Dans l'échange de questions et de réponses à suivre, qui devrait être plus polémique, vous aurez tout loisir de valoriser les réformes engagées par des membres de l'ancienne majorité. Si la justice doit être apaisée, l'expression au Parlement ne l'est pas nécessairement. Le pluralisme des opinions est le propre de la démocratie. Il faut se féliciter que chacun défende avec passion ce en quoi il croit quand il s'agit d'un service aussi important pour l'État de droit que celui de la justice, et j'espère bien que nous ne croyons pas tous en la même chose. C'est d'ailleurs cela même qui justifie l'alternance.
Une justice impartiale et sereine, disais-je. Beaucoup doit être porté au crédit de la gauche en matière d'indépendance de la justice : suppression en 1981 des juridictions d'exception, de la Cour de sûreté de l'État et des tribunaux militaires, fin en 1997 des instructions individuelles et réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), votée par l'Assemblée nationale et le Sénat, mais qui n'a pu l'être par le Congrès, le Président de la République de l'époque ayant refusé de le convoquer.
Au niveau constitutionnel, plusieurs chantiers sont ouverts. Tout d'abord, celui de la réforme du CSM, qu'il s'agisse du mode de désignation de ses membres, de sa présidence, de ses compétences, de ses pouvoirs, de son rôle en matière disciplinaire, de ses moyens de fonctionnement…
Ensuite, la réforme du Parquet. Il n'y aura plus, il n'y aura pas, je l'ai dit, d'instructions individuelles, mais il continuera bien entendu d'y avoir des instructions générales et impersonnelles, ce qui ne signifie d'ailleurs pas qu'elles doivent nécessairement concerner l'intégralité du territoire. Une situation donnée en un lieu donné ou des actions répétitives sur un même mode opératoire peuvent justifier une instruction générale et impersonnelle. En cas de conflit routier par exemple, une telle instruction peut indiquer au Parquet à partir de quels éléments du code traiter les incidents. En sens inverse, les remontées d'informations techniques et juridiques en provenance des juridictions alimentent la politique pénale.
L'article 30 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 9 mars 2004, dispose que le garde des Sceaux conduit la politique d'action publique. Cela ne me paraît pas un progrès démocratique. Nous sommes nombreux ici à penser que s'il appartient au garde des Sceaux de définir la politique pénale sur l'ensemble du territoire, l'action publique doit être exercée par les parquets. Si les procureurs généraux peuvent, eux, continuer de donner des instructions, il faut leur donner des garanties statutaires. Cela renvoie à la réforme de leur statut.
Toujours en matière de réformes d'ordre constitutionnel, le Président de la République s'est engagé à supprimer la Cour de justice de la République, sur laquelle pèse à tort mais systématiquement, la suspicion. Sa composition est en effet de nature à faire douter de son impartialité et demeure posée la question des critères de recevabilité des plaintes.
Autre chantier : la réforme du statut pénal du Chef de l'État et du Conseil constitutionnel.
Nous maintiendrons les juges d'instruction. Nous sommes en effet persuadés de leur rôle indispensable pour conduire des enquêtes indépendantes de qualité, mener à bien des enquêtes dans certains domaines comme celui de la délinquance économique et financière, ou bien encore de la responsabilité en matière de santé et d'environnement. Nous traiterons bien entendu de la collégialité, prévue pour début 2014.
Un mot de la direction de la police judiciaire, sujet à l'ordre du jour de mes discussions avec mon collègue ministre de l'Intérieur. Les articles 12 à 14 du code de procédure pénale définissent les conditions d'exercice et de contrôle de la police judiciaire, placée sous la direction du ministère de la Justice. Il ne s'agit pas de revendiquer le rattachement de la police judiciaire à la Chancellerie mais de s'assurer que celle-ci en assure la direction effective et a bien autorité sur les officiers de police judiciaire.
Presque tous les magistrats pénalistes que j'ai rencontrés m'ont dit que les moyens pour lutter contre la délinquance économique et financière avaient été considérablement réduits et déplorent une dégradation de la qualité des procédures. Ce sont en effet de plus en plus souvent des agents de police judiciaire qui leur rendent compte. Sans nullement stigmatiser ces agents, force est de reconnaître que se pose la question de leur formation et de leur encadrement. Si les chefs de juridiction considèrent le traitement en temps réel (TTR) comme un progrès, ils conviennent aussi que la moindre qualité de ce qui leur remonte en altère quelque peu l'efficacité.
