Intervention de Christian Bataille

Séance en hémicycle du 25 juillet 2012 à 21h30
Protection physique des matières nucléaires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille :

La production, la circulation et le commerce des matières nucléaires ne peuvent obéir aux règles ordinaires du commerce mondial, qui repose sur les principes du libre-échange.

La production et le transport des matières nucléaires ne peuvent être confiées à des entreprises sans être encadrées par des règles. Il en va de même au niveau international : chaque pays dirigé par un gouvernement indépendant est libre de déterminer sa conduite, mais pour ce qui est des matières nucléaires, la concertation internationale est incontournable.

Cette concertation doit déboucher sur des règles communes, discutées et acceptées par tous, pour organiser la sécurité des installations nucléaires et du transport des matières nucléaires, interdire la prolifération de ces matières, et prévenir les malveillances et le sabotage. Une action nationale isolée ne peut répondre à ces impératifs. Le droit international s'impose.

Les règles actuellement en vigueur sont issues d'une convention de 1979. Si l'action propre de chaque pays est indispensable, la concertation internationale et la fixation de règles communes ne le sont pas moins. Cette concertation s'est déroulée progressivement de 1979 à 2005. Plus d'un quart de siècle sépare en effet la signature de la convention sur la protection physique des matières nucléaires en 1979 et l'adoption en 2005 de l'amendement que nous examinons aujourd'hui.

Or, au cours de ce quart de siècle, la situation des matières et des installations nucléaires a considérablement évolué. Le contexte international s'est, lui aussi, profondément transformé. Le monde, autrefois organisé autour de deux grandes puissances, est devenu plus complexe, multiforme et dangereux.

L'amendement à la convention sur la protection physique des matières nucléaires, sur lequel nous devons nous prononcer, répond-il à ces nouveaux défis ? Incontestablement oui, malgré ses limites. En étendant le champ d'application de la convention, en renforçant les exigences en matière de protection physique, en élargissant le champ de la coopération internationale, cet amendement constitue un pas dans la bonne direction.

Toutefois, force est de constater la lenteur du processus d'élaboration et de ratification de cet amendement, d'autant plus que, comme l'a souligné le rapporteur Guy-Michel Chauveau, celui-ci n'entrera en vigueur que lorsqu'une quarantaine de pays supplémentaires l'auront ratifié, ce qui prendra encore du temps. Le récent sommet de Séoul a confirmé la difficulté de faire avancer la coordination internationale en matière de sécurité nucléaire, malgré l'engagement d'une poignée de pays – dont le nôtre – à renforcer la sécurité des sites contenant de l'uranium hautement enrichi.

Or j'estime que la sûreté nucléaire ne se conçoit que dans une logique de progrès permanent. Ne pas avancer dans ce domaine nous exposerait à des risques croissants et changeants auxquels nous ne serons pas prêts à faire face.

Alors, que faire ? La lente progression de la coopération internationale ne laisse pas entrevoir la possibilité d'une organisation supranationale ayant vocation, à terme, à prendre le relais des contrôles publics nationaux.

Tout accident nucléaire a des conséquences internationales, ce qui implique deux choses. D'une part, il convient d'établir des normes internationales de sécurité. D'autre part, il faut que le respect de ces normes soit garanti par une surveillance elle aussi internationale. Cette double exigence est intellectuellement satisfaisante, mais elle ne correspond pas à la réalité des relations diplomatiques.

Car la souveraineté des États constituera toujours un obstacle potentiel à l'efficacité des contrôles. Il faut, pour que des contrôles étrangers soient possibles, que les États les acceptent explicitement. D'autre part, le jeu des relations diplomatiques implique une recherche permanente d'équilibre entre des intérêts nationaux divergents. Cet état des choses est incompatible avec la rigueur absolue – j'insiste sur l'adjectif « absolue » – que suppose la sécurité nucléaire.

Si j'ai de sérieux doutes quant à la pertinence d'une centralisation mondiale de la gestion de la sécurité nucléaire, je suis en revanche convaincu qu'un renforcement de la coopération internationale, notamment au niveau européen, permettrait de progresser plus vite sur cette question. Cette coopération européenne serait très bénéfique : multiplier le nombre de regards indépendants sur les installations nucléaires ne peut qu'améliorer la détection des problèmes.

La France est un des acteurs principaux de l'industrie nucléaire au niveau mondial. Nous nous sommes dotés très tôt d'une législation et d'une organisation propres à assurer la sécurité et la sûreté de nos installations nucléaires. Cela explique que la mise en oeuvre de cet amendement n'implique aucune adaptation de notre législation.

Cela explique également que notre pays exerce une influence certaine en matière de gestion des déchets nucléaires, au plan international et européen. En témoignent les réformes récemment engagées en Russie, les réflexions actuellement menées aux États-Unis – comme l'étude publiée en septembre 2010 par le Massachusetts Institute of Technology sur l'avenir du cycle de combustible – ou encore la directive européenne sur la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs, qui est calquée sur la législation française.

Notre autorité de sûreté nucléaire indépendante, l'ASN, est reconnue comme l'une des deux plus solides au monde avec l'autorité américaine. Son statut a garanti, jusqu'à ce jour, la complète autonomie de ses analyses, la totale transparence de son fonctionnement, et la pleine autorité de ses décisions.

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