Intervention de Denis Baupin

Séance en hémicycle du 25 juillet 2012 à 21h30
Protection physique des matières nucléaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin :

Madame la présidente, madame la ministre déléguée, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, il nous est proposé aujourd'hui de ratifier un amendement à la convention internationale sur la protection physique des matières nucléaires. Alors qu'il a été adopté par consensus en 2005, sa ratification ne nous est proposée que sept ans plus tard. Pourtant, tant son objet – la coopération internationale en matière de terrorisme et de lutte contre les criminalités après les attentats du 11 septembre 2001 – que le matériau particulier visé par le texte – le combustible nucléaire, qu'il s'agit de protéger – auraient justifié bien plus de célérité, tout particulièrement dans notre pays.

Il y a, en effet, beaucoup à dire.

Tout d'abord, l'existence même de cette convention internationale démontre à quel point l'industrie atomique dépasse très largement, en termes de dangerosité industrielle, toute autre technologie connue.

De fait, cet amendement confirme que les installations nucléaires constituent des cibles potentielles pour des attentats terroristes dont les conséquences seraient dévastatrices. Il confirme à quel point les territoires qui accueillent ces installations atomiques sont particulièrement vulnérables, a fortiori quand ces territoires eux-mêmes sont exposés à des risques sismiques ou à des risques d'inondation ou qu'ils sont le lieu d'une concentration impressionnante d'autres industries sensibles, notamment chimiques.

Je ne peux m'empêcher, lorsque j'examine ce texte et ses conséquences, de me demander si les populations qui vivent dans les environs de ces installations ne sont pas aujourd'hui des victimes collatérales potentielles, victimes d'intérêts financiers gigantesques, insensibles et incapables de contrôler la démesure des risques qu'ils font prendre à ces riverains.

Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec d'autres habitants. Comment ne pas se demander s'ils ne pourraient pas se réveiller un jour, comme les riverains de Fukushima le 11 mars 2011, en ayant le sentiment d'avoir été sacrifiés sur l'autel d'un progrès bien illusoire, d'avoir été bernés, abandonnés, d'avoir vu ainsi leurs vies détruites « juste pour produire de l'électricité », pour reprendre les propos de l'un d'eux ?

Oui, à Fukushima, on le sait aujourd'hui par les rapports officiels japonais, la responsabilité de la catastrophe n'est pas seulement « naturelle ». La responsabilité est bien humaine. C'est bien l'homme qui a accumulé des risques inconsidérés qui font qu'aujourd'hui un territoire grand comme la Belgique, trois fois la Corse, est devenu inhabitable pour des décennies.

Le président de l'autorité de sûreté nucléaire française peut bien nous dire, comme il l'a fait ici en commission il y a quelques jours, qu'il savait depuis des années que la sûreté nucléaire japonaise n'était pas à la hauteur. Que ne l'a-t-il proclamé plus fort ! Que n'a-t-il multiplié les interviews, les tribunes, les conférences, pour alerter la population ! Que n'a-t-il proposé que la France stoppe toute coopération atomique, notamment ses exportations de MOX, ce combustible particulièrement dangereux à base de plutonium avec lequel fonctionnait le réacteur numéro 3 de Fukushima, qu'elle stoppe toute coopération avec un État qui mettait ainsi en danger la sécurité de sa population ! Quelle lourde responsabilité que celle de ne pas avoir tout fait alors pour faire connaître cette terrible réalité, quand on en voit les conséquences !

Quel type de collusion corporatiste, quel type de pression peut conduire des autorités supposées indépendantes à s'autocensurer ainsi et à minorer des informations aussi graves quand la sécurité de centaines de milliers de personnes est en jeu ?

Et la situation française est-elle si différente de la situation japonaise ? Hypothèse d'école : si le président de l'Autorité de sûreté portait aujourd'hui un regard aussi critique sur le système de sûreté nucléaire français, le ferait-il savoir ? Ou le tairait-il ? Ferait-il preuve du même silence complice ? Quelle crédibilité accorder aujourd'hui à ses communiqués anesthésiants sur la sûreté française, alors qu'il disait exactement la même chose du Japon il y a encore quelques années, tout en sachant que c'était parfaitement faux ?

On le sait donc aujourd'hui, la responsabilité de la catastrophe de Fukushima est humaine. Au moins peut-on penser, dans ce cas précis, qu'elle ne résulte pas d'une volonté délibérée. Qu'en serait-il demain si, en plus, c'étaient des terroristes qui décidaient de créer les conditions d'une telle catastrophe ? C'est la question que nous invite à nous poser cet amendement.

Déjà, au lendemain du 11 septembre, l'institut Wise avait tenté d'évaluer les dégâts qu'occasionnerait le crash d'un avion sur les piscines si vulnérables de La Hague. Son étude se concluait par un constat inquiétant : les conséquences d'une chute d'avion sur cette zone pourraient être comparées au drame de Tchernobyl. Le point critique se situerait au niveau des piscines de refroidissement qui concentrent 7 500 tonnes de combustibles usés. En prenant pour hypothèse la seule destruction de la plus petite piscine chargée de la moitié de sa capacité, il concluait que si un tel accident se produisait, la quantité de césium 137 relâchée serait soixante-sept fois supérieure à la quantité répandue lors de la catastrophe de Tchernobyl, à la suite de quoi le Gouvernement s'était empressé de déployer des missiles sol-air autour du site afin de dissuader toute attaque. Depuis lors, ces missiles ont été retirés en toute discrétion, sans, bien sûr, que rien ait été fait pour renforcer les toitures en tôle de ces piscines. Il faut dire que l'on s'est rendu compte entre-temps qu'il n'y a pas besoin d'un crash d'avion pour provoquer un tel accident et – comble de vulnérabilité – qu'un tir de bazooka pourrait suffire.