Impartiale et sereine, la justice doit également être plus proche des citoyens. Cela suppose de tenir compte des évolutions de la société. L'un des premiers textes qui vous sera proposé concernera le mariage et l'adoption pour tous. C'est une demande de la société aujourd'hui et, nous l'avons vu par le passé, celle-ci est souvent en avance sur les institutions. Le sujet est d'extrême importance, touchant à l'état des personnes et ayant de multiples incidences, en matière de filiation, de transmission du nom, de patrimoine, de conventions internationales… Il est aussi d'une très grande technicité juridique. La Chancellerie y travaille de manière approfondie.
Le Président de la République s'est également engagé sur un habeas corpus numérique. Je reviendrai plus en détail sur cette question de la protection des données personnelles, d'ordre à la fois national et européen puisque la directive européenne sur le sujet est en cours de révision. J'ai commencé à travailler avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), laquelle sera associée formellement aux consultations.
Comme le Président de la République en a pris l'engagement, nous introduirons également dans notre droit la notion de préjudice écologique. Sur le sujet, chaque juridiction juge aujourd'hui comme elle le peut, ce qui conduit à une jurisprudence disparate. Les atteintes portées à l'environnement doivent être mieux définies et encadrées.
Nous aurons aussi à revenir sur le sujet de la protection des sources des journalistes, certains éléments de la loi du 4 janvier 2010 exigeant d'être précisés.
Rendre la justice plus accessible passe par une carte judiciaire adaptée mais exige aussi de tenir compte des moyens des justiciables. La taxe de 35 euros désormais exigée pour agir en justice entrave incontestablement l'accès au droit. Mais son produit alimentant le budget de l'aide juridictionnelle, la supprimer risquerait de pénaliser les justiciables éligibles à cette aide. Dans le projet de loi de finances pour 2013, nous travaillerons surtout sur les clauses d'exonération : le plafond de ressources ouvrant droit à l'aide juridictionnelle est aujourd'hui fixé à 929 euros – rappelons que le seuil de pauvreté est à 954 euros. Au-delà des ressources stricto sensu, il faut aussi, à revenu égal, prendre en compte la situation des personnes, celle d'une personne seule n'ayant rien à voir avec celle d'une personne ayant par exemple trois enfants à charge et se trouvant endettée. Pour les années suivantes, nous devrions disposer des résultats des expertises que j'ai lancées sur des pistes alternatives de financement de l'aide juridictionnelle, ce qui permettrait de supprimer la taxe de 35 euros.
Pour ce qui concerne l'action de groupe, plusieurs propositions de loi ont été déposées, sur lesquelles nous nous appuierons.
Il nous faudra aussi mettre de l'ordre dans le maquis des juridictions sociales. Une refonte s'impose afin de gagner en cohérence.
Devra également être abordée la question de la territorialité des tribunaux. L'institution d'un tribunal de première instance, dont l'hypothèse a été formulée, faciliterait l'accès des citoyens à la justice. Les tribunaux doivent aussi être plus ouverts sur la société, avec des assesseurs non professionnels. Nous en avons l'expérience avec les tribunaux pour enfants et l'échevinage. Encore faut-il que ces assesseurs bénéficient de la formation nécessaire.
Sachez que j'ai adressé récemment aux parquets une instruction sur la situation économique générale afin de les alerter sur ce qui peut se passer dans leur ressort et leur demander de coopérer avec les délégués du ministère du Redressement productif, placés dans les préfectures de région et qui, en amont de procédures judiciaires, réfléchiront aux moyens de préserver les intérêts à la fois des entreprises, des salariés et des créanciers, et, lorsqu'une procédure n'aura pu être évitée, veilleront à son bon déroulement et son impartialité. Les parquets peuvent toujours s'appuyer sur les services d'administration centrale de la Chancellerie, en particulier la direction des affaires civiles et du Sceau.
Je ne reviens pas sur l'effort particulier qui sera consenti pour la justice civile.
La justice impartiale, sereine et plus proche des citoyens, que nous appelons de nos voeux, reposera sur une nouvelle politique pénale guidée par quelques grands principes : recherche de l'efficacité en tous domaines et à tous les niveaux du procès pénal ; affirmation sans ambiguïté que la prison ne constitue pas la seule réponse ; meilleure individualisation des peines et du parcours pénal ; plus grande attention portée aux victimes, y compris lorsqu'elles ne se sont pas constituées partie civile ; renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs ; garantie du respect en tous points des droits de la défense.
Les peines plancher, tout comme la rétention de sûreté, ayant été instituées par la loi, seule une nouvelle loi pourra les abroger. La nouvelle politique pénale aura aussi des incidences sur les tribunaux correctionnels pour mineurs, le recours à la comparution immédiate et l'aménagement des peines. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
S'agissant de l'immobilier, les programmes de rénovation seront maintenus et les établissements pénitentiaires les plus vétustes fermés. L'objectif annoncé par certains durant la campagne présidentielle de 80 000 places de prison à terme ne sera pas retenu – d'autant que la mesure n'était pas financée ! Pour autant, il faut réduire la surpopulation carcérale. Les aménagements de peine y contribueront. Il faut aussi donner aux services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) les moyens nécessaires pour mieux accompagner les détenus, améliorer leurs chances de réinsertion et ainsi lutter efficacement contre la récidive.
Éminemment respectueuse du Parlement et de la relative maîtrise qu'il a de son ordre du jour, je ne vous donnerai pas maintenant le calendrier précis des réformes. J'indique seulement que le projet de loi relatif au harcèlement sexuel, présenté après engagement de la procédure accélérée, sera débattu en séance plénière au Sénat le 11 juillet et à l'Assemblée nationale le 24 juillet. Quelques-uns des textes que j'ai cités plus haut seront présentés à la rentrée, en particulier le projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption à tous.
Sur la justice des mineurs et les centres d'éducation fermés (CEF), vous connaissez les engagements du Président de la République. J'ai demandé à l'inspection générale des services de dresser un état des lieux : répartition des établissements sur le territoire, publics accueillis, manière dont les juges recourent à ces établissements, modalités de sortie pour les mineurs concernés… De là, nous devrions avoir une vision d'ensemble de l'éventail des accueils possibles pour les mineurs délinquants en fonction de leur profil.
Il nous faudra voir aussi la question de la césure du procès pénal, introduite par la loi du 10 août 2011. Nous pourrons nous appuyer sur plusieurs travaux tout à fait intéressants, notamment ceux de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
D'une façon générale, l'idée est d'individualiser au maximum la peine et le procès pénal, ce qui est exclusif de dispositifs comme les peines plancher qui réduisent la latitude d'appréciation des juges. Alors que ces sanctions automatiques n'ont qu'une incidence dérisoire, sinon nulle, sur la commission de délits graves ou de crimes, elles augmentent beaucoup le nombre de courtes peines prononcées. Il a pourtant été établi que celles-ci favorisent la récidive car elles ne donnent pas le temps d'accompagner les détenus ni de préparer leur réinsertion.
L'aide aux victimes sera une autre priorité, le Premier ministre y a insisté dans son discours de politique générale. Elles se verront ouvrir de nouveaux droits, les associations d'aide seront pérennisées et les bureaux d'aide aux victimes (BAV), qui, de l'avis de tous, magistrats comme avocats, accomplissent un travail remarquable, seront développés. On n'en compte aujourd'hui qu'une cinquantaine pour 165 tribunaux de grande instance.
Une conférence de consensus sera organisée sur la prévention de la récidive. Ce ne sera pas un énième colloque, mais une méthode de travail, un lieu de recueil des avis, de collecte des travaux sur le sujet, de mobilisation des experts, d'étude des expériences conduites à l'étranger, d'évaluations scientifiques. Au terme de ce travail, nous espérons mettre au point collectivement une politique publique plus efficace de prévention de la récidive.
Le Président de la République s'est engagé à supprimer la rétention et la surveillance de sûreté. En revanche nous regarderons de près d'autres dispositifs post-peine, comme le suivi socio-judiciaire et la surveillance judiciaire qui semblent constituer des réponses au souci de suivre un détenu au-delà de sa peine.
Je ne m'étends pas sur la délinquance économique et financière, nous aurons certainement l'occasion d'y revenir au cours de la séance des questions et des réponses.
Contenu, méthode, style, je vous ai tout dit. Je vous ai exposé notre conception du service public de la justice. L'une de nos préoccupations est de rééquilibrer l'effort en matière de justice civile. Sans ouvrir de grand chantier de réforme du code pénal et du code de procédure pénale, nous viserons à les rendre plus cohérents, plus lisibles et sans doute plus rationnels.