée à M. Éric Debarbieux et instauration d'un enseignement moral et civique. Les intentions sont louables, mais j'ai quelques doutes sur l'efficacité de ces mesures. Au mieux, il s'agit d'initiatives aux effets de long terme ; au pire, il est à craindre qu'aucun infléchissement notable n'affecte la courbe des faits de violence enregistrés à l'école.

La proposition de loi que je défends aujourd'hui n'est pas une panacée. Par son caractère concret et opérationnel, elle tranche néanmoins avec les annonces du Gouvernement et de la majorité. Elle vise tout simplement à transposer aux atteintes aux personnes commises dans l'école et aux atteintes aux biens de l'école le mécanisme institué au sujet des élèves absentéistes par la loi n° 2010-1127 du 28 septembre 2010, dite « loi Ciotti ». Il s'agit de mettre en place des dispositions juridiques permettant d'associer plus étroitement les parents d'enfants violents à la résolution des problèmes.

Sans doute, les caricatures ne manqueront pas, qui ne retiendront de ce texte que la possibilité de suspendre les allocations familiales perçues par les parents d'enfants violents à l'école. Cette analyse restrictive, comme l'était d'ailleurs celle de la « loi Ciotti », n'aurait cependant pas cours si nos débats étaient dénués de toute considération idéologique. Le mécanisme proposé s'appuie en effet sur un accompagnement administratif et social des parents, formalisé à travers le contrat de responsabilité parentale. D'autre part, la suspension des allocations familiales – qui n'intervient qu'au terme d'une phase d'avertissements successifs et de violences réitérées – n'est pas définitive, mais temporaire.

Je n'ignore pas que notre Assemblée a adopté, le 17 janvier, une loi abrogeant les dispositions de la « loi Ciotti », voyant dans le faible nombre de suspensions décidées – 0,5 % des signalements au premier semestre 2011 et 1,8 % en 2011-2012 – un signe de l'absence de portée du dispositif. C'est là une erreur d'analyse, dans la mesure où ces règles avaient une visée dissuasive et non punitive : elles ont d'ailleurs rempli leur objectif en ramenant à l'école des milliers d'élèves avertis pour un absentéisme anormal.

En outre, même si l'absentéisme et la violence à l'école renvoient à des causes et à des situations différentes, ils touchent principalement les mêmes catégories d'élèves, qui éprouvent un réel mal-être au sein de l'école. Les aider à retrouver les repères de la vie en collectivité et les bases du respect d'autrui requiert la mobilisation de tous, à commencer par leurs parents. Or un mécanisme d'avertissement crédible, assorti de sanctions incitatives, apparaît parfois nécessaire à la responsabilisation des dépositaires de l'autorité parentale.

Ce texte m'apparaît donc pragmatique, approprié et susceptible de produire des résultats tangibles. Regrettant l'abrogation des dispositions de la « loi Ciotti », qui me semblaient complémentaires à celles que je défends, j'ai déposé quelques amendements visant à les rétablir. Dans certains cas, ce rétablissement s'avère d'ailleurs nécessaire pour conférer une portée effective au texte.

J'invite nos collègues de la majorité à méditer le fameux adage : « Errare humanum est, perseverare diabolicum ». Puisse-t-il les inspirer au moment du vote !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion