Quand elle licencie, une entreprise de haute technologie et d'innovation envoie un très mauvais message politique à la jeunesse et à la nation. Si l'innovation et la R&D sont des atouts pour la compétitivité et pour l'emploi, tout doit être fait pour maintenir l'existant et le rendre performant. On ne peut laisser périr la partie française d'un des derniers groupes mondiaux de l'industrie des télécommunications, d'autant que les besoins en la matière sont immenses. Développer et relocaliser l'industrie des TIC en France serait un vecteur de croissance pour l'avenir.
À l'inverse, la suppression d'emplois au sein du groupe aurait non seulement un coût politique, mais aussi un impact social considérable. Il faut au contraire poursuivre le rajeunissement de son salariat en embauchant en France, en s'appuyant par exemple sur le contrat de génération. La pérennité des sites sur les territoires est à ce prix.
L'attribution de marchés d'études nécessaires à l'avenir économique et social de la France et de l'Europe permettrait de transformer en produits et en emplois les innovations dans toute une série de domaines : 4G, IP, optique, ADSL, applications ou small cells. Le groupe jouerait alors un rôle structurant dans l'économie et redeviendrait un acteur industriel incontournable pour les projets européens.
Il faut faciliter sa participation aux projets d'innovation de la Commission européenne, comme le septième programme-cadre (FP7). Les partenariats avec les opérateurs, avec les autres acteurs de la filière dont les TPE et les PME, ou avec les laboratoires de recherche des universités et des écoles doivent être encouragés. Les partenariats d'AT&T ou Verizon aux États-Unis sont exemplaires ; nos pôles de compétitivité ou instituts de recherche technologique sont des modèles à développer.
Alors qu'Alcatel-Lucent France possède une expérience qui lui permettrait de déployer des projets clients en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, le nouveau plan de réduction d'effectifs et les stratégies de la direction réduisent son importance sur ces marchés. Conserver ces compétences est un enjeu majeur pour maintenir notre présence et retrouver notre importance historique. Les mécanismes de la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (COFACE) devraient être adaptés pour intégrer la part non matérielle désormais importante dans les exportations.
Il faut également préserver l'avenir de nos activités industrielles et commencer à relocaliser. En France, l'essentiel de la fabrication, hors câbles sous-marins et antennes paraboliques, a été arrêté. Pourtant, le site industriel d'Eu représente fort potentiel économique. C'est même la plus grosse usine d'électronique en France, bien qu'elle ne soit plus destinée qu'au prototypage de produits dont la fabrication est délocalisée. C'est également le cas de Radio Frequency Sytems (RFS), fabricant d'antennes pour le mobile.
La réflexion doit également porter sur la réciprocité dans les échanges, sur la sécurité des réseaux, sur la responsabilité sociale des entreprises (RSE) dans la filière et sur l'aide à l'export.
Dans le domaine des réseaux, des données et des infrastructures télécoms, l'attribution de marchés, notamment aux concurrents chinois, va précipiter la disparition des constructeurs européens et fragiliser l'économie de nos territoires. Il faut que les règles de la concurrence soient respectées, ce qui suppose de stopper le dumping social et commercial et de s'assurer de la réciprocité des échanges commerciaux. Il en va de l'avenir des emplois très qualifiés dans le secteur high tech et de notre souveraineté. Nous risquons en effet de perdre la maîtrise de nos réseaux, voire celle de toute notre économie, en France et en Europe.
La sécurité des réseaux, sujet abordé dans le rapport Bockel mais qu'il conviendrait d'étendre aux technologies d'accès réseau fixe et mobile, appelle des actions concrètes, à l'instar de ce qui se fait aux États-Unis comme dans nombre d'autres pays. C'est là encore une question d'indépendance et de défense nationale, au sens large du terme.
Un nouveau partage de la valeur ajoutée dans la filière et une fiscalité numérique adaptée sont d'autres moyens de favoriser l'emploi dans nos entreprises. Il faut faire contribuer les passagers clandestins du réseau, qui ne paient pas le transport et réalisent des bénéfices colossaux. Dois-je rappeler les bénéfices importants réalisés par les opérateurs ainsi que les dividendes versés depuis des années ? Il est paradoxal qu'Alcatel-Lucent soit en difficulté sur le marché européen alors que des OTT et de riches opérateurs mènent une guerre des prix qui ne peut que précipiter notre fin au profit des équipementiers low cost. Pour mémoire, le prix d'abonnement mobile en France est un des plus bas au monde. Notre groupe n'est d'ailleurs pas le seul fournisseur en péril : Technicolor, AEG Power Solution et STMicroelectronics sont dans la même situation.