Sans doute serez-vous rassurés d'apprendre que le très sérieux institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, l'IRSN, a estimé depuis lors que l'évaluation faite par Wise était erronée d'un facteur 10. Les habitants du Cotentin peuvent donc dormir tranquilles : ils ne seraient exposés qu'à un risque équivalent à sept fois Tchernobyl !

Las, les risques ne se limitent pas aux installations nucléaires. Pour corser le tout, nous avons ajouté sur notre territoire une spécificité bien française. Aux bombes fixes, nous avons ajouté des centaines de bombes mobiles qui traversent chaque jour notre pays, sur la route ou sur les rails, transportant des tonnes de matière radioactives, y compris en plein coeur des agglomérations les plus peuplées.

Aujourd'hui même, un train de déchets italiens a rejoint Valognes. Il l'aurait fait dans le plus grand secret sans la vigilance des associations et des syndicalistes ferroviaires.

J'étais présent ce matin à Versailles, comme j'y étais le 10 mai 2011, au passage du précédent convoi en provenance d'Italie. Sur son parcours, ce train avait transité six heures en Île-de-France. Il avait utilisé les voies du RER et traversé près de quarante gares, parmi lesquelles celles d'agglomérations importantes comme Melun, Villeneuve-Saint-Georges, Longjumeau, Massy, Versailles ou Mantes-la-Jolie.

J'étais présent à la gare de Versailles lorsque vers sept heures et demie du matin, en pleine heure de pointe, le train avait traversé cette gare à grande vitesse, à quelques centimètres des usagers des transports collectifs qui attendaient sur les quais et au milieu du va-et-vient des RER et trains de banlieue transitant par cette gare.

En dehors de celle diffusée par les militants anti-nucléaire présents, aucune information n'était donnée aux usagers ; aucune précaution particulière n'était prise pour leur protection et leur sécurité. Rien n'empêchait de possibles incursions sur les voies, sans parler d'atteintes malveillantes au chargement, alors même qu'une semaine plus tôt, à la suite à la mort de Ben Laden, les autorités françaises ne cessaient de nous alerter sur les risques terroristes menaçant la France, au nom desquels le plan Vigipirate était passé au niveau rouge renforcé.

Pourtant, le chargement de ce train était tout sauf inoffensif. Le combustible usé était composé majoritairement d'uranium, mais aussi de plutonium. Il dégageait de grandes quantités de chaleur et émettait des rayonnements radioactifs gamma se propageant à plusieurs dizaines de mètres autour des wagons, exposant à des radiations ionisantes les personnes situées à proximité, à des niveaux pouvant atteindre 20 000 fois la radioactivité naturelle.

Alors maire-adjoint de Paris, j'avais interpellé en conseil de Paris le préfet de police pour savoir quels dispositifs avaient été mis en place pour informer la population, pour informer les élus, pour prévenir un accident ou une attaque, et, plus important encore, pour protéger et évacuer la population dans une telle éventualité. Il s'était contenté de me dire, comme unique réponse, que ce transport était conforme aux textes en vigueur. Cela en disait surtout beaucoup sur la vacuité desdits « textes en vigueur ».

Précisons d'ailleurs que ces transports sont totalement inutiles pour la production électrique. Non seulement, ces milliers de kilomètres à haut risque ne contribuent pas à produire le moindre kilowattheure d'électricité, mais ils ne permettent même pas de réduire la quantité de déchets hautement radioactifs, ni de réduire leur radioactivité. Ces déchets italiens sont d'ailleurs supposés repartir en Italie entre 2020 et 2025, où rien n'est prévu pour les accueillir, et cela au titre d'un contrat, entre AREVA et son homologue italien, sur la légalité duquel l'autorité française de sûreté nucléaire avait tenu à rappeler publiquement ses réserves.

À la lumière de toutes ces informations, madame la ministre déléguée, et au vu du texte qui nous est proposé aujourd'hui, on aurait pu imaginer que, lorsqu'il y a un an, le commissaire européen à l'énergie Günther Œttinger, qui n'a rien d'un écologiste barbu et chevelu, a proposé que les évaluations complémentaires de sécurité à la suite de la catastrophe de Fukushima intègrent le risque terroriste, la France saute sur l'occasion pour améliorer sa sécurité. Au contraire, la France l'a refusé alors même que nos voisins belges et allemands, eux, ont intégré ce risque à leurs études.

Peut-être craignait-on d'avoir du mal, si on procédait à une telle évaluation, à continuer à faire croire à la population française que le nucléaire français est le plus sûr du monde, alors même qu'il est sans doute le plus vulnérable, tant par le nombre de ses installations, la concentration de matières hautement radioactives sur certains sites comme La Hague et la multitude des transports, qui multiplie les risques, que par le laxisme du contrôle.

On aurait pu imaginer que le vote du présent texte serait l'occasion rêvée de rattraper cette erreur. Las, vous nous dites déjà, comme l'a rappelé le rapporteur, que ce texte n'aura aucune conséquence directe sur le droit interne français, et cela alors même qu'il y aurait tant à redire – je crois l'avoir amplement démontré – aux « textes en vigueur », s'agissant tant de la sécurité que de la sûreté nucléaire.

En conséquence, pourquoi voterait-on un texte qui ne dit rien et ne change rien ?

Je vous le dis avec regret, madame la ministre, mais, parce que nous voulons le changement et que nous le voulons maintenant, nous ne voterons pas le présent texte. Nous nous abstiendrons, mais nous comptons beaucoup sur le débat à venir sur la transition énergétique pour mettre enfin un terme à la dangereuse exception française dont j'ai tenté de mettre en évidence certains aspects ce soir. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

